Volume 25, Number 1, 2017 Danse et spiritualité Guest-edited by Jean-Sébastien Viard
Table of contents (11 articles)
Liminaire
Thème
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Dis-moi ta vision de la spiritualité et je te montrerai l’univers de ta danse
Étienne Pouliot
pp. 19–37
AbstractFR:
Trois déplacements majeurs dans la conception de la spiritualité sont présentés en vue de fournir à cet égard des repères épistémiques et historiques, relativement à la tradition philosophique occidentale et de la tradition spirituelle chrétienne. Les renversements de perspective qui s’y sont opérés définissent de façon liminaire une orientation tantôt objective, tantôt subjective, tantôt langagière (rapport sujet-objet lui-même) de la spiritualité. Des considérations tout aussi liminaires sur le corps et la danse sont proposées en conséquence. Par cette analyse, la spiritualité se voit progressivement accorder la place de principe herméneutique et le rôle de pratique herméneutique, la faisant passer d’un traitement mimétique à une approche sémiotique : d’où les effets sur la question de la danse et du corps.
EN:
Three epistemological shifts about spirituality throughout the continental philosophical and theological tradition are exposed so to define in a summary way an objective and a subjective orientation in the conception of spirituality, then a subject-object relation in language. Considerations on dance and body follow consequently. When spirituality is given the place of a hermeneutical principle and the role of a hermeneutical practice, it leads us from mimetic to semiotic reflections about it and about dance and the body.
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Danser, ordonner, contrôler : la choreia dans les Lois de Platon
Laetitia Monteils-Laeng
pp. 39–54
AbstractFR:
Dans les Lois de Platon, la danse (choreia) prend une place importante au sein de l’éducation. Substituant l’ordre aux gesticulations et aux mouvements désordonnés de l’enfance grâce au pouvoir du rythme, elle produit des effets apaisants mais aussi structurants au sein de l’âme agitée ou tourmentée. Don des dieux, elle enchante pour un temps le quotidien laborieux des hommes lors des fêtes religieuses. Mais si Platon la met au coeur de sa cité, c’est surtout qu’avec sa capacité à créer de l’ordre, elle devient un formidable outil de stabilisation politique.
EN:
The dance (choreia) takes an important place in education in Plato’s Laws. Thanks to the rhythm, dance substitutes order to child gesticulations and disorder and brings calming but also structuring effects to troubled souls. Dance is a gift of the gods. For a while, dance enchants the painful daily life of men during religious feasts. But if Plato places choreia at the center of his city, it is because dance becomes a powerful help to stabilise politically the community, with its capacity to create order.
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Danse et gestuelle des ménades : textes et images aux ve-ive s. av. J.-C.
Valérie Toillon
pp. 55–86
AbstractFR:
Le ménadisme est sans doute le phénomène rituel grec qui suscite encore aujourd’hui le plus de fascination et d’interrogations. Bien qu’un grand nombre de sources littéraires et iconographiques se rapportent à ce sujet, la réalité historique du ménadisme reste néanmoins difficile à appréhender. Ce que nous en savons et ce qui nous a été transmis relève avant tout de l’image mythico-poétique, une idée préformée d’un comportement et d’un état d’esprit propres à l’enthousiasme dionysiaque. Réalité cultuelle d’un rite dansé ou image poétique d’un état d’esprit : dans les sources textuelles comme iconographiques, les deux réalités se confondent. Il s’agira ici d’en dégager les différents principes, afin d’offrir une analyse de la gestuelle ménadique et de sa signification.
EN:
Even today, maenadism is probably one of the most fascinating Greek ritual phenomena. Although numerous literary and iconographical sources are related to this subject, the historical reality of maenadism remains difficult to comprehend. What we know and what was transmitted is a matter for mythical and poetical imagery. It is a preformed idea about a behavior and a state of mind specific to dionysiac enthusiasm. Whether it is a cultual reality of a danced ritual or a poetic imagery of a state of mind, both merge in textual and iconographical sources. It comes here to identify the various principles of maenadism in the aims to offer a study of the maenadic gesture and its significance.
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« C’est devant YHWH que j’ai dansé » : quelques réflexions sur la danse du roi David en 2S 6
Éric Bellavance
pp. 87–102
AbstractFR:
Le comportement du roi David « devant YHWH », alors que l’arche de Dieu est transportée vers Jérusalem, dans un premier temps, puis dans Jérusalem, dans un deuxième temps, a fait couler beaucoup d’encre. De quelle nature est la danse qui y est décrite ? Pourquoi le roi agit-il de la sorte ? Et pourquoi sa femme Mikal, la fille de l’ancien roi Saül, est-elle choquée au point de le mépriser et de lui reprocher de s’être comporté comme un homme sans valeur ? Nous sommes d’avis que la femme du roi réagit négativement parce que David a eu une conduite qui s’apparente à celle d’un prophète extatique. L’hypothèse que nous avançons pour expliquer pourquoi David adopte une attitude semblable aux prophètes extatiques est inédite : le roi danse en présence non seulement de l’arche, mais d’une représentation de YHWH, possiblement sous forme de statue.
EN:
King David’s behavior “in front of YHWH,” while the ark of God is being transported to Jerusalem and, later, inside Jerusalem, has prompted many a debate. But of what nature is the dance being displayed in those lines ? Why does the king act in such a way ? And why his wife Mikal, former King Saul’s daughter, is so shocked that she despises him and blames him for behaving like a worthless man ? The article suggests that the king’s wife reacts negatively because David conducted himself as an ecstatic prophet. David behaves like an ecstatic prophet because the king dances not only in front of the ark, but in the presence of a representation of YHWH, possibly of a statue.
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Enlivening Spirits: Shaker Dance Ritual as Theopraxis
Kimerer L. LaMothe
pp. 103–124
AbstractEN:
In the history of dance and Christian theology, the United Society of Believers in the Second Coming of Christ, otherwise known as the Shakers, prove a unique case. Not only did the Shakers practice dancing for over 140 years as the central, constitutive ritual of a successful separatist religious socialism ; and not only did the Shakers mount a biblically informed theological defense of their dancing practice. The Shakers also elevated dancing alongside the Bible as a privileged medium of divine revelation. This paper mobilizes an ecokinetic approach in relation to the first two arcs of Shaker history to argue that the Shakers’ dancing serves as an authorizing source for their theological innovations. Dance is theopraxis.
FR:
Dans l’histoire de la danse et de la théologie chrétienne, la United Society of Believers in the Second Coming of Christ, plus connue sous le nom de Shakers, présente un cas unique. Non seulement les Shakers ont-ils pratiqué la danse pendant 140 ans comme le rituel central et constitutif d’un socialisme religieux séparatiste fonctionnel ; et non seulement ont-ils constitué une défense théologique de leur pratique fondée sur les textes bibliques. Ils ont aussi placé la danse aux côtés de la Bible comme moyen privilégié de révélation divine. Cet article mobilise une approche écokinétique en relation avec les deux premiers moments de l’histoire des Shakers, afin de proposer l’idée selon laquelle la danse des Shakers est une source d’autorité pour leurs innovations théologiques. La danse est theopraxis.
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Dancers of Incarnation: From Embodied Prayer to Embodied Inquiry
Celeste Snowber
pp. 125–138
AbstractEN:
In poetic, sensuous and visceral language this article explores how one liturgical dance artist, whose work as a dancer and educator was centered in dance and theology for decades was informed by an incarnational theology to break open a field of embodied inquiry now situated outside the field of theological studies. The article is in itself a dance consisting of five movements which trace the journey of a liturgical dance artist from theology to doxology, embodied prayer and embodied inquiry to dancing in nature as a cathedral. Here in creating and performing site-specific work in the natural world, all of living and being is an embodied expression of spirit. Attention is given to the Biblical foundation of bodily expression and wisdom, moving to the fields of arts-based research rooted in phenomenology and curriculum theory to open up an embodied and poetic scholarship. Here writing is artistic and scholarly, personal and universal, evoking a physicality through the senses where connections between the holy and ordinary are honoured. Dance, movement and the body are rooted in incarnational and poetic expression and represent a philosophy through the flesh where physicality and spirituality are deeply intertwined.
FR:
Dans un langage poétique, sensuel et viscéral, cet article explore la façon dont une danseuse liturgique, dont le travail en tant que danseuse et éducatrice s’est centré pendant des décennies autour de la danse et de la théologie, a été incitée, grâce à une théologie d’incarnation, à ouvrir un champ de « recherche incarnée » (embodied inquiry) qui se situe maintenant en dehors des études théologiques. L’article est en lui-même une danse constituée de cinq mouvements retraçant le trajet d’une danseuse liturgique de la théologie à la doxologie, à la prière incarnée, à la recherche incarnée et à une danse dont la nature serait la cathédrale. En créant et en jouant des oeuvres pour des sites spécifiques du monde naturel, tout le vivant devient une expression incarnée de l’esprit. Une attention est accordée au fondement biblique de l’expression corporelle et de la sagesse, avant de se tourner vers des champs de recherche artistique prenant appui sur la phénoménologie et la curriculum theory pour ouvrir un cursus scolaire poétique et incarné. L’écriture est ici artistique et académique, personnelle et universelle, évoquant un aspect physique à travers les sens où les connexions entre le sacré et le mondain sont reconnues. La danse, le mouvement et le corps sont enracinés dans une expression « incarnationnelle » et poétique, et ils représentent une philosophie dans la chair, où le physique et le spirituel sont étroitement liés.
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A Personal Relationship with the Mysteries: (Re)discovering the Enchanted Garden Through Movement and the Body
Eline Kieft
pp. 139–154
AbstractEN:
This article investigates the possible role of improvised, conscious dance movement in nature as a way of reclaiming our direct experience of the metaphysical. I first discuss some aspects of the body and embodiment, not as contradictory with but absolutely essential to spirituality. I briefly touch on the possibility of embodied ecstasy, as well as various elements of embodiment such as awareness, alignment, presence, and connection. Then, after introducing some notions of dance and spirituality in various contexts, I zoom in on the ingredients of improvised movement as a way of negotiating the unknown, unpacking the possibilities of movement improvisation as a spiritual practice. Thirdly, I consider the potential for waking up to the sacred all around us, when movement practice is brought out into nature. Finally, I weave these threads together in some concluding thoughts on the role that dance can play in enhancing mystical participation in an enchanted world.
FR:
Cet article explore le rôle possible du mouvement dansé, conscient et improvisé, dans la nature, en tant que moyen de nous réapproprier une expérience directe du métaphysique. Je discute d’abord certains aspects du corps et de l’incarnation qui ne sont pas contradictoires, mais plutôt essentiels à la spiritualité. J’aborde brièvement la possibilité de l’extase incarnée, ainsi que les divers éléments de l’incarnation, tels que la conscience, l’alignement, la présence et la connexion. Puis, après avoir présenté certaines conceptions de la danse et de la spiritualité dans divers contextes, je me focalise sur les ingrédients d’un mouvement improvisé en tant que moyen d’aborder l’inconnu, en dévoilant les possibilités de l’improvisation en tant que pratique spirituelle. Ensuite, je considère les possibilités de réveiller le sacré autour de nous, lorsque la pratique du mouvement est portée dans la nature. Enfin, je rassemble ces éléments en concluant sur le rôle que la danse peut jouer pour stimuler une participation mystique dans un monde enchanté.
