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Dans ce débat sur l’avenir de la psychiatrie, il nous semble pertinent de reformuler la question en tenant compte du premier intéressé, le patient, pour nous pencher sur le type de psychiatrie dont nos sociétés nord-américaines ont besoin et nous demander quelle est la psychiatrie souhaitable pour nos concitoyens de nos jours ? Pour y parvenir, nous situerons ce qui nous apparaît être les grands enjeux de la pratique actuelle de la psychiatrie pour ensuite aborder les questions éthiques et conclure par la proposition d’une philosophie de soins adaptée au contexte de ce début de siècle.
La psychiatrie après la décade du cerveau : ses enjeux
Combien de fois des patients sont venus nous parler du questionnement torturé qu’avait provoqué en eux telle ou telle émission de télé sur la schizophrénie où d’éminents spécialistes, nous disaient-ils, avaient brandi la thèse génétique comme cause de leur maladie. En une heure ou moins, les paroles de psychiatres chercheurs, soutenues par des images animées et colorées de cerveaux dysfonctionnels ou déficients, venaient de les condamner à l’attente passive du produit-miracle qui corrigerait le défaut dans leur biologie tout en minant leur espoir d’en finir avec la souffrance, puisque c’est la prochaine génération qui, croyaient-ils, bénéficierait des découvertes à venir.
Face à de tels énoncés, répondions-nous à nos patients, nous n’allions pas les abandonner à leur isolement, calés devant la télévision de leur lieu de vie, à espérer que « le » médicament ou l’intervention physique idéale arrivent sur le marché ! La vie continuait et nous leur offrions de mettre tout en oeuvre pour qu’ils puissent, dès maintenant, minimiser les effets de leur maladie et à partir d’une compréhension de ses causes dans leur propre vie, changer le cours de leur histoire trop souvent tragique, par un remaniement du sens de celle-ci, une autre interprétation des événements. Nous allions les aider à organiser les modifications nécessaires dans leur environnement socio-familial et dans leur vie personnelle pour qu’ils cessent de souffrir et retrouvent l’accès à la satisfaction dans la coexistence. Et, si le médicament tant attendu était découvert, alors nous serions les premiers à les en informer. Mais d’ici là, ils ne se laisseraient pas écarter de la vie sociale par les conjectures démotivantes d’experts promus par les médias et apparemment inconscients des conséquences de leurs déclarations sur l’avenir des personnes concernées.
Depuis cinquante ans notre psychiatrie promet des guérisons miracles pour la prochaine génération. Et, il faut reconnaître que jusqu’à présent, ce qu’offre la psychopharmacothérapie n’est pas très enthousiasmant, du moins pour les psychotiques : « 10 à 30 % des patients ont peu ou pas de réponse à la médication antipsychotique et un autre 30 % des patients n’ont qu’une réponse partielle, c’est-à-dire qu’ils s’améliorent mais continuent à avoir des hallucinations et des délires, de légers à sévères » (ma traduction), c’est ce qu’indique le supplément 2004 au guide de pratique dans le traitement de la schizophrénie de l’Association américaine de psychiatrie (Supplement to the American Journal of Psychiatry, 2004, 24). Ces statistiques ne font que confirmer ce que d’expérience les psychotiques savent et qu’ils nous confient, pour peu qu’on s’intéresse à ce qu’ils pensent et qu’on les laisse parler : l’antipsychotique n’a pas l’effet annoncé, il n’entame pas les fondements sur lesquels ils ont construit le sens original donné à leur vie, il ne fait que calmer, diminuer l’ardeur avec laquelle les psychotiques s’appliquent à raffiner et à solidifier les assises du sens. D’autres aussi, des déprimés par exemple, distinguant subtilement leur « maladie bipolaire » de leurs problèmes psychiques, considèrent que le cocktail médicamenteux reçu a stabilisé leur état mais sans régler quoi que ce soit de toutes les questions qui depuis longtemps les tourmentent et continuent de paralyser leur vie quotidienne. Si on prend la peine d’écouter et d’entendre ce qu’elles ont à dire, ce sont les propres paroles des personnes touchées par les maladies dites psychiatriques qui pointent l’inaptitude du médicament à répondre aux interrogations profondes qui entretiennent leur souffrance et leur mal-être. Et pour cause : l’action du médicament sur les récepteurs cérébraux n’a vraiment rien à voir avec leur situation dans l’existence. Il faut être bien naïf et particulièrement inculte pour croire autre chose.
Alors que le milieu psychiatrique avait qualifié les années quatre-vingt-dix de « décade du cerveau », dans un mouvement de rééquilibration du rôle et du travail du psychiatre à l’orée du nouveau siècle, l’Association des psychiatres américains marquait le tournant en inscrivant son congrès 2001 sous le thème de la « rencontre de l’esprit et du cerveau » (Mind Meets Brain). Et, bien que le porte-voix de l’approche biologique demeurait encore plus puissant que les voix des défenseurs des approches intégratives ou psychodynamiques, parce que soutenu par la riche industrie pharmaceutique, on assistait à ce congrès à une volonté de rationalisation des connaissances par l’intégration des neurosciences et de la psychanalyse dans la psychiatrie.
Kandel, prix Nobel de médecine et coauteur du textbookPrinciples of Neural Science, faisait valoir dans sa conférence l’effet des psychothérapies et de la parole, sur le fonctionnement du cerveau. « Vous sortirez de cette salle avec une « tête » différente de celle que vous aviez quand vous êtes entrés et ce, sans aucun médicament », déclarait-il au début de sa conférence. « Dans le comportement des gens, ajoutait-il, c’est qu’ils sont capables de modifier l’expression des gènes du cerveau jusqu’à produire des changements durables. » À ce même congrès, Solms, psychanalyste et neurophysiologiste, faisait état d’une augmentation des terminaisons nerveuses au niveau synaptique sous l’effet d’une psychanalyse. Quant à Hyman, il faisait valoir le rôle intégrateur du cerveau dans l’interrelation et l’interaction constantes entre environnement et bagage génétique.
Plus récemment lors d’une revue magistrale en psychopharmacologie, Baldessarini, spécialiste en pathophysiologie des désordres psychiatriques, rappelait que, contrairement à ce que certains psychiatres mal informés affirment, l’étiologie des maladies mentales n’est pas encore expliquée par les théories biologiques : « j’attends toujours que les théories biologiques expliquent les données pathophysiologiques », disait-il (Baldessarini, 2004). Cinglant, il référait aux médicaments psychiatriques comme « du poison à rats, avec des effets secondaires bénéfiques ». Tout en faisant valoir l’utilité du médicament en psychiatrie et les bienfaits qu’il apporte, ce professeur chevronné en reconnaissait les limites et recommandait aux cliniciens d’être sensibles au « pauvre patient que vous empoisonnez, pour maximiser les bénéfices et minimiser les inconvénients ». Venant de lui, ce discours inhabituel lors d’une mise à jour de deux jours en a surpris plus d’un mais du coup, sa critique intelligente a apporté du poids à sa réflexion et a rendu plus crédibles ses recommandations concernant la prescription du médicament en psychiatrie. Il déplorait la vitesse avec laquelle un trop grand nombre de ses collègues psychiatres expédiaient l’évaluation d’un déprimé par exemple, pour clore l’entretien après quinze minutes sur une prescription d’antidépresseur sans autre forme de suivi qu’un rendez-vous un mois plus tard. « Il y a autre chose que des pilules dans la vie », disait Baldessarini, pour inciter les participants à considérer ce que le patient avait à dire sur le contexte d’apparition et de perpétuation de ses symptômes. C’est ce que corroborent Wazana et Primeau dans leur article particulièrement bien documenté sur les considérations éthiques de la relation du médecin avec l’industrie pharmaceutique : en mettant l’accent du débat sur « la meilleure pilule » à prescrire et sur les différences entre les divers médicaments, leurs effets secondaires, leur coût, leur tolérabilité, le processus de décision amenant le praticien à utiliser des médicaments devient prédominant dans sa pratique clinique et l’empêche d’envisager les autres dimensions et véhicules de changement (Wazana et Primeau, 2002, p. 650). Selon nous, en psychiatrie tout particulièrement, c’est une telle pratique piégée qui ouvre la voie au manque d’éthique professionnelle.
Zarifian, réputé chercheur en psychopharmacologie, publiait en 1994 un deuxième livre incisif et dérangeant pour les milieux auxquels il appartenait et dont il se réclamait jusque-là, intitulé Des paradis plein la tête. Dans cet essai percutant et encore brûlant d’actualité, il interpelle la conscience sociale du médecin prescripteur de psychotropes rappelant « qu’il ne faut pas en attendre plus qu’ils peuvent donner » et que, bien que les psychotropes puissent les favoriser, ils ne remplacent ni l’écoute, ni la relation, ni le travail psychologique, ni les mesures de réinsertion sociale. (Zarifian, 1994, p. 99). Et ceci est juste aussi pour le psychotique, à moins qu’un regard doctrinaire ou méprisant posé sur lui en fasse un citoyen de seconde zone, condamné à une mort sociale lente, par extinction de son droit de parole et de l’expression de ses choix et de ses aspirations. Les guides de pratique américains sont pourtant clairs : « En pratique, les psychiatres utilisent une combinaison ou une synthèse d’approches et de stratégies variées, définies et adaptées à la condition particulière du patient, ses capacités d’adaptation, ses préférences » (c’est nous qui soulignons) (American Psychiatric Association, Compendium 2000, 346). Zarifian sollicite aussi l’éthique du psychiatre en le mettant en garde contre l’idéologie dominante actuelle qui risque de mettre « les cerveaux sous influence » et où la psychiatrie, si l’on n’y est pas attentif, pourrait devenir « un instrument de contrôle social des individus ».
Cela dit, alors que les vrais scientifiques s’accordent pour dire que le psychiatre doit tenir compte du bio-psycho-social, et pour cela, en toute logique, donner place à la parole du sujet malade sur ses expériences de vie, nous constatons que la venue des neurosciences a entraîné la pratique psychiatrique sur une pente biologique dominante qui non seulement menace la diversité nécessaire dans l’offre de traitement mais aussi, conditionne la perte du droit du patient à un choix pour un traitement autre que médicamenteux ou autre que d’inspiration biologique à l’image de l’expérimentation animale. Et là, avec Zarifian, nous posons la question éthique : peut-on prétendre pratiquer une médecine des problèmes mentaux en excluant de nos outils cliniques ce qui fait la particularité de l’humain, son monde intérieur, dont les sources et ramifications s’étendent bien au-delà de « l’ici et maintenant » ?
Alors qu’il se prétend a-théorique, le DSM IV avec son arbre décisionnel qui systématiquement rapproche la psychiatrie de la médecine physique, est au fond basé sur l’exclusion de la subjectivité et de l’invention de Freud, l’inconscient. Et, avec ce manuel où l’on retrouve un foisonnement de diagnostics que nous appellerons plutôt, par souci de précision, des « syndromes cliniques », les psychiatres sont contraints d’aller au plus court. Depuis les dernières années, nous assistons en quelque sorte à la prolifération d’interventions rapides car l’accent est mis sur l’observation et non pas sur une compréhension globale de la problématique du patient, où, dans une sorte de fast-food de la maladie mentale, celui-ci se voit proposer un assortiment de médicaments. Pour chaque symptôme présenté, qu’il relève du diagnostic principal ou d’un diagnostic secondaire, une médication est prescrite, à la pièce. Et, dans les cas résistants, on potentialisera un médicament visant la résolution d’un symptôme par un deuxième voire un troisième… Les patients ainsi s’habituent à faire reposer l’atteinte de leur bien-être sur une poly-pharmacie bien calculée : un antidépresseur ou deux pour les symptômes dépressifs, un antipsychotique pour les traits narcissiques, un somnifère pour l’insomnie initiale, un thymorégulateur contre l’irritabilité, un autre pour diminuer l’impulsivité, et quoi encore ?
Dans ce mouvement de « médicalisation de l’existentiel » dirait Zarifian (1994, 241) et de biologisation de la psychiatrie et pense-t-on faussement, de rationalisation des coûts, nos associations professionnelles confinent de plus en plus le psychiatre au rôle restreint d’évaluateur ou de consultant auprès du médecin omnipraticien. Il perd progressivement son rôle de traitant, pour lequel bientôt il risque de ne plus avoir la formation nécessaire d’ailleurs, compte tenu de l’appauvrissement actuel de la profession depuis qu’un trop grand nombre de milieux de formation universitaire ont rejeté ou mis à l’écart la psychanalyse et les sciences humaines connexes comme moyens de compré-hension, sources de réflexion et guides pour l’intervention thérapeutique du psychiatre.
Malgré l’option récemment tentée pour le retour du balancier vers l’équilibre, la psychiatrie nord-américaine est traversée par un certain discours sur la médication et les déséquilibres neuro-physiologiques qui ignore la subjectivité en perpétuant l’illusion qu’on pourrait traiter le psychisme avec le biologique, sans que jamais n’ait été établi de façon scientifique sinon convaincante le lien structural qui autorise une telle prétention. Le dogmatisme de certains tenants de la psychiatrie biologique à considérer les maladies mentales comme des maladies du cerveau est en fait ahurissant pour qui s’est tant soit peu penché sur la prodigieuse complexité de la nature humaine. L’avenir de la psychiatrie n’est sûrement pas dans le délestage des autres domaines de pensée : psychologie, métapsychologie — que sous-tend la psychanalyse —, philosophie, esthétique, sociologie, mathématique, poésie, sciences des religions, anthropologie, ethnologie, histoire et art, etc., qui ont contribué à la richesse de cette spécialité. Sinon, c’est la psychiatrie elle-même comme médecine de l’homme en tant qu’être pensant, qui risque l’extinction par asphyxie de ce qui lui insuffle son originalité.
Et si le psychiatre doit ouvrir l’espace thérapeutique à l’expression de la parole subjective de son patient, au moment de poser son acte thérapeutique, le psychiatre ne devrait pas non plus oublier, comme le soutient Kandel, l’impact de la parole des autres sur le psychisme, la parole qui, l’énonce si finement la psychanalyste Soler, a des effets d’humeur, fait destin : « Un mot, une phrase, un silence parfois, et nous voilà en larmes, en rage, étonné, effrayé, ravi, saisi d’angoisse… Un mot vous bouleverse, un autre vous apaise, sans prévision possible. La parole est le virus qui toujours déjoue la programmation » (Colette Soler, 2001, 41).
En thérapie analytique depuis peu, Mme H analyse son dernier rêve : « Seule, elle tente de remonter le courant dans un tuyau d’égout où descendent en flottant des cadavres d’hommes marqués au crayon rouge. Avec le psychiatre psychothérapeute, elle questionne : le TOC et le TAG dont elle souffre depuis trois ans, ses rituels obsessionnels et ses états de panique angoissés contre lesquels elle se bat constamment viseraient-ils à la distraire de ce qu’elle aurait autrement à l’esprit : tous ces hommes morts par suicide dans sa famille élargie, les trois fois où sa mère a pensé avorter pendant sa grossesse, l’état d’anorexie grave des premiers mois de sa vie ? Ces événements sont peut-être beaucoup plus fondamentaux dans le développement et le maintien de ses symptômes que, comme elle le croyait jusqu’ici, le déséquilibre sérotoninergique auquel on a attribué ses troubles graves auparavant ? Elle a bien raison. Il y a trois ans, une parente a insisté pour lui parler de toutes ces tragédies, qu’elle ignorait. Après, sa vie a changé. Ces paroles prononcées par un personnage important dans sa vie ont eu un effet d’oracle, l’ont comme marquée elle aussi « au fer rouge » de la mort, pour reprendre ses propos. Depuis, elle a l’étrange impression que son cerveau a été déprogrammé. Maintenant elle doit aller à contre-courant pour s’accrocher à la vie et surtout tenter d’oublier, mais elle n’y arrive pas… Elle réalise que si lorsqu’elle remarque un défaut sur un objet, il lui faut à tout prix le réparer, séance tenante, c’est pour faire diversion, empêcher sa pensée d’être envahie par son histoire personnelle et familiale tragique.
Il paraît ici évident que ce n’est ni le médicament et encore moins la neurochirurgie sélective, comme le promeut tristement une certaine psychiatrie, qui pourraient annuler le contenu des paroles qui ont fait traumatisme en elle et sont venues rompre son équilibre précaire ; au mieux, les médicaments la soulageront, forceront son sommeil et son repos, ce qui n’est déjà pas si mal, mais ils n’empêcheront pas les rêves à contenu horrifiant de ramener sur la scène de sa vie quotidienne les épisodes obscènes de son histoire passée. Son psychiatre traitant a bien vu en lui recommandant une thérapie analytique : il ne sert à rien de s’acharner à tenter de régler la phénoménologie clinique avec la médication ; le véritable problème qui la rend dysfonctionnelle est ailleurs. C’est le déploiement de sa propre parole face au psychiatre clinicien, témoin et guide, et le savoir acquis dans une démarche analytique pour retrouver les traces inconscientes des traumatismes vécus et repérer les défauts de son adaptation et de sa créativité psychique qui rendront possibles des changements dans sa vie, en quelque sorte une re-programmation naturelle, sans substance chimique, de ce qui a, comme elle le dit si bien, déprogrammé son « cerveau ». C’est d’une thérapie analytique dont Mme H a besoin pour revisiter ce que les paroles intrusives sont venues éveiller en elle de conflits non réglés, d’événements non assimilés, et qui pourtant, inscrits dans sa mémoire corporelle et inconsciente, ont agi en elle à son insu en provoquant les déséquilibres de neurotransmetteurs dont on lui a parlé. L’événement psychothérapeutique dans lequel elle a à s’impliquer personnellement l’aidera à retrouver un fonctionnement sain et non seulement à rétablir l’équilibre neurophysiologique qu’elle avait perdu, mais aussi à établir des « changements durables dans son comportement » dirait Kandel, et ses attitudes face à la vie.
Pour une éthique clinique lucide : le nécessaire questionnement des bases idéologiques et politiques de l’établissement des « données probantes et guides de pratique »
« On peut m’enlever tous mes biens, personne ne m’empêchera de penser et de parler », dit monsieur N, un psychotique en fin de cure analytique. « Suite à tout le travail que j’ai fait en analyse, il y a des compromis que je ne peux pas faire. Je me connais maintenant. Il faut que je sois intègre avec moi-même. J’ai planté ma vie comme un chêne et je ne peux pas le laisser fléchir. Sinon, je sème les graines de la souffrance à venir… J’ai trouvé l’harmonie entre mon corps, mon âme et mon esprit. Il n’y a plus de déchirure. Je vais m’y tenir ».
Quand le psychiatre est appelé à traiter des patients ayant des troubles graves comme madame H ou monsieur M, la question de l’éthique dans sa pratique clinique se pose de façon particulièrement aiguë et devient une préoccupation quotidienne. Comment le psychiatre arrivera-t-il à protéger la dignité du sujet, respecter son refus éthique du compromis, tout en lui donnant les informations scientifiques nécessaires pour que son choix de traitement soit éclairé ? En effet, au point où nous en sommes avec les neurosciences et la pharmacothérapie, il est impératif, d’un point de vue éthique, d’informer nos patients que le médicament qui leur est proposé n’a rien d’une panacée, qu’au-delà des aspects curatifs ou, le plus souvent palliatif, il a des effets de désorganisation physiologique à court et long terme, et, en toute honnêteté professionnelle, nous devons être prêts à envisager avec lui des solutions alternatives ou complémentaires qui, elles, soient réellement curatives. N’est-il pas horrifiant, ces années-ci, d’entendre les rapports de recherche concernant les effets sur nos enfants et nos adolescents de l’administration de plus en plus large du ritalin et des antidépresseurs ? Nos sociétés modernes sont-elles en train de perdre les moyens d’analyser et de régler socialement des problèmes de groupe, ou se laissent-elles influencer par le marketing de compagnies pharmaceutiques privées fondées sur le profit ? Quoiqu’il en soit, c’est une partie de nos jeunes que nous sommes en train de sacrifier à l’autel d’idéologies passéistes. Pour Jean Ayme, réputé psychiatre français, la psychiatrie actuelle est « une médecine du sujet menacée par l’engouement pour les neurosciences » (Jean Ayme, 2001). Alors, allons-nous bêtement, réduire l’humain au rat du laboratoire et le traiter comme tel ?
Si la psychiatrie occupe un champ d’intervention si difficile à définir c’est qu’elle a pour objet la personne dans toute sa complexité. Et, ce qui fait la complexité de l’être humain qui s’adresse à nous comme patient, c’est la tension constante et conflictuelle entre ses besoins et ses désirs, sa pulsion et son intellect, l’individuel et le collectif, les exigences de la société et les mouvements de son affectivité, les contraintes de la parentalité et les satisfactions personnelles, les objectifs fixés, choix de vie et les accidents et imprévus d’une vie qui obligent à tout repenser. Le psychiatre, s’il doit être bien au fait des avancées actuelles considérables des neurosciences doit aussi s’assurer que le traitement ne soit pas ramené à une seule dimension de l’humain, le biologique, et, avec son patient, continuer de tenir compte des différents aspects de l’être humain et de leur conflictualité.
Ceci dit, nous considérons qu’un psychiatre est au clair avec l’éthique clinique s’il prend parti d’abord pour le sujet, celui qui pense et parle, qui a une conception de son intégrité et un droit à la dignité, ce sujet que, par-delà la phénoménologie qui nivelle en regroupant les êtres par catégories de symptômes, il doit être prêt à entendre, sans barrières morales ou idéologiques, pour découvrir les moyens thérapeutiques les mieux adaptés à ses propres projets de vie, dans les voies tracées par son désir inconscient. C’est cela qui doit s’imposer comme critères pour les prises de décisions cliniques, plutôt que de banaliser le travail du psychiatre en le réduisant à pratiquer une médecine d’organe où le diagnostic posé efface toute subjectivité. Nous disons oui aux neurosciences car le psychiatre doit savoir utiliser honnêtement les avancées de la science pour jouer son rôle d’intégrateur et assurer la cohérence du traitement. Mais nous refusons l’impérialisme du biologique surtout lorsque l’on en connaît et éprouve dans notre pratique quotidienne l’empirisme à courte vue et les résultats pour le moins mitigés.
En fait, l’idée d’un déterminisme génétique calqué sur le modèle de l’animal de laboratoire et avec lequel le psychiatre moyen pourrait se réconforter face à son impuissance à soigner réellement ses patients, est invalidée par les grands scientifiques qui, s’ils observent des corrélations, se gardent bien d’en déduire trop vite un processus de cause à effet. Dans son dialogue avec Kahn, en réponse à une question sur le déterminisme comme outil d’anticipation du comportement humain, Jacquard rejette vivement l’idée d’un déterminisme humain ou d’une programmation de son avenir par les gênes, autrement dit d’une « dictature des gènes ». Même dans l’univers, malgré des lois d’une absolue rigueur comme celle de l’attraction universelle, il y a de l’imprévisibilité, dit Jacquard, dans le trajet à long terme de trois astres en interrelation comme le soleil, la lune et la terre, par exemple. Ainsi, chaque année, l’astrophysicien doit refaire ses calculs. Alors, chez l’humain où interviennent cent milliards de neurones, donc une quantité phénoménale de séries causales, l’imprévisibilité est immédiate. Et, Jacquard a une phrase percutante, toute à l’honneur de l’espèce humaine : l’humanité c’est « la portion d’univers qui inventa que demain serait », qui a la capacité de penser un « demain » qui n’est pas contenu dans le présent, pas préfabriqué (Albert Jacquard et Axel Kahn, 2001, 105-108).
Eccles quant à lui identifie la pensée comme l’événement mental qui définit le point de rupture entre l’homme et l’animal et le savoir sur la mort comme son expression la plus spécifique : « Un être qui sait qu’il va mourir un jour est né d’ancêtres qui ne le savaient point », statue-t-il. (John C. Eccles, 1994, 272). En effet, si le support anatomique qu’est le cerveau lui est bien sûr nécessaire et primordial, la caractéristique de l’humain, ce n’est pas son cerveau, c’est d’abord sa pensée et sa conscience d’être mortel ; ce n’est pas le cerveau qui pense, comme le rappelle Marcel Conche, car « ce n’est pas lui qui peut dire qu’il pense » (Marcel Conche, 2004, p.83.) C’est ainsi que Eccles, avec la notion de conscience de la mort, complète l’idée du « demain » de Jacquard. Au coeur de l’être humain, la conscience de la mort — cette mort incluse dans la pulsion de mort freudienne — est ce qui pousse à concevoir un demain, à aller au-delà des limites du perceptible, créer, explorer les profondeurs de l’univers, produire des oeuvres d’art, faire des mathématiques, anticiper des solutions nouvelles pour l’avenir, etc. Et puisqu’il est reconnu que « l’absence d’une condition pathologique démontrable anatomiquement distingue les maladies de l’esprit des maladies des autres domaines de la médecine » (Kandel, 2000, 1189) et que le rapport à la mort de toute évidence ne peut être réglé par le déterminisme génétique, dans le périple hasardeux qu’est chaque vie humaine, la psychiatrie devrait être cette terre d’accueil pour le sujet aux prises avec l’effet en lui de ce savoir sur la mort. Quant à l’éthique du psychiatre, elle devrait reposer sur la mise en place des balises nécessaires pour que le patient qui le consulte crée ses propres solutions, à partir de sa souffrance et de son savoir sur l’incontrôlable dans sa vie, plutôt que de réduire sa vie à l’acceptation d’une limitation organique et irrémédiable que causerait un cerveau défectueux ou déficient.
Dans sa préface au livre d’Axel Kahn, Et l’homme dans tout ça ?, le philosophe Lucien Sève, établit que le sens fort de l’éthique c’est « l’inconditionnel respect de l’humanité en tous les humains et en chacun » (2000, 13). À cet égard, il nous semble que c’est ce respect inconditionnel de l’humain en chaque patient et ses conséquences dans la clinique qui faisaient dire à nos professeurs que la médecine était un art : puisque l’originalité de chacun devant être prise en compte dans la clinique, tout acte médical portait sa part de création. De ce point de vue, la psychiatrie s’impose comme l’art médical par excellence, le psychiatre ayant à réinventer avec chacun de ses patients des solutions nouvelles face à la résistance qu’apporte la singularité du sujet, l’impact de son esprit et de ses expériences de vie, dans la pratique clinique. Les sciences biologiques et les neurosciences peuvent apporter beaucoup au médecin dans sa pratique clinique mais elles ne peuvent jamais être substituées à la créativité propre à son art. Le psychiatre reste un artisan de la médecine du fait même de son objet, l’esprit humain, et de son objectif de supporter cet esprit dans sa démarche créative et éthique.
Si tenir compte de l’ensemble des aspects de l’être humain qui souffre s’applique à l’éthique du psychiatre dans sa pratique clinique, cela rejoint ce que conseille l’Association des psychiatres du Canada dans l’énoncé de sa position de principe d’avril 2004 sur les psychothérapies, en affirmant la contribution unique que les psychiatres peuvent faire quand ils sont capables « d’intégrer les approches psychologiques et les approches biologiques dans un plan de traitement » tout en rappelant la place centrale de la formation aux psychothérapies dans la résidence en psychiatrie. Par la psychothérapie « des changements (vont survenir) dans le processus de pensée, l’humeur, le comportement » et une « intégration du passé, au présent et au futur pourra s’effectuer » (Gary Chaimowitz, 2004, 1)
Ceci est d’autant plus important lorsque le psychiatre doit traiter des personnes aux prises avec des maladies dévastatrices comme la schizophrénie. Comme le constatent Abidi et Bhaskara dans une récente revue de la littérature, « les médicaments actuels sont encore sous-optimaux pour traiter efficacement cette maladie » (Abidi et Bhaskara, déc. 2004, 755). Les auteurs posent le dilemme du psychiatre qui, cherchant à procurer un traitement pharmacologique efficace tout en évitant les effets neurologiques morbides des neuroleptiques typiques, risquent d’exposer ses patients « tant à la morbidité qu’à la mortalité potentielle des atypiques » soit leurs effets indésirables cardiovasculaires, endocriniens et métaboliques — maladie cardiaque, diabète, obésité.
Dans un cadre où ce que la pharmacothérapie a à offrir, que ce soit pour les psychotiques, les déprimés ou les anxieux demeure, somme toute, limité et à risque, c’est manquer d’éthique que de faire croire aux personnes touchées par des maladies graves qu’ils trouveront une solution à leur malheur et à leur souffrance dans la seule médication.
Et ceci nous amène à situer la question des « données probantes » et des « guides de pratiques » dans la perspective de l’éthique clinique.
Est-ce éthique, nous demandons-nous, que des compagnies pharmaceutiques soutiennent financièrement la rédaction et la publication des « guidelines », comme ce fut le cas pour les derniers guides de pratiques pour le traitement de la schizophrénie, publiés en 1998 par notre Association des psychiatres canadiens ? En deuxième page de couverture, à notre grand étonnement, nous pouvons lire : « The developpement, printing, and distribution of theses guidelines were supported through unrestricted educational grants from the following companies : Eli Lilly Canada Inc., Janssen-Ortho Inc., Novartis Canada Ltd., Pfizer Canada inc., Zeneca Pharma Inc.” (Working Group for the Canadian Psychiatric Association and the Canadian Alliance for Research on Schizophrenia, November 1998, vol. 43). Quand on sait que cette même industrie pharmaceutique a attendu la mise en marché des neuroleptiques atypiques pour faire connaître à grande échelle aux psychiatres les effets nocifs des neuroleptiques classiques, nous ne pouvons qu’être scandalisés. D’autant plus qu’il est maintenant connu que l’industrie pharmaceutique ne publie que les études à résultats positifs pour le produit qu’ils veulent mettre en marché (Baldessarini, sept-oct 2004). Est-ce que ce sont les compagnies pharmaceutiques, dