Abstracts
Résumé
Au cours de la décennie précédente, les technologie numériques ont été utilisées par Hollywood comme arguments pour remporter la guerre contre les petits écrans (télévisions, tablettes numériques, smartphones, etc.) et les plateformes numériques naissantes. Parmi ces technologies, le cinéma en relief (3D) et la performance capture ont été employés dans de nombreux films pour accentuer le caractère monumental du spectacle hollywoodien et plonger les spectateurs dans leurs mondes diégétiques, notamment en tentant de faire disparaitre le plus possible le cadre matériel de l’écran. Le texte qui suit met en exergue l’utilisation de ces technologies dans Les Aventures de Tintin : Le Secret de la Licorne (Steven Spielberg, 2011) et Hugo Cabret (Martin Scorsese, 2011) à la suite du succès colossal d’Avatar (James Cameron) en 2009. Il propose d’étudier comment Spielberg et Scorsese ont travaillé cette idée de disparition du cadre de manière tout particulièrement cinéphile.
Mots-clés :
- technologie numérique,
- 3D,
- cadre,
- cinéphile,
- performance capture,
- Cameron,
- Scorsese,
- Spielberg,
- Avatar,
- Hugo Cabret,Tintin
Abstract
In the past decade, digital technology has been used by Hollywood as arguments to win the war against the smaller screens (TVs, tablet computers, smartphones, etc.) and the emerging streaming platforms. Among these technologies “3D” and “performance capture” have been employed in many movies in order to enhance the dramatic and spectacular power of films and immerse the audience into their diegetic worlds, especially by trying to make the frame disappear the more they could. The following text argues about the use of these technologies in The Adventures of Tintin: The Secret of the Unicorn (Steven Spielberg, 2011) and Hugo Cabret (Martin Scorsese, 2011) following the huge success of James Cameron’s Avatar in 2009. It focuses on how Spielberg and Scorsese managed to work this idea of disappearance of the frame with a pure cinephile style.
Keywords:
- digital technology,
- 3D,
- frame,
- cinephile,
- performance capture,
- Cameron,
- Scorsese,
- Spielberg,
- Avatar,
- Hugo Cabret,Tintin
Article body
Le texte qui suit aborde Les Aventures de Tintin : Le secret de la Licorne (The Adventures of Tintin : The Secret of the Unicorn, Steven Spielberg, 2011) et Hugo Cabret (Hugo, Martin Scorsese, 2011) dans le prolongement d’une mise au point sur les possibilités et problématiques qu’engendre l’ère du numérique par rapport au spectacle hollywoodien traditionnel. Pour cette mise au point, nous nous concentrons avant toute chose sur l’idée de dévoration du cadre[1] relative – directement et indirectement, nous le montrerons – aux technologies numériques que sont la 3D immersive et la performance capture, deux techniques préexistantes mais popularisées par le succès d’Avatar (James Cameron) en 2009. Pour ce faire, nous proposons le concept d’une « guerre du cadre » comme écho du conflit des années 1950 qui a vu la télévision affronter le cinéma dans les années 2000, les plateformes numériques utilisables sur téléphones, tablettes, ordinateurs et Home Cinema offrant une concurrence féroce aux salles. Cette guerre du cadre engendre naturellement celle des formats. Cet article vise à montrer que ces technologies, 3D comme figure de proue, ont été des arguments majeurs du cinéma hollywoodien pour tenter de remporter cette guerre au tournant 2010 et défendre l’exploitation de la salle de cinéma face à cette concurrence mais également à d’autres menaces comme le piratage par exemple. Le rêve ultime d’un spectacle en 3D n’est-il pas justement de s’affranchir des limites du cadre et de plonger le spectateur au cœur littéral du récit ? La technologie de la VR[2] ou la recherche d’une 3D native sans utilisation de lunettes sont les expérimentations actuelles pour réaliser ce rêve. Dans l’interstice, les années 2000 et 2010 seront sûrement vues dans le futur comme celles de l’expérimentation pour franchir le cap de la « vraie 3D ». Nous cherchons ici à montrer en quoi les propositions formelles de Spielberg et de Scorsese en 2011 visent à travailler sur la dévoration du cadre dans un élan avant tout cinéphilique, démarquant ces projets de la concurrence.
Introduction : Performance capture et 3D immersive : de la maitrise à la dévoration du cadre
Avec Avatar, James Cameron renverse en 2009 la plupart des records au box-office qu’il avait lui-même fixés avec Titanic (1997)[3]. Pour le grand public, un film de Cameron constitue, depuis les années 1990, la promesse d’un spectacle susceptible de repousser les limites de la technologie au cinéma. Avatar conjugue cette promesse au pluriel en faisant notamment changer de dimension le réalisme de la performance capture et en modernisant le dispositif du cinéma en relief, la fameuse 3D.
La performance capture adapte la technique de capture de mouvement (motion capture) afin de saisir les mouvements du corps, des doigts et des expressions du visage, le tout de manière synchronisée. Ce travail permet de retranscrire en image de synthèse la précision du jeu d’acteurs chevronnés. Andy Serkis est aujourd’hui l’interprète le plus reconnu dans ce domaine. L’acteur britannique a initialement impressionné la profession et les spectateurs par les émotions complexes qu’il put retranscrire via le personnage animé de Gollum dans la trilogie du Seigneur des anneaux (The Lord of the Rings, 2001, 2002, 2003) de Peter Jackson. Il a grandement contribué à perfectionner cette technique en adaptant, entre autres, les simiesques King Kong de Peter Jackson (2005) et César pour la récente trilogie La Planète des Singes (Rupert Wyatt, Matt Reeves, 2011, 2014, 2017). Il interprète le capitaine Haddock pour Les Aventures de Tintin sur lequel nous développerons notre propos. Si le studio de post-production « Weta » créé par Peter Jackson et ce dernier ont grandement contribué à l’évolution de ce procédé, notamment à travers Le Seigneur des anneaux ou King Kong, c’est le cinéaste américain Robert Zemeckis qui en a fait sa marque de fabrique dans les années 2000 en réalisant successivement Le Pôle express (The Polar Express, 2004), La Légende de Beowulf (Beowulf, 2007) et Le Drôle de Noël de Scrooge (A Christmas Carol, 2009) intégralement avec ce procédé de performance capture. Lorsque James Cameron engage à son tour Weta et développe les effets visuels d’Avatar, la performance capture est donc loin d’en être à ses débuts. Mais le réalisme du film propulse la technique dans l’air du temps.
Les origines du cinéma en 3D, elles, sont nettement plus anciennes. Si les premières techniques de prises de vue photographiques en relief apparaissent au milieu du XIXe siècle et que l’on peut trouver trace de projections payantes de films en relief dès les années 1910, l’âge d’or du cinéma en relief se trouve dans les années 1950 où la 3D devient l’un des arguments chocs de l’industrie hollywoodienne pour contrer l’engouement que suscite l’essor de la télévision. La guerre du cadre, celle du grand écran contre le petit et celle des formats qui en découle, reste ainsi une problématique résolument classique. Le « style monumental » (Berthomieu 2013, 521) de la production hollywoodienne des années 50 voit apparaître des formats spectaculaires visant à étendre horizontalement voire transcender le cadre : c’est le temps du CinemaScope, du VistaVision ou de la projection en Cinérama.
Avec le développement des chaînes câblées, dans un premier temps, puis des plateformes de streaming numérique et des différents écrans tactiles, qu’ils soient sous forme de smartphone ou de tablettes, les années 2000 et 2010 doivent faire face à une problématique similaire[4]. Comme dans les années 50, les superproductions hollywoodiennes vont miser sur l’argument de l’écran géant et de l’artifice de la 3D pour lutter face à cette concurrence nouvelle et proposer une nouvelle tentative d’effacement du cadre. L’utilisation de la 3D dans Hugo Cabret va dans ce sens. Lors d’une interview en 2011 pour la sortie du film, Martin Scorsese répond à une question pertinente posée par le journaliste François Forestier sur ce sujet.
