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Mélancolie, nostalgie et disparition[Record]

  • Pascal Riendeau

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  • Pascal Riendeau
    Université de Toronto

Pierre Samson aime bien bousculer le milieu littéraire québécois : en 2000, son court essai Alibi  ne ménageait pas la critique de ce petit monde, alors que sept ans plus tard son roman Catastrophes en offre, entre autres choses, une satire. Le travail se poursuit dans Lettres crues, échange épistolaire avec le poète Bertrand Laverdure dans lequel Samson développe sa pensée sur le sujet avec ironie ou sarcasme, mais rarement de manière virulente. La parole du Samson essayiste est souvent emportée, elle peut paraître injuste, elle agace et irrite sans doute, mais elle demeure salutaire. Samson se défend pourtant d’être un véritable essayiste ; il répète qu’il est romancier et qu’un romancier ne devrait pas consacrer un essai à son écriture, à sa propre oeuvre. Dans Alibi, il ajoute même : « je répugne à expliquer ma vision artistique » (21). L’art romanesque de Pierre Samson s’exprime dans tous les aspects de son oeuvre. Rien n’est négligé, à commencer par le titre. Celui de son dernier roman nous entraîne dans un univers singulier, car La maison des pluies  ne représente pas qu’une métaphore inhabituelle pour le simple nuage ; c’est surtout un voyage vers le passé, là où la mélancolie et la nostalgie guettent. Benjamin Paradis revient au pays après avoir longtemps vécu à l’étranger, explorant les continents lors d’enquêtes sur des groupes de locuteurs dont la langue risque de disparaître. Linguiste, Benjamin a trouvé un poste dans une université montréalaise où il donne notamment un cours sur les « langues en péril ». Son retour définitif à Montréal, sa ville natale, lui permet de revoir des personnages de son passé qui peuvent l’aider à élucider sa situation actuelle plutôt inusitée. Un ancien camarade de classe qu’il retrouve grâce à un ami apprend à Benjamin qu’un jeune homme, qui est peut-être son fils, est à sa recherche. À son tour, Benjamin tente de savoir qui est cet étranger qui suit sa trace, accumule des informations sur lui, mais ne semble pas vouloir le rencontrer. Cette quête, qui occupera de plus en plus les pensées de Benjamin, devient l’occasion pour lui de redécouvrir des pans oubliés de son passé. Le narrateur multiplie les différents récits et cultive l’art de la digression afin de briser la linéarité du roman. Le romancier ironique et l’essayiste romanesque se rejoignent ici : « Un roman vit et respire grâce à ses détours qui donnent au récit son oxygène, nourrissent ses muscles  », affirme Samson. C’est d’ailleurs de cette manière qu’il mène la narration de La maison des pluies. Ce refus de la ligne droite incite donc le narrateur à emprunter toutes sortes de pistes, et les arrêts s’allongent parfois. Ainsi, il redécouvre une nouvelle écrite à l’adolescence qu’il avait complètement oubliée. « Automne » a été publiée, se rappelle-t-il alors, dans une « bonne revue ». Il a pu la relire en se rendant à la Grande Bibliothèque — dont le projet architectural est l’objet de sarcasmes dans le roman — après avoir suivi le parcours de celui que l’on prend pour son fils. Entièrement reproduite, la nouvelle se distingue nettement du style de Samson, c’est-à-dire que l’auteur a réussi à composer une véritable « fausse nouvelle » de jeunesse, en maîtrisant parfaitement un style simple et hésitant. En revanche, on constate dans cette nouvelle, outre la nostalgie de l’adolescent qui raconte sa première rentrée scolaire (à six ans), un véritable intérêt pour la précision du vocabulaire et même un goût un peu précieux pour les mots rares ou recherchés. Pierre Samson n’est pas qu’un habile créateur de narrations complexes où les …

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