Abstracts
Résumé
Malgré les efforts entrepris depuis plusieurs décennies, l’oeuvre de Guillaume Salluste Du Bartas (1544-1590) est loin d’avoir livré tous ses secrets. De manière générale, son importance semble encore sous-évaluée, alors que cet auteur connut, de son vivant et jusqu’à quarante ans après sa mort, une gloire et un rayonnement exceptionnels. Afin de mieux éclairer les raisons de ce succès, cet article étudie La Sepmaine comme ressortissant à la tradition de l’ars memorativa. Le succès de ce poème à la fois didactique, apologétique et encyclopédique correspond, en effet, à la période de l’histoire occidentale où la mnémotechnie, héritée de l’Antiquité grecque, suscite un vif regain d’intérêt. Aussi l’auteur propose-t-il d’analyser tout particulièrement la place et la fonction de la mnémotechnique dans ce texte, ainsi que les divers moyens rhétoriques dont il se sert.
Abstract
Despite efforts undertaken in many recent decades, the work of Guillaume Salluste Du Bartas (1544-1590) has by no means revealed all its secrets. Its importance, generally speaking, still appears under-estimated, whereas there were outstanding recognition and popularity for this author during his lifetime and up to forty years after his death. To shed light on the reason for this success, this article studies the Sepmaine as issuing from the tradition of the ars memorativa. The success of this poem at once didactic, apologetic and encyclopaedic corresponds, in fact, to that period of Western history when the mnemotechnics inherited from Greek antiquity experienced a lively renewal of interest. Our purpose is therefore to analyze, very particularly, the position and function of mnemotechnics in this text, as well as the various rhetorical methods it employs.
Article body
On sait que nous retenons une chose plus facilement quand elle fait sur notre esprit, par les moyens des sens extérieurs, une impression vive. C’est par cette raison qu’on a tâché de soulager la mémoire dans ses fonctions, en représentant les idées sous de certaines figures qui les expriment en quelque façon.
Article « Art mnémonique » de l’Encyclopédie
Malgré les efforts entrepris depuis plusieurs décennies, l’oeuvre de Du Bartas (1544-1590) est loin d’avoir livré tous ses secrets. De manière générale, son importance semble encore sous-évaluée [2]. L’époque est certes révolue, où les historiens des sciences [3] et les historiens de la littérature française [4] n’accordaient à ce poète encyclopédique, contemporain des grandes descriptions du monde, qu’une note condescendante en bas de page. Ses oeuvres les plus importantes sont accessibles dans des éditions érudites et commodes ; mais qui souhaite lire tout Du Bartas est encore contraint de se reporter à la très estimable édition publiée aux États-Unis entre 1935 et 1940 [5]. Tout se passe comme si, contrairement à son coreligionnaire Agrippa d’Aubigné, Du Bartas avait souffert de n’être point un homme de parti. Aussi, nul ne s’empressa-t-il de le revendiquer et les études bartasiennes prirent-elles un bon demi-siècle de retard.
Il connut pourtant de son vivant et jusqu’à quarante ans après sa mort un succès et une gloire comme peu d’écrivains purent se vanter d’en connaître. Alors que les Tragiques d’Agrippa d’Aubigné n’eurent que deux éditions, peut-être trois, dont aucune n’emprunta les circuits normaux de la librairie, les différents poèmes de Du Bartas, et notamment son magnum opus, La Sepmaine (publiée en 1578), furent réédités environ deux cents fois entre 1574 et 1632. Bien des écrivains d’aujourd’hui, surtout s’ils s’occupent de poésie, se contenteraient de la moitié de ce chiffre. On admettra un tirage moyen de mille exemplaires par édition [6], ce qui constitue une estimation prudente et volontairement basse. Car imprimer un livre était, jusqu’au xixe siècle, une tâche fastidieuse [7], d’autant plus qu’à partir de 1581, La Sepmaine — qui n’a rien d’un poème court [8] — se vit adjoindre les commentaires [9], concis d’abord, luxuriants ensuite, du pasteur genevois Simon Goulart (1543-1628), l’ensemble formant un épais volume [10]. On devine bien qu’aucun libraire n’allait engager des fonds, faire composer un texte aussi imposant, pour en imprimer seulement quelques dizaines d’exemplaires. Le tirage moyen devait être supérieur à mille exemplaires, puisque l’oeuvre constituait une valeur commerciale sûre. Mais conservons ce chiffre, qui donne le total écrasant de deux cent mille volumes imprimés en soixante-dix ans. Les oeuvres de Du Bartas devaient se trouver partout et, de fait, on ne connaît guère de bibliothèques dotées d’un fonds ancien digne de ce nom qui n’en conservent un ou plusieurs exemplaires. Mieux encore : il fut traduit en anglais, en allemand, en italien, en néerlandais et même en castillan [11], à l’intention de la communauté juive expulsée d’Espagne et réfugiée aux Pays-Bas [12].
On devine sans peine l’influence exercée par un poète dont les oeuvres furent à ce point répandues. Sa réception, au sens large, reste à apprécier et seule une équipe de recherche internationale parviendrait à déterminer ce qui, dans chaque littérature nationale d’Europe, procède de l’influence, du véritable magistère qu’il exerça. Ce n’est évidemment pas ce que l’on se propose de faire ici. Puisque le succès de La Sepmaine est attesté, il semble utile d’en chercher les raisons. Elles peuvent être multiples : il n’est pas toujours facile de savoir pourquoi un auteur suscite un engouement — parfois au-delà du raisonnable — à une époque pour tomber dans l’oubli quelques années plus tard. Entre le poète et son public se sont tissées des affinités parfois ténues et qu’il est délicat de percevoir à plus de quatre siècles de distance.
Il paraît légitime d’étudier La Sepmaine comme ressortissant à la tradition de l’ars memorativa. Le succès de ce poème à la fois didactique [13], apologétique [14] et encyclopédique [15] correspond en effet à la période de l’histoire occidentale où la mnémotechnie, héritée de l’Antiquité grecque, suscite un regain d’intérêt [16] qui précéda sa disparition pure et simple [17]. Ce n’est qu’au xxe siècle que l’on a compris l’importance culturelle de cette tradition, qui instaure une continuité entre l’Antiquité et le début des temps modernes à travers le Moyen Âge [18]. Les études pionnières de Ludwig Volkmann [19], Helga Hajdú [20], Paolo Rossi [21] et Cesare Vasoli [22] ont été reprises et dépassées dans le maître-livre de Frances A. Yates, The Art of Memory [23]. Plusieurs ouvrages ou articles ont, depuis, prolongé le sillon ouvert par Yates ou sont franchement partis défricher de nouvelles terres [24].
Si l’on postule que l’ars memorativa joue dans La Sepmaine un rôle important [25], on pourra considérer qu’il emprunte au moins deux vecteurs : en premier lieu, l’adjectif ou, plus largement, le prédicat, qui enferme en un mot, en une formule, la caractéristique remarquable d’une plante ou d’un animal et permet une mémorisation facile [26]. Soient les trois vers suivants, qui décrivent des reptiles :
VI, v. 175-177Le Stinc Alexandrin, et le Cenchre endormant
Le Ceraste cornu, le Chellydre fumant
L’esmaillé Scorpion, et la Dipse alterante.
Un bestiaire semblable se trouvait chez Rabelais (Quart livre, chap. LXIV), mais, alors que celui-ci, sensible au cliquetis des mots, déroule une liste de noms, Du Bartas donne des informations. En trois vers, ce ne sont pas moins de six créatures qui sont détaillées. « Stinc Alexandrin » se contente de renvoyer à l’habitat de l’animal (voir Pline l’Ancien, Histoire naturelle, VIII, 38). « Ceraste cornu » condense ce qu’il faut savoir de ce reptile, toujours d’après Pline (VIII, 35). Le « Chellydre fumant » renvoie aussi bien à Virgile (Géorgiques, II, v. 214-216) qu’à Lucain (Pharsale, IX, v. 711). « L’esmaillé Scorpion » a posé des problèmes aux commentateurs. Simon Goulart observe un silence prudent et inhabituel [27] et Yvonne Bellenger y voit une coquille [28]. En fait, l’origine de cet adjectif esmaillé doit à nouveau être recherchée chez Pline (XI, 25 : « Venenum ab iis candidum fundi Apollodorus auctor est, in novem genera discriptis per colores »). Quant à la « Dipse alterante », elle vient de Lucain (IX, v. 718) et se retrouvera chez Aubigné (Tragiques, « Misères », v. 933). À propos du scorpion, toujours, il est question, dans La Sepmaine, du « madré Scorpion » (III, v. 604), adjectif qui condense en un seul mot tout un développement de Pline [29].
En second lieu, il convient d’examiner la place des images, à la fois images au sens rhétorique (comparaisons, métaphores [30]) et images au sens pictural, puisque la mémoire est sollicitée par l’intermédiaire d’imagines agentes, d’images frappantes. Ces deux acceptions ne sont d’ailleurs pas mutuellement exclusives et il se peut fort bien qu’une métaphore revête un caractère nouveau et surprenant, propre à se graver dans l’esprit du lecteur.
L’art de la mémoire, fondé sur un ordre et des lieux inscrits dans l’espace, a trouvé une de ses expressions les plus réussies dans le theatrum de Guilio Camillo (1550) [31], où le spectateur se tient sur la scène et contemple les gradins, embrassant « la totalité des imagines — constituant la réplique de la totalité de l’univers — dans un mouvement circulaire [32] ». De manière semblable, le poète (et, partant, son lecteur) de La Sepmaine se tient à côté de Dieu et assiste à la Création au fur et à mesure de son déroulement, comme il regarderait le theatrum de Camillo en l’explorant de gauche à droite. La répartition de la matière encyclopédique en différents loci s’opérait naturellement, dans le cadre fourni par la tradition hexamérale, par la Genèse, à travers les traités de saint Basile et saint Ambroise, familière au lecteur. On pourra même se demander si, contrairement à l’Antiquité et au Moyen Âge qui classaient les loci selon un ordre architectural ou topographique (la Divine comédie reproduit dans l’espace les catégories de la théologie médiévale [33]), Du Bartas ne met pas en oeuvre un ars memorativa chronologique, fondé sur les différentes étapes de la Création et leur succession [34]. Sa poétique cherche à cataloguer une immense matière scientifique, pour en faciliter la mémorisation.
L’image, qu’elle soit comparaison ou métaphore, rebattue ou inouïe, est au coeur de La Sepmaine, car « Dieu qui ne peut tomber és lourds sens des humains, / Se rend comme visible és oeuvres de ses mains » (I, v. 129-130). On accède à Dieu par ses oeuvres, selon le principe paulinien [35]. Les images auront donc une fonction pédagogique (puisque le propos du poème est ouvertement didactique [36]), mais également heuristique : elles rendront visibles les secrets de Dieu, les arcanes de la Création. Lorsque Du Bartas écrit que :
I, v. 135-154Vraiment cest univers est une docte eschole
Où Dieu son propre honneur enseigne sans parole.
Une vis à repos, qui par certains degrez
Fait monter nos esprits sur les planchers sacrez
Du ciel porte-brandons : une superbe sale
Où Dieu publiquement ses richesse estale :
Un pont, sur qui l’on peut, sans crainte d’abysmer,
Des mysteres divins passer la large mer.
Le monde est un nuage à travers qui rayonne
Non le fils tire-traits de la belle Latone :
Ains ce divin Phoebus, dont le visage luit
A travers l’espesseur de la plus noire nuict.
Le monde est un theatre, où de Dieu la puissance,
La Justice, l’Amour, le Sçavoir, la Prudence,
Jouent leur personnage, et comme à qui mieux mieux,
Les esprits plus pesans ravissent sur les cieux.
Le monde est un grand livre, où du souverain maistre
L’admirable artifice on lit en grosse lettre.
Chasque oeuvre est une page, et chaque sien effect
Est un beau charactere en tous ses traits parfaict [37].