F.F. : On a perdu le sens du cadre : le cadre de l’image, selon le support – écran, télé, tablette, DVD –, change. Les pieds des acteurs sont coupés, les têtes aussi parfois…
M. S. : Le cadre est mort. C’est une des raisons qui m’ont poussé à tourner Hugo Cabret en 3D. L’avantage de cette technique, c’est de faire partager le spectacle, de donner une autre dimension. De nouveau, le public est plongé dans un univers magique, comme lors des débuts de la 3D : L’Homme au masque de cire (1953), Le crime était presque parfait (1954), Le Météore de la nuit (1953) Retrouver ainsi le sens du spectacle, c’est ce que je désirais […] Toutes les innovations techniques – le son, l’écran large, la stéréo, etc. – ont été critiquées. Et toutes nous ont permis de retrouver, pour un temps, la magie du cinéma.
(2011)
À la lecture de la question du journaliste, on constate déjà que le « sens du cadre » de l’époque contemporaine implique des questions de « coupe », voire de recadrage. La question témoigne de la difficulté d’adaptation au petit écran que peuvent rencontrer les œuvres de certains cinéastes américains qui cherchent en permanence à immerger le spectateur à l’intérieur de leur univers diégétique et à s’absoudre des exigences inhérentes au cadre et aux formats classiques. Pierre Berthomieu remarque à ce propos que lorsque « George Lucas lance le label THX, pour les salles de projection, il s’agit justement de contrôler la correction de diffusion des films » (Berthomieu 2013). Il relaye dans son ouvrage Hollywood : le temps des mutants une interview de George Lucas en 1991 par Roger Ebert qui développe cette question :
R. E. : Dans vos films, vous passez beaucoup de temps à remplir le cadre et à remplir l’espace autour des personnages avec des détails qui sont amusants à repérer, à observer, de petites créatures, un petit détail qui se passe dans le fond ou une petite action qui se passe ici et là. Souvent ces éléments sont perdus non seulement à cause de projection de mauvaise qualité, mais aussi parce que les gens regardent les films chez eux à la télévision, et que l’image a été recadrée de telle sorte que le centre de l’action est là, mais le contexte est quelque part dans l’espace en train de flotter d’un des deux côtés de l’écran de télévision. Cela doit être frustrant pour vous.
G. L. : Évidemment, c’est très frustrant, et c’est pourquoi je consacre autant de temps aux conditions de diffusion des films.
(2013)
Le souci du détail dans chaque parcelle du cadre, c’est ce qui anime des cinéastes comme George Lucas ou James Cameron. C’est ce qui pousse ce dernier à une très grande méticulosité quant à la précision de ses effets spéciaux et de l’image numérique dans une œuvre comme Avatar. Par exemple, si un animal traverse un recoin boueux de l’écran, le monde numérique du film doit permettre au spectateur très attentif de retrouver tous les éléments organiques qui constituent la trace de l’animal sur le sol, après son passage, dans ce même recoin. Le spectateur pourra s’attarder sur ce type d’élément en salle devant un écran IMAX 3D, ce qui sera bien sûr nettement très difficile sur une tablette ou un smartphone mais déjà peu évident sur un écran de télévision[5].
Offrir le spectacle à la fois le plus sidérant et le plus réaliste qui soit (ce qui peut être antinomique) est donc l’ambition principale du cinéaste canadien. Mais la recherche d’une diversité de l’action dans le même plan grâce à la maitrise du format et la perspective en est une autre qu’il partage avec des cinéastes comme George Lucas, Steven Spielberg ou Martin Scorsese prolongeant une vision notamment classique : Orson Welles ou Alfred Hitchcock. Nous y reviendrons.
En 2011, Steven Spielberg et Martin Scorsese, amis fidèles depuis l’époque des movie brats, proposent tour à tour leurs superproductions en 3D tournées à l’aide de caméras numériques, basées sur des œuvres littéraires, dont la mise en scène montre un souci évident d’immersion totale du spectateur dans l’univers diégétique et révèrent l’Histoire du cinéma. Il s’agit des Aventures de Tintin : Le secret de la Licorne pour le premier et de Hugo Cabret pour le second.
Pour positionner ces deux œuvres dans la lignée d’Avatar et le contexte hollywoodien des années 2000, nous continuerons de nous placer dans la lignée du brillant état des lieux d’Hollywood établi par Pierre Berthomieu dans Le Temps des mutants afin de dresser un point de départ sur les questions de format et de 3D. Dès lors, nous souhaiterons montrer dans le texte qui suit comment, à travers ces deux films, Spielberg et Scorsese vont prolonger, chacun à leur manière, l’immersion en 3D et la dévoration du cadre entamée par Cameron dans Avatar. L’ambition de spectacle total de ce dernier se déplacera dans Tintin et Hugo Cabret vers la rétrospection cinéphile qui démangent les deux cinéastes issus du Nouvel Hollywood.
La guerre du cadre
En peinture, depuis l’expressionnisme américain et le post-expressionnisme, le cadre a commencé à disparaître. Et j’imagine que la réalité virtuelle rend le cadre inutile : avec l’IMAX et l’OMNIMAX, les bords excèdent la périphérie de la vision. Après un siècle de cinéma, il est temps que ces explosions, résurrections et réorganisations de l’espace filmique en termes de cadre, disparaissent.
(Cody 1994)
Aux antipodes du cinéma de Peter Greenaway, cette citation prend tout son sens avec le cinéma de James Cameron et Avatar. Parallèlement, Pierre Berthomieu analyse ainsi l’immersion recherchée par Cameron en évoquant l’Histoire de la peinture :
La peinture renaissante s’efforça de remplacer la platitude par la perspective et l’effet de volume. Avatar est tout entier en volumes et en relief – avec la mobilité infinie qui distingue, elle, l’ère numérique. Impossible pour l’image 3D de passer derrière le spectateur, mais elle altère au moins l’espace et la profondeur de champ, et happe l’œil du public dans une sculpture visuelle multiplane. Soit cette immersion visuelle repose sur un effet de profondeur suffisamment important pour être sidérant en lui-même. Soit le spectacle multiplie son ampleur pour compenser l’augmentation de l’immersion et conserver la sidération. Le style contemporain en développe une forme tournante, une forme de panoramique (ou une combinaison de panoramique avec mouvement de personnage) à 360° qui, dans les limites du rectangle projeté, place presque le spectateur au milieu d’un effet de cyclorama (King Kong de Peter Jackson, la trilogie Spiderman de Sam Raimi).
(Berthomieu 2013, 542)
Déjà après Titanic et le fameux one million dollar shot qui voyait la caméra partir de la proue pour rejoindre la poupe du navire, traversant au passage la fumée des cheminées dans un plan-séquence numérique novateur, on retrouvait cet effet de « cyclorama » dont parle Berthomieu dans les productions hollywoodiennes fantastiques de la décennie 2000. La bataille des champs de Pelennor dans le troisième opus du Seigneur des anneaux, Le Retour du roi (2003), en témoigne notamment par le biais de ses panoramiques circulaires impossibles qui transportent le spectateur au cœur de la bataille, entre chevaux et oliphants[6].
Mais avant de se concentrer sur l’influence de la 3D en elle-même dans cette idée de disparition du cadre, intéressons-nous, dans le droit fil de ces paroles, à cette nouvelle guerre du cadre que la 3D et les formats cités précédemment par Peter Greenaway nourrissent abondamment : celle de l’écran de cinéma face à la multitude des petits écrans sur lesquels se projettent les plateformes de streaming comme Netflix, Hulu ou Prime Vidéos d’Amazon.
En 2018, dans une interview pour la chaine britannique ITV News[7], Steven Spielberg fait le lien entre cette concurrence et celle que nous avons évoquée précédemment à propos de la télévision et du cinéma dans les années 1950. Le cinéaste y explique notamment le processus qui amènent les productions cinématographiques au budget plus modeste à se tourner désormais vers Netflix une fois rejetées par les studios qui préfèrent réserver leurs financements pour des superproductions vouées à une grande rentabilité. Ces productions, dans la mesure où elles ne sont pas exploitées en salle, deviennent, selon lui, faites pour le petit écran : « ce sont des téléfilms ». Il y affirme déjà que « ces productions doivent être éligibles pour les Emmy[8] et non les Oscars ». En 2019 il poursuit cette croisade contre Netflix, cherchant notamment à faire disqualifier de la cérémonie des Oscars les films issus de la plateforme qui ne seraient pas distribués en salles par le système classique. On peut, d’un point de vue un pragmatique, y voir une logique commerciale puisque le cinéaste est également producteur et PDG du studio Dreamworks, les productions Netflix faisant ainsi rude concurrence aux studios classiques : Spielberg ira même jusqu’à parler de « concurrence déloyale ». Nonobstant la qualité des productions télévisuelles actuelles qu’il loue, il se dit « inquiet » de « l’impact de ces plateformes et du danger qu’elles font planer sur les spectateurs de cinéma[9] ». Cette dernière remarque marque avant tout le profond attachement qui lie le metteur en scène à l’expérience cinématographique en salle. Tout comme pour les films de Cecil B. DeMille, David Lean ou Stanley Kubrick avant eux, se dégage l’idée qu’un film de James Cameron ou de Steven Spielberg se doit d’être vu en salle. Au-delà de cette réflexion, on comprend rapidement que ces deux auteurs refusent fondamentalement de soumettre la projection de leurs films au dictat télévisuel alors même qu’ils sont susceptibles de proposer du contenu pour ce médium et que Spielberg est originellement issu de celui-ci[10]. Mais même à travers les œuvres télévisuelles de ses débuts, ce dernier a toujours considéré sa mise en scène comme cinématographique. Le Festival du Film d’Avoriaz avait d’ailleurs bien perçu cette caractéristique dès Duel en 1971. Auréolé de son Grand Prix, Spielberg avait ainsi pu tourner les séquences supplémentaires nécessaires pour aboutir à la version cinéma qui était sortie en Europe et que nous connaissons aujourd’hui.
