Abstracts
Résumé
Le centre historique de Palerme a connu au lendemain du second conflit mondial un lent et inexorable processus de dévitalisation sous l’effet conjoint de son dépeuplement et de sa paupérisation. Sa requalification, engagée à l’initiative du maire de centre-gauche Leoluca Orlando, a commencé au début des années 1990. Si la réhabilitation des immeubles et des espaces publics constitue le coeur de cette politique de requalification urbaine, celle-ci poursuit également un objectif politique en voulant contribuer à la refondation d’une ville marquée par la mafia qui, aux yeux de Leoluca Orlando et d’une partie des élites locales qui l’accompagne, ne fait plus sens commun et a cessé d’être un creuset.
Abstract
In the aftermath of the Second World War, the city centre of Palermo has gone through a long and inexorable process of decline due to its impoverishment and the exile of its population. At the beginning of the 1990s, the centre-left mayor Leoluca Orlando initiated change: the refurbishment of housings and public space is at the heart of this policy of urban improvement. The aim of this process he has wished for is also political: initiating a change in a town influenced by the Sicilian Mafia, a town that is no longer a common purpose and a melting pot for Leoluca Orlando and a part of the local elite.
Article body
Le centre historique de Palerme a connu au lendemain du second conflit mondial un lent et inexorable processus de dévitalisation sous l’effet conjoint de son dépeuplement et de sa paupérisation. L’un et l’autre sont directement liés à la stratégie des autorités municipales de privilégier le développement de la ville contemporaine, qui commençait à émerger aux portes du centre historique[1] (figure 1). Sa reconstruction, à la suite des bombardements subis durant la Libération en 1943, n’était pas conçue comme une priorité dans la mesure où, à terme, il était envisagé de le remodeler en profondeur[2]. La requalification du centre historique, engagée à l’initiative du maire de centre-gauche Leoluca Orlando, a commencé au début des années 1990. La municipalité adopte alors la classique mais éprouvée boîte à outils urbanistique, associant remise en état du bâti et mise en valeur du patrimoine architectural, encouragement des initiatives privées et recours aux programmes d’aide communautaires de type Urban, développement des quartiers grâce au tourisme et à l’artisanat[3]. Si la réhabilitation des immeubles et des espaces publics constitue le coeur de cette démarche de requalification urbaine, celle-ci poursuit également un objectif politique en voulant contribuer à la refondation d’une ville marquée par la mafia[4] qui, aux yeux de Leoluca Orlando et d’une partie des élites locales qui l’accompagnait, ne fait plus sens commun et a cessé d’être un creuset[5].
Le présent texte revient sur cette expérience de développement territorial et de requalification urbaine menée de 1993 à 2001 à l’initiative de Leoluca Orlando et de son administration. Si la séquence historique dessinée par ces huit années peut sembler brève, elle trouve sa justification dans la réforme du mode de désignation des maires : c’est en effet en 1993 que débutent les mandats des premiers maires élus au suffrage universel direct et c’est en 2001 que s’achève le second mandat de ces maires (exception faite de Leoluca Orlando, qui démissionne en 2000 pour briguer la présidence de la région sicilienne, son administration restant néanmoins en place)[6]. Après avoir montré comment cette réforme donne aux maires nouvellement élus une capacité d’action qui leur permet de s’affranchir des conditionnements politiques et d’engager une politique urbaine volontariste, nous poursuivrons en présentant les enjeux de la requalification du centre historique de Palerme et les contraintes qu’il impose à une intervention de grande ampleur. Le renouvellement de la forme politique s’accompagne également d’un renouvellement de la forme d’action. L’approche sectorielle cède la place à une approche globale des problèmes (sociaux, économiques, urbanistiques) et de leur traitement. Les interventions ne sont plus élaborées dans le cadre d’une relation unique et exclusive entre la municipalité et l’État, mais en s’appuyant sur des partenariats multiples (public-privé, municipalité-Union européenne et/ou État et/ou Région sicilienne). Nous nous intéresserons ensuite aux opérations engagées par la municipalité pour faire du centre historique le terrain d’une expérience collective par l’introduction de nouveaux usages territoriaux et la construction de lieux de mémoire collectifs. Mue par un certain fétichisme territorial, la nouvelle administration a la conviction d’être capable de refonder la communauté urbaine par une pratique du territoire. Nous verrons enfin de quelle manière le centre historique est utilisé comme un instrument de communication à l’adresse des investisseurs et des touristes, vecteurs du renouvellement économique de la ville.
Une nouvelle donne politique
Le 25 mars 1993, sur fond de crise des partis[7], le parlement national adopte la loi électorale n° 81 qui introduit l’élection au suffrage universel direct des maires dans les communes de plus de 15 000 habitants (loi adoptée le 26 août 1992 par le parlement sicilien)[8]. Cette loi instaure un scrutin à deux tours ; un ballottage est prévu si aucun des candidats ne dépasse la barre des 50 % des suffrages exprimés au premier tour (les deux candidats arrivés en tête au premier tour participent au second tour du scrutin). Le maire est élu pour une durée de quatre ans (contre cinq auparavant), et son mandat n’est renouvelable qu’une fois. La première élection au suffrage universel direct se tient en 1993. Leoluca Orlando est porté à la tête de l’exécutif palermitain dès le premier tour de scrutin, avec 75,1 % des suffrages. Bien qu’ayant déjà exercé des responsabilités identiques dans un passé proche[9], Leoluca Orlando incarne le renouveau politique dans ce contexte d’aspiration au changement, car Palerme a connu sous sa précédente mandature une période de renaissance et d’effervescence culturelle : le « Printemps de Palerme ». Il sera reconduit dans ses fonctions en 1997, mais à la suite d’un second tour où il ne recueille plus que 58,5 % des suffrages.
Cette loi modifie en profondeur l’exercice du gouvernement municipal en renforçant les attributions du maire[10]. Désormais, celui-ci nomme et révoque ses adjoints ainsi que les dirigeants des services administratifs, les représentants de la mairie au sein des établissements publics, les chefs de bureau et de services[11]. La possibilité offerte au maire de choisir ses adjoints lui permet de s’entourer d’une équipe de collaborateurs fidèles et sur lesquels il peut pleinement s’appuyer ; une fidélité acquise par la possibilité de les révoquer à tout moment[12]. Cette loi met également fin à l’instabilité chronique des exécutifs municipaux en établissant un lien étroit entre le maire et le ou les partis qui le soutiennent. Jusqu’à l’élection directe du maire, l’exécutif municipal évoluait sous l’étroit contrôle du conseil municipal qui nommait le maire et ses adjoints. Il en résultait un équilibre politique bien précaire : l’exécutif municipal subissait en permanence non seulement les rivalités entre les partis de la majorité au sein du conseil municipal, mais aussi les rivalités qui opposaient les différents courants au sein de ces mêmes partis. À Palerme, en l’espace de 50 ans, seules quatre mandatures ont duré quatre ans ou plus. Il s’agit de celles de Salvo Lima (1958–1963), de Leoluca Orlando (1985–1990 et 1993–1997)[13]. L’exécutif municipal se maintenait en moyenne un an et demi alors que la durée d’une mandature était de cinq ans jusqu’en 1993. La durée du mandat du conseil municipal est en outre alignée sur celle du maire : il n’est guère plus possible au conseil municipal de retirer son soutien au maire sans provoquer de nouvelles élections (le conseil municipal pouvait jusque-là user 2, 3 ou 4 maires au cours d’une mandature). Comme le font remarquer Cesare Mattina et Fellia Allum, « […] on [est] pass[é] d’un système entièrement dominé par les partis et par leur veto de nomination et de révocation des maires à un système fortement personnalisé autour du maire et de son équipe »[14]. Le maintien du maire à la tête de l’exécutif municipal ne dépend plus de la pérennité des coalitions, mais de sa capacité à gouverner la ville : le nouveau système électoral conduit en effet le maire à prendre en charge le développement local et à en assumer les résultats. Autrement dit, « […] la possibilité d’être réélu dépend de [la] capacité [du maire] à affronter et à résoudre les problèmes de la ville et non plus, comme auparavant, des décisions et des accords entre les partis politiques »[15].
Le centre historique va constituer le principal terrain d’action de Leoluca Orlando tout au long de ses deux mandatures, tant sur le plan symbolique que sur celui des réalisations. Le centre historique symbolise à ses yeux l’incurie et l’abandon de la ville aux spéculateurs et aux intérêts privés. Aussi le conçoit-il comme le lieu au moyen duquel la ville de Palerme peut se refonder : se refonder en renouant avec son histoire et son patrimoine dont elle a cherché à s’affranchir, engagée au lendemain du second conflit mondial dans un processus d’urbanisation dévastateur sous l’effet de la spéculation et de la pratique de l’habitat illégal[16] ; se refonder en effaçant l’angle mort qu’était devenu le centre historique du fait de son abandon de la part des administrations communales successives et d’une partie de sa population (voir infra) ; se refonder, enfin, en manifestant la capacité de toute une ville à se mobiliser dans un projet.