Il ne recherche pas l’originalité : éléments d’architecture (salle, pont), théâtre [38], livre [39], etc. sont autant d’images topiques que l’anaphore « le monde est… » contribue à actualiser. C’est ici qu’est perceptible l’aurea catena reliant le xvie siècle finissant à l’Antiquité. Mais Montaigne qui, à bien des égards, marque le plus nettement la rupture entre l’ordre ancien et le nouveau [40], ne dira pas autre chose ni autrement :
Car ce monde est un temple tressainct, dedans lequel l’homme est introduict pour y contempler des statues, non ouvrées de mortelle main, mais celles que la divine pensée a faict sensibles : le Soleil, les estoilles, les eaux et la terre, pour nous representer les intelligibles. Les choses invisibles de Dieu, dit saint Paul, apparoissent par la creation du monde, considerant sa sapience eternelle et sa divinité par ses oeuvres [41].
Dans la succession hexamérale, les images expriment la sainteté du monde.
Au long de ses annotations, qui font figure de commentaire autorisé par le poète [42], Simon Goulart ne manque pas d’attirer l’attention de son lecteur, soit par des manchettes en regard du texte [43], soit par des observations plus développées : au vers 135 de la première journée (« Vraiment cest univers est une docte eschole »), il signale « diverses comparaisons qui monstrent de quoy doit servir aux Chrestiens la consideration des oeuvres de Dieu en ce grand Univers [44] ». Un des intérêts de ce commentaire est qu’il nous renseigne sur les attentes, les perplexités ou les admirations des lecteurs du temps. Il n’est pas rare que Goulart mette en valeur une comparaison, une métaphore, qui lui paraissent particulièrement bienvenues, et nous éclaire utilement, dès lors, sur la lecture du texte. En revanche, le commentaire devient acerbe si le commentateur n’apprécie pas une image : que le poète s’avise de comparer le monde en train de prendre forme à la courtisane Laïs (II, v. 215-220) n’est pas du goût de l’austère pasteur, qui manifeste alors son désaccord [45]. On le devine toutefois, c’est en général l’enthousiasme qui prédomine.
Gardons-nous bien de déduire quoi que ce soit à partir de faits qui peuvent n’être que conjoncturels, mais n’est-il pas étonnant de constater que, souvent, les images particulièrement développées, presque autonomes, dont s’orne La Sepmaine, constituent d’authentiques morceaux de bravoure, admirés par Goulart et reproduits dans nos modernes anthologies ? J’en prendrai pour exemple deux passages tirés de l’oeuvre. Le premier est une métaphore du monde comme boule de cire :
II, v. 189-198Quiconque a remarqué comme une seule masse
De cire peut changer cent et cent fois de face,
Sans croistre ni decroistre : il comprend aisement
De ce bas univers l’assidu changement.
La matiere du monde est ceste cire informe,
Qui prend, sans se changer, toute sorte de forme :
La forme est le cachet : et le grand Dieu vivant
Le juste Chancelier, qui nuict et jour gravant
Ses grands et petits seaux dans ce corps si muable,
Rend une mesme masse or’ vile, or’ honorable.
Descartes s’en servira également, mais dans un tout autre contexte [46]. Goulart ne se fait pas faute de gloser ces vers et ceux qui suivent :
[…] par une similitude de propre, il monstre le changement continuel du monde, en la matiere et en la forme d’iceluy, selon qu’il plaist à Dieu, en telle sorte neantmoins que la matiere demeure encores qu’elle prenne une infinité de formes. Autres comparaisons à ce propos [47].
On observera — peut-être n’est-ce pas une coïncidence — que la cire est souvent employée comme image de la mémoire, tablette sur laquelle la vie, l’expérience ou les lectures impriment leur marque [48].
Second exemple, au quatrième jour de La Sepmaine, la comparaison du ciel étoilé avec un paon faisant la roue est justement fameuse [49] :
IV, v. 171-184Comme un paon, qui navré du piqueron d’amour,
Veut faire, piafard, à sa dame la cour,
Estaler tasche en rond les tresors de ses ailes
Peinturées d’azur, marquetées d’estoilles,
Rouant tout à l’entour d’un craquetant cerceau,
Afin que son beau corps paroisse encor plus beau :
Le Firmament atteint d’une pareille flamme
Desploye tous ses biens, rode autour de sa dame,
Tend son rideau d’azur de jaune tavelé,
Houpé de flocons d’or, d’ardans yeux piolé,
Pommelé haut et bas de flambantes rouelles,
Moucheté de clers feux, et parsemé d’estoilles,
Pour faire que la terre aille plus ardemment
Recevoir le doux fruict de son embrasement [50].
Devant ce faste verbal, le commentaire de Goulart est d’un terne prosaïsme, se contentant de souligner l’excellence de Du Bartas :
[…] le poete descrit en termes tres-elegans la sympathie et amour mutuelle du ciel et de la terre, pour servir au bien de l’homme, et à la gloire du Createur : par une elegante comparaison prise du Paon, lequel est tiré au vif par Pline, peintre de nature. […] Ce passage […] est un trait de chef d’oeuvre poetique, auquel seul si toutes les rimes d’infinis rimailleurs François sont rapportées, elles se trouveront vuides de toute grace [51].
Cette image magnifique a frappé les esprits et bénéficié d’une certaine postérité. À elle seule, elle nous renseigne sur l’esprit général de l’encyclopédie bartasienne, où le monde n’est pas une oubliette au fond de laquelle croupit l’homme exilé, mais un reflet de la splendeur divine dont il importe, à travers les images, de ressaisir l’original. On ne sera pas surpris d’apprendre que, comme la cire, le paon fait partie du fonds des représentations mnémotechniques [52].