Ainsi, il nous parait essentiel d’interpréter le débat du cadre en passant par le prisme des formats. En Janvier 2012, le journaliste Stéphane Delorme publie dans Les Cahiers du cinéma un entretien avec Tom Stern, directeur de la photographie aguerri et collaborateur régulier de Clint Eastwood. Tom Stern explique qu’Eastwood « pense ses films pour le grand écran et non pour la télévision […] et [que] cela ne concerne pas que la lumière, mais [également] le cadre. Dans l’œil de la caméra, il y a un schéma distinguant le format 2,4 X 1 que nous utilisons et le format 16/9e qui est le format télé. On fait tous nos films en Scope, cela ne convient pas à la TV. Beaucoup de directeurs photo filmant en Scope feraient attention au cadre 16/9e. Pas moi. On peut avoir un personnage tout à gauche et un autre tout à droite. Et cela signifie : fuck TV! » (Delorme 2012) La disposition géométrique des formes à l’intérieur du cadre prendra également tout son sens dans des « films volumes » comme Avatar ou Tintin, mais avant de développer ce point, il convient de poursuivre sur la bataille des formats et le constat qu’en fait Pierre Berthomieu en réaction aux paroles de Tom Stern.
L’évolution définitive du cinéma ayant éliminé la composition classique en 1,33 X 1, le cinéma contemporain se conçoit donc soit en Scope (2,4 X 1) soit en panoramique (1,85 X 1). Ces formats sont devenus des habitudes de compositions et de perception pour la salle de cinéma et l’œil du public. Avec l’avènement de la HD, le capteur des caméras compose une image directement en 16/9e, dans laquelle les cinéastes optent, s’ils le souhaitent, de recadrer un rectangle « habituel » de 2,4 X 1. Rien, dès lors, ne les empêcherait de concevoir un autre ratio ! Le format 1,85 fut la matrice des écrans de télévision dits 16/9e – dont le ratio équivaut à 1,78 X 1. En fait, un film se retrouve aujourd’hui à choisir entre trois formats – le duo officiel du cinéma traditionnel (2,4 et 1,85) et la dérive télévisuelle (1,78). […] Or, outre son intérêt plastique et son histoire, le format Scope est en quelque sorte devenu un authentique format de film d’abord conçu pour la projection en salle, inadéquat à la normalisation 16/9e. Comme Spielberg en 2011 avec Les Aventures de Tintin : Le secret de la Licorne (The Adventures of Tintin : Secret of the Unicorn) et Cheval de Guerre (War Horse), Eastwood continue de privilégier le Scope, qui contrarie les écrans 16/9e et oblige le téléspectateur à supporter des bandes noires qui encadrent l’image (le pire pour le téléconsommateur).
(2013)
Le choix du Scope et du format « 2,4 X 1 » choisi par Spielberg pour Tintin et Cheval de Guerre plutôt que de soumettre au « 1,78 X 1 » se comprend tout autant comme le choix d’un format de « pur cinéma » que comme celui de se placer dans l’héritage du cinéma classique monumental des années 1950, qu’il soit sur un format Scope ou panoramique. Avec Cheval de Guerre, Spielberg signe même son crime dans une œuvre qui reflète en permanence le western classique, John Ford et La Prisonnière du désert (The Searchers, 1956) en tête, dans une forme de « sur-classicisme » assumé. Sur ce point, le choix de Cameron n’est pas tout à fait le même. En effet, il « a conçu Avatar en deux versions : Scope 2,35 pour la diffusion en pellicule et 16/9e HD pour la diffusion numérique » (Berthomieu 2013). Selon la fiche technique du film sur le site IMDb, il en existe même une troisième car une version 3D au format 1.85 existe[11]. La question reste donc complexe mais le geste de Cameron pour le support Blu-ray rejoint le besoin de contrôle qu’exprimait George Lucas dans l’interview précédemment commentée. Martin Scorsese fera lui, pour Hugo Cabret, le choix du format panoramique 1,85. Tintin et Hugo partagent le goût du format large, du format « anti-télé » que suggérait Tom Stern et exprime le goût du cinéma monumental. Ce choix de format semble essentiel pour des cinéastes comme Scorsese et Spielberg puissent dans l’idée de rechercher la dévoration du cadre par le biais des dernières technologies numériques. Pourtant, nous allons le voir, la volonté de « décoiffer » le spectateur avec un blockbuster hyper-spectaculaire comme on peut l’apprécier chez Cameron ne saurait être l’unique but de cette entreprise.
Spectaculaire et cinéphilie en relief chez Scorsese : Hugo Cabret, une ouverture
Nous n’aurons pas l’outrecuidance de flouer le lecteur : « décoiffer le spectateur » est bien évidemment un enjeu majeur des deux productions de 2011. La mise en scène de Scorsese redouble de spectaculaire par l’immersion 3D. Le cinéaste entend ici plonger le spectateur à l’intérieur du cadre pour s’absoudre de ses limites et ce, dès l’ouverture d’Hugo Cabret. Martin Scorsese nous immerge dans les dédales de sa gare parisienne fantasmée[12] par un plan-séquence numérique vertigineux. Un rouage d’horlogerie se meut d’abord en un Paris illuminé « tout feu, tout flamme » par un fondu enchaîné dont la souplesse technique procède de l’harmonie chromatique, du cuprifère des mécanismes vers le flavescent des lumières de la ville, métaphorisant, dès le premier plan, la trajectoire d’Hugo Cabret et de Georges Méliès : des tréfonds aux fastes ; des miséreux dickensiens à l’aristocratie parisienne ; de l’oubli à la célébration et la gloire retrouvée.
Un travelling panoramique descendant à grande échelle (rendu possible par le truchement des images de synthèse) nous éloigne ensuite de l’arc de Triomphe, centre névralgique des avenues du XVIe arrondissement, pour nous indiquer le « cadre » du film : le quartier et la gare Montparnasse. En soi, l’ouverture est déjà spectaculaire. Mais un autre travelling d’envergure nous propulse de l’extérieur vers l’intérieur de la gare pour s’achever finalement sur un gros plan du céruléen profond des yeux d’Asa Butterfield. On ressent alors toute la démonstration de puissance technologique contenue dans un geste cinématographique à la fois fluide et envoutant. L’immersion est multiple, que ce soit par la spatialisation sonore, l’incrustation des divers personnages filmés sur fond vert à l’intérieur d’un décor reproduit numériquement ou la puissance de ce très long travelling avant. Scorsese éclate la mécanique du découpage classique – du plan d’exposition vers le cadrage resserré d’un personnage par une ou plusieurs coupes – à la manière d’Hitchcock ouvrant Psychose (Psycho, 1960)[13].
Le relief offert par la 3D permet une perspective spectaculaire pour une gare qui paraît d’une profondeur sans limite. On comprend ainsi que Scorsese va se servir de cette 3D pour plonger son spectateur dans un effet de montagnes russes, tout comme Spielberg s’y emploie dans Tintin au même moment mais s’y employait déjà en 2D dans les chariots de la mine d’Indiana Jones et le temple maudit (Indiana Jones and the Temple of Doom, 1985) par exemple.
