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Depuis sa première pièce, Celle-là, Daniel Danis pratique une écriture dramaturgique qui réserve une place singulière à la parole. La langue qu’il emploie dans ses textes est tout à fait originale[1], mais c’est aussi, et surtout, par sa structure énonciative particulière et la place inhabituelle réservée à la narration que le théâtre de Danis se distingue des formes dramatiques canoniques. Le chant du Dire-Dire[2] ne fait pas exception au sein de son oeuvre. Gilbert David, le premier, a attiré l’attention sur la particularité danisienne d’un dispositif dramatico-épique, composé de trois instances énonciatives, soit l’acteur, le conteur et le témoin : « [I]l ne s’agit plus, pour le joueur, de se contenter de jouer un personnage, mais de veiller à en diffracter l’énonciation. La façon de savoir s’il y est parvenu ne pourra pas tromper : sa performance aura la simplicité du conte, la précision du témoignage et la résonnance d’une voix[3]. »

Le dispositif énonciatif complexe de cette pièce, qu’à son tour Jean-Paul Dufiet analyse dans « Dire au théâtre. Le chant du Dire-Dire de Daniel Danis[4] », le conduit à y souligner le caractère à la fois subjectif et objectif de la parole, au point d’y voir une pièce méta-énonciative, « en ce qu’elle représente et dramatise l’acte de dire lui-même[5] ». Or, s’il faut convenir de la pertinence de caractériser ainsi la structure énonciative du théâtre de Danis, il n’en demeure pas moins que ce théâtre raconte aussi quelque chose. À ce titre, Le chant du Dire-Dire se distingue par la profusion de la parole narrative qui entraîne le lecteur et le spectateur dans un tourbillon excédant la teneur habituelle d’une fable, laquelle, dès lors, n’a plus rien du « bel animal » aristotélicien. À première vue, l’auteur élabore ici son récit dramatique en y conjuguant plusieurs modes, aussi bien lyrique et tragique que dramatique et épique, voire comique, ce qui se cristallise en diverses modalités génériques. Aussi est-ce à la nature et à l’interaction des couches narratives dans la diégèse que nous nous intéresserons dans cet article, en examinant leurs répercussions sur les significations de l’oeuvre.

Par l’accumulation d’événements qui sont rapportés par bribes, la fable est, à l’image de son thème central, chaotique à souhait, mais elle est en même temps traversée par une tension qui a comme source la destinée proprement inouïe de Noéma, la soeur cadette des trois frères Durant. Afin de saisir la portée de cette tension, il faut d’abord s’astreindre à la tâche de tenir le fil des événements. Toutefois, avant de reconstituer les éléments de la mise en intrigue, il faut isoler deux moments dans l’architectonique du texte, soit le premier « Dire » et la toute fin du dernier « Dire » : dans ces deux cas, les trois frères Durant endossent un rôle métafictionnel particulier puisqu’ils se proposent en entités détentrices d’un savoir supérieur, à la manière d’un chaman qui s’extirpe de son silence intérieur et y retourne une fois rempli son contrat oraculaire. Ainsi, le premier « Dire » — « Émerger pour le temps des partages » — se présente comme un prologue, au demeurant ritualisé, plutôt qu’en tant que partie intégrante de la fable, car, avant de commencer à raconter leur histoire, Rock, William et Fred-Gilles profèrent à l’unisson leur (re)naissance en trois actes de langage qui touchent leur bouche, leurs yeux et leurs tympans afin de dévoiler ce qui est advenu de « [t]rois frères et une soeur reliés par un objet, le même, dans leurs mains : le Dire-Dire » (CDD, 13). Au terme de leur récit choral, les trois frères, à la toute fin du dernier Dire — « Le château de la savane » —, qui présente cette fois leur rituel d’automutilation alors qu’ils « se sont percé les tympans », « crevé les yeux » et « coupé la langue » (CDD, 73), réalisent par autant d’actes de langage leur retrait dans le silence initial. Entre ces deux pôles va se déployer la fable proprement dite qui, comme on le verra, contient de nombreux rebondissements.

Isoler la fable dans le fil des événements

Les trois frères Durant s’unissent donc pour raconter à tour de rôle une histoire à partir des mêmes souvenirs afin de tisser une intrigue commune. C’est ainsi que la fable (ou l’action principale) doit être reconstruite à partir de fragments disparates, alors que l’intrigue n’est pas strictement linéaire, qu’elle comprend des ellipses et, parfois, des analepses. La fable dans Le chant du Dire-Dire n’est pas réductible à l’ensemble des actions accomplies au présent, mais est constituée de l’ensemble des actions, d’abord vécues dans un passé non défini, puis régulièrement ramenées au présent par la narration des frères Durant. Elle a pour point de départ l’avènement du chaos dans la maison familiale et se conclut par l’union de Noéma avec le Tonnerre. Autrement dit, l’action est encadrée par le choc mortel d’un violent orage — avec la foudre qui tue les parents adoptifs des enfants Durant — et par le retour du Tonnerre, que les trois frères marient à leur soeur Noéma. On aura compris, à ce stade-ci, la nature rétroactivement fantastique de la fable qui, au départ, fait intervenir une force toute naturelle, l’orage, mais qui, à terme, se charge d’une signification symbolique autrement plus mystérieuse, sinon troublante. Ce noyau dur de l’action permet maintenant d’ordonner la suite des péripéties qui ont pour objet Noéma en quatre grandes phases :

  1. D’abord, Noéma, frappée par la foudre mais miraculeusement épargnée, contrairement aux parents, se transfigure en chanteuse : « ROCK. […] On peut quand même dire aussi que le début de son talent est apparu par le Tonnerre et la mort des parents. » (CDD, 18)

  2. Puis, à l’âge de vingt ans, elle quitte ses frères dans le but de poursuivre une carrière de chanteuse : « WILLIAM. Noéma, la tourneuse des bars dans toutes les contrées, chante l’amour et la peine dans le style country-gigué ou country-planant. » (CDD, 22) Mais, un été, elle ne se présentera pas pour chanter, comme promis, à la fête municipale annuelle, au grand désarroi de ses frères.

  3. Plusieurs mois plus tard, on assiste au retour au bercail de Noéma, laquelle est dans un état catatonique dont elle émerge en proie à une crise : « Les jambes, les bras dans tous les sens. Une respiration forte. Son coeur voulait sortir de sa poitrine, comme. » (CDD, 32) Les trois frères entreprennent alors de soigner leur soeur, allant jusqu’à construire « une belle machine » derrière la maison : « ROCK. Comme ça, on peut l’asseoir, la coucher, la tenir debout et la glisser dans la baignoire. » (CDD, 36) Mais, après un certain temps et à la suite de plusieurs tentatives de la guérir par leurs « soins d’amour », déçu de ne pas la voir prendre du mieux, Rock décide, contre l’avis de Fred-Gilles et de William, d’amener sa soeur à l’hôpital. Deux semaines plus tard, Rock revient avec Noéma, toujours malade, et laisse tomber le diagnostic : elle a « un caillot de sang logé dans le cerveau » (CDD, 42).

  4. Lors d’une nuit orageuse, Noéma commence à émettre une série de « Et… », en une sorte de chant minimaliste, pendant que ses trois frères découvrent que « la peau de leur soeur est lumineuse » (CDD, 44). L’état stationnaire de leur soeur finit cependant par envenimer les relations entre Rock, qui veut tenter une opération risquée à l’hôpital, et William, qui s’en dissocie radicalement, au point d’agresser brutalement son frère aîné. Le temps passe, sans que Noéma sorte de son état quasi comateux. Une fois les premiers jours de grande chaleur revenus, William décide de tenter le tout pour le tout et invite les municipiens à venir donner de l’amour à Noéma. Son initiative provoque un attroupement de curieux près de leur maison, qui attendent de voir Noéma « s’allumer ». La situation devient intenable, étant donné la pression grandissante de la communauté et des médias ainsi que la décision de l’autorité de la santé publique de soustraire Noéma à la garde de ses frères, ce qui conduit ces derniers à résister, fusil à la main, aux assauts des envahisseurs et, en dernier recours, à se replier sur les préparatifs des noces de Noéma avec le Tonnerre, en une ultime célébration de la victoire de la « Société d’Amour » sur le monde administré.

Parallèlement à cette intrigue centrale, un autre fil conducteur sollicite sans cesse le lecteur-spectateur : le rapport qu’ont les frères Durant à la parole par l’entremise d’une machine-jouet, le Dire-Dire : « [t]out jeune, aucun d’eux ne parlait » (CDD, 13), « [l]a mère […] avait pensé-rêvé à un objet : un jeu. Le père […] l’avait fabriqué » (CDD, 14). Ainsi, la situation initiale concerne la famille Durant, dans laquelle les quatre enfants adoptés, ayant trois à quatre années de différence d’âge entre eux, sont tous enclins au mutisme. Le Dire-Dire constituera le levier ludique de la naissance au langage[6] des enfants Durant et, par conséquent, renvoie à la capacité de témoigner, qui redouble la fonction de conteurs des frères Durant. En tant que témoins, Rock, Fred-Gilles et William font état, tout au long de la pièce, des difficultés rencontrées par la Société d’Amour, une fois leurs parents adoptifs disparus tragiquement. Les enfants, de nouveau orphelins, prennent la décision de vivre en marge des règles communes et font le pari de l’autosuffisance, au grand dam de la société bien-pensante, si bien que les événements périphériques à l’action principale concerneront essentiellement les conflits entre les frères Durant ainsi que ceux qu’ils entretiennent avec la communauté des municipiens.

Pour circonscrire la fable proprement dite, il a été nécessaire, comme on l’a vu, de faire abstraction des situations qui interpellent les frères Durant en tant que témoins, tout en prenant soin de reconstituer chronologiquement et dans le détail tous les éléments de l’intrigue. Toutefois, le témoin et le conteur étant toujours, sinon à égalité, du moins étroitement liés, la fable qui conjoint ici le témoignage au conte merveilleux relève en fin de compte du récit de vie, nommément celui de la fratrie des Durant :

Contrairement aux récits du théâtre traditionnel, dont la fonction était de relater une partie de la fable qu’on ne pouvait représenter sur scène mais qui alimentait nécessairement le présent dramatique, le récit de vie reconstruit un passé révolu. Il bouleverse non seulement la temporalité dramatique, en l’orientant vers la rétrospection, mais aussi le statut du personnage, qui acquiert une dimension spectrale. […] La parole puise alors sa dynamique dans le défi de parvenir à tout dire en un temps restreint […][7].

Dans cette perspective, les conteurs-témoins endossent ultimement le statut de spectres, venus hanter le temps d’une représentation l’espace-temps de « l’assemblée pensante ». Dès lors, revenus d’entre les morts, les parleurs sont comme suspendus dans un non-lieu et un non-temps, ayant pour ainsi dire une existence qui répond à une exigence avant tout spirituelle[8]. En tant que spectres, ils voyagent entre deux temporalités : celle de la fable même et celle du retour sur la fable. Il y a une oscillation constante entre la distance que les conteurs prennent en narrant au passé et leur implication dans l’histoire, qui les ramène au présent de celle-ci ; cette oscillation se produit souvent au sein d’une même réplique, comme dans ce passage :

WILLIAM. William avait dit, avec sa nouvelle voix de chef, qu’il faudrait répartir toutes les choses utiles pour l’été.
Aux premiers jours de grande chaleur, on avait installé Quiquine dans sa machine.
Mes deux frères j’ai à vous parler. J’ai raisonné la maladie de Noéma.
Quand elle chantait, le monde venait pour l’aimer comme une star. Y faut que d’autres gens que nous la voient et lui parlent d’amour. Ça lui prend une montagne d’amour pour guérir. Une montagne d’amour !
J’en ai déjà parlé avec la Vue-Vue, elle serait heureuse de nous aider. Demain soir, elle viendrait avec les femmes du Cercle des Bonnes Fermières.
Dérage des yeux, Rock !

CDD, 61

Il est important d’en passer par ces deux temporalités pour accéder à un autre niveau interprétatif qui leur correspond par l’hybridation générique entre le conte, le témoignage et le pacte oraculaire dont sont responsables solidairement les trois frères Durant.

Dire autrement « pour la suite du monde »

Prendre la parole n’a rien d’un acte banal dans Le chant du Dire-Dire. Le titre générique donné aux vingt et une parties — « Le Dire : [suivi d’un titre spécifique] » — rappelle la fonction centrale de la parole en tant que processus et admet ainsi un double rôle. Il faut en fait comprendre le terme « Dire » à la fois en tant que substantif et infinitif à valeur impérative. Chaque « Dire » est un morceau qui permet non seulement de reconstituer la fable, c’est-à-dire qu’il nomme ces « détails et […] objets carrefours, capables de ramasser de façon synthétique des pans entiers d’une existence[9] », mais aussi d’exposer le défi d’un devoir dire auquel se soumettent ses trois actants. Il en va donc pour ces derniers d’une nécessité vitale qui fait appel à toutes les ressources langagières, capables certes de nommer le réel, mais par-dessus tout d’en faire émerger un chemin de connaissance. Et c’est pourquoi il est nécessaire d’avoir recours à la notion de parabole pour mieux se saisir des enjeux sociaux et existentiels qu’embrasse la quête ésotérique des frères Durant.

Selon Charles Harold Dodd, la parabole « est une métaphore ou une comparaison tirée de la nature ou de la vie courante, qui frappe l’auditeur par son caractère vivant ou étrange, et dont l’application exacte sème dans l’esprit un doute suffisant pour inciter à une pensée personnelle[10] ». Ce sont précisément les éléments étranges et saillants, présents dans la fable, qui permettent d’en inférer une signification parabolique. Les composantes surnaturelles — qui échappent à une explication rationnelle et qui participent du même coup à l’atmosphère générique du conte — sont principalement manifestes dans les traits suivants : la personnification animiste de la nature, la peau lumineuse de Noéma et le pouvoir incantatoire de la parole, tant en ce qui a trait au corps que dans le lien d’amour à préserver à tout prix au sein du microcosme des « Durant L’Orage » — un surnom qui en dit long sur leur commune origine fictionnelle. Ces traits constituent autant de points de comparaison qui sont au fondement de la parabole. En outre, la choralité, si présente dans Le chant du Dire-Dire, vient encore contribuer à la forme parabolique de la pièce[11]. Enfin, le caractère enfantin des frères Durant, que révèlent leur naïveté, leur comportement fantasque, leur vocabulaire imagé et leurs visées utopiques, renvoie à un élément fondamental de la forme de la parabole selon Sarrazac :

D’un côté, cet ancrage dans le familier, le primitif, l’archaïque, l’enfantin. De l’autre l’ambition, mais mesurée […], d’un art philosophique […]. Entre les deux, peut-être comme arc de tension, une propédeutique consistant simplement à jouer ensemble, acteurs et spectateurs, pour tenter d’accéder à une compréhension commune du monde[12] ?…

Danis laisse alors au lecteur-spectateur le rôle de « prendre en charge le récit et [d’]en élaborer lui-même le sens[13] », la parabole souscrivant à un « libre jeu [d’]associations[14] ». C’est la démarche que nous nous proposons de suivre maintenant, en examinant deux hypothèses touchant à la signification parabolique de la pièce qui nous intéresse.

Première parabole : de la Société d’Amour à la création d’un mythe

Si l’on admet que la fable est gouvernée par une mystique du Verbe, il faut aussitôt se demander en quoi et pourquoi le récit de vie des frères Durant configure peu à peu un ordre transcendant que sous-tend la volonté d’instaurer une communauté autre. David Blonde remarque à cet effet :

[La violence] va jusqu’à abolir la hiérarchie familiale dans Le chant du Dire-Dire. Surgissant sous forme d’un « Orage », elle décapite la famille Durant en tuant les parents adoptifs de [Noéma,] Fred-Gilles, William et Rock et provoque la constitution d’une cellule familiale fraternelle libérée des symboles destinés à marquer l’appartenance des fils à la société civile : le père, « enterré au sud », symbolisait leur inclusion dans le Québec moderne, urbain ; tandis que la figure de la mère, « la nôtre chérie, [enterrée] au nord », renvoyait à un territoire primordial […][15].

L’Orage — promu au rang de divinité — se présente donc comme l’agent primordial de la venue au monde d’un nouveau clan fraternel qui s’efforcera, aussitôt la famille Durant décapitée, de « rest[er] soud[é] ensemble », en marge de la Loi représentée notamment par les municipiens. C’est par le Dire-Dire, par l’appropriation du langage, que le clan formé par les « Durant L’Orage » — le surnom qui les désigne à la suite du chaos — peut d’abord se créer. Ce jeu de société « soude ensemble » les membres du clan, parce qu’il les dote de la capacité de nommer et de (se) reconnaître. Or, la destruction des parents se produit, soulignons-le, lorsque l’un des enfants, William, arrive à nommer le chaos, comme s’il acquérait à cet instant même un pouvoir de destruction : « ROCK. Après plusieurs années, le jour arriva où tout a commencé, comme si, par le Dire-Dire, on avait appelé du très loin le chaos. » (CDD, 14) À partir du moment où les enfants ont acquis la capacité d’user de la parole de façon efficace, le chaos, par l’intercession du Dire-Dire que le père et la mère Durant[16] ont pourtant inventé pour les rendre au langage, vient les éliminer. De là à penser que le Dire-Dire confère à ceux qui en font usage un pouvoir aux effets ambivalents, il y a un pas vite franchi : capable d’accéder à un savoir remontant à la nuit des temps, le parleur s’expose en même temps à proférer des mots qui engendrent des cataclysmes — ou, du moins, le croit-il. Il est tentant de voir, en effet, ce jeu de langage comme une manifestation animiste qui prend appui sur un totem, le Dire-Dire, par lequel la progéniture Durant se montre capable du meilleur et du pire.

C’est en ce sens qu’il est possible d’interpréter le repli autarcique des enfants comme une tentative pour surmonter leur culpabilité liée à la disparition des parents, dont ils se sentent responsables, en se constituant en Société d’Amour, sorte de phalanstère qui évite, bien entendu, leur dispersion dans différentes familles d’accueil. D’autres éléments relatifs à l’établissement d’une société nouvelle sont significatifs, en particulier celui de l’inclusion et de l’exclusion. Au moment où les enfants se « relient-soudent » en plein orage, la réaction de Noéma, hystérique et détonante comparativement à celle de ses frères, conduit rapidement Rock à se désolidariser de cet être différent, plus jeune, féminin et qui réagit de manière inquiétante :

ROCK. Noéma, notre soeur la plus jeune, s’est mise à crier en se tenant la tête comme si elle avait reçu un éclat de décharge électrique. J’aurais dû être gentil, la consoler, mais sa voix étirée me tirait les ficelles des nerfs de ma tête jusqu’au bas du dos.
J’ai crié à Fred-Gilles d’ouvrir la porte et à William de venir m’aider. On a garroché Noéma en dehors de la chambre pour qu’elle rejoigne nos amours de cadavres.
Avec nos trois corps, on a bloqué la porte. Noéma hurlait encore, une vraie sirène de feu.