Outre les textes brièvement convoqués ci-dessus, il conviendrait de dresser un répertoire des images de La Sepmaine : tâche à coup sûr ardue, mais ô combien profitable [53], puisqu’elle permettrait de préciser les liens entre le poème de Du Bartas et les recueils d’emblèmes. L’image est au coeur de l’encyclopédie bartasienne et il n’est guère surprenant que Du Perron ait choisi ce terrain pour porter ses attaques [54]. Les images ont une fonction peut-être récréative (au moins pour la longue comparaison qui ouvre le septième jour), en tout cas pédagogique, heuristique et mnémotechnique. Mais elles jouent encore un autre rôle, qui englobe et dépasse en même temps ces différentes fonctions. Ce jeu complexe de métaphores et de comparaisons paraît être une tentative — non la dernière mais, sans doute à cette époque, la plus aboutie (à preuve son succès) — pour réunir par les mots ce que le progrès scientifique dissociait irrésistiblement : Dieu et le monde [55]. Ces deux domaines acquerraient leur progressive autonomie. Bientôt, on pourra décrire le monde comme une grande horloge, sans parler de Dieu. Les tentatives, comme celle de Lambert Daneau (ca 1530-1595), pour constituer une physica christiana [56], semblent condamnées dès les années 1580. Dans les premières décennies du xviie siècle, un jésuite comme le Père Étienne Binet (1569-1639) refera de la nature un théâtre de Dieu, un réservoir de merveilles, de figures et d’images pour le prédicateur. Comme La Sepmaine, qu’il appréciait, son encyclopédie rhétorique recherche et retrouve les signes de Dieu dans le monde. Mais il était trop tard [57].
Appendices
Notice biobibliographique
Gilles Banderier
Docteur ès lettres, coéditeur de La Lyre jésuite. Anthologie de poèmes latins (préface de Marc Fumaroli, de l’Académie française, Genève, Droz, 1999), collaborateur des Year’s Work in Modern Language Studies (2003-2006) et de la Modern Language Association Bibliography (2004), Gilles Banderier s’intéresse aux rapports entre littérature, théologie et histoire des idées. On lui doit la découverte de plusieurs inédits d’Agrippa d’Aubigné, des rééditions de textes anciens (Desmarets de Saint-Sorlin, Marie-Madeleine ou le triomphe de la grâce, Grenoble, J. Millon, 2001 ; Hédelin d’Aubignac, Des Satyres brutes, monstres et démons, Grenoble, J. Millon, 2003 ; La Création. Poème hexaméral anonyme du xvie siècle, Presses de l’Université Laval, 2007 ; dom Cathelinot O.S.B., Réflexions sur le « Traité des apparitions » de dom Calmet, Grenoble, J. Millon, 2008 ; La Chapelle, Mémoires pour servir à l’histoire de la vie d’Agrippa d’Aubigné, Paris, Honoré Champion, 2008), ainsi que de nombreux articles, notes et comptes rendus sur la littérature française d’Ancien Régime, en particulier la poésie baroque, la réception européenne de Du Bartas ou l’érudition bénédictine au Siècle des Lumières.
Notes
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[1]
Je suis heureux de remercier madame le professeur Colette H. Winn, qui m’a permis de revenir (fût-ce de manière imparfaite) sur une question qui semble importante, ainsi que madame le professeur Roxanne Roy, directrice adjointe de Tangence, à qui j’ai bien involontairement donné un gros travail de mise en forme, sans oublier les deux anonymes lecteurs qui ont bien voulu examiner mon article en faisant alterner l’éloge et le blâme. Je regrette de n’avoir pas pu y inclure toutes leurs judicieuses remarques.
-
[2]
Le discrédit jeté par un artiste comme Baudelaire sur la poésie didactique a joué un rôle en ce sens : « Mais il est une autre hérésie, qui, grâce à l’hypocrisie, à la lourdeur et à la bassesse des esprits, est bien plus redoutable et a des chances de durée plus grandes — une erreur qui a la vie dure, — je veux parler de l’hérésie de l’enseignement, laquelle comprend comme corollaires inévitables, l’hérésie de la passion, de la vérité et de la morale » (« Notes nouvelles sur Edgar Poe », 1857, préface aux Nouvelles histoires extraordinaires, chronologie et introduction par Roger Asselineau, Paris, Flammarion, coll. « GF », 1984, p. 42).
-
[3]
Enlisé dans sa Sepmaine, poème encyclopédique, cosmogonique et biblique, le huguenot Salluste Du Bartas prétend évoquer avec le tableau de la Création, les trois règnes de la Nature. Prodigue d’épithètes en noms composés, l’auteur entasse en ses lourds alexandrins tant de noms d’animaux que Simon Goulart y doit adjoindre force notes explicatives.
Paul Delaunay, dans René Taton (sous la dir. de), Histoire générale des sciences, Paris, Presses universitaires de France, 1958, t. II, p. 10 -
[4]
L’oeuvre de Du Bartas a été victime à la fois du progrès des sciences et du changement du goût littéraire. Elle a sans doute, pour toujours, cessé de plaire.
Jean Dagens, « Du Bartas humaniste et encyclopédiste dévot », Cahiers de l’Association internationale des études françaises, Paris, vol. 10, 1958, p. 24 -
[5]
The Works of Guillaume de Salluste sieur Du Bartas, édité par Urban T. Holmes, John C. Lyons et Robert W. Linker, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1935-1940 [Genève, Slatkine, 1977], 3 vol.
-
[6]
Henri-Jean Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au xviie siècle (1598-1701), Genève, Droz, 1969, t. I, p. 377-378. Dans L’apparition du livre, Lucien Febvre et Henri-Jean Martin évaluent la moyenne d’un tirage au xvie siècle entre mille et mille cinq cents exemplaires (Paris, Albin Michel, 1971, p. 310). Même estimation dans l’article de Henri-Jean Martin, « Ce qu’on lisait à Paris au xvie siècle », Bibliothèque d’Humanisme et Renaissance, Genève, vol. 21, no 1, 1959, p. 223.
-
[7]
Henri-Jean Martin, ouvr. cité, t. I, p. 376, qui rappelle que c’était souvent le même ouvrier qui devait composer tout un ouvrage. On pense aussitôt aux monumentaux in-folio latins de théologie, avec commentaires sur deux colonnes.
-
[8]
Il compte un peu moins de six mille cinq cents vers.