Cette politique de requalification urbaine s’inscrit dans un mouvement urbanistique à l’échelle européenne. C’est en effet à partir des années 1980 que les villes européennes « […] se sont […] lancées dans l’élaboration de politiques publiques dites de “régénération” s’appuyant sur de grands projets urbains et architecturaux et visant à consolider leurs bases économiques et sociales. Parmi ces villes en chantier, les cités de l’Europe du Sud tendent à occuper le devant de la scène de l’actualité urbanistique, affichant, avec plus ou moins d’éclat, les attributs de leur nouvelle condition urbaine voire métropolitaine »[17]. Ces initiatives sont directement liées à la prise de conscience par les pouvoirs publics de l’essoufflement de la croissance des villes et de la nécessité de réinvestir des centres urbains en difficulté mais à fort potentiel de développement. Ainsi, comme l’écrivent Brigitte Bertoncello et Nicole Girard, « […] la question majeure posée aux responsables de la gestion des villes contemporaines [n’est] plus véritablement d’encadrer la croissance urbaine ou la consommation d’espace en périphérie, mais de repenser et recomposer la ville sur elle-même par la “régénération” des espaces dévalorisés »[18]. La politique de requalification du centre urbain palermitain se distingue néanmoins des politiques menées ailleurs, particulièrement de celles de Naples et Marseille, par l’espace d’intervention et l’intégration de la zone portuaire dans l’espace urbain. La politique de requalification palermitaine ne s’est pas accompagnée d’une révision de la délimitation du centre historique comme cela a été le cas à Naples et à Marseille, où les « […] périmètres d’intervention [ont élargi] considérablement les contours du centre »[19]. À Marseille, le centre-ville a été prolongé vers le nord, reprenant ainsi un processus d’extension initié dès l’époque haussmannienne. À Naples, le centre historique inclut désormais, outre l’espace délimité par les anciens murs, des constructions datant de l’époque moderne et contemporaine ainsi que les centres des anciennes communes périphériques (les casali) absorbées dans les années vingt. Dans les trois villes, le développement des infrastructures portuaires a généré une fragmentation physique de l’espace urbain. À Marseille et à Naples, les pouvoirs publics ont cherché à redéfinir les relations de la ville avec son port en restituant une certaine continuité urbaine ; en ouvrant un passage entre la mer et la terre grâce à la démolition du hangar J4 à la Joliette dans le premier cas et en établissant une liaison entre la gare maritime et la place Municipio dans le second[20]. La création d’une promenade en bord de mer, au débouché du centre historique, a certes permis aux Palermitains de se réapproprier cette partie de la ville si longtemps isolée et abandonnée, mais elle n’a pas effacé la césure que représente le tracé de la voie rapide[21]. Le centre-ville et le port, et plus largement la ville et le littoral, forment toujours deux entités distinctes à Palerme que la municipalité cherche aujourd’hui à ressouder.
L’initiative palermitaine doit également être mise en résonance avec les initiatives des maires siciliens nouvellement élus (Enzo Bianco, à Catane, Marco Fatuzzo, à Syracuse, et Franco Provvidenti, à Messine) et, plus généralement, les initiatives des autres maires de la péninsule qui engagent des politiques de requalification urbaine comparables, à forte dimension symbolique, alliant urbanisme et économie, participation sociale et partenariats multiniveaux. L’expérience palermitaine doit néanmoins être rapprochée de l’expérience napolitaine, car ces deux villes ont un enjeu commun lié à la question de l’illégalité criminelle et non criminelle[22]. La restauration du principe de légalité et la lutte contre la mafia ont constitué dans ces deux villes un axe fort des discours en matière de politique urbaine[23]. On voit ainsi émerger une rhétorique où transparaît la conviction qu’il suffit de mettre de l’ordre dans la ville pour ordonner les conduites. Comme l’observent Anna-Maria Montenegro et Dominique Rivière à propos de Naples, la reconquête de l’espace urbain sur le plan urbanistique (illumination des places, création de voies piétonnes, expulsion des automobiles de certains lieux pour les rendre à nouveau publics…) et architectural (restauration des monuments et mise à disposition de la population) est portée par des déclarations sur la normalisation de la vie quotidienne et la restauration de l’ordre public[24]. Cette rhétorique s’inscrit dans le prolongement des déclarations concernant la moralisation de la vie politique qui accompagnent l’opération Mani pulite en réaction à Tangentopoli.
Un centre historique en héritage
Le centre historique de Palerme dessine un vaste quadrilatère de 250 hectares ouvert sur la mer dans sa partie orientale (figure 1). Il compte aujourd’hui une trentaine de milliers d’habitants, contre 125 000 dans les années 1950, ce qui représente moins de 5 % de la population totale (contre 30 % auparavant)[25]. Il est d’une richesse patrimoniale exceptionnelle : il abrite 7 théâtres, 158 églises, 55 couvents, et plus de 400 palais aristocratiques y sont recensés[26]. Ce quartier occupe une position centrale à trois points de vue. Sur le plan géométrique, il constitue le pivot de la ville. Tout l’espace urbain s’organise autour du centre historique, comme en témoigne le mouvement de convergence des principales voies de communication. Sur le plan social, il s’impose comme le centre de gravité de la vie palermitaine. Il concentre les sièges des trois pouvoirs (municipal, provincial et régional), la préfecture et la questure, les centres de commandement militaire, la plupart des services administratifs, le rectorat et certaines facultés, l’évêché, une part importante des commerces de détail ainsi que les marchés traditionnels du Ballarò, de la Vucciria et du Capo. Sa centralité s’exprime enfin sur le plan culturel. Les Palermitains éprouvent un vif attachement pour cette partie de la ville : celle-ci est à la fois la mémoire de ce que fut Palerme autrefois—une métropole méditerranéenne prospère et rayonnante—et l’antithèse de la ville contemporaine—la ville née de la spéculation immobilière—avec ses rues tortueuses (figure 2), ses palais, ses églises et ses monuments.
La requalification du centre historique est portée par deux enjeux. Le premier est un enjeu social et de santé publique dans la mesure où ce quartier connaît un double processus de paupérisation et de dégradation avancée du bâti[27]. Ce quartier est devenu au fil du temps une poche de misère. Aujourd’hui, un tiers de la population immigrée de Palerme y réside, soit quelque 10 000 personnes sur une communauté estimée à 30 000 ou 35 000 personnes[28]. Pour la plupart originaires d’Afrique (Ghana, Nigeria) et d’Asie (Chine, sous-continent indien), ces immigrés parviennent à se loger à bon marché dans des logements en piètre état et très souvent insalubres. La bonne cohabitation entre la population palermitaine et la population immigrée s’explique autant par des facteurs culturels (existence d’une tradition migratoire bien ancrée en Sicile comme terre d’accueil et terre de départ) que par la situation géographique. La population immigrée s’est en effet installée dans un espace en déclin, progressivement abandonné par la population locale : il n’y a donc pas de conflits pour l’usage du sol[29]. La dégradation du centre historique possède trois causes principales. Premièrement, en donnant la priorité à l’édification de la ville contemporaine, la politique d’urbanisation a entraîné l’abandon de ce quartier et, par là, son déclin. Le plan d’urbanisme de 1962 prévoyait de lancer la modernisation du centre historique une fois la ville neuve achevée. Il était notamment prévu de percer de larges et profondes avenues pour fluidifier la circulation et construire des immeubles en ayant au préalable procédé à la destruction d’une partie du bâti historique[30]. Les édifices d’une valeur architecturale particulière ainsi que quelques façades prestigieuses devaient être conservés. La prolongation de cet abandon a en quelque sorte sauvé le centre historique de son anéantissement programmé. Ce n’est qu’à partir du début des années 1980 que l’on commence à parler de la nécessité d’un plan de réhabilitation lorsque s’affirme la prise de conscience des dégâts du processus d’urbanisation. Par ailleurs, l’absence de programmes de conservation et de protection du patrimoine a eu deux conséquences. Cela a tout d’abord favorisé le développement d’utilisations impropres du bâti. Des immeubles, des palais, des églises déconsacrées et des cours intérieures ont été transformés en remises, en garages pour véhicules et en ateliers de toutes sortes. Pour accueillir ces activités pour lesquelles ils n’étaient pas prévus, les édifices ont subi des aménagements qui ont altéré, parfois de manière irrémédiable, aussi bien leur structure que leur aspect. L’absence d’inventaire a par ailleurs facilité le pillage des pièces ornementales des bâtiments et des éléments de décoration intérieure. Enfin, le tremblement de terre de 1968 a porté le coup de grâce aux immeubles les plus vétustes. L’administration municipale prend alors la décision de transférer une partie de la population du centre historique vers les quartiers d’habitat social qui ont été construits en périphérie. Une partie du patrimoine immobilier est abandonnée. Les immeubles qui cessent d’être habités ne sont plus entretenus. Ceux qui le sont encore ne bénéficient pas pour autant d’un meilleur traitement, car la municipalité avait fait savoir à leurs propriétaires que le centre historique serait complètement remodelé et qu’une partie des immeubles serait rasée.
Ce processus de dégradation est également imputable à l’absence de politique nationale de la ville à la différence de ce qui se pratique en France, en Grande-Bretagne et aux Pays-Bas[31]. Les projets, parmi lesquels on retiendra la Nota La Malfa, le Rapporto Saraceno et le Progetto ’80, visant à mettre en place un dispositif unifié et ancré dans la durée pour intervenir dans les quartiers populaires en difficulté n’ont jamais été concrétisés. L’intervention de l’État a pris la forme de programmes ciblés, épisodiques et sectoriels qui ont débouché sur la construction de grandes infrastructures (stations d’épuration, routes) et d’équipements collectifs (logements sociaux, stades, centres pénitentiaires), sans coordination avec les politiques locales et sans objectifs unificateurs[32]. Depuis la fin des années 1970 jusqu’à la fin des années 1980, la ville de Palerme a bénéficié de trois dispositifs financés par l’État central dans le cadre[33] : 1) du projet spécial pour l’aire métropolitaine en 1978 (construction d’équipements urbains, portuaires et industriels) ; 2) de la loi n° 64 de 1986 (deux tiers des financements ont été mobilisés pour réaliser des équipements routiers) ; 3) de la loi n° 99 de 1988 (travaux d’urbanisation primaire et secondaire à destination de certains quartiers, modernisation du réseau d’évacuation des eaux usées, travaux pour sécuriser l’approvisionnement en eau potable de la ville, travaux visant à améliorer la circulation automobile). L’examen de ces trois dispositifs montre qu’ils ont été conçus pour affronter une situation de crise (sécuriser l’approvisionnement en eau potable) et conduire des travaux qui sont habituellement pris en charge par les collectivités locales (travaux de viabilité, travaux de modernisation des infrastructures), et non pour engager un processus de requalification urbaine. Faute d’intervention, la dégradation et la marginalisation des quartiers populaires, dont les centres historiques, se sont aggravées.
Le second enjeu qui sous-tend la requalification du centre historique est de nature économique : la municipalité mise sur le tourisme culturel pour relancer le développement de la ville. Palerme possède une base productive extrêmement étroite et sinistrée : 3,6 % de la richesse produite provient de l’agriculture, 6,4 % de la construction, 11,7 % de l’industrie, 56 % des services privés, et le reste, soit 22,3 %, de l’administration publique et des services sociaux[34]. Le secteur des services se compose pour l’essentiel d’activités à faible valeur ajoutée ; les activités haut de gamme ne sont guère développées. L’industrie locale est laminée. Les principaux établissements ont fermé leurs portes, à l’image des chantiers navals, de la zone industrielle Arenella et de la Manifattura Tabacchi. Le processus de désindustrialisation s’est amorcé au milieu des années 1980. L’industrie (BTP compris) produisait alors 25,4 % de la richesse contre à peine plus de 18 % au milieu des années 1990. Le petit artisanat traditionnel périclite et l’agrumiculture, qui jadis faisait la richesse de la ville, est en déclin. Cette situation est le résultat de la stratégie de développement économique mise en oeuvre par les pouvoirs publics aux commandes de Palerme dans les années 1960 et qui les a conduits à faire de cette ville une capitale résidentielle et administrative[35]. Cela s’est traduit par l’absence d’initiatives publiques pour stimuler l’essor d’autres activités économiques, notamment tertiaires et industrielles à forte valeur ajoutée. Le modèle de développement palermitain se révèle aujourd’hui fragile et bien artificiel, car il s’appuie pour l’essentiel sur des transferts de fonds publics destinés aux différents appareils administratifs (municipalité, région, province) et non sur une croissance économique endogène. Comme de nombreuses autres villes siciliennes en crise, Palerme entend jouer la carte du tourisme grâce à son riche patrimoine culturel.
Deux obstacles freinent toutefois la requalification du centre historique. La municipalité se heurte tout d’abord à une propriété immobilière particulièrement fragmentée. L’enquête la plus récente concernant la structure de la propriété immobilière dans cette partie de la ville qui nous a été donnée de consulter date de la fin des années 1970[36]. Des changements se sont sans aucun doute produits en trois décennies, mais il est peu probable que ceux-ci aboutissent à un chamboulement complet, car il faut du temps pour que la structure de la propriété change[37]. La propriété immobilière présente deux plans de fractionnement. Soixante-quinze pour cent du parc immobilier du centre historique sont entre les mains de propriétaires privés. Le reste est de propriété publique (15 %) et ecclésiastique (10 %, que se répartissent l’Église et les congrégations religieuses). À cela vient s’ajouter l’émiettement de la propriété privée puisque plus des deux tiers des logements appartiennent à de petits et moyens propriétaires (ceux qui possèdent moins de six logements représentent 90 % du total). Or, les travaux de restauration ne doivent pas se limiter à une seule habitation, mais bien porter sur l’ensemble d’un immeuble, de même pour les opérations de réhabilitation qui ne sont profitables et rentables que si elles sont menées à l’échelle d’un îlot ou d’un quartier. Un immeuble restauré au milieu d’un bloc complètement dégradé perd une grande part de la valeur qu’il a ainsi acquise. Les bénéfices symboliques de l’opération s’en trouvent par ailleurs fortement amoindris. Plus il y a de propriétaires dans un immeuble, plus il est long et laborieux de mettre en place un projet de réhabilitation à cause des divergences d’intérêts et des différents niveaux de solvabilité. C’est sans doute la raison pour laquelle les autorités municipales ont décidé à partir du deuxième concours (1998) pour l’attribution des subventions publiques d’accepter les demandes de propriétaires individuels non réunis en association ou en copropriété. Elles misent sur un processus de réhabilitation ponctuel, en taches de léopard, ayant pris conscience de la lenteur et des difficultés d’un projet de réhabilitation global. Cette politique au coup par coup n’est pas propre à Palerme puisqu’elle a également été observée à Marseille[38].
Le second obstacle au processus de requalification du centre historique tient à l’ampleur de la tâche à accomplir et, simultanément, à la capacité d’investissement limitée de la municipalité. Il faudra de 25 à 30 ans pour la requalification complète du centre historique de Palerme[39]. Il est difficile d’en chiffrer le montant. Une estimation datant de 1994 évoquait un budget de 30 000 milliards de lires (l’équivalent de 1,5 milliard d’euros aujourd’hui)[40]. Les autorités palermitaines possèdent une marge d’action bien réduite que les subventions européennes et régionales ne peuvent accroître de manière démesurée[41]. C’est à la lumière de ce contexte qu’il faut comprendre la décision de céder une partie du patrimoine immobilier. La mise en vente répond à un double objectif : d’une part, alléger le fardeau que représente la remise en état du centre historique en le partageant avec des investisseurs privés et, d’autre part, engranger des ressources pour soutenir un budget municipal soumis à de fortes contraintes (obligations de désendettement, faiblesse des recettes propres, dotations nationales et régionales plafonnées).
Du renouvellement de la forme politique au renouvellement de la forme d’action
Le renouvellement de la forme politique, avec l’émergence de la figure du maire-responsable (devant ses électeurs) est allé de pair avec le renouvellement du mode d’action. La requalification du centre historique repose non plus sur une approche sectorielle, mais bien sur une démarche intégrant des problèmes urbanistiques, économiques et sociaux. Elle est conduite dans le cadre d’un document d’urbanisme spécifique, le Piano particolareggiato esecutivo. L’administration municipale dote le centre historique pour la première fois de son histoire d’un plan de tutelle. Cette démarche traduit également sa volonté de disposer d’un instrument immédiatement opérationnel, distinct du plan d’urbanisme général dont la révision est envisagée mais pas encore engagée[42]. Enfin, la requalification du centre historique n’est pas conçue comme une intervention isolée et individuelle, mais pour partie dans la recherche d’un partenariat avec l’Union européenne au travers du programme URBAN 1, appelé à prendre le relais des P.P.U. (projets pilotes urbains)[43]. On assiste à la convergence de deux initiatives, celle de l’Union européenne pour renouveler sa politique en direction des territoires urbains en ce milieu des années 1990 et celles d’administrations municipales, dont celle de Palerme, pour intervenir dans les quartiers en difficulté.