Cependant, on sent immédiatement que le geste ne sera pas gratuit et promet un équilibre voire une justification du spectaculaire par la cinéphilie :
(Lalanne 2011)
Jean-Marc Lalanne (Les Inrockuptibles) : L’illusion de l’espace et du relief n’était-elle pas déjà présente dans la 2D grâce à la profondeur de champ ou aux travellings avant-arrière ?
Martin Scorsese : C’est exact. Gregg Toland, le chef opérateur d’Orson Welles, aurait pu tourner en 3D. On pourrait presque dire que Welles faisait de la 3D en 2D !
La profondeur de champ, toute puissante chez Welles, s’impose naturellement à Scorsese. On pense au cadre de Citizen Kane mais on reconsidère également le travelling d’ouverture qui nous paraissait jusqu’ici hitchcockien comme soudainement hérité de la maestria des premières minutes de La Soif du mal (Touch of Evil, Orson Welles, 1958).
Les références classiques ne manquent pas mais on pense également à la filmographie de Scorsese lui-même, les vapeurs ferroviaires de la gare au sein d’une ouverture toute en symphonie (musique d’Howard Shore) renvoyant aisément au taxi de Travis Bickle traversant les émanations des égouts new yorkais sous l’impact des cuivres de Bernard Herrmann dans Taxi Driver (1976).
Point de destination d’une entrée compacte mais offrant un florilège de clins d’œil à qui voudra bien l’interpréter de la sorte, la physionomie du petit Hugo Cabret nous semble évoquer celle de Scout (Mary Badham) du Silence et des ombres (To Kill a Mockingbird, 1962) de Robert Mulligan qu’avait déjà repris Steven Spielberg par mimétisme pour son non moins culte E.T., l’extra-terrestre (E.T. the Extra-Terrestrial) en 1982.
Des références parmi tant d’autres qui jalonnent le film de Scorsese. Des montagnes russes à travers l’histoire du cinéma qui projettent le spectateur du muet vers le moderne en passant par le classique : « On voit Harold Lloyd pendu à sa pendule, un faux Jean Gabin conduire “sa bête humaine”, la locomotive keatonienne du Mécano de la General, et la lune de Méliès qui sourit dans le ciel. Hugo, l’enfant solitaire et malin, Hugo le passionné d’images, le sauveur opiniâtre d’une époque évanouie, c’est bien, on l’avait deviné, l’alter ego parisien d’un certain petit Marty… Ainsi le film participe-t-il amoureusement, fastueusement, à la célébration du 150e anniversaire de la naissance de Georges Méliès. » (2011)
Scorsese propose dès l’ouverture un équilibre habile entre la grammaire cinématographique héritée du cinéma des premier temps et les dernières technologies numériques[14] comme nous l’avons vu précédemment. Mieux, le fondu enchainé initial renvoie bien évidemment directement à Méliès lui-même qui fit de celui-ci l’un de ses trucages visuels favoris pour simuler notamment la transformation de ses personnages, réinventant son savoir-faire d’illusionniste pour le cinéma. Scorsese projette à travers ses différentes facettes : cinéaste, conservateur-restaurateur et professeur d’Histoire du cinéma. Un Scorsese en trois dimensions également ! Il apparaît d’ailleurs littéralement en 3D dans le film puisqu’il réalise un cameo, immortalisant Méliès par l’œil de l’objectif d’un photographe. Trois dimensions également car Scorsese se reflète à travers trois personnages du film. Il est « Hugo, l’enfant solitaire et malin, Hugo le passionné d’images », pour reprendre la citation précédente, mais il est également Georges Méliès, l’illusionniste, le cinéaste et le fétichiste de la pellicule. Les films de Méliès voient d’ailleurs, dans un premier temps, leur postérité promise à un bien triste sort : le celluloïd fondu des bobines est transformé en talons de chaussures qui arpentent le sol de la gare. La séquence résonne, au rythme des pas, comme une complainte et le film, dans son ensemble, comme un plaidoyer en faveur de la conservation et de la restauration des films et pellicules[15]. Paradoxalement, il abandonne celle-ci au profit des caméras numériques pour les besoins du film. Mais on comprend que cette technologie numérique est ici plus que jamais soumise au service de la commémoration de l’argentique[16]. La troisième dimension diégétique de Scorsese peut se lire à travers le personnage de René Tabard (Michael Stuhlbarg), faisant à la fois office d’enseignant-chercheur en cinéma et de miroir à la figure tutélaire d’Henri Langlois, conservateur et fondateur de la Cinémathèque française.
Scorsese se projette donc au sein du « volume filmique » d’Hugo en tant que cinéphile roi. L’immersion 3D chez Scorsese est avant tout cinéphile.
Nous avons relevé un certain nombre d’éléments qui font d’Hugo un film profondément scorsésien auquel il faudrait ajouter la nature profondément torturée du garçon qui se place dans le droit fil de personnages comme Jake La Motta, du Christ ou des différents visages de Leonardo DiCaprio qui peuplent la filmographie du cinéaste[17]. Mais avec Hugo Cabret, par le prisme nostalgique de l’enfance et la forme du blockbuster au moins, Scorsese semble marcher sur le plates-bandes de Steven Spielberg.
Adapter le style de la ligne claire par la performance capture : Les Aventures de Tintin : le secret de la Licorne, une ouverture
Dans l’interstice, Spielberg est occupé à mener à bien un projet qui date des années 1980. C’est en 1982 qu’il obtient les droits pour adapter Tintin des mains d’Hergé, conquis par les Aventuriers de l’arche perdue (Raiders of the Lost Ark, 1981) et ébloui par E.T. comme le relate Laurent Malbrunot à propos de la projection du film en Europe : « à Bruxelles, un homme est encore plus impressionné et ému que les spectateurs qui l’entourent : cet homme, c’est Hergé, qui comprend immédiatement que, pour Tintin au cinéma, ce sera Spielberg et personne d’autre » (2011). Spielberg et Hergé ne pourront malheureusement pas discuter longuement de la meilleure façon d’adapter l’œuvre de ce dernier puisqu’il meurt subitement en mars 1983. Spielberg pense d’abord adapter la bande dessinée en film prise de vues réelles avec Jack Nicholson dans le rôle du capitaine Haddock. Mais passer Tintin au filtre du cinéma traditionnel risque la redite visuelle avec la saga Indiana Jones qu’il développa dans cette décennie 1980 avec George Lucas. Par ailleurs, les deux adaptations des années 1960 ont laissé un souvenir kitsch que Spielberg ne veut absolument pas reproduire. Il attendra, ainsi, le moment venu pour adapter de la meilleure façon possible cet univers. Ce n’est que 29 ans plus tard que Les Aventures de Tintin : le secret de la Licorne sort en salle.
Ce n’est qu’après avoir rendu visite à James Cameron sur le plateau d’Avatar que Spielberg et son ami Peter Jackson se décident à se lancer dans l’aventure Tintin. Découvrant les avancées technologiques que Cameron et Weta ont produit aussi bien au niveau de la 3D que de la performance capture, Spielberg se met à rêver son film tout en animation. L’ambition spectaculaire est bien présente. Le duel entre Sakharine et Haddock à l’aide de grues en fin de film peut renvoyer, d’ailleurs, presque littéralement à une séquence qui est double dans le cinéma de James Cameron. Un immense exosquelette mécanique que Ripley (Sigourney Weaver) manie de main de maitre affronte la reine Alien dans Aliens, le retour (Aliens, James Cameron, 1986). Cette séquence constitue elle-même une matrice que reproduit Cameron à la fin d’Avatar et qui voit le terrible colonel Miles Quaritch (Stephen Lang) endosser un exosquelette mécanique à la technologie encore bien plus destructrice. Nous reviendrons sur la dimension spectaculaire du film mais, comme nous l’avons fait pour Hugo, concentrons-nous sur l’ouverture qui semble porter son intérêt sur bien autre chose que cet aspect. En clôture d’un générique d’ouverture virtuose qui peut aussi bien évoquer ceux de Saul Bass, James Bond ou La Panthère rose (The Pink Panther, Blake Edwards, 1963), les accents jazzy de la musique de John Williams renforçant cette impression, un tourbillon de couleur nous amène dans l’univers du Tintin de Spielberg. Spécialiste de Tintin, Benoît Peeters interprète naturellement cette ouverture comme la passation du style d’un artiste à un autre : « le générique en images animées prépare le passage d’une écriture en deux dimensions à une autre, en 3D. La première scène montre ensuite un portraitiste qui trace le visage de Tintin avec en arrière-fond une galerie de portraits qui sont les œuvres même d’Hergé. On comprend que ce dessinateur est l’image d’Hergé. Certains disent aussi que Rackham le Rouge ressemble à Spielberg. Ce qui suggère une transposition de leur rivalité, où Spielberg serait comme un pirate s’emparant du trésor d’un autre. « Hypothèse ingénieuse ! » (Peeters 2011) La transition d’une écriture en 2D vers une écriture en 3D dès le générique est quelque chose qui s’écarte quelque peu du traitement de James Cameron. Avatar s’ouvrait, en effet, sur un plan d’exposition très large et en mouvement sur la forêt des paysages spectaculaires peuplant la planète Pandora. Les Aventures de Tintin s’ouvre sur une palette de peinture qui amène, sans coupe, le personnage représentant Hergé en plan moyen. Cette séquence s’achève avec un plan du héros confrontant son portrait qui est, par effet miroir et mise en abyme, l’original d’Hergé dont il est lui la représentation graphique en images de synthèse. James Cameron lui-même constatait un traitement différent par Spielberg des outils qu’il avait développé sur Avatar : « Steven m’a montré quelques modèles de scènes et m’a fait une démonstration, en me donnant une idée du look final du film, utilisant le même procédé qu’Avatar. Cela promet d’être amusant et très cool. Son concept n’est pas de reproduire la réalité mais d’obtenir une sorte d’hyperréalité qui intègre la ligne claire d’Hergé. En tout cas, il ne fait absolument pas la même utilisation que moi de ce même outil… » (Delcroix 2010). Si Spielberg va assurément développer l’immersion 3D pour des séquences spectaculaires, celle-ci, en plus de la performance capture, a pour but initial de confronter immédiatement le spectateur avec le rendu graphique d’un Tintin en trois dimensions avant de se préoccuper du reste.
La surface plane 2D et la technique particulièrement simple de la ligne claire offre avec le relief, lunettes 3D sur le nez, un contraste tout à fait saisissant. L’effet fait figure de choc pour le spectateur, qu’il apprécie ou non la conversion. Comment ce contraste se matérialise-t-il via cette technologie sur un simple plan, c’est Martin Scorsese qui nous apporte la réponse malgré lui dans une interview sur Hugo Cabret :
Voilà ce que j’ai appris pendant ce tournage : La 3D est géniale pour les visages. Un gros plan en 3D, c’est merveilleux. Mes producteurs se demandaient pourquoi je ne filmais pas plus le décor. Au montage, j’ai coupé beaucoup de plans larges qui n’apportaient rien à l’histoire ou à sa charge émotionnelle[18] […]. À l’avenir, on choisira entre la 2D et la 3D comme on peut choisir aujourd’hui entre le Scope et le 1,33. Le cinéma ne doit pas être cantonné à un seul format, une seule technique. C’est comme la peinture : il existe des tableaux de toutes tailles et de toutes techniques.
(Lalanne 2011)
Ces paroles de Scorsese sont révélatrices à plus d’un titre. En premier lieu, le dernier passage rattache éminemment notre analyse de la mise en scène 3D avec la bataille des formats dont nous parlions initialement (2011). Moins radical que Spielberg, il propose un choix, que faisait finalement déjà Cameron avec ses différentes versions d’Avatar. Mais on comprend bien que la 3D comme le Scope et, pour des cinéastes comme Christopher Nolan qui ne jure que par lui, l’IMAX constituent les armes cinématographiques pour gagner la guerre du cadre. C’est à celui qui parviendra à le dévorer le plus complètement. À ce jeu, James Cameron risque de triompher avec les suites d’Avatar, si elles sortent un jour, portant la promesse d’une 3D native qui se vivrait sans lunettes ni autre dispositif que sa contemplation par l’œil humain.
Adapter la physionomie des personnages par la capture et la 3D : une transgression cinéphile
Si l’on revient aux paroles de Scorsese sur le gros plan, on découvre que la 3D offre une perspective peut-être inattendue : l’intelligibilité décuplée du corps humain. Ou peut-être tout simplement de tout corps ou forme.
Dans le Tintin de Spielberg, c’est la combinaison savante de la 3D et de la performance capture qui offre ce contraste initial que nous avions évoqué. Pour Spielberg et ses collaborateurs, le défi premier réside dans l’adaptation du style d’Hergé, la fameuse « ligne claire », par l’animation numérique.
Matt Aitken est superviseur des effets visuels chez Weta Digital. Ayant fait ses armes chez Weta à travers le cinéma de Peter Jackson (Le Seigneur des Anneaux notamment), Robert Zemeckis (Contact en 1997) et James Cameron (Avatar), il est la personne idoine pour comprendre les défis qu’a représenté l’adaptation de Tintin par la performance capture et les effets visuels de manière plus générale.
Trouver l’aspect adéquat pour les personnages a été l’un des plus gros challenges de cette production. Dès le début, nous voulions honorer le design propre à Hergé, cet aspect signature si particulier. Mais les personnages devaient aussi exister de manière crédible dans le monde que nous étions en train de leur façonner : un monde très détaillé dans une réalité idéalisée. Nous avons exagéré le faciès et les proportions physiques des personnages de la bande-dessinée avec leur tête et leurs mains surdimensionnées pour porter au mieux le look des personnages d’Hergé dans le monde créé pour le film. Néanmoins, nous avons rendu le détail des personnages naturel : leur texture de peau, la façon dont leur visage et lèvres bougent lorsqu’ils parlent et tout particulièrement le rendu des yeux qui est beaucoup plus proche de ceux des humains dans la réalité que n’importe quel autre élément de leur physionomie.
(« THE ADVENTURES OF TINTIN: Matt Aitken - VFX Supervisor - Weta Digital - The Art of VFXThe Art of VFX » s. d.)
Ce passage aide sans doute à comprendre pourquoi Tintin est un film qui est destiné avant tout à être vu en 3D. La disproportion des têtes et des mains, effectivement visible, a pu choquer particulièrement les spectateurs lors des projections traditionnelles. L’écran 2D a une tendance à aplatir particulièrement ces corps proportionnés de manière hétérogènes selon les parties. D’où les réactions de certains esprits chagrins quant à l’apparence inattendue des personnages qui ont probablement accompagnés leur enfance :
Milou est plus gros, les personnages plus joufflus et Tintin est nettement plus sexy (le plan où il se donne une tape sur les fesses fera date). Au point de créer une « inquiétant familiarité ». Que voit-on réellement ? Des personnes, des personnages, des acteurs ? Plutôt des mutants subissant, par le biais de l’électronique, une hybridation plus que troublante. Le procédé employé est celui de la performance capture, qui consiste à enfermer les comédiens dans un studio gris et blanc (nommé le Volume), équipé d’une centaine de caméras. Ils portent des combinaisons grillagées et des casques. Pas évident pour faire passer une bonne vieille émotion.
