Number 97, Fall 2011 Enjeux critiques des écritures (auto)biographiques contemporaines Guest-edited by Robert Dion and Manon Auger
Table of contents (6 articles)
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Liminaire
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Autofiction vs autobiographie
Philippe Gasparini
pp. 11–24
AbstractFR:
Toute définition de l’autofiction passe par une critique de l’autobiographie. D’emblée, Serge Doubrovsky justifia son néologisme par la nécessité de dépasser le modèle rousseauiste dont Philippe Lejeune venait de cerner la spécificité pragmatique. Désuète, ronflante et illusionniste, l’autobiographie « classique » était disqualifiée par la découverte de l’inconscient. Il était temps que le sujet prenne acte de sa fictionalité. Relisant Les mots, le narrateur du Livre brisé montre comment le récit d’enfance est « adultéré » par la démonstration dont il est le prétexte. Alain Robbe-Grillet, Raymond Federman, Philippe Forest poursuivront ce procès afin de distinguer leur écriture mémorielle du simple témoignage. Et Vincent Colonna prétendra couper l’autofiction de son affiliation avec l’autobiographie. Cette politique du soupçon ne va pas sans une constante vigilance autocritique dont Doubrovsky a donné l’exemple. En sens inverse, elle relance le débat sur la fonction de la littérature, en l’ouvrant aux lecteurs, aux journalistes, aux juges, aux historiens, aux sociologues. L’enjeu n’est pas seulement la légitimité de l’écriture autofictionnelle, mais aussi sa capacité à tenir un discours sur la société contemporaine.
EN:
Every definition of autofiction includes a critique of autobiography. Early on, Serge Doubrovsky justified his neologism by the need to surpass the Rousseauist model whose pragmatic specificity had recently been highlighted by Philippe Lejeune. Obsolete, sonorous and illusionistic, “classical” autobiography was disqualified by the discovery of the unconscious. The time had come for the subject to take note of his or her fictionality. Re-reading Les mots (The Words), the narrator of the Livre brisé (Broken Book) shows how the childhood narrative is “tainted” by the demonstration for which it is a pretext. Alain Robbe-Grillet, Raymond Federman and Philippe Forest would pursue this process in order to distinguish their memorial writing from the simple eyewitness account. And Vincent Colonna would claim to separate autofiction from its affiliation with autobiography. This policy of suspicion involves a certain ongoing self-critical vigilance exemplified by Doubrovsky. Conversely, it rekindles the debate on the function of literature by opening it to readers, journalists, judges, historians and sociologists. The issue is not only the legitimacy of autofictional writing, but also its capacity to hold a discourse on contemporary society.
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« On est toujours piégé dans un je ». Le choix autobiographique de Gary-Ajar
Francesca Lorandini
pp. 25–44
AbstractFR:
L’oeuvre autobiographique de Gary-Ajar constitue un unicum dans le panorama de la littérature française contemporaine : en travaillant à la frontière des genres, l’auteur arrive à réaliser un déracinement total afin de mettre en doute la validité d’une identité stable, miroir d’un sujet défini. À travers une analyse de l’incertitude formelle qui marque La promesse de l’aube, La nuit sera calme, Pseudo et Vie et mort d’Émile Ajar, il s’agira de voir comment Romain Gary arrive à déplacer l’intérêt du lecteur de questions comme l’authenticité ou la véridicité de l’écrit et à dépasser la partition entre document et fiction, pour accomplir son « rêve d’un roman total, à la fois personnage et auteur ». En s’attaquant à ce qu’il considère comme les tendances intimistes de son époque, Gary oblitère le caractère narcissique propre à l’écriture autobiographique pour donner le jour à une forme qui permet au sujet de s’engendrer.
EN:
Gary-Ajar’s autobiographical work constitutes a unicum in the panorama of contemporary French literature: by working on the borderline of genres, the author manages to accomplish a total uprooting with the intention of casting doubt on the validity of a stable identity, mirror of a definite subject. Using an analysis of the formal uncertainty that marks Promise at Dawn, The Night Will Be Calm, Pseudo and The Life and Death of Émile Ajar, this article aims to show how Romain Gary succeeds in diverting the reader’s interest from issues such as authenticity and veracity of writing and crossing the boundary between document and fiction to realize his “dream of a total novel, at once character and author.” By challenging what he sees as the intimist tendencies of his day, Gary obliterates the narcissistic character of autobiographical writing to give birth to a form that allows the subject to self-create.
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Les biographies critiques, ou comment faire avec l’auteur (sur deux ouvrages de Michel Schneider)
Robert Dion
pp. 45–59
AbstractFR:
On connaît le sort que l’histoire a réservé à la critique biographique : condamnée sans appel depuis Proust, elle reposerait sur l’illusion que l’oeuvre « appartient » à son auteur, que l’homme est l’oeuvre. Or, s’il y avait en effet une grande part d’aveuglement dans le travail de Sainte-Beuve, les modernes que nous sommes se sont néanmoins rendu compte, au cours des vingt ou trente dernières années, que l’on était sans doute allé un peu vite en liquidant l’auteur et en installant à sa place une pure « instance scripturaire » tout aussi mythique que l’écrivain lui-même. Tenant pour acquis, avec Alain Brunn, qu’« [é]crire la vie d’un auteur constitue une façon de prendre une décision sur l’oeuvre, de choisir d’enraciner en elle la signification de son texte » (L’auteur, 2001), l’analyste aborde dans cet article deux ouvrages de Michel Schneider, Maman (1999), sur Proust, et Baudelaire, les années profondes (1994), qui constituent ce qu’il appelle des « biographies critiques ». Il cherche, d’une part, à voir comment, dans ces deux livres à teneur biographique, le biographe est conduit à rendre raison des oeuvres de son biographié, et, d’autre part, à comprendre dans quelle mesure le discours critique, en contexte biographique, est forcé de tenir compte de ce « réprouvé » de la modernité littéraire qu’est l’auteur.