CDD, 17

Or, le fait d’exclure Noéma de la protection de la chambre des parents et de l’offrir ainsi à la violence des éléments va sceller son destin. Si les frères Durant détiennent le don de la parole, Noéma se voit attribuer celui du chant, et dès lors se révèle un rapport dichotomique, de la voix au corps, de la parole à la pensée. Comme on l’a précisé plus haut, la fable centrale se met en branle avec le départ de Noéma pour embrasser le vaste monde en tant que chanteuse dans les bars, ce qui la conduira à la déchéance. Aussi, lorsqu’elle revient à la maison, presque anéantie, une sorte de culpabilité mêlée d’adoration amène les frères à se consacrer entièrement à la réhabilitation de leur « petite » soeur par des « soins d’amour » qui, volens nolens, semblent la préparer à assumer la condition d’un être d’exception, puis à lui frayer un chemin vers le mythe. Si les frères Durant agissent en tant que guérisseurs, notamment en multipliant les séances d’embellissement de Noéma, Rock ne renonce pas facilement à obtenir une guérison d’ordre médical. Il est difficile de savoir jusqu’à quel point les frères sont vraiment responsables de la transformation de Quiquine — surnom de Noéma, la rouquine — en créature phosphorescente. Une chose est certaine : à force de l’idolâtrer, les frères se trouvent à favoriser la mutation de leur soeur en objet de culte. Le paroxysme de cette idolâtrie survient lorsque Noéma réussit à ensorceler jusqu’aux municipiens, qui s’arrachent des morceaux de ses cheveux et de ses vêtements, et menacent, d’une certaine façon, de la violer :

FRED-GILLES. Un arrachis démentiel. Pendant qu’on argumentait dans l’entrée, des municipiens autour de la machine de Noéma, ciseaux en main, lui coupaient les cheveux jusqu’au crâne, même qu’on découpait ses vêtements en morceaux pour des reliquats.
Mes frères, ils sont en train de piller notre soeur.

CDD, 68

Le risque imminent de perdre Noéma conduit les frères à s’unir pour la défendre. Bien qu’elle s’appelle la Société d’Amour Durant, on s’y interroge beaucoup sur la façon appropriée de prodiguer cet amour. En effet, ce clan qui se crée par la parole libératrice est aussi obsédé par la justesse de son rapport à l’amour. Une partie de la réponse se trouve peut-être du côté du lien identitaire qui unit les quatre personnages. Tous adoptés, ils peuvent finalement soutenir que l’identité authentique n’est pas fondée sur l’origine biologique, mais sur l’amour et les liens qui unissent un groupe :

ROCK. On le sait qu’on vient pas du même vagin, qu’est-ce que ça fait ?
WILLIAM. J’ai quand même raison.
ROCK. Maudit crâne de cave ! Toi, Fred-Gilles, dépâme !
WILLIAM. Arrête donc de contrôler tout ce qu’on fait.
FRED-GILLES. William, dis plus ça. On est pareils, la Société d’Amour Durant.
Revenez, mes deux frères, pour sécher-poudrer notre soeur.

CDD, 35

Il convient maintenant de préciser les rapports du clan avec les municipiens. Dès le commencement, ceux-ci incarnent une menace de tutelle ou de démantèlement de la cellule Durant. Ils commencent par les laisser vivre ensemble, mais les actes d’intrusion persistent. Par exemple, le docteur Forgeron et sa femme veulent « voler » Noéma. L’oncle, qui est aussi le maire, joue sur deux plans le rôle de l’autorité potentiellement destructrice, capable d’imposer la loi de la désunion. Entre la posture d’aller vers l’Autre et celle de l’intégrer, les frères Durant se montrent hésitants à laisser intervenir les municipiens et, surtout, sur la manière de le faire. D’un côté, Rock veut sortir Noéma de la cellule familiale pour l’amener à l’hôpital malgré l’opposition de Fred-Gilles et de William ; de l’autre, William fait intervenir le Cercle des Fermières, les invitant ainsi à se soumettre à leur usage de la parole, à leur mode de communication dans l’amour[17]. Entre Rock et William qui s’affrontent sur la façon de résister ou de s’intégrer au monde extérieur, Fred-Gilles agit, quant à lui, comme seul énonciateur en mesure de rapporter toute parole étrangère à la cellule autarcique des Durant L’Orage.