-
[9]
Je citerai ces commentaires d’après l’édition suivante, indiquée désormais par le sigle S, suivi de la page : Premiere Sepmaine ou Creation du monde de Guillaume de Saluste, Seigneur Du Bartas. Reveuë, augmentée, et embellie en divers passages par l’Autheur mesme, Rouen, Theodore Reinsart, 1602. Les citations de La Sepmaine seront également tirées de cette édition et seront précisées par la journée en chiffre romain, suivi du vers ou des vers, dans le corps du texte entre parenthèses. Sur cet éditeur, consulter l’étude de Denis Pallier, « La firme plantinienne et le marché français pendant la Ligue : les voyages du libraire Théodore Reinsart en France (1591-1596) », Liber amicorum Leon Voet, Anvers, Vereeniging der Antwerpsche bibliophielen, 1985, p. 117-135.
-
[10]
Dans l’édition Reinsart de 1602, La Sepmaine et son commentaire n’occupent pas moins de huit cents pages.
-
[11]
« Les pilastres et frontispices des boutiques allemandes, polaques, espagnoles, se sont enorgueillis de son nom, joint avec ces divins héros, Platon, Homère, Virgile » (Gabriel de Lerm, préface à l’Hebdomas, traduction latine de La Sepmaine, 1583). Sur cette diffusion, voir mon article « Enjeux linguistiques et idéologiques des traductions de Du Bartas (1579-1650) », Neuphilologische Mitteilungen, Helsinki, vol. 106, no 3, 2005, p. 337-348.
-
[12]
Consulter les études de Henry Méchoulan, « Francisco de Caceres, traducteur juif espagnol de La Sepmaine de Guillaume de Salluste Du Bartas », Estudos portugueses. Homenagem a António José Saraiva, Lisbonne, Ministerio da Educação, Instituto de Cultura e Lingua Portuguesa, 1990, p. 133-149 et « La Sepmaine au secours de l’orthodoxie juive à Amsterdam au début du xviie siècle », dans James Dauphiné (sous la dir. de), Du Bartas (1590-1990), Mont-de-Marsan, Éditions interuniversitaires, 1992, p. 427-445.
-
[13]
Du Bartas « a lu tout ce que les encyclopédistes de l’Antiquité gréco-latine ont consigné sur leurs fiches. Il est au courant des observations et des hypothèses des physiciens de son temps. Il a extrait les journaux de voyage des navigateurs qui peu à peu ont dévoilé le vrai visage de la terre » (Albert-Marie-Schmidt, Poètes du xvie siècle, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1985, p. 754).
-
[14]
[…] ma seconde Sepmaine n’est (aussi peu que la premiere) un oeuvre purement Epique, ou Heroyque, ains en partie Panegirique, en partie Prophetique, en partie Didascalique.
Du Bartas, Brief Advertissement de la Sepmaine, édition établie, présentée et annotée par Yvonne Bellenger, Paris, Société des Textes Français Modernes, 1981, t. II, p. 346 -
[15]
[…] car ayant à traiter par occasion, de la nature de toutes les choses qui sont au monde, afin qu’avecques plus grand ravissement, le Lecteur apprehendast l’infinie sagesse de l’ouvrier, mon livre eust esté aussi grand que le monde, si je n’eusse trouvé les adresses et sentiers pour parvenir bien tost où je voudroy.
Du Bartas, Brief Advertissement, ouvr. cité, t. II, p. 351 -
[16]
[…] au xve et au xviie siècles et depuis longtemps, l’art de la mémoire n’était plus seulement l’affaire de l’orateur : il concernait l’écrivain, le peintre, le philosophe, l’homme politique même et le croyant.
Daniel Arasse, « Ars memoriae et symboles visuels : la critique de l’imagination et la fin de la Renaissance », Symboles de la Renaissance, Paris, Presses de l’École normale supérieure, 1980, t. I, p. 57 -
[17]
Jörg Jochen Berns et Wolfgang Neuber, « Mnemonik zwischen Renaissance und Aufklärung. Ein Ausblick », dans Jörg Jochen Berns et Wolfgang Neuber (sous la dir. de), « Ars memorativa ». Zur kulturgeschichtlichen Bedeutung der Gedächtniskunst (1400-1750), Tübingen, Niemeyer, coll. « Frühe Neuzeit », no 15, 1993, p. 373-385.
-
[18]
La mémoire jouait également un rôle dans la vie intérieure des fidèles : « Etiam cum abest codex manibus, tamquam animantia […] etiam quando non pascuntur ruminare consuerunt, ex semetipsis alimenta sibi recondita proferentia, ita et nos de memoriae nostrae thesauro, de interioribus nostris ruminandum nobis pabulum spiritale promamus » (saint Ambroise, cité par Jacques Fontaine, Naissance de la poésie dans l’Occident chrétien, Paris, Études augustiniennes, 1981, p. 131, n. 217).
-
[19]
Ludwig Volkmann, Bilderschriften der Renaissance. Hieroglyphik und Emblematik in ihren Beziehungen und Fortwirkungen, Leipzig, Karl W. Hiersemann, 1923 (réimpr. 1969).
-
[20]
Helga Hajdú, Das menemotechnische Schrifttum des Mittelalters, Vienne, F. Leo, 1936 et Francfort, Minerva, 1992.
-
[21]
Paolo Rossi, « La costruzione delle immagini nei trattati di memoria artificiale del Rinascimento », dans Enrico Castelli (sous la dir. de), Umanesimo e Simbolismo, Padoue, CEDAM, 1958, p. 161-178 ; « Clavis universalis ». Arti mnemoniche e logica combinatoria da Lullo a Leibniz, Milan-Naples, Ricciardi, 1960 et Bologne, Il Mulino, 1983.
-
[22]
Cesare Vasoli, « Umanesimo e simbologia nel primi scritti lulliani e mnemotecnici del Bruno », dans Enrico Castelli (sous la dir. de), Umanesimo e Simbolismo, ouvr. cité, p. 251-304.
-
[23]
Frances A. Yates, The Art of Memory, Londres, Routledge et Kegan, 1966.