La requalification du centre historique est lancée en 1993 avec la promulgation d’un plan d’urbanisme spécifique (le Piano particolareggiato esecutivo)[44]. Confiée à Italo Insolera, Luigi Cervellati et Leonardo Benevolo, sa rédaction a débuté sous la précédente mandature de Leoluca Orlando, en 1988–1989. Trois ans plus tard, à l’automne 1991, le conseil municipal l’adopte à la quasi unanimité de ses représentants[45]. Soumis aux services de l’urbanisme de la Région pour examen, son adoption devient définitive en 1993 après que ceux-ci ont délivré leur agrément. Moins de cinq années se sont écoulées entre la rédaction et la promulgation du plan, malgré les divergences d’approche du dossier et les rivalités politiques locales[46]. Le Piano particolareggiato esecutivo repose sur une approche typologique qui vise à déterminer la fonction de chaque édifice et ses spécificités architecturales[47]. C’est à partir de ce diagnostic que sont ensuite dressés les cahiers des charges pour les travaux de réhabilitation et que sont définies les modalités d’utilisation des immeubles. Préserver et conserver sont les maîtres mots de ce plan pour lequel l’ensemble du centre historique de Palerme constitue de fait un « monument ». Cette politique de protection conservatrice ne peut se comprendre qu’à la lumière du processus d’urbanisation contemporain : elle tire sa légitimité de la volonté de mettre à l’abri le centre historique de tout nouveau mouvement spéculatif qui risquerait d’altérer sa structure et de porter atteinte à son patrimoine. La restauration et l’utilisation de ce patrimoine sont soumises à de strictes contraintes. Un immeuble d’habitation ne peut, par exemple, être transformé en hôtel, sauf dérogation exceptionnelle. Ce changement d’usage nécessite en effet l’adoption par le conseil municipal d’une modification du plan d’urbanisme du centre historique ; ce changement est soumis au vote après une procédure d’instruction au cours de laquelle diverses administrations (Agence sanitaire locale, Génie civil, Surintendance aux biens culturels, Assessorat régional au territoire) sont appelées à donner leur agrément. Ce cadre normatif n’est guère incitatif. Les investisseurs ne sont pas disposés à mobiliser de lourdes sommes dans la remise en état d’un palais ou d’un immeuble prestigieux dont ils ne pourront tirer aucun revenu commercial faute de reconversion possible. Tout l’enjeu de la requalification du centre historique est là comme le note Teresa Cannarozzo : « […] comment réutiliser et redonner vie aux grands édifices baroques, résidentiels ou religieux, au travers d’interventions qui soient compatibles avec la protection des valeurs architecturales et spatiales, et viables au plan économique [?] »[48]. L’adoption du Piano particolareggiato esecutivo s’accompagne de la mise en place de l’Ufficio centro storico (Service du centre historique) pour coordonner l’action dans le domaine de l’urbanisme et de l’habitat.
La requalification du centre historique de Palerme est menée avec le soutien de l’Union européenne qui inaugure, en 1994, le programme d’initiative communautaire URBAN 1[49]. Ce programme ne concerne que deux des quatre quartiers du centre historique, ceux de Castellamare et de Tribunali (11 000 habitants répartis sur 112 hectares)[50]. Les projets menés dans le cadre de ce programme ont bénéficié de financements croisés provenant de l’Union européenne (34 % du total), de l’État italien (42 %), de la municipalité (18 %) et de particuliers (6 %) : à la vue de ces chiffres, la contribution communautaire apparaît davantage comme un complément des initiatives nationale et municipale que comme une réelle impulsion à la politique urbaine palermitaine. Le programme URBAN Palermo est conçu suivant deux objectifs principaux : d’une part, réhabiliter le tissu urbain historique et, d’autre part, réinsérer ce quartier dans le territoire palermitain pour le sortir de sa situation d’angle mort. Il comporte cinq mesures[51] :
Mesure 1 : redynamiser le tissu productif local en offrant une aide à la petite et moyenne entreprise existante ainsi qu’une aide à la création d’entreprise, notamment dans le domaine culturel et touristique. Les 70 bénéficiaires du programme ont reçu une aide à fonds perdus équivalent à 80 % de l’investissement de départ dans une limite de 20 000 €, les autres 20 % restant à leur charge[52] ;
Mesure 2 : mise en place d’une offre de formation au niveau local (les formations proposées sont en relation directe avec les activités promues par le projet, soit l’artisanat et la culture) ;
Mesure 3 : amélioration de l’offre en matière de services sociaux (actions de soutien aux populations marginales et aux mineurs) et de services d’intérêt général (ramassage des déchets) ;
Mesure 4 (54 % du budget total) : amélioration des infrastructures et du cadre de vie (travaux de remise en état des édifices, rénovation du patrimoine, réorganisation du trafic automobile, création de rues piétonnes, requalification des espaces verts) ;
Mesure 5 : diffusion des résultats.
La requalification du centre historique est construite sur des initiatives publiques et privées. La municipalité intervient à deux niveaux. Elle mène une politique de requalification passive : elle restaure et entretient le patrimoine qui lui appartient. Parallèlement, elle conduit une politique de requalification active : elle acquiert des édifices qu’elle est en mesure de restaurer, destinés soit à accueillir des services administratifs soit à être transformés en immeubles d’habitation dans le cadre d’une politique de logement social[53]. La municipalité cherche à maintenir la mixité sociale et ethnique du centre historique qu’un processus de « gentrification » risquerait inévitablement de compromettre. Elle entend également éviter que cette portion du territoire urbain se transforme en un espace résidentiel et hôtelier, chassant toutes les autres activités en périphérie (notamment l’artisanat). Parmi les initiatives portées par des particuliers, il convient de faire une distinction entre celles qui émanent de simples propriétaires (d’un immeuble ou d’un ou plusieurs logements) et celles qui proviennent d’investisseurs. La municipalité octroie des aides aux propriétaires pour entreprendre des travaux de restauration. L’unique obligation qui leur est imposée est de s’engager à résider dans l’édifice restauré ou de le mettre en location (à un loyer préalablement convenu) afin d’éviter que des immeubles demeurent inutilisés ce qui aurait pour effet de vider de tout son sens la stratégie de requalification. En 2001, on a accordé à des particuliers 368 subventions totalisant 61,2 millions d’euros. Plus de 80 % des demandes ont été satisfaites. Remarquons cependant que, faute de candidats, le quatrième avis à concours a dû être publié quatre fois de suite. Cela témoigne de deux faits. Premièrement, le montant des investissements à consentir constitue un puissant frein au volontarisme. Il est en outre difficile d’ancrer une logique fondée sur l’implication directe et personnelle des habitants qui bouscule les habitudes, notamment celle d’attendre de l’État la résolution des problèmes.
Si cette politique de requalification en faveur du centre historique a sans conteste introduit de nouvelles logiques d’organisation et de fonctionnement dans l’élaboration et le montage financier des projets, elle ne s’est pas accompagnée d’une révolution dans le mode de gouvernement municipal comme cela a pu être le cas ailleurs en Europe, notamment en Grande-Bretagne où le secteur privé a vu son rôle s’accroître dans le champ urbain (mais pas seulement), en particulier au travers des partenariats public-privé. À Palerme, la municipalité demeure l’acteur principal de cette politique de régénération urbaine tant comme incitateur et porteur de projets que comme source de financement.
Le centre historique comme cadre d’une expérience collective
L’idée de réappropriation du territoire constitue l’axe directeur du programme de requalification du centre-ville. Elle se décline, comme on vient de le voir, sous son volet classique de restauration du bâti, mais aussi sous la forme d’une réappropriation symbolique par la mise en scène du patrimoine. Pour les pouvoirs publics palermitains, la renaissance du centre-ville passe autant par sa réhabilitation physique que par le changement du rapport que ses habitants entretiennent avec lui. C’est dans cette perspective que s’inscrit une série d’initiatives promouvant une nouvelle expérience mentale et corporelle de la ville fondée sur une réappropriation collective du territoire[54].
La première manifestation de l’opération Palermo apre le porte—La scuola adotta un monumento (Palerme ouvre les portes. L’école adopte un monument) s’est tenue en 1995[55]. Quatre vingt établissements scolaires, tous niveaux confondus, y ont pris part. Leur nombre s’est par la suite stabilisé autour d’une centaine chaque année, ce qui représente une dizaine de milliers d’élèves mobilisés. La circulaire annonçant le lancement de l’opération définit en ces termes les objectifs poursuivis :
Le projet s’inscrit dans un cadre plus large d’éducation à la légalité. L’objectif est de contribuer à l’éducation de citoyens responsables en conduisant les jeunes à se réapproprier le territoire et en les faisant participer à la gestion des biens publics. Le projet cherche également à impliquer le quartier compte tenu du rôle central que joue l’école ; celle-ci doit amener les adultes à prendre part à la construction d’une citoyenneté responsable.
À travers l’étude du monument et du quartier dans lequel il se trouve, on cherche non seulement à promouvoir la connaissance du patrimoine artistique palermitain mais aussi le patrimoine urbain. On cherche à passer de la redécouverte de la mémoire historique à la prise de conscience de la réalité contemporaine : cela sera possible par la mobilisation des acteurs économiques qui se trouvent dans le quartier (artisans, commerçants, etc.) et des familles (en règle générale, le monument adopté se situe à proximité de l’établissement scolaire) qui, aux côtés des jeunes, seront les acteurs des journées portes ouvertes au cours desquelles le monument sera visité[56].