EN:
We know the fate history reserves for biographical criticism: condemned without appeal since Proust, it is based on the illusion that the work “belongs” to its author, that the man is the work. Now, if there was indeed a large measure of blindness in the work of Sainte-Beuve, we moderns have nonetheless realized, during the last twenty or thirty years, that we have no doubt been too quick to disregard the author and establish in his place a pure “scriptural authority” that is every bit as mythical as the writer himself. Agreeing, along with Alain Brunn, that “writing about an author’s life is a way to come to a decision about his work, to choose to root the significance of the text in the author’s life” (L’auteur, 2001), the writer of this article focuses on two works by Michel Schneider: Maman (1999), on Proust, and Baudelaire, les années profondes (1994), both of which constitute what may be termed “critical biographies.” The intention is, on one hand, to grasp how in these two biographical works the biographer comes to explain his subject’s work and, on the other, to understand how critical discourse within a biographical context is forced to take the author—this “reprobate” of literary modernity—into account.
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Moments autofictionnels dans l’oeuvre romanesque de Philippe Djian. Auto-biographèmes factuels et métadiscursifs
Hugo Chavarie
pp. 61–78
AbstractFR:
La catégorisation générique de l’autofiction a connu maints revers depuis une trentaine d’années. Puisque le concept déborde à présent le domaine de la littérature, cet article présente une définition linguistique de l’autofiction comme configuration énonciative et stratégie discursive, au demeurant intermittente et ponctuelle, qui rend possible le discours du moi au sein de tout énoncé narratif ou fictionnel. S’appuyant sur cette réorientation théorique, l’auteur s’attache ensuite à l’analyse des moments autofictionnels dans le corpus que forment les dix-sept romans publiés à ce jour par Philippe Djian. Sur la base d’une distinction entre « auto-biographèmes » (Kerbrat-Orecchioni, L’énonciation, 1980) factuels (nom propre, données sociologiques, faits vécus) et métadiscursifs (poétique, éthique et esthétique propres à l’auteur), la recherche des indices qui permettent de mesurer la présence de l’auteur dans ses romans montre que le noyau central d’un discours de l’intime peut se cacher à même un récit apparemment fictionnel, c’est-à-dire ailleurs que dans les faits racontés.
EN:
The genetic categorization of autofiction has undergone a number of reversals in the last thirty years. Since the concept extends beyond the field of literature, this article presents a linguistic definition of autofiction as an enunciative configuration and discursive strategy—in passing, intermittent and timely—that enables the discourse of self in any narrative or fictional statement. Supported by this theoretical reorientation, the author then focuses on the analysis of autofictional moments in the seventeen novels published to date by Philippe Djian. Based on a distinction between “auto-biographemes” (Kerbrat-Orecchioni, L’énonciation, 1980) that are factual (proper name, sociological data, lived experience) and those of a metadiscursive nature (poetics, ethics and aesthetics specific to the author), the search for clues allowing us to measure the author’s presence in his novels demonstrates that the core of an autobiographical discourse can be woven into the fabric of an apparently fictional narrative, that is, somewhere other than in the facts recounted.
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De la littérature « contre » le journal, du journal « contre » la littérature : le cas de quelques journaux d’écrivains québécois contemporains
Manon Auger
pp. 79–97
AbstractFR:
Malgré l’immense intérêt qu’il suscite, particulièrement depuis le début des années 1980, le journal intime, même s’il présente à l’occasion un caractère littéraire, continue de s’inscrire hors du champ de la littérature proprement dite. Or, ce jugement discriminatoire à l’égard du genre diaristique n’est pas que l’apanage de la critique, mais aussi celui d’un certain nombre d’écrivains qui s’adonnent à cette pratique et en assurent de surcroît la publication. C’est même cette position « anti-littéraire » du genre diaristique qui, semble-t-il, en constitue la principale puissance d’attraction. En effet, cette écriture « libre », qui se déploie dans un genre apparemment sans code, semble offrir la possibilité à certains écrivains de se positionner « contre » la littérature, en portant un regard extérieur et diffracté sur elle. Dans cet article, il s’agira donc d’examiner la charge critique (à la fois éthique et esthétique) que revêtent trois journaux d’écrivains québécois contemporains dont la démarche semble viser tout autant une dénonciation des normes qui président à l’ordre des discours qu’une tentative de légitimation de leur parole à travers la « formation » du genre diaristique, ce dernier devenant, paradoxalement, garant de leur statut d’écrivain.
EN:
Despite the enormous interest it arouses, particularly since the early 1980s, the diary, although it presents a literary character at times, continues to fall outside the field of literature as such. Now, this discriminatory judgment regarding the diary genre is the prerogative not only of critics, but also of a certain number of writers who are devoted to it and who, furthermore, ensure the diaries’ publication. One could even say this “anti-literary” position appears to be the diary’s main power of attraction. In fact, the “free” writing deployed in a genre that supposedly lacks a code seems to offer certain writers the chance to position themselves “against” literature by examining it from the outside, and from various perspectives. This article aims, therefore, to examine the critical charge (at once ethical and aesthetic) assumed by three diaries of contemporary Quebec writers whose approach appears to involve both a denunciation of the norms governing the order of discourses and an attempt to legitimize their words via the “formation” of the diary genre, with the latter becoming, paradoxically, a guarantee of their status as a writer.