-
[24]
Une bibliographie des sources a été établie par Jörg Jochen Berns et Wolfgang Neuber, « Ars memorativa. Eine Forschungsbibliographie zu den Quellenschriften der Gedächtniskunst von den antiken Anfängen bis um 1700 », Frühneuzeit-Info, Francfort, vol. 3, no 1, 1992, p. 65-87. On signalera les livres de Mary J. Carruthers, The Book of Memory. A Study of Memory in Medieval Culture, Cambridge, Cambridge University Press, coll. « Cambridge Studies in Medieval Literature », no 10, 1990 ; Lina Bolzoni et Pietro Corsi (sous la dir. de), La Cultura della memoria, Bologne, Il Mulino, 1992 ; Lina Bolzoni, La Stanza della memoria. Modelli letterari e iconografici nell’età della stampa, Turin, Einaudi, 1995 ; Sabine Heimann-Seelbach, Ars und scientia. Genese. Überlieferung und Funktionen der mnemotechnischen Traktatliteratur im 15. Jahrhundert, Tübingen, Niemeyer, coll. « Frühe Neuzeit », no 58, 2000 ; et Daniel Russell, « Montaigne et la fin de la mémoire », dans Noël Peacock et James J. Supple (sous la dir. de), Lire les « Essais » de Montaigne, actes du colloque de Glasgow 1997, Paris, Honoré Champion, 2001, p. 311-323.
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[25]
Signalons dès à présent un vibrant los de la mémoire dans La Sepmaine (VI, v. 775-788).
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[26]
Développer cette théorie demanderait beaucoup de temps et de place. Je me contente d’analyser un bref passage, en espérant pouvoir revenir sur tout cela le moment venu.
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[27]
Il cite Pline, Dioscoride, Jacques Grévin, mais n’explique pas cet adjectif.
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[28]
Toutes les éditions que nous avons consultées donnent L’esmaillé Scorpion. Ne faut-il pas croire à une faute de lecture répétée d’un imprimeur à l’autre ? Le Scorpion, en effet, n’est pas un animal particulièrement coloré.
Yvonne Bellenger, dans son édition du Brief Advertissement, ouvr. cité, t. II, p. 258 -
[29]
Quidam et ab ipsis fetum devorati arbitrantur ; unum modo relinqui sollertissimum et qui se ipsius matris clunibus inponendo tutus et a cauda et a morsu loco fiat.
Pline l’Ancien, Histoire naturelle, XI, 25 -
[30]
Il n’est pas rare que Goulart prenne soin de les signaler (S, p. 236, p. 390-391, p. 516, etc.).
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[31]
Sur cette oeuvre, on consultera, outre Frances A. Yates, The Art of Memory, ouvr. cité, p. 129-172, l’article de Jean-Claude Margolin, « Le théâtre de mémoire de Giulio Camillo : récapitulation des connaissances acquises, ou instrument heuristique de connaissances nouvelles ? », dans Annie Becq (sous la dir. de), L’encyclopédisme, actes du colloque de Caen (12-16 janvier 1987), Paris, Aux Amateurs de Livres, 1991, p. 459-481.
-
[32]
Louis Van Delft, « Une autre métamorphose du cercle. La structure des recueils moralistes », Il Prisma dei moralisti. Per il tricentenario di La Bruyère, Rome, Salerno, 1997, p. 430. Je remercie le professeur Van Delft de m’avoir communiqué ce remarquable travail.
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[33]
Harald Weinrich, La Memoria di Dante, Florence, Accademia della Crusca, 1994 ; Luigi De Poli, La structure mnémonique de la « Divine Comédie », Berne, Peter Lang, 1999.
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[34]
Dans le chant de La Seconde Sepmaine intitulé « Babylone » (1584), il décrira le Temple de l’Éloquence, construction architecturale qui ressemblera beaucoup à un ars memorativa spatial, dans le genre du theatrum de Camillo.
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[35]
En effet, depuis la création du monde, ses perfections invisibles, éternelle puissance et divinité, sont visibles dans ses oeuvres pour l’intelligence.
Romains, I, 20 -
[36]
I, v. 9-12O grand Dieu, donne moy que j’estale en mes vers / Les plus rares beautez de ce grand univers. / Donne moy qu’en son front ta puissance je lise : / Et qu’enseignant autruy moy-mesme je m’instruise.
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[37]
La dernière métaphore n’est pas sans évoquer ces lignes d’Alexandre Neckham : « Mundus ergo ipse, calamo Dei inscriptus, littera quaedam intelligenti repraesentans artificis potentiam cum sapientia ejusdem et benignitate. Sic autem totus mundus inscriptus est, ita totus littera est, sed intelligenti et naturas rerum investiganti, ad cognitionem et laudem Creatoris ». De Naturis Rerum, éd. R. W. Hunt, Oxford, 1936, p. 125 ; cité par Simone Viarre, « Le commentaire ordonné du monde dans quelques sommes scientifiques des xiie et xiiie siècles », dans R. R. Bolgar (sous la dir. de), Classical Influences on European Culture, Cambridge, Cambridge, University Press, 1971, p. 210, n. 5. La question d’une éventuelle influence des encyclopédistes médiévaux sur Du Bartas reste ouverte : ils n’étaient pas oubliés (à plusieurs endroits de ses commentaires, Goulart allègue le Speculum historiale de Vincent de Beauvais ; par exemple S, p. 197 et p. 202).
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[38]
Voir Philon d’Alexandrie, De opificio mundi, 78 ; et Calvin : « […] il est vrai que l’homme ne doit cesser toute sa vie de méditer de telles choses, s’exerçant journellement à considérer la bonté, justice, vertu et sagesse infinies de Dieu, en ce théâtre si magnifique du ciel et de la terre » (Commentaires sur l’Ancien Testament, texte établi par André Malet, avec la collaboration de Pierre Marcel et de Michel Reveillaud, Genève, Labor et Fides, 1961, t. I : Le livre de la Genèse, p. 43). On consultera avec intérêt les études de Lynda G. Christian, « Theatrum mundi ». The History of an Idea, New York et Londres, Garland, 1987 ; et Johann Drumbl, « Ludus jucundus, honestus, gravis, spectabilis. Die Metapher des Theatrum mundi bei Bernhard von Clairvaux », Aevum, Milan, vol. 72, 1998, p. 361-374.