Les conflits de nature hiérarchique au sein de cette fratrie sont également significatifs. Une fois que les parents adoptifs, dont l’autorité était conférée par la loi, ont disparu, la légitimité d’une nouvelle hiérarchie est sans cesse contestée. Les altercations entre Rock et William sont multiples et concernent la pertinence des règlements ainsi que celle des croyances et, surtout, la façon de prendre soin de Noéma, un membre éprouvé du clan. Encore une fois, la parole est au centre des différends. Rock dirige en prenant appui, peut-on penser, sur son droit d’aînesse, et son autorité se manifeste par des ordres, des décisions « fermée[s], à pêne dormant » (CDD, 51). Toutefois, William devient le « chef » quand il blesse Rock avec le tesson d’une bouteille qui atteint ses cordes vocales, l’empêchant de parler. Or, c’est quand les membres du clan se retrouvent à forces égales, lors du nouvel Orage, que les problèmes de hiérarchie se règlent et que les trois frères, ressoudés, peuvent maintenant ne faire qu’un avec la violence de la Nature et, ultimement, retrouver la paix par l’entremise de Noéma, alors qu’ils se rendent dans son château de lumière, sorte de nirvana où s’achève leur quête d’un monde autre, radicalement autre : « LES TROIS. Dans l’eau de la savane, les éclairs entrent dans le Dire-Dire pour la suite du monde. » (CDD, 73) L’Orage, qui les a d’abord jetés dans le monde en tant que nouveaux orphelins, symbolise finalement la force à apprivoiser pour ressouder le clan. Enfin, si cette violence de la nature peut être associée à l’ardeur des frères, elle s’inscrit aussi dans tout un discours d’apprivoisement du malheur. La phrase prononcée par la mère au début — « Si la douleur loge en la demeure, marque une heure pour les futurs bonheurs » (CDD, 16), répétée ensuite à deux occasions (CDD, 53 ; 68) — transmet aux enfants une vision de la nécessaire résilience face aux difficultés, et ceux-ci y parviennent, malgré le malheur qui tourne autour de la maison, les pleurs de Rock qui le réveillent (CDD, 26) et la peur que Noéma ne guérisse pas, par le recours à une transcendance foncièrement animiste.

La parabole qui infléchit le récit des frères Durant se construit ainsi à partir des dangers tout extérieurs qui menacent une cellule, encore à ses premiers balbutiements et s’interrogeant sur la façon de s’inventer, de se fonder, où l’on entend préserver des valeurs de partage, de solidarité et d’amour fraternel. Or, une fois que Noéma a choisi de poursuivre une carrière, fût-elle artistique, hors du clan Durant, elle a trahi en quelque sorte la source animiste de son don pour dilapider celui-ci dans un monde vulgaire, fondé sur l’exploitation du talent. Puis, une fois qu’elle sombre dans le mal d’être, il n’y a d’autre issue pour elle que d’épouser le Tonnerre, en une noce qui réconcilie sa nature profonde avec l’ordre cosmique, la nécessité supérieure du mythe, réunifiant du même coup la fratrie. Quand le Tonnerre revient, les frères cessent d’être divisés et s’expriment de nouveau à l’unisson pour témoigner du mythe fondateur « pour la suite du monde ».

Cela dit, cette première interprétation parabolique ne permet pas de tout expliquer de l’étrange cérémonie à laquelle nous convient les Durant L’Orage. En cette matière, la parabole proposée par Le chant du Dire-Dire s’apparente à celle que Jean-Pierre Sarrazac, ne dédaignant pas l’oxymore, qualifie d’énigmatique, c’est-à-dire une parabole dont le récit se « détache le plus possible […] de toute référence immédiate à la réalité et [se] soustrait ainsi à une interprétation directe ou univoque[18] ».

Deuxième parabole : la condition paratopique du créateur

La précédente interprétation de la fable en tant que parabole de la réconciliation des Durant sous l’égide d’un mythe transcendant et créateur ne manque pas de faire apparaître un deuxième plan parabolique qui, cette fois, a trait au caractère omnipotent, voire autoconstituant[19] du langage. Ainsi, il est possible de considérer la prise de parole même, qui permet à la fable d’être racontée, comme porteuse d’une seconde interprétation du rapport au monde — rapport de témoignage et de transmission —, ce qui n’est pas sans rappeler la position paratopique d’un auteur[20]. Selon Dominique Maingueneau, la « paratopie » désigne la position dans l’entre-deux de l’auteur, qui appartient à la fois à l’espace social et au champ littéraire. Cette condition paratopique renvoie en fait à la négociation incessante entre ces deux lieux, puisque l’auteur doit se nourrir du premier pour appartenir au second, mais il se doit en même temps de se singulariser à travers une revendication proprement esthétique qui entrave diversement son inscription sociale, d’où son inconfort. Tel l’auteur qui puise dans la réalité la matière de son oeuvre, les frères Durant cherchent un chemin vers le mythe : les nombreux points de retour à la fable, qui construisent la fiction et appartiennent à l’espace social des Durant, et la construction même d’un discours qui crée de facto un mythe sont autant d’éléments qui provoquent leur entrée dans le champ littéraire. Les changements énonciatifs de la troisième à la première personne, par exemple, participent à cet effet de va-et-vient d’un espace à l’autre. Le caractère entier de ces créateurs (ou artisans du mythe) de même que la nature irréversible de leur prise de parole les arrachent clairement à l’univers social ambiant, constitué par les règles de conduite des municipiens. La volonté irrépressible des frères Durant d’être autonomes et de s’en tenir à leurs propres idéaux n’est pas sans recouper l’approche d’un auteur comme Danis, toujours soucieux de légitimer sa propre démarche langagière, qualifiée de « parolique[21] ». C’est en ce sens que la parabole qui nous intéresse maintenant est « un acte constitutif, en soi, de valeurs : elle est énergie pure[22] ».