(Lefort et Peron 2011)
Sans donner une dimension réaliste qui, on l’aura compris en lisant les propos d’Aitken, n’était pas le but, la perspective du volume 3D peut permettre de mieux prendre en compte le corps du personnage comme « sculpture en mouvement », pour reprendre les termes de Martin Scorsese. En d’autres termes, la charte graphique imposée par le film en 2D peut apparaître disgracieuse comme nous venons de le lire, alors que le relief de la 3D moderne offre une silhouette à l’amplitude plus harmonieuse et plus homogène avec l’univers qui l’entoure. La 3D permet d’être plus fidèles aux proportions d’Hergé qui, sans être réaliste, ne tombait pas dans l’excès. Le risque est celui de tomber dans le pastiche ou le cartoon : « Le monde d’Hergé n’est pas un univers de cartoon : malgré un code simplifié, les navires, les avions, les scènes de marché donnent au lecteur l’impression d’être vrais. Pour rendre la force de ce trait, il ne suffit pas de mettre les cases en mouvement. C’est pourquoi Spielberg a eu le souci de retrouver, dans une image compliquée, des vecteurs de simplicité » (Peeters 2011). Ainsi, pour lisser d’autant plus la perspective et empêcher le film de tomber dans le grotesque, Aitken précise que les notes de Spielberg concernant l’éclairage étaient extrêmement précises au point « qu’il soit crédité comme lighting consultant » au générique. L’équipe « s’est beaucoup référée à des séquences de films réalisés par Steven Spielberg pour se guider comme Munich, La Guerre des mondes et particulièrement Les Aventuriers de l’arche perdue. » On comprend ici à la fois la volonté de garder une « patte » esthétique propre à l’auteur mais également celle d’offrir un look référencé et codifié pour une charte graphique expérimentale. Dès lors, quoi de mieux que de s’inspirer pour Tintin de l’éclairage d’un des films les plus emblématiques de son auteur, qui a permis à Spielberg de découvrir l’existence de celle-ci[19] et dont l’aspect évoque « l’Aventure avec un grand A » au cinéma ? De même, les inspirations chromatiques des séquences de suspense renvoient effectivement autant aux péripéties et à l’esthétique du crime chez Hitchcock – on pense autant à La Mort aux trousses (North by Northwest, 1959) qu’à L’Homme qui en savait trop (The Man Who Knew Too Much, 1956) – que celle de la paranoïa dans les thrillers politiques des années 1970 – Les Trois jours du Condor (Three Days of the Condor, 1974) et les films de John Frankenheimer viennent en tête – qui sont présentes rétroactivement dans Munich (2006). La Guerre des mondes (War of the Worlds, 2005) est artistiquement plus symptomatique de l’embrasement de halos de lumière blanche dans le cadre que peut offrir le travail de Janusz Kaminski à la fin des années 1990 et au début des années 2000 suite, notamment, à l’impact esthétique d’Il faut sauver le soldat Ryan (Saving Private Ryan, 1998) et de ses couleurs désincarnées. C’est une exagération chromatique (la lumière blanche embrase tous les bords du cadre) des faisceaux lumineux qui transperçaient les surfaces réfléchissantes des films de Science-fiction chez Spielberg dès Rencontres du troisième type (Close Encounters of the Third Kind, 1977). Rappelons qu’une idée picturale similaire existe chez Hergé dès 1968 lorsque Tintin est aux prises avec des rencontres extraterrestres, lui-aussi, dans Vol 714 pour Sidney.
Le film référence tellement de filmographies différentes, à commencer par celle de Spielberg elle-même – outre Indiana Jones et consorts, Les Dents de la mer (Jaws, 1975) a le droit à un double rappel visuel entre la houppette du héros qui pastiche l’aileron du requin et ce dernier que l’on aperçoit en maquette dans le dortoir foutraque du Karaboudjan – que chacun pourra y aller de son film fétiche. Préférence est faite – c’est une évidence chez l’auteur – au cinéma classique : « Des poursuites en voitures, des canonnades entre galions pirates, de l’espionnage hitchcockien façon Les 39 Marches, et même une réplique issue du Faucon maltais (« L’étoffe dont sont faits les rêves », citée par Dashiell Hammett (1930), mais empruntée à Shakespeare (2009)), sont là pour nous rappeler que ce film est à la convergence entre le roman de mystère, le film de détective et l’épopée d’aventures » (Delcroix 2011). Hybridation des genres pour un film qui hybride les styles graphiques.
Adapter les décors : composition picturale et perspective du cinéma en relief
L’esthétique des personnages étant mise au point, il restait la question du décor : réaliste ? stylisé ? Comment adapter Hergé de ce point de vue ? Encore une fois, Aitken nous apporte ses explications pour détailler cette idée de « réalité idéalisée » :
Alors qu’Hergé transformait ce matériau[20] de référence par le biais de sa « ligne claire » signature, faisant de chaque illustration une image précise à la puissance graphique très forte, nous avons pu utiliser les outils que nous avions développé pendant les années de pré-production pour aboutir, pas tellement à une version stylisée et vraisemblable de la réalité, mais plutôt à une version idéalisée de cette réalité. Ainsi, la ville dans laquelle habite Tintin est une version carte postale d’une ville de l’Europe du nord. L’océan idyllique qui entoure nos héros lorsqu’ils sont sur la chaloupe est particulièrement beau, au point qu’il aurait fallu attendre des jours ou des semaines pour obtenir la même chose sur le tournage d’un film live. Et le désert peut se voir également comme une étendue infinie de particules de sable doré et immaculé.
(« THE ADVENTURES OF TINTIN: Matt Aitken - VFX Supervisor - Weta Digital - The Art of VFXThe Art of VFX » s. d.)
C’est un autre point de détail qui raccroche Tintin, Hugo et Avatar ensemble : la profondeur de champ permise par la 3D permet au spectateur, juste après avoir contemplé Tintin presque « en chair et en os », de plonger son regard sur ce marché typé européen, comme le décrit Aitken, qui peut rappeler Bruxelles ou Paris, des quais de Seine à Montmartre. Le regard peut se perdre dans la profondeur de champ offerte par les plans larges ou, pour le spectateur attentif, se concentrer sur le second plan ou l’arrière-plan dans lequel il semble toujours se passer quelque chose d’attractif. De manière plus générale, le monde détaillé ci-dessus et le volume qu’il propose permettent à Spielberg de s’abandonner plus que jamais à une mise en scène ludique, ce qui est assurément l’une des marques de l’auteur (Bossy 1998).
Un exemple particulièrement ingénieux peut se trouver lorsque les Dupond(t) appréhendent pour la première fois le pickpocket. Celui-ci tombe à la renverse et finit assis au sol, sonné. Spielberg se plait à détourner une convention de la bande-dessinée ô combien usitée par Hergé : les oisillons présents dans l’œuvre littéraire codifiant l’état second dans lequel se trouve le personnage assommé sont également présent à l’écran. Mais ici, dans un effet de burlesque, il s’agit de véritables oiseaux que le personnage a malencontreusement libérés de leur cage en renversant une passante sortant de la boutique, sur la gauche de l’écran en 2D mais également au second-plan en 3D, qui n’est autre qu’une animalerie. Là-encore, la perspective 3D offre au spectateur un rendu optimal de la séquence et retranscrit fidèlement l’aspect des cases de l’œuvre de l’artiste belge mais surtout l’esprit de la bande-dessinée, donnant tout son sens à l’idée qu’il s’en faisait estimant qu’Hergé était « capable de faire entrer 24 images dans une seule case » (Dupuis 2011). La technologie que représente la 3D est au service d’un sens de la composition en relief qui cherche à rendre hommage, le plus respectueux possible mais tout en transgression, au modèle littéraire de la même manière que l’interprétation graphique performance capture est soumise au dictat visuel du style hergéen. On retrouve, dans l’esprit, un modus operandi similaire en ce qui concerne l’emploi des technologies de pointe chez Scorsese comme on a pu le ressentir au préalable dans Hugo Cabret. Chez Scorsese une immersion en 3D au service de la cinéphilie. Chez Spielberg, le jeu de la performance capture et de la 3D forment une combinaison subtile à la fois au service du médium d’origine, la bande-dessinée, et marquant au passage un hommage appuyé au cinéma. L’hybridation des formes est « ciné-picturale ».
Tintin et Hugo : le spectacle total au service de la cinéphilie
Le jeu cinéphile offert par la perspective 3D prend son intérêt et devient vertigineux notamment dans deux séquences pour le corpus que l’on étudie : une chez Spielberg et l’autre chez Scorsese.
Chez Spielberg, l’ombre de David Lean et de Lawrence d’Arabie (Lawrence of Arabia, 1962) se fait ressentir dans la séquence où le capitaine Haddock et Tintin arpentent le désert. Alors qu’à l’image du film de Lean, le soleil menace les protagonistes de tout son zénith, Haddock entreprend le récit halluciné de la Licorne. Au loin, dans la profondeur du champ offerte par cette étendue infinie de sable dorée, un trois mats fait irruption au-delà des dunes. La citation du film de 1962 est à première vue tout à fait littérale : Lawrence et Farraj eux-aussi pensent être l’objet d’un mirage lorsqu’ils aperçoivent le navire représenté ci-dessous. Il s’agit en réalité du canal de Suez qu’ils ont fini par atteindre. Mais les cinéastes issus du Nouvel Hollywood comme Spielberg, Lucas ou Scorsese cultivent toujours l’ambition de dépasser leur modèle même s’ils considèrent paradoxalement, en bon fétichistes de l’œuvre (Lawrence d’Arabie est le film préféré de Spielberg), que c’est impossible. Le navire de Tintin ne se contente ainsi plus d’apparaître derrière les dunes. Il s’incruste à l’intérieur du désert et, dans un époustouflant effet d’embrasement numérique, transforme celui-ci en océan déchaîné au temps des pirates et des corsaires. L’effet de mise en scène, efficace en 2D, magistral en 3D stereo, bouleverse les notions de temps, de lieux et du cosmos en un mouvement d’une fluidité et d’une maitrise qui évoque les travellings scorsésiens d’Hugo, celui de l’ouverture autant que les nombreux plans séquences qui accompagnent les déambulations du petit orphelin dans les méandres complexes de l’horlogerie de la gare. Le geste est sidérant et rejoint l’ambition de spectacle total que Spielberg partage bien sûr avec Cameron. On repense alors une nouvelle fois au one million dollar shot de Titanic, entre autres.