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[39]
On pourra compléter l’enquête menée par Ernst Robert Curtius dans son ouvrage classique (La littérature européenne et le Moyen Âge latin, première édition allemande 1947, trad. Jean Bréjoux, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Agora », 1986, t. II, p. 5-76) par l’étude d’Eugenio Garin, « Alcune osservazioni sul libro come simbolo », dans Enrico Castelli (sous la dir. de), Umanesimo e Simbolismo, ouvr. cité, p. 91-102. Le livre du monde reviendra sous la plume de Milton, le plus illustre lecteur de La Sepmaine au xviie siècle (Paradise Lost, VIII, v. 66-69).
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[40]
Par exemple dans l’essai « Des coches » (Montaigne, Essais, éd. Villey-Saulnier, Paris, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », 1988, t. III, 6, p. 908-909). On se reportera utilement aux remarques de Jean Lafond, « Réflexions sur deux fins de siècle : les seizième et dix-septième siècles », dans Pierre Citti (sous la dir. de), Fins de siècles, actes du colloque de Tours (1985), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux, 1990, p. 127-138 (repris dans L’homme et son image. Morales et littérature de Montaigne à Mandeville, Paris, Honoré Champion, coll. « Lumière classique », no 13, 1996, p. 459-471).
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[41]
Montaigne, Essais, ouvr. cité, t. II, 12 p. 447. Montaigne allègue ici le passage déjà cité de l’Épître aux Romains, I, 20, tout en reprenant un passage du traité de Plutarque (traduit par Amyot) sur La tranquillité de l’âme. Voir Pierre de l’Ostal : « Si est ce que le monde, dit Plutarque, est un temple tressainct, où l’homme est introduit dès sa naissance, pour y contempler des statues non ouvrées ny taillées de mains d’hommes, qui n’ont ny vie ny mouvement ; mais celles que la divine pensée a faites sensibles, pour nous representer les intelligibles, aiant en elles le principe de mouvement et de vie » (L’Avant-victorieux, Orthez, Abraham Royer, 1610, p. 220-221).
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[42]
De même que le monde a besoin de l’hexaméron pour être compris, l’hexaméron semble avoir besoin du commentaire pour atteindre sa pleine efficacité.
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[43]
Les vers 123-128 du premier jour (« Car si les raiz aigus, que le clair soleil darde, / Esblouissent celui qui, constant, les regarde, / Qui pourra soustenir sur les cieux les plus clers / Du visage de Dieu les foudroyans esclers ? / Qui le pourra trouver separé de l’ouvrage, / Qui porte sur le front peinte au vif son image ? ») sont accompagnés de cette note marginale : « Belle comparaison » (S, p. 30).
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[44]
S, p. 30-31.
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[45]
S, p. 123.
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[46]
Consulter Gilles Banderier, « La rhétorique du monde. Deux motifs poétiques dans La Sepmaine de Du Bartas », Orbis Litterarum, Copenhague, vol. 49, 1994, p. 126-130 ; et les études de Michel Prieur, « La Cire de La Première Sepmaine : un événement philosophique », dans James Dauphiné (sous la dir. de), Du Bartas, poète encyclopédique du xvie siècle, actes du colloque de Pau, 7-9 mars 1986, Lyon, La Manufacture, 1988, p. 277-292 ; et de Jean Deprun, « D’Ovide à Descartes : Médée et le morceau de cire », dans Wolfgang Leiner et Pierre Ronzeaud (sous la dir. de), Correspondances. Mélanges offerts à Roger Duchêne, Tübingen, Gunter Narr, 1992, p. 73-79. M. Deprun qualifie le texte de Du Bartas de « vraie passerelle abaissée entre Ovide et Descartes » (p. 78). Dans la seconde Méditation de Descartes, la cire est le symbole de la permanence, alors qu’elle exprimait avant la fugacité.
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[47]
S, p. 119 (manchette).
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[48]
Voir Gilles Banderier, « Impressions de Montaigne », Francofonia, Florence, vol. 26, 1994, p. 113-124. La « cire de la mémoire » est une image courante dans la Divine Comédie : Purgatoire, XXXIII, v. 73-81 ; Paradis, VIII, v. 127-129 (Yvonne Batard, Dante, Minerve et Apollon. Les images de la « Divine Comédie », Paris, Les Belles Lettres, 1952, p. 366 ; Luigi De Poli, La structure mnémonique, ouvr. cité, p. 164-167). Baudelaire s’en servira encore : « Il faut ajouter qu’un poème trop court, celui qui ne fournit pas un pabulum suffisant à l’excitation créée, celui qui n’est pas égal à l’appétit naturel du lecteur, est aussi très défectueux. Quelque brillant et intense que soit l’effet, il n’est pas durable ; la mémoire ne le retient pas ; c’est comme un cachet qui, posé trop légèrement et trop à la hâte, n’a pas eu le temps d’imposer son image à la cire » (« Notes nouvelles sur Edgar Poe », préface aux Nouvelles histoires extraordinaires, ouvr. cité, p. 42).
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[49]
L’association de l’« universel spectacle » et du paon (mais qui n’est que le symbole traditionnel de la vanité) se trouvait déjà dans la Délie de Maurice Scève (dizain CCCIII et emblème). On trouvera un dossier dans « La rhétorique du monde », art. cité, p. 130-133 et Gilles Banderier, « L’image du paon (Sepmaine, IV, 171-184) chez les continuateurs de Du Bartas », Nouvelle Revue du xvie siècle, Paris, vol. 14, no 1, 1996, p. 77-89. On peut se demander si ce passage n’affleure pas à la mémoire de Martial de Brive, lorsqu’il évoque les « Poincts de lumiere, cloux dorez / Que le Ciel porte sur sa roüe » (Oeuvres poétiques et saintes [1653], texte présenté par Anne Mantero, Grenoble, Jérôme Millon, 2000, p. 69).
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[50]
Ces vers ont été repris par Jean Rousset dans son Anthologie de la poésie baroque française (Paris, Joseph Corti, 1988, t. II, p. 43) et par Gérard Macé dans la Nouvelle Revue française, vol. 307, 1er août 1978, p. 186-192.
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[51]
S, p. 395.
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[52]
Roland Bechmann, « La mnémotechnique des constructeurs gothiques », Pour la Science, Paris, vol. 158, décembre 1990, p. 98-104.
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[53]
Bruno Braunrot observe justement : « Se méfiant des images considérées comme sacrilèges, dénonçant le caractère sensuel du rituel catholique, la Réforme leur substitue une attitude d’austérité qui présuppose chez l’homme une appréhension au contraire tout abstraite du divin. Aussi l’étude de l’importance que Du Bartas accorde au familier et au concret mène-t-elle à considérer son poème comme une création essentiellement paradoxale » (L’imagination poétique chez Du Bartas, Chapel Hill, University of North Carolina Press, 1973, p. 132).
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[54]
« Barthas est un fort méchant Poëte, et a toutes les conditions qu’un tres-mauvais Poëte doit avoir, en l’invention, la disposition, et l’élocution. Pour l’invention, chacun sçait qu’il ne l’a pas, et qu’il n’a rien à luy, et qu’il ne fait que raconter une histoire ; ce qui est contre la Poësie, qui doit envelopper les histoires de fables, et dire toutes choses que l’on n’attend et n’espere point. Pour la disposition, il ne l’a pas non plus, car il va son grand chemin, et ne suit aucune regle établie par ceux des Anciens qui ont écrit. Pour l’élocution, elle est tres-mauvaise, impropre en ses façons de parler, impertinente en ses metaphores, qui pour la pluspart ne se doivent prendre que des choses universelles, ou si communes qu’elles ayent passé comme de l’espece au genre, comme le Soleil, mais luy au lieu de dire, le Roy des lumieres, il dira le Duc des Chandelles ; au lieu de dire les Coursiers d’Eôle, il dira ses postillons, et se servira de la plus sale et vilaine Metaphore, que l’on puisse imaginer, et décend toûjours du genre à l’espece, qui est une chose fort vicieuse. Il y a beaucoup de choses qui sont si communes qu’elles sont passées en genre, neanmoins Cicéron dit qu’il aimeroit mieux dire voraginem malorum, que charibdim malorum » (Perroniana et Thuana. Editio tertia, Cologne, G. Scagen, 1691, p. 28-29 et Amsterdam, Covens et Mortier, 1740, p. 107-108). Il est intéressant de rapprocher les critiques de Du Perron du paragraphe « Quae Metaphorae sunt vitiosae » de la Rhetorica du jésuite Cyprien Soarez (1re édition parue à Coïmbre en 1560) : « 1. Ab re quapiam humiliore, abjecta et sordida ductae, ut : saxeae mundi verrucae pro rupibus. Jupiter hyberna nive conspuit Alpes. Nec illa Tertulliani probatur, qua diluvium generale mundi lixivium vocavit. Nec si Consulem dicas aurigam civitatis, Mare offam Neptuni ; laetitiae butyrum ; ingenii vomerem ; concionatorem sistrum divini Spiritus. 2. Longe a re audienti incognita petitae, ut : syrtis, charybdis patrimonii ; notior enim foret vorago. Sic ruri cavebis hominem instabilem Vertumnum, vel puellam lascivam Sirenem, vel garrulum Architae crepitaculum dicere. Nisi explices, non intelligere. 3. Nimium dissimiles, ut ingentes caeli fornices, sphaericum coelum cum fornice arcuata nihil habet similitudinis. Tales erunt : Corpus, animae vagina ; peroratio, cauda orationis ; Rhenus exundans, hydropicus ; culti mores, arati, occati, etc. 4. Si immodicae et Poëticae, ut : meditantia caedem arma ; volucres pennis remigantes, Aquilo Tyrrhenum equitans, et illud Mecoenatis : Quid purius amne sylvisque ripa comantibus ? Vide, ut alveum lintribus arent ? etc. Haec sunt vulgaria Metaphorae vitia ; vitiosissima vero erit, si perfrequens, et in quamvis fere periodum intrusa fuerit » (Institutiones oratoriae et poeticae, Augustae Vindelicorum [=Augsbourg], M. Rieger, 1779, p. 78).
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[55]
Sur les tensions qui parcoururent la fin du xvie siècle et le début du suivant, voir notamment Antoine Adam, Sur le problème religieux dans la première moitié du xviie siècle, Oxford, Clarendon Press, 1959 ; et Jean Mesnard, « Culture et religion au xviie siècle », La culture du xviie siècle. Enquêtes et synthèses, Paris, Presses universitaires de France, 1992, p. 111-121.
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[56]
Les commentaires de Goulart montrent que celui-ci caressait une idée identique : à propos des v. 751-753 du deuxième jour, le pasteur genevois écrit qu’« en peu de vers nostre auteur monstre quel fruit les lecteurs doyvent cueillir de la doctrine des meteores, et presente une Physiologie vrayment Chrestienne » (S, p. 194). Ailleurs : « Le poete propose, ou pose les fondemens d’une physiologie Chrestienne, aprenant aux lecteurs à considerer d’un oeil espuré par la foy les creatures de Dieu. […] Cette physiologie est digne de tous Chrestiens, tres-utile et necessaire aux Theologiens : et dedans les livres des anciens docteurs, nommement de Chrysostome, il y en a des fragmens espars, pleins de singuliere instruction. Il reste que quelqu’un prene la peine de bien recueillir des livres Prophetiques et Apostoliques, puis des autres doctes personnages venus apres, cette physiologie […]. Mais contentons-nous pour le present de ce que le poete nous en propose » (S, p. 764).
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[57]
Cet article condense deux études antérieures : « Une Poétique de l’encyclopédie. Sciences et transmission du savoir dans La Sepmaine de Du Bartas », dans Marie Roig Miranda (sous la dir. de), La transmission du savoir dans l’Europe des xvie et xviie siècles, Paris, Honoré Champion, 2000, p. 239-264 ; et « Images, memoria et encyclopédie dans La Sepmaine de Du Bartas (1578) », Cahiers Diderot, Le Mesnil-Brout, vol. 13, 2003, p. 33-48.