Hors thème
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Constantin en postcolonie ou le tournant nègre de la théologie
Léonard Amossou Katchekpele
pp. 155–175
AbstractFR:
Les grandes vagues missionnaires des xixe et xxe siècles qui portèrent tant d’hommes et de femmes sur les rives du Sud, en l’occurrence l’Afrique, pour annoncer l’Évangile, semblent bien derrière nous. De nos jours, le mouvement semble même parfois s’inverser. Il ne s’agit pas tant ici de rendre compte de ces va-et-vient que de se demander si la théologie pourrait apprendre quelque chose de son passage par l’Afrique, en utilisant le filtre de la théologie politique comme révélateur des difficultés que porte la théologie dans cette rencontre. Le parcours permet de suggérer que ce que la théologie pourrait en recevoir, à titre de réapprentissage, représente le destin même de la théologie en Afrique : occuper le site du « nègre » entendu ici comme une « xénotopie » qui permet de réinterroger, à nouveaux frais, avec un regard d’étranger, les structures des sociétés où l’Église trouve demeure.
EN:
The last centuries brought theology to Africa along with the secularized state and not without raising some long-lasting problems of political theology. Assessing them leads to ask a long overdue question : has theology learned something from its journey in Africa ? Answers may focus on the renewal of inculturation as a way of making home for the Church in (African) cultures. But is theology ever to be “at home” ? By answering negatively, this paper argues that there lies what theology needs to learn again, afresh : that the Church, wherever it dwells, should be a “xenotopia”, the never-settled stranger that raises ever new questions and renders hospitality a sacrosanct social value. This is not something new, but something theology seems to have forgotten of its origin. This is not to be the fate of theology in Africa, but the fate of theology as such, turning from diaspora, from sojourning in the South.
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Une théologie de l’altérité : Michel de Certeau : première partie
Lucie Hervieux
pp. 177–195
AbstractFR:
La question de l’altérité chez Michel de Certeau est au coeur de sa (dé)-marche théologique et noue inséparablement la question d’un sujet en quête de son désir et en ce qu’il se reconnaît comme manque à être. Quelques repères nous permettent d’étayer l’état de la question. Il semble que pour Certeau, la théologie, s’il en est une, se fait autrement. Depuis la modernité, quelque chose s’est rompu, le « dire » et le « faire » théologiques ne font plus consensus, ni sur les pavés des Églises, ni dans l’ordre des discours relatif à l’éveil des sciences humaines. Un socle s’est rompu. La rupture même fait office de lieu théologique, elle porte une coupure épistémologique : le travail théologique ne peut en aucun temps être fixé une fois pour toutes et figé dans des énoncés évidés de leur fondement, c’est-à-dire qui évacuent l’expérience même d’une rencontre de l’autre et de l’Autre. Il ne s’agit pas pour Michel de Certeau de poser un savoir sur Dieu ni de lui imposer un lieu mais de reconnaître l’(in)-appropriable d’un « non-lieu ». L’acte théologique pose désormais l’acte d’un sujet qui se met en mouvement, entamant une marche incessante, en travail de désir d’autre et en la rencontre de l’Autre. Le discours théologique porte le produit langagier de cette rencontre dans son (im)-possibilité d’en tenir lieu. La théologie devient ainsi elle-même acte d’énonciation.
EN:
The question of otherness is at the heart of Michel de Certeau’s theological approach and is inseparably related to the question of a subject in search of his desire, in that he recognizes himself as a lack of being. Here, some benchmarks allow us to support the state of the question. It seems that for Certeau, theology, if there is one, has to be done differently. Since the beginning of modernity, something has broken down : the “saying” and the “doing” of the theology are no longer in consensus, neither on the pavements of the Churches nor in the order of the discourses related to the awakening of the social sciences. It seems as if a pedestal broke. The rupture itself serves as a theological locus, as it carries an epistemological break : the theological work can no more be secured once and for all nor can it be settled in statements hollowed out of their foundation. That is to say that it cannot evacuate the very experience of meeting the other and the Other. For Michel de Certeau, it is neither a question of postulating any actual knowledge on God nor it is one of assigning the place where such knowledge could be found, but the matter is to recognize the (in)appropriability of a “no-place. Henceforth, the theological act poses the act of a subject who sets himself in motion and whose incessant march is nothing but the work of his desire of otherness and for the Other. The theological discourse carries the language-product of this meeting in its (im)-possibility to take its place. Theology itself, thus, becomes its very act of enunciation.