L’immersion totale du spectateur et la mise en scène façon « montagnes russes » atteignent alors leur paroxysme lorsque le spectateur se retrouve projeté via l’objectif de la longue-vue du Chevalier de Hadoque – qui, dans la continuité, a pris la place de la bouteille de whisky du capitaine – dans une bataille navale épique du XVIIe siècle, florilège de tous les mouvements d’appareils numériques possibles. On traverse la bataille de vertical en horizontal, d’un navire à l’autre, de la proue vers la poupe, des cales vers le haut du mat : la matrice numérique de Titanic est développée avec une hystérie féroce et une ingéniosité à toute épreuve, notamment dans les transitions d’espaces.
De son côté, Scorsese n’est pas en reste. Outre le jeu de toboggan des dédales ferroviaires et la multiplicité d’effets cinématographiques que l’on peut rattacher notamment aux premiers temps qu’illustre entre autres Méliès (fondus, surimpressions, accélérés, etc.), une séquence, en particulier, réfléchit la perspective en relief. Une nouvelle fois nous choisissons de laisser la parole à Pierre Berthomieu pour expliciter ce passage.
La réussite de la 3D dans Hugo Cabret tient au savant mélange de l’effet-attraction et des effets de profondeur. Plus que l’immersion créée par Avatar, le travail de Scorsese, Richardson et Demetri Portelli, le stéréographe, imagine une profondeur dans un concept spatial particulier à chaque scène. Ce travail sur la géométrie/la profondeur de champ se déploie dans un labyrinthe assez vertigineux d’effets pop-up, parfois proches des attractions foraines (un élément déferle vers le public), souvent proche de la 3D pop du classicisme (Richard Fleischer et sa conception en relief des Scope tournés à plat). De manière ingénieuse, L’Arrivée d’un train en gare de La Ciotat est montrée deux fois, une fois en projection sur un écran, dans la profondeur du champ, l’autre fois occupant tout le format 1,78. L’effet de relief obtenu est alors puissant. Il rend au film originel sa puissance de choc par une attraction qu’il ne pouvait posséder sous cette forme. Le travelling arrière qui révèle le public effrayé advient avec le défilement du train et l’effet 3D est multiplié par deux : la locomotive décharge un effet déferlant, le surgissement des silhouettes un effet de frise en suspension, un effet de pop-up avec avancée de proscenium et profondeur.
(Berthomieu 2013)
Si Hugo Cabret cultive habilement les effets de profondeur et ceux de surgissement, on aura compris qu’ils ne sont jamais gratuits, outranciers ou superflus. La 3D pour la 3D, comme gadget technologique à but uniquement lucratif, on ne la trouvera pas chez Scorsese :
[…] l’ennui avec la 3D, c’est que, en général, les réalisateurs calent des scènes à effets qui n’ont rien à voir avec le scénario. J’ai évité ça. Le relief dans Hugo Cabret est partie intégrante de la narration. J’ai voulu immerger le spectateur, le plonger dans ce Paris que nous avons reconstitué d’après des photos, des films surréalistes, et les décors des films de René Clair, Sous les toits de Paris et À nous la liberté. Mon Paris est une ville de rêve, une cité de cinéma…
(2011)
Conclusion : L’échec de la « vraie 3D » en attendant « le retour du roi » ?
On le devine entre les lignes précédentes, les studios se sont vite emparé de cette (r ?)évolution de la 3D après Avatar et ont transformé un procédé technologique repoussant par principe les limites du cinéma et pouvant permettre à terme de faire disparaître le cadre en une simple mode à faire pleuvoir les dollars ! Le coût de la 3D entraînant naturellement une hausse conséquente du prix du billet. Le public ne s’y trompe d’ailleurs pas réservant progressivement un accueil de plus en plus froid aux projections 3D entre 2009 et 2011 comme le constate Bruno Icher en octobre 2011 alors que Tintin et Hugo s’apprêtaient à être projetées dans les salles obscures :
Une puissante odeur de sapin a envahi les hauteurs d’Hollywood. À en croire analystes et journalistes américains, la technologie 3D serait si proche de l’agonie qu’il faudrait organiser ses obsèques toutes affaires cessantes. […] Des films très grand public comme le dernier Pirates des Caraïbes ou Le Choc des Titans étaient d’une telle médiocrité technique en relief qu’ils ont fait fuir le public juvénile, dont la sage devise pourrait se résumer désormais : « Si c’est 3D, c’est mauvais. »
Embarrassant. C’est donc dans une atmosphère funèbre qu’Hollywood attend la sortie des Aventures de Tintin. Le film de Spielberg, de même que le Hugo Cabret de Martin Scorsese, ont, pour les plus optimistes, des allures de dernière chance.
(Icher 2011)
« Si c’est 3D, c’est mauvais. » Tintin et Hugo comme dernières chances pour l’argument de la 3D dans la guerre du cadre ? Hugo Cabret ne va séduire malheureusement que les cinéphiles. Le film est un échec commercial, remboursant à peine les coûts de production. Tintin s’en sort mieux mais, s’il rembourse largement sa mise de départ, n’en reste pas moins une déception au box-office par rapport aux résultats escomptés. Avec un peu plus de 373 millions de dollars engrangés dans le monde, il est loin des plus gros succès du cinéaste et fait pâle figure face à la concurrence des blockbuster Disney au premier rang desquels on retrouve les films des franchises Marvel et Star Wars[21] qui semblent pour le grand public justifier encore l’intérêt du grand écran par rapport au confort du domicile.
La réponse de Spielberg et Scorsese à ce constat d’échec est donc irrémédiablement cinéphile : la technologie doit-être au service du cinéma et pas l’inverse. Lorsqu’on lui demande en 2011 si l’arrivée du relief changera le cinéma autant que le son ou s’il est plus proche de l’avènement de la couleur, Scorsese répond dans ces termes : « On peut se passer de la couleur. On ne peut plus vraiment se passer du son. Donc, c’est plus proche de la couleur. Aujourd’hui, tous les films sont en couleur. On utilise une palette – les bleus, les gris – pour obtenir l’équivalent psychologique du noir et blanc. Je crois qu’on arrivera au même stade avec le relief. Souvenez-vous des débuts de la couleur, le procédé était réservé aux comédies musicales, aux westerns, il a fallu attendre les années 1970 pour que tous les films soient tournés en couleur » (Sotinel 2011). Le cinéaste affiche un optimisme qu’il n’a probablement pas conservé depuis, n’ayant pas réitéré l’expérience. Hugo Cabret garde une forme et un ton assez unique dans sa filmographie même s’il y tient une place de choix. À l’inverse, Spielberg aura réitéré en partie le choix de la 3D et de la performance capture avec Ready Player One en 2018. En partie seulement car le film mélange univers en prise de vue réelle et monde tout numérique comme le suppose son concept. En partie aussi car, surprise, le film n’est plus tourné à l’aide de caméra 3D comme c’était le cas sur Tintin – caméra Fusion 3D pour ce dernier, Arri Alexa HD de chez Arriflex pour Hugo. La 3D de Ready Player One est obtenue par conversion, procédé pourtant initialement fortement décrié par le public et le constat précédent de Bruno Icher, d’autant plus que Spielberg semblait par principe opposé à la chose. Il existe même un site cherchant à mettre en exergue le distinguo entre la « vraie ou fausse 3D » (« Is it Real or Fake 3D? » s. d.). Pourtant, outre Spielberg, le pionnier de la performance capture Robert Zemeckis a également fait en 2015 le choix de la conversion avec The Walk : Rêver plus haut (The Walk, 2015). Et il y a de quoi être stupéfait par le résultat. Tout comme Hugo ou Tintin, Zemeckis parvient à jongler avec intelligence entre effets d’immersion et gadgets de projection. Le résultat obtenu par la conversion égale ainsi aujourd’hui ce qui se fait avec une 3D native. Malgré la prouesse de Zemeckis sur The Walk, sa vertigineuse profondeur de champ entre les deux tours du World Trade Center tout en images de synthèse ainsi que la réussite visuelle de films comme Ready Player One ou d’Avengers : Endgame (Joe et Anthony Russo, 2019), ces technologies qui comporteront toujours en elle une part de rêve et de Bigger than life inhérente au spectacle hollywoodien n’auront jamais été aussi bien utilisées, selon nous, que dans Avatar, Les Aventures de Tintin : le secret de la Licorne et Hugo Cabret.