Dans cette perspective, la pièce de Danis relèverait du métadrame, puisqu’un troisième plan, à même la parole dramatique, donne à saisir le rôle de l’auteur dans sa communauté et vis-à-vis du théâtre, rôle que, dans Le chant du Dire-Dire, la trinité des frères Durant reprend, rejoue, en revendiquant la valeur immémoriale du mythe — ce qui n’est pas sans rappeler la conception radicalement visionnaire d’un Antonin Artaud[23].

L’énonciation autoconstituante de cette trinité fait des frères Durant les célébrants d’une parole-parabole, d’un chant créateur. En d’autres mots, les personnages se posent eux-mêmes comme parfaitement souverains dans leur droit de prendre la parole et de créer la fable[24], puisqu’ils naissent à la fiction par un coup de force performatif. Ces personnages, on l’a déjà souligné, sont des êtres qui sortent du néant afin de faire advenir « le temps des partages » (CDD, 13), ce qui renvoie d’emblée à la raison d’être de leur prise de parole, de la communion attendue de l’acte théâtral. Or, il s’avère que ces figures autotéliques ne peuvent être que les relais d’un auteur omniscient, Danis lui-même, puisqu’il contrevient à la règle qui interdit à l’auteur de faire entendre directement sa voix dans le drame, en se solidarisant avec ses créatures auxquelles incombe la tâche de faire un monde[25]. C’est en cela que le Dire-Dire et Noéma constituent les deux piliers de la recherche par les célébrants d’une humanité interpelée dans l’urgence, afin de se réconcilier une fois pour toutes avec la nécessité de (se) raconter et avec un savoir profondément spirituel, menacé autrement de disparition.

Ainsi, la raison pour laquelle les trois frères sortent du néant et s’investissent d’un droit absolu de parole a tout à voir avec « le partage ». C’est en ce sens que la pièce matérialise la position paratopique de l’auteur, qui est celui qui absorbe et retransmet, tout en effectuant en quelque sorte un pas de côté. L’auteur intervient à la croisée d’une réalité qui relève de son expérience de vie, d’une construction de la fable à partir de celle-ci et de l’autorité qu’il tire de sa maîtrise du langage, à l’image de ses créatures, qui sont indissociables de leur Dire-Dire. L’auteur invente un Dire, en y incorporant des distorsions par rapport à la réalité qui sont légitimées par la sensibilité poétique de son expérience au sein de la communauté. Le Dire-Dire, symbole d’une capacité de (se) reconnaître, est, pour les Durant L’Orage, l’instrument par lequel la réalité est réinterprétée par le langage. De même, l’aspect décousu de la fable que racontent les frères Durant relève de cette distorsion poétique : l’organisation parfois anarchique de leur fable, à partir de leur vécu, tisse des liens entre les événements et les sentiments qui relèvent d’une relation intime, personnelle et subjective à leur histoire, fondée sur une vision éminemment lyrique de leur réalité :

LE DIRE :
LES ÉBOULIS DE LA MAL VENUE
ROCK. Rock, alors qu’il était jeune, avait dit en lisant sur une boîte : Jeu de société pour quatre joueurs. De là, lui était venue l’idée d’écrire sur le coffre du Dire-Dire : Le Dire-Dire-Durant : Jeu de société.
Réveillez-vous la Société ! Venez voir qui nous arrive.
WILLIAM. Enfin, enfin, enfin !
FRED-GILLES. Oui, enfin d’enfin !
ROCK. Nous trois devant la fenêtre, les rideaux tirés-écartés.
WILLIAM. Sans bouger à la voir venir dans le chemin avec deux teneurs de bras inconnus ainsi qu’un troisième portant la petite valise et l’accordéon de Noéma.

CDD, 29-30

Les souvenirs personnels de Rock interviennent dans la narration, comme pour accentuer la charge émotionnelle du retour de Noéma. De même, la fabrication de néologismes poétiques et les détours langagiers (« désagaceuse des amourettes » [CDD, 38] ; « leurs visages encore engrimacés » [CDD, 42] ; « le ciel tonnerreux » [CDD, 46]…), mais également certains titres donnés aux vingt et une parties, tels que « Les eaux-fortes de nuit » (CDD, 26) et « Le choc autour de la boîte à paysage » (CDD, 26), qui désignent respectivement les pleurs de Rock et une querelle autour de la télévision, témoignent fortement du désir des frères Durant, en tant que conteurs de leur propre récit de vie, de transfigurer le réel, de magnifier ce qu’ils ont « vécu » par le langage — tâche de tout auteur qui se respecte.

Le rôle de témoins correspond ainsi à un dispositif essentiel, car il se trouve à exemplifier la pleine subjectivité dans la façon de rapporter une expérience, d’où l’importance accordée aux sensations, qui sont par excellence le lieu intime où le créateur absorbe la réalité pour ensuite la retransmettre. À cet effet, différents passages réitèrent ce rapport personnel, empreint de sincérité, aux événements par le truchement des sens, dont celui-ci : « FRED-GILLES. […] On a tous dit à peu près la même chose, ça dépendait si on avait gardé les oreilles ou les yeux ouverts. » (CDD, 19) Il s’agit donc de ressentir pour témoigner (soumettre une expérience avec précision), puis raconter (partir d’une forme simple pour arriver à une interprétation plus complexe), afin d’acter (prendre la parole) et, ainsi, faire advenir une mémoire commune.

Ici, la mémoire se déploie effectivement à partir d’un fond commun : celui des trois frères-parleurs qui se dressent face à leur communauté, tout comme Danis lui-même, qui fait du Dire-Dire un objet allégorique de sa propre situation langagière, à savoir l’inconfort à user d’une langue qui, par sa puissance subjective et suggestive, constitue une forme de résistance aux conventions dominantes. En fin de compte, le fond commun que l’histoire des Durant L’Orage actualise a trait à la fragilité des liens familiaux et aux désordres engendrés par une société désâmée — toute québécoise, peut-on penser. L’auteur, dans ces conditions, laisse clairement entendre qu’il n’a d’autre choix que d’assumer jusqu’au bout sa tâche démiurgique, fût-ce au prix de sa marginalisation.

+

Les significations paraboliques ne sont pas d’emblée identifiables dans Le chant du Dire-Dire. Pourtant, la forme même de cette pièce, le jeu insistant autour de la parole et du langage, ainsi que les composantes étranges de la fable, qui sont de l’ordre du merveilleux, portent à croire que le récit des frères Durant recèle un sens métaphorique. C’est dans le but d’en démêler les fils narratifs, entrelacés dans son dispositif énonciatif, que nous avons abordé Le chant du Dire-Dire. Cette première approche, en tenant compte de la structure globale de la pièce et de ses particularités, a permis de dégager, par-delà la profusion événementielle de l’intrigue, une fable cohérente.

Dans un deuxième temps, l’analyse a permis de révéler que cette fable, une fois reconstituée, répondait bel et bien aux caractéristiques de la parabole, laquelle convoque, à partir d’un récit apparemment simple et univoque, une signification seconde. C’est en effet le cas en ce qui concerne la destinée de Noéma, qui ne peut se comprendre que par une prise en compte de l’origine animiste de sa faculté de chanter, de la déchéance qui la frappe une fois qu’elle quitte ses frères pour aller chanter dans le vaste monde, et des soins d’amour que ceux-ci vont lui prodiguer jusqu’à l’apothéose de son mariage avec le Tonnerre. Une telle parabole oblige à risquer une interprétation spiritualiste, par laquelle les Durant L’Orage se chargent de faire advenir une humanité réconciliée avec ses valeurs de partage et d’amour, « pour la suite du monde ». À la suite de cette parabole première dont le sens reste ouvert à d’autres interprétations, nous avons cru nécessaire d’examiner en quoi tout un autre pan de cette pièce, qui a trait au rôle du créateur au sein d’une société, n’aurait pas aussi un sens parabolique. Le récit de vie dont se chargent les frères Durant témoigne en effet de leur statut paratopique : alors qu’ils sont de fiers détenteurs du pouvoir de parler librement, leur Dire-Dire met à mal l’inclusion dans la communauté qui est la leur — une situation qui, selon nous, reflète celle-là même de Daniel Danis, dramaturge atypique, s’il en est, dans le théâtre québécois actuel. Ce faisant, l’auteur se placerait non seulement à l’intersection des trois instances énonciatives que sont le conteur, le témoin et le poète-chaman, mais en maître d’oeuvre d’une fiction combinant une fable, un récit de vie et un conte. C’est par cette construction que l’auteur, à l’instar des Durant L’Orage, entend contribuer à l’instauration d’une mémoire hors du commun qui, bien qu’ayant partie liée avec une culture identifiable, est porteuse de valeurs dérangeantes.

Si la parabole se conçoit comme l’explication d’une idée plus abstraite par une forme plus simple et plus concrète, l’histoire qu’élabore Danis n’est pas sans être exigeante pour le lecteur-spectateur, car elle requiert un exercice soutenu de reconstruction avant de permettre une accession à des pistes d’interprétation. Or il est clair qu’elle contient un concept plus grand qu’elle, « dans la mesure où elle est ouverte, incomplète[26] » et qu’elle sollicite de la sorte l’entière collaboration de ses destinataires.