Les élèves participant à l’opération sont donc invités à adopter un monument situé à proximité de leur établissement. Ils en retracent l’histoire, en étudient l’architecture et en recueillent les anecdotes pour, à la fin de l’année scolaire, organiser des visites publiques durant des journées portes ouvertes. Cette proximité physique doit permettre aux élèves de découvrir un territoire qu’ils méconnaissent le plus souvent, bien qu’il constitue l’un de leurs principaux lieux de vie. L’opération poursuit simultanément quatre objectifs. Elle possède avant tout une vocation pédagogique. La découverte du patrimoine et la transmission de sa mémoire doivent faire prendre conscience aux élèves qu’ils partagent un même territoire et qu’ils sont liés les uns aux autres par une histoire commune et, implicitement, par un devenir commun. Il s’agit de produire des repères collectifs grâce à la pratique du territoire. Ce projet éducatif accorde en effet une importance toute particulière aux sorties sur le terrain et au rapport direct avec le monument étudié. Les visites organisées par les élèves sont également l’occasion de tisser des liens entre, d’une part, les générations, car le public visé est le monde des adultes et, d’autre part, les élèves et les habitants du quartier. Comme le rappelle l’adjointe au maire à l’éducation Alessandra Siragusa, « une ville […] n’est pas uniquement un ensemble d’édifices, de maisons, de places, d’églises, de routes, mais surtout un ensemble de relations humaines qui relient tous ceux qui vivent en ville, soit par choix soit par hasard »[57]. Ce rappel possède une résonance toute particulière dans le cas de Palerme dans la mesure où la ville a précisément été pensée et construite comme une juxtaposition de constructions[58]. L’opération est également animée par des considérations urbanistiques. Les monuments sélectionnés ont comme point commun d’avoir été fermés et laissés à l’abandon faute d’entretien. Leur adoption doit donc conduire à leur réouverture. En 1997, soit deux ans après la première manifestation, 60 % des monuments adoptés étaient en cours de restauration et 20 % étaient rouverts au public[59]. L’opération est également l’occasion d’occuper physiquement et symboliquement le territoire, de s’en réapproprier l’usage après de longues années d’abandon. La ville redevient ainsi un lieu de vie collectif. Enfin, elle s’inscrit dans un plan de marketing urbain, car il s’agit de promouvoir hors de l’île une image positive de la ville (voir infra). Cette initiative nous rappelle que l’éducation est l’un des moyens privilégiés, sinon le seul, pour transformer la société. C’est en donnant des repères communs que l’on fait vivre le sentiment d’appartenance, notamment au moyen de « l’enseignement de histoire—qui organise la mémoire collective—et de la géographie—qui fournit un répertoire territorial commun […] »[60]. Mise au point dans le centre historique, l’opération a par la suite été généralisée au reste de la ville[61].
La réouverture du Teatro Massimo[62] offre une autre illustration de cette politique qui cherche à tisser un lien entre un objet (le Teatro Massimo), un territoire (Palerme) et le vécu (passé et présent) de la communauté. Son histoire musicale s’interrompt en 1974 avec la représentation de Nabucco. Au vu des risques d’incendie et des signes de fragilité observés au niveau des structures, les pouvoirs publics ordonnent la fermeture de ses portes au public. Ce qui ne devait être qu’une mesure provisoire s’est en réalité prolongée pendant un quart de siècle. La réouverture du Teatro Massimo est inaugurée le 12 mai 1997 sous les airs de la Première et de la Troisième symphonie de Brahms, exécutées par le Berliner Philarmoniker, dirigé par Claudio Abbado. Elle coïncide avec son centième anniversaire. Cette réouverture n’est pas présentée comme un simple évènement artistique, mais comme un acte fondateur : elle est en effet utilisée pour mettre en scène la renaissance de Palerme. Toute une série de discours vise à établir un lien entre l’histoire du théâtre et celle de la ville. Son directeur, Francesco Giambrone, déclare ainsi : « Un fil relie les années les plus sombres de Palerme avec les années durant lesquelles le Teatro Massimo a été fermé ; les années les plus récentes, les plus belles, sont marquées par la redécouverte du sens et la fierté d’appartenir à la ville, la fierté d’être Palermitains, la fierté de redécouvrir le patrimoine artistique. »[63] Il est relayé par le maire Leoluca Orlando pour qui la réouverture « [est] l’étape fondamentale sur le chemin de la renaissance de Palerme. Une blessure restée ouverte depuis bien trop longtemps est enfin en train de se fermer »[64].
La réouverture est présentée par Francesco Giambrone comme le fruit d’une mobilisation populaire :
[Le Teatro Massimo] n’avait pas brûlé comme le Liceu de Barcelone, comme le Petruzzelli de Bari, comme la Fenice [de Venise], il n’avait pas non plus été bombardé comme le Carlo Felice [de Gênes] ; le théâtre Massimo n’avait rien subi de tout cela, et pourtant il est resté fermé pendant 23 ans dans l’indifférence de la ville. Quand la ville s’est réveillée de ce rêve, de cette indifférence, le théâtre Massimo s’est rouvert[65].
Elle n’est pas non plus présentée comme une simple mise à disposition d’un lieu culturel, mais comme un acte politique permettant à la communauté de se réapproprier son territoire. Leoluca Orlando déclare en effet que « […] c’est ici, dans cette conquête qu’il y a encore quelques années aurait été impensable, le témoignage de la nouvelle conscience de Palerme : de son aspiration à se réapproprier des espaces et son territoire »[66]. Cette réappropriation possède quatre facettes :
Le Teatro Massimo est fréquenté pour ses spectacles (dimension culturelle du processus de réappropriation). Le nombre d’entrées n’a cessé de progresser depuis la réouverture[67] : la fréquentation a augmenté de près de 40 % en trois ans, passant de 57 138 spectateurs, en 1998, à 78 920, en 2001.
L’utilisation spontanée du lieu par la population constitue sans doute le meilleur indicateur de ce processus de réappropriation (dimension physique). Les marches du théâtre Massimo sont devenues le point de rencontre de la jeunesse palermitaine, un peu comme la piazza diSpagna de Rome. Ces mêmes marches sont utilisées par les jeunes mariés pour en faire le décor de leurs photographies. Il est intéressant de noter que ces deux phénomènes ne s’observent pas aux pieds de l’autre théâtre de Palerme, le Teatro Politeama, qui dispose également d’une vaste esplanade et d’une remarquable façade néoclassique. La différence d’utilisation de l’espace tient sans aucun doute à l’absence de discours valorisant ce lieu : celui-ci n’a pas été construit par les autorités municipales comme un lieu public et il est demeuré associé dans l’esprit de la population à un lieu d’expression artistique.
En l’espace de quelques années, le théâtre Massimo est également devenu une étape pour qui séjourne à Palerme (dimension touristique du processus de réappropriation). Il figure désormais dans tous les guides. Les organisateurs de voyages l’ont inscrit dans leurs circuits, comme en témoigne la noria de cars à ses abords. Quelque 66 000 personnes en ont fait une visite guidée au cours de l’année 2000l et 90 % d’entre elles venaient de l’étranger[68].
Le Teatro Massimo est enfin devenu un monument historique à part entière. Il constitue désormais un symbole dans l’imaginaire collectif palermitain, un point de référence commun sur lequel se greffe un sentiment d’appartenance à un même territoire et à une même communauté (dimension symbolique du processus de réappropriation). Un sondage réalisé auprès des habitants de Palerme a révélé que 85 % des personnes interrogées le choisissent comme symbole de la ville. Celle-ci n’est pas associée au riche patrimoine que lui a légué son histoire comme la cathédrale, le palais des Normands ou la chapelle Palatine, mais à un monument hérité de son passé le plus proche qui a connu une brève existence (77 ans) et une longue éclipse (23 ans). La réouverture du Teatro Massimo est enfin présentée comme un acte contribuant à redonner une identité à la communauté (dimension identitaire du processus de réappropriation). Il s’agit de faire prendre conscience à la population qu’il existe un patrimoine palermitain qui fonde son attachement à la ville et qui structure son identité.
Aujourd’hui, le théâtre Massimo exerce une triple fonction spatiale à l’échelle de Palerme : c’est un espace culturel et d’expression artistique ; c’est un espace architectural et urbanistique ; c’est un espace public où se construit la civitas.
Le centre-ville comme instrument de communication
Cette politique de requalification urbaine s’inscrit dans une politique de marketing urbain. Palerme possède une image « disqualifiante ». Dans l’imaginaire collectif, la ville est intimement associée à la mafia, à la violence, à la corruption et au mauvais gouvernement. Elle est davantage connue comme une place criminelle que comme une ville au riche patrimoine architectural et artistique, un haut lieu du tourisme culturel en Méditerranée. À une époque où les perceptions et les représentations jouent un rôle déterminant dans le comportement des acteurs économiques, l’enjeu est de parvenir à modifier cette image. L’attractivité de la ville auprès des touristes et des investisseurs dépend en effet de la capacité des pouvoirs publics à rendre attractif le territoire palermitain. Leoluca Orlando l’a rapidement compris. Il a fait du changement d’image l’un des axes directeurs de sa politique urbaine. Il n’a eu de cesse tout au long de ses discours, en Italie comme à l’étranger, de présenter Palerme comme une « ville normale », une ville comme les autres, comme Bologne ou Florence, Barcelone ou Lisbonne : une ville où il fait bon vivre et séjourner, une ville qui offre aux investisseurs des occasions de profit, une ville où la mafia ne fait plus la loi.
L’organisation de grands événements politiques, scientifiques et artistiques vise à modifier cette image. Le centre historique est à la fois le théâtre principal et l’instrument de cette stratégie de communication. La capitale sicilienne a accueilli trois forums internationaux au cours des deux mandatures de Leoluca Orlando : une rencontre dans le cadre du partenariat Euroméditerranée, en juin 1998 (puis de nouveau en juillet 2003 lorsque l’Italie a pris la présidence de l’Union européenne) ; la Convention internationale contre le crime organisé transnational, sous l’égide des Nations Unies, en décembre 2000 ; la réunion annuelle des ministres de l’économie et des finances du G8, en février 2001. Le tableau serait incomplet si n’étaient ajoutées trois autres manifestations de moindre envergure mais à la vocation analogue, qui se sont toutes tenues durant le troisième trimestre de l’année 2000 : la semaine scientifique de l’UNESCO, en septembre ; la rencontre internationale de médecine humanitaire, en novembre ; l’Europartenariat Italie-Sud 2000, en décembre. Ces grands événements n’ont pas donné lieu à de vastes aménagements urbains comparables à ceux de Gênes, élue capitale européenne de la culture en 2004, ou de Rome à l’occasion du Jubilée quatre ans auparavant, mais à de simples travaux d’embellissement (ravalement des façades des monuments publics, restauration des principaux monuments), d’illumination publique, de décoration (installation de palmiers le long du bord de mer) et de nettoyage bien souvent exécutés dans la plus grande précipitation. Le calendrier de ces grands événements et celui de la politique de requalification du centre-ville sont en effet complètement déconnectés. Le Teatro Massimo, pivot de la conférence de l’ONU sur la criminalité transnationale, est ouvert au public depuis 1997. La construction du nouveau palais de justice (figure 3), dont la visite officielle a été l’un des moments forts de cette même conférence, a débuté en 1991 et sera officiellement inauguré quelques jours plus tard.
Si ces grands événements n’ont pas joué le rôle de levier dans la réalisation de programmes urbanistiques et architecturaux, ils ont, néanmoins, été utilisés comme une vitrine pour vanter au monde entier de multiples qualités. Ces grands événements visent tout d’abord à promouvoir l’image d’une ville dynamique et attractive qui compte sur la scène internationale. Il s’agit aussi de montrer les capacités d’organisation de manifestations complexes et prestigieuses, car comme le rappellent Paul Lecroart et Hélène Sallet-Lavorel, « Les métropoles sont jugées sur leur capacité à organiser ces grands événements, capacité qui semble constituer un indicateur de l’efficacité métropolitaine globale, et donc de son attractivité pour ses habitants, ses visiteurs et ses investisseurs potentiels. »[69] C’est là une qualité à ne pas négliger sachant que l’Italie incarne pour nombre d’entre nous le pays latin par excellence (inefficacité, inorganisation, lenteur…). Par ailleurs, la ville doit s’efforcer de mettre en scène ses transformations : la couverture médiatique qui accompagne chacune de ces manifestations internationales montre les aménagements urbains effectués ainsi que les monuments restaurés, témoins matériels du changement accompli. Enfin, la ville doit projeter une image de confiance (c’est une variable essentielle du comportement des acteurs économiques, touristes comme investisseurs) et de respectabilité (l’organisation de la conférence sur la criminalité transnationale possède une valeur symbolique particulièrement forte en la matière, puisqu’elle montre que Palerme et la Sicile sont en première ligne dans la lutte contre la mafia). La durée de ces manifestations varie de quelques jours à plusieurs mois. Leur cadre de référence reste cependant le temps court, le temps de l’événement. La quête de l’éphémère est ainsi devenue indispensable pour entretenir l’image que l’on cherche à projeter, plaçant les pouvoirs publics dans une situation quelque peu paradoxale : rechercher éperdument l’éphémère pour inscrire leur ville dans la durée. Dans cette course à l’image aux effets mimétiques, seules les villes qui se démarquent des autres ont une chance de capter les flux économiques.
Depuis le passage de Leoluca Orlando à la tête de la municipalité palermitaine, le centre historique de Palerme a changé. Des façades ont été ravalées, des immeubles ont été remis en état, le patrimoine artistique et architectural a commencé à être restauré. Le meilleur indicateur de ce changement est l’envolée du marché immobilier au cours des dernières années et l’installation de populations qui l’avaient autrefois quitté (bourgeoisie, intellectuels) ou qui le découvrent en pleine renaissance (jeunes, artistes). Le pragmatisme avec lequel les autorités municipales ont mené la réhabilitation du centre-ville semble avoir atteint ses limites, comme le note le journaliste Sergio Troisi[70]. Cette stratégie a facilité la restauration d’immeubles résidentiels, les particuliers n’étant pas contraints d’attendre que l’îlot où se situe leur immeuble soit au préalable inscrit dans un programme de réhabilitation pour engager des travaux. Elle a néanmoins conduit à des situations pour le moins contrastées où des édifices restaurés jouxtent des édifices sur le point de s’effondrer, ce qui donne le sentiment que le centre-ville de Palerme semble figé dans un état de perpétuel déclin en cours de réhabilitation. Si ce pragmatisme a indéniablement facilité les initiatives des propriétaires privés, celles-ci n’ont pas débouché sur une réhabilitation de l’ensemble du centre-ville. Le principe de la restauration conservatrice pose également problème, car elle empêche toute innovation architecturale dans un centre-ville muséifié, alors même que la communication urbaine passe aujourd’hui de plus en plus par des « gestes architecturaux ».
L’image de Palerme a-t-elle changé ? Il est encore trop tôt pour apporter une réponse à cette question. Une décennie à peine s’est écoulée depuis que Leoluca Orlando a entrepris de transformer la perception qu’on a de Palerme, en Italie comme à l’étranger. L’expérience montre que le volontarisme politique ne suffit pas. Il faut du temps. Rappelons qu’il a fallu une génération aux villes industrielles du Nord de la Grande-Bretagne pour faire figure de métropoles européennes dynamiques sur les plans économique et culturel. Il est cependant incontestable que le regard porté sur Palerme a changé, comme en témoigne depuis une dizaine d’années l’augmentation des flux touristiques, non seulement en provenance de la péninsule italienne, mais aussi d’Europe, du Japon et des États-Unis. Leoluca Orlando a construit sa stratégie de marketing urbain autour du binôme mafia-antimafia. Ses effets sont doubles. Car si cette stratégie a sans nul doute permis à Palerme de présenter au monde entier une image renouvelée, l’image d’une ville combative et en pleine renaissance, elle a également contribué à ce que la ville demeure associée à la mafia. Ce discours était indispensable. Il le demeure tout autant aujourd’hui, notamment pour que la mobilisation de la population dans la lutte contre la criminalité mafieuse ne fléchisse pas. Pour sortir de cette impasse, il est indispensable de développer un discours parallèle qui mette en avant des qualités à la fois plus neutres et plus en phase avec les attentes des acteurs économiques que sont les touristes et les investisseurs (la spécificité du patrimoine artistique et architectural, la gastronomie, la qualité de vie…). La réussite d’une politique de marketing urbain dépend enfin du contexte dans lequel elle s’inscrit. Palerme n’est pas une entité isolée, elle appartient à un territoire (une région et un pays) dont l’image (positive ou négative) rejaillit sur elle[71].
Appendices
Contributor/Collaborateur
Fabrizio Maccaglia is a lecturer at the Université François Rabelais (Tours) and a member of the research team CoST (Construction sociale des territoires) of the CNRS’ UMR 6173. His work on southern Italy analyzes parallel territorial regulations, that is illegal mechanisms—whether or not they derive from criminal activities—at work in the organization, operation, use, and management of urban areas and crisis and conflicting situations generated by urban planning policies. His latest publications are “La Campanie, plaque tournante du trafic de déchets,” Historiens & Géographes 403 (2008): 125–133, and “Construire la pérennité au quotidien. L’exemple de la ville de Palerme,” Pérennité urbaine. La ville par-delà ses métamorphoses (Paris: L’Harmattan, 2009). His Atlas des mafias et du crime organisé is forthcoming.
Fabrizio Maccaglia est maître de conférences en géographie à l’Université François-Rabelais (Tours) et membre de l’équipe CoST (Construction sociale des territoires) de l’UMR 6173 du CNRS. Ses travaux de recherche consacrés à l’Italie du Sud analysent les régulations territoriales parallèles, c’est-à-dire les mécanismes illégaux—d’origine criminelle et non criminelle—présents dans l’organisation, le fonctionnement, l’utilisation et la gestion des territoires et étudient les situations de crise et de conflits générées par les politiques d’aménagement. Parmi ses dernières parutions, on compte « La Campanie, plaque tournante du trafic de déchets », dans Historiens & Géographes (403), 2008, p. 125–133, et « Construire la pérennité au quotidien. L’exemple de la ville de Palerme », dans Pérennité urbaine. La ville par-delà ses métamorphoses, Paris, L’Harmattan, 2009. Il prépare un ouvrage : Atlas des mafias et du crime organisé (Éditions Autrement).
Notes
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[1]
T. Cannarozzo, « Palermo. Mezzo secolo di trasformazioni », Archivio di studi urbani e regionali, 67 (2000) : 101–140. Teresa Cannarozzo, « Speculazione e criminalità: Palermo », 1950–2000. L’Italia è cambiata, ed. F. Indovina (Milano : Franco Angeli, 2000), 430–454.
-
[2]
F. Maccaglia, « Main basse sur Palerme. Reconstruction de la capitale sicilienne depuis 1943 », Histoire urbaine 21 (2008) : 71–88.
-
[3]
Sur ces questions, voir : J. Burle, « Marseille et Naples : patrimoine et politiques urbaines en centre-ville », Méditerranée 1–2 (2001) : 71–78 ; R. Rodrigues-Malta, « Régénération urbaine : variations sud-européennes », L’information géographique 4 (2001) : 321–339 ; B. Bertoncello, N. Girard, « Les politiques de centre-ville à Naples et à Marseille : quel renouvellement urbain ?», Méditerranée 1–2 (2001) : 61–70.
-
[4]
Fabrizio Maccaglia, « Territoires parallèles. Pouvoir et contre-pouvoir criminels dans l’Italie contemporaine », in Autres vues d’Italie, ed. C. Vallat (Paris : L’Harmattan, 2004), 19–50. Fabrizio Maccaglia, « L’espace économique mafieux au tournant du siècle : entre mutations structurelles et dynamiques conjoncturelles », Justice et argent. Les crimes et les peines pécuniaires du XIIIe au XXIesiècle, ed. B. Garnot (Dijon: Éditions universitaires de Dijon, 2005), 107–117.
-
[5]
D. Puccio, «“La ‘renaissance” de Palerme sous la municipalité d’Orlando (années 1990) : fêtes et monuments », Rives nord-méditerranéennes 16 (2003) : 45–60.
-
[6]
Plusieurs d’entre eux, outre Leoluca Orlando, ont été reconduits dans leurs fonctions lors du scrutin de 1997, en particulier Enzo Bianco à Catane, Antonio Bassolino à Naples, et Massimo Cacciari à Venise.
-
[7]
L’Italie vit au rythme des révélations du scandale « Tangentopoli », vaste système de corruption impliquant hommes politiques et hommes d’affaires dans le Nord de la péninsule. Il aboutit quelques années plus tard à une recomposition complète du paysage politique péninsulaire, avec la disparition notamment de la Démocratie chrétienne, et à la naissance de la seconde république.
-
[8]
La Sicile est une région autonome à statut spécial depuis 1946. Elle dispose de compétences exclusives en matière de culture, d’administration, d’économie, d’environnement, d’aménagement et de transports pour lesquelles elle détient un pouvoir législatif et réglementaire. À ces compétences exclusives s’ajoutent des garanties juridictionnelles et une certaine autonomie financière. C’est dans le cadre de cette autonomie que, le 26 août 1992, les parlementaires siciliens ont adopté la loi n° 7 portant sur l’élection directe des maires (Norme per l’elezione con suffragio popolare del sindaco. Nuove norme per l’elezione dei consigli comunali, per la composizione degli organi collegiali dei comuni, per il funzionamento degli organi provinciali e comunali e per l’introduzione della preferenza unica).
-
[9]
Leoluca Orlando a été élu maire de Palerme pour la première fois en 1985 par le conseil municipal, à la tête d’une large coalition qui associe à la fois des partis du centre (Parti républicain italien, Parti libéral italien), du centre-droit (Parti démocrate chrétien) et du centre-gauche (Parti socialiste italien, Parti socialiste démocratique italien). Ce modèle de grande coalition qui aligne cinq formations politiques n’a rien d’exceptionnel : Palerme, comme bien d’autres villes italiennes, est gouvernée de la sorte depuis l’après-guerre. Le mandat de la coalition prend fin cinq ans plus tard. Les élections municipales de 1990 sont marquées par l’écrasante victoire du Parti démocrate-chrétien, qui obtient le meilleur score de toute son histoire avec 49,1 % des suffrages : la majorité absolue est cette fois atteinte. Leoluca Orlando est reconduit dans ses fonctions par le nouveau conseil municipal. Il démissionne cependant au bout d’un mois et cinq jours, car les piètres résultats du centre-gauche ne lui permettent pas de reconstituer une coalition sur le modèle précédent. Cet échec et les résistances auxquelles il se heurte au sein de sa propre famille politique (Giulio Andreotti a appelé à ne pas voter en sa faveur lors des municipales) le conduisent en 1991 à quitter le parti Démocrate chrétien et à fonder Il movimento per la democrazia—La Rete (Le mouvement pour la démocratie—Le réseau).
-
[10]
Pour les effets de cette loi sur la recomposition du système politique local et l’exercice du gouvernement municipal, voir : A. Bassolino, La repubblica delle città (Roma : Donzelli, 1996), 93 ; A. Musi, La stagione dei sindaci (Napoli : Alfredo Guida editore, 2004), 105 ; M. Morello, Governare la quotidianità. Sindaci di Sicilia (Milano : Franco Angeli, 2008), 173 ; G. Piazza, Sindaci e politiche in Sicilia (Soveria Mannelli : Rubbettino, 1998), 352.
-
[11]
C. Mattina, F. Allum, « La personnalisation du gouvernement municipal en Italie. L’expérience du maire de Naples », 13 (2000) : 60–62. Voir également G. Laino, L. Padovani, « Le partenariat pour rénover l’action publique ? L’expérience italienne » 12 (2000) : 27–46.
-
[12]
Ibid.
-
[13]
O. Cancila, Palermo (Palermo : Edizioni Laterza, 1999), 563.
-
[14]
Mattina et Allum, « La personnalisation du gouvernement municipal en Italie?», 60.
-
[15]
Ibid., 61.
-
[16]
Maccaglia, « Main basse sur Palerme. Reconstruction de la capitale sicilienne depuis 1943 ».
-
[17]
Rodrigues-Malta, « Régénération urbaine », 322.
-
[18]
Bertoncello et Girard, « Les politiques de centre-ville à Naples et à Marseille », 61.
-
[19]
Ibid., 66.
-
[20]
Ibid., 67.
-
[21]
Assessorato al territorio (Ripartizione urbanistica), Relazione generale. Palermo città di città, Città di Palermo, 1994 ; Assessorato al territorio (Ufficio del piano), Variante generale al Piano regolatore. Progetto di massima, Città di Palermo, 1997 ; Assessorato al territorio (Ripartizione urbanistica), Piano integrato territorial. Palermo, capitale dell’Euromediterraneo (Scheda intervento n° 10, PIT n° 7), Città di Palermo, 2002.
-
[22]
Si la criminalité mafieuse est présente dans bien d’autres villes d’Italie méridionale et ailleurs, son enracinement social et historique atteint à Naples et à Palerme des dimensions et des formes inégalées (plus de 200 homicides par an commis par la mafia étaient dénombrés à Palerme au milieu des années 1980). Il en est de même en ce qui a trait à l’influence que la criminalité mafieuse a pu avoir par le passé sur la conduite des affaires locales, en particulier dans le domaine de l’urbanisme.
-
[23]
À propos de Naples, voir Bassolino, La repubblica delle città, 59–63.
-
[24]
A. M. Montenegro, D. Rivière, « Naples, Rio : “ renouveler la ville ”. Quels enjeux pour l’identité urbaine ? », in Renouveler la ville : les enjeux de la régénération urbaine, Actes du colloque, 16–17 mars 2001, Lille (Comité national de géographie: Freville, 2001), 272–287.
-
[25]
L’administration palermitaine ambitionne de faire augmenter de 50 000 personnes la population du centre historique une fois sa réhabilitation achevée. G. Di Benedetto, Restoration and Re-use of Palermo’s Old City (Palermo : Città di Palermo—Assessorato al Centro storico, 2000), 334.
-
[26]
F. Lo Piccolo, « Palermo, a City in Transition. Saint Benedict “ The Moor ” versus Saint Rosalia », International Planning Studies 1 (2000) : 87–115.
-
[27]
Pour la question de la pauvreté et de la marginalité sociale à la fin des années 1980 dans le centre-ville de Palerme et plus généralement à Palerme, voir V. Guarrasi, La condizione marginale (Palermo : Sellerio, 1978), 209 ; V. Guarrasi, La produzione dello spazio urbano (Palermo : Flacovio, 1981), 140. Pour une lecture plus contemporaine de cette question, voir V. Capursi et O. Giambalvo, eds., Al centro del margine. Standard di vita in un quartiere del centro strorico di Palermo (Milano: Franco Angeli, 2006), 400.
-
[28]
Lo Piccolo, « Palermo ».
-
[29]
L’ouverture de commerces par des immigrés chinois dans le centre historique s’est accompagnée d’une multiplication des conflits avec les membres des autres communautés immigrées. Présents de longue date à Palerme, les ressortissants chinois vivent pour la plupart dans le quartier de la gare. Ils sont néanmoins de plus en plus nombreux à s’installer dans le centre historique où ils se voient reprochés de provoquer une hausse des baux commerciaux et des loyers par l’achat au comptant de biens immobiliers.
-
[30]
T. Cannarozzo, « Palermo centro storico », Recuperare. Edilizia, design, impianti 48 (1990) : 337–349.
-
[31]
Alado Fubini, Giuseppe Gario, « Politiche urbane: mutamenti e tendenze in atto », in Il fenomeno urbano in Italia: interpretazioni, prospettive, politiche, ed. G. Dematteis, (Milano: Franco Angeli, 1993), 185–214.
-
[32]
Ibid.
-
[33]
Ibid.
-
[34]
R. Scalia, « I miti dello sviluppo ineguale e il caso di Palermo », Aggiornamenti sociali, 5 (1997), 401–411.
-
[35]
Maccaglia, « Main basse sur Palerme. Reconstruction de la capitale sicilienne depuis 1943 ».
-
[36]
F. Miceli, « Avviato il risanamento del centro storico di Palermo », Ambiente 2000 20 (1994) : 24–28.
-
[37]
Exception faite lorsque se produisent de brusques changements de régime à la suite d’événements révolutionnaires, comme dans le cas des régimes socialistes d’Europe ou d’Asie.
-
[38]
Bertoncello et Girard, « Les politiques de centre-ville à Naples et à Marseille », 63.
-
[39]
Lo Piccolo, « Palermo ».
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[40]
M. Turco, « La riscossa della storia », Costruire 197 (1999) : 70.
-
[41]
Seule une intervention active de la municipalité peut limiter les risques de spéculation immobilière, notamment sous la forme d’acquisitions d’immeubles et de terrains pour stabiliser les prix du marché. L’état des finances publiques palermitaines ne permet pas ce type d’intervention particulièrement coûteux.
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[42]
La révision a débuté en 1994 et s’est achevée huit ans plus tard.
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[43]
La politique européenne de la ville est inaugurée à la fin des années quatre‑vingt avec le lancement des P.P.U., qui proposent une approche globale des territoires urbains et de leurs problèmes.
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[44]
T. Cannarozzo, Palermo tra memoria. Riqualificazione e recupero del centro storico (Palermo : Publisicula, 1996), 192.
-
[45]
M. Morello, Organizzazione, piano e governo urbano (Milano : Franco Angeli, 2002), 220.
-
[46]
Ibid.
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[47]
Cette approche typomorphologique a également été utilisée pour élaborer la politique de requalification du centre historique de Naples. La révision du Piano regolatore generale (Plan régulateur général) de 1972, entreprise au début des années quatre‑vingt‑dix, a donné lieu à une série de varianti (modifications) touchant différents secteurs de la ville, dont le centre historique. De même qu’à Palerme, la restauration du patrimoine public et la réhabilitation du patrimoine immobilier privé ont été érigées en objectifs prioritaires de cette politique de requalification. Bertoncello et Girard, « Les politiques de centre-ville à Naples et à Marseille ».
-
[48]
Teresa Cannarozzo, « Un incentivo per i privati », La Repubblica (édition de Palerme), 17 juillet 2002, 1.
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[49]
Au cours de la période 1994–1999, URBAN 1 a financé 118 programmes sur l’ensemble du territoire européen, dont 16 en Italie (outre Palerme, les villes sélectionnées étaient Trieste, Venise, Gênes, Rome, Naples, Foggia, Salerne, Bari, Brindisi, Cosenza, Catanzaro, Reggio di Calabre, Cagliari, Catane et Syracuse). Ces programmes portent sur trois types de quartiers dans des villes de plus de 100 000 habitants : les centres-villes dépeuplés, les quartiers populaires périphériques et les banlieues industrielles, et les centres historiques en déclin.
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[50]
Città di Palermo (Assessorato al centro storico, Assessorato alle risorse comunitarie), Urban-Palermo. Programma di Iniziativa Comunitaria (Palermo, 2000), non paginé. Città di Palermo (Assessorato alle risorse comunitarie), Palermo in bottega. L’arte del fare diventa impresa (Palermo, 2001), non paginé.
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[51]
Città di Palermo (Assessorato al centro storico, Assessorato alle risorse comunitarie), Urban-Palermo. Programma di Iniziativa Comunitaria (Palermo, 2000), non paginé.
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[52]
Città di Palermo (Assessorato alle risorse comunitarie), Palermo in bottega. L’arte del fare diventa impresa (Palermo, 2001), non paginé.
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[53]
Cette politique est menée conjointement avec l’organisme chargé du logement social à Palerme (IACP—Istituto autonomo per le case popolari).
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[54]
Sur l’usage de la fête de sainte Rosalie (Il Festino) comme instrument de communication politique et de mobilisation sociale, voir D. Puccio, « La “renaissance” de Palerme sous la municipalité d’Orlando (années 1990) : fêtes et monuments », Rives nord-méditerranéennes 16 (2003) : 45–60.
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[55]
Cette initiative est née à Naples en 1989. D’autres villes l’ont rejoint, en particulier des villes qui, comme elle, sont marquées par une forte présence de la criminalité mafieuse et un profond processus de désagrégation sociale.
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[56]
Alessandra Siragusa, « Identità urbana e beni culturali. Un’esperienza a Palermo », in Atlante virtuale, ed. G. De Spuches and V. Guarrasi (Palermo : Università degli studi di Palermo, 2002), 2 :134–135.
-
[57]
Ibid.
-
[58]
Maccaglia, « Main basse sur Palerme. Reconstruction de la capitale sicilienne depuis 1943 ».
-
[59]
Siragusa, « Identità urbana e beni culturali », 134–135.
-
[60]
K. Postel-Vinay, L’Occident et sa bonne parole. Nos représentations du monde, de l’Europe coloniale à l’Amérique hégémonique (Paris : Flammarion, 2005), 63.
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[61]
Le temps passant, le concept de patrimoine a également évolué. Les premières années l’opération portait uniquement sur le patrimoine historique et architectural (théâtres, monuments). L’idée de monument patrimonial a cédé la place à l’idée de lieu de mémoire et de lieu de vie, conduisant à l’adoption de rues, de jardins, de villas, des anciennes borgate, des musées jusqu’à des quartiers entiers. Simultanément, l’éventail des niveaux scolaires impliqués s’est élargi. Aux collèges et lycées se sont adjointes les écoles primaires en 2004.
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[62]
La décision de construire le Teatro Massimo fut prise le 10 octobre 1864. Le maire de Palerme, Antonio Starrabba di Rudini, lance un concours international auquel participent 35 architectes dont 12 étrangers. Il est remporté par Giovan Battista Filippo Basile. La première pierre est posée le 12 janvier 1875. Il est inauguré le 16 mai 1897, avec six ans de retard par rapport à la date fixée à l’occasion de l’Exposition nationale de 1891. De style néoclassique, le Teatro Massimo a été conçu comme un élément d’ornement urbain. Il trône, seul, sur la place qui lui a été dessinée. Cet isolement spatial renforce son caractère monumental. L’édifice se déploie sur une surface de 7 730 mètres carrés ce qui, au moment de son inauguration, en fait la troisième grande scène européenne, derrière l’Opéra Garnier de Paris et l’Opéra de Vienne. Il s’ouvre sur la via Libertà avec un majestueux escalier, surmonté d’un portique à colonnes d’inspiration corintho-italique qui s’élèvent à 13 mètres de hauteur. Il fait 129 mètres de long et 89 mètres de large. Le Teatro Massimo occupe une position charnière entre la vieille ville et la ville moderne qui, depuis le XIXe siècle, s’étend inexorablement en direction du nord-ouest.
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[63]
Teatri aperti: esperienze e progetti per la città (Palermo : Fondazione del Teatro Massimo, 2002), 9.
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[64]
La Sicilia, 27 mars 1997.
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[65]
Teatri aperti: esperienze e progetti per la città (Palermo : Fondazione del Teatro Massimo, 2002), 9.
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[66]
Leonetta Bentivoglio, « Era il teatro della vergogna », La Repubblica, 4 avril 1997, 39.
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[67]
U. Morelli ed., Il teatro e la città. Azione culturale e nuova stagione di Palermo (Milano: Angelo Guerini, 2002), 157.
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[68]
D’après les données fournies par les services administratifs du Teatro Massimo.
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[69]
P. Lecroart, H. Sallet-Lavorel, L’impact des grands événements sur le développement des métropoles. Compte-rendu des travaux de la Commission 1 de la conférence Metropolis à Séoul du 27 au 31 mai 2002 (Barcelone : Metropolis, 2002), 40.
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[70]
Sergio Troisi, « Movida ed alberghi non risanano il centro », La Repubblica (édition de Palerme), 20 mars 2007, 1.
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[71]
L. Ruggiero, « Il ruolo dell’arte e della cultura nel cambiamento della città europee. Dalle politiche alla pianificazione culturale », Rivista geografica italiana 106 (1999) : 109–150.