Jusqu’au « retour du roi » autoproclamé[22] ? Disney, désormais détenteur du catalogue Fox et , du même coup, des droits de la franchise Avatar vient de décaler la sortie d’Avatar 2, déjà maintes fois repoussée par son auteur, à décembre 2021. Avatar 2 est censé une nouvelle fois repousser les limites de la technologie et du cadre. Peut-être une bonne fois pour toute car James Cameron promet la 3D native sans nulle aide matérielle. L’œil humain comme seul témoin, rêve ultime. La 3D deviendrait ainsi littéralement « l’étoffe dont sont faits les rêves » (Shakespeare 2009).
Appendices
Notes
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[1]
Par cadre nous entendons une définition générale qui, comme en photographie, désigne les limites de l’image.
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[2]
Technologie sur laquelle Steven Spielberg propose notamment une réflexion via son film Ready Player One (2018).
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[3]
On ne tiendra ici pas compte de l’inflation. Le site américain Box Office Mojo (« Home » s. d.) publie, si l’on s’y intéresse, un box-office prenant en compte l’inflation et au sommet duquel trône largement Autant en emporte le vent (Gone with the Wind, Victor Fleming, 1939).
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[4]
Nous y reviendrons ultérieurement en citant notamment Steven Spielberg s’exprimant sur le sujet.
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[5]
Nous parlons bien sûr d’une lecture directe et non d’un arrêt sur image qui pourrait être sujet à un agrandissement manuel compte tenu des technologies actuelles.
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[6]
Créatures gigantesques inventées par Tolkien inspirées de l’éléphant de guerre.
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[7]
Cette interview peut se retrouver sur Youtube : https://www.youtube.com/watch?v=_hTTvO50QTs.
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[8]
Les Primetime Emmy Awards sont des récompenses de la télévision américaine décernées par l'Academy of Television Arts and Sciences et récompensant les programmes de télévision diffusés en première partie de soirée. Spielberg aurait également pu évoquer les Golden Globes qui récompensent aussi bien télévision que cinéma. Les Oscars récompensent strictement les films de cinéma. Spielberg pointe ainsi la définition de « films de cinéma » puisqu’auparavant, il s’agissait de films qui avait eu droit à une sortie en salle. Il semblerait désormais que la donne ait changée avec Netflix et consorts.
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[9]
Ibid.
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[10]
Chez Universal, le jeune Steven Spielberg commence d’abord sa carrière par des épisodes de séries télévisées. Il réalise notamment un épisode de Night Gallery (Rod Serling, 1970-1973) et un épisode de Columbo (Richard Levinson, William Link, 1968-2003). Duel, son premier long-métrage, est d’abord un téléfilm diffusé pour la première fois en 1971 sur ABC avant d’être exploité en salle l’année suivante.
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[11]
La fiche IMDb du film Avatar est visible ici : https://www.imdb.com/title/tt0499549/technical?ref_=tt_dt_spec
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[12]
Le décor de gare du film a été construit dans les studios Pinewood. L’action est censée se dérouler gare Montparnasse mais celle-ci possède aujourd’hui une esthétique moderne qui n’a rien à voir avec celle des années 1920. Scorsese et son équipe ont pris, en grande partie, comme modèle la Gare du Nord. Scorsese tenait même à filmer celle-ci mais la SNCF ne l’a pas permis. La gare a été reconstruite grandeur nature sur 5 étages dans les studios anglais. On peut lire davantage d’informations à ce sujet dans l’interview de l'historien du chemin de fer Clive Lamming qui a conseillé le cinéaste à l’adresse suivante : https://bibliobs.nouvelobs.com/actualites/20111214.OBS6675/pour-hugo-cabret-je-me-suis-inspire-a-80-de-la-gare-du-nord.html.
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[13]
Ce dernier souhaitait traverser la fenêtre de la chambre d’hôtel par un unique mouvement motorisé mais les limites techniques de l’époque l’ont obligé au cut. Le dessein originel du maître a pu être en revanche réalisé par le biais des effets numériques, déjà, lors du remake de Gus Van Sant en 1998.
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[14]
Nous renverrons, sur ce sujet, le lecteur à l’ouvrage Méliès, carrefour des attractions dirigé par André Gaudreault et Laurent Le Forestier publié par la presse universitaire de Rennes en 2014. On y retrouve notamment des réflexions autour de la confrontation entre technologie des premiers temps et actuelles via le cinéma de Méliès. Il nous semble que si le film de Scorsese en propose une déclinaison, le cinéaste américain convoque ici le personnage de Méliès avant son cinéma, ce dernier représentant une référence plus contextuelle. L’histoire du film comme du livre Hugo Cabret s’affranchit volontiers de la tutelle de l’œuvre de Méliès et suit son cours dans une atmosphère, un décor et un héritage esthétique bien plus proche, encore une fois, de Charles Dickens et de son illustrateur original George Cruikshank que du français.
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Ce passage peut se lire comme une sorte de mise en abyme du travail effectué par The Film Foundation, association pour la préservation et restauration des œuvres cinématographiques créée initialement par Scorsese lui-même ainsi que Woody Allen, Francis Ford Coppola, Stanley Kubrick, George Lucas, Sydney Pollack, Robert Redford et Steven Spielberg.
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Outre cette séquence, on pense notamment à l’intégration d’extraits originaux de films muets, des premiers temps (outre Méliès lui-même, des films des frères Lumière, de William K.L Dickson et William Heise par exemple) jusqu’aux années 20 (Griffith, Chaplin, Keaton, etc.).
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Le Happy End et la dimension de conte qui se dégage du film comme du livre de Selznick ne doivent pas faire oublier la profonde mélancolie du personnage qui renvoie aux orphelins dickensiens. Les contes sont parfois d’une grande cruauté et le personnage d’Hugo Cabret ne cesse de s’infliger les souvenirs de la mort de son père, brulé lors d’un incendie, comme auto-flagellation mentale.
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Il précisait plus tôt dans l’interview qu’il aurait pu réaliser les deux documentaires qu’il venait de tourner, sur Elia Kazan et George Harrison en 3D : « ils sont en 2D mais je peux très bien les imaginer en 3D. Prenons une scène très banale : Eric Clapton en train de parler face caméra. En 3D, ce serait sûrement plus prenant, on verrait mieux son visage, son langage corporel, un peu comme une sculpture en mouvement. »
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C’est en lisant le rapprochement perpétuel que la presse européenne faisait entre son film et l’œuvre d’Hergé que Spielberg découvre l’existence de celle-ci. La scénariste Melissa Mathison – scénariste d’E.T., l'extra-terrestre pour Spielberg et première épouse d’Harrison Ford – qui lui offre son premier Tintin, Le Crabe aux pinces d’or. Il les lira tous et se passionnera pour l’œuvre d’Hergé.
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Ce matériau de référence est ainsi expliqué dans la partie précédente de la citation de Matt Aitken, op cit. « Il y avait 2 points de références pour le design du film : le style originel d’Hergé et ses notes sur des lieux et objets existants réellement. En pratique, ce ne fut pas difficile d’assembler les deux en une esthétique unique parce qu’Hergé lui-même dessinait son environnement et ses décors avec précision, ses illustrations provenant souvent de modèles existants, de photographies de lieux ou de véhicules. Nous avons ainsi utilisé la flexibilité offerte par l’espace virtuel créé grâce aux effets spéciaux numériques pour reconstruire la réalité en adaptant ces références en image de synthèse. »
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Distribués en 3D et en 2D. Le choix de la 3D faisant plus preuve d’un choix par défaut que d’une ambition artistique aussi clairement affirmée que pour Spielberg et Scorsese en 2011.
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« Je suis le roi du monde ! » s’exclamait James Cameron en 1998 en raflant trois Oscars pour Titanic en référence au dialogue de son personnage de Jack Dawson (Leonardo DiCaprio) dans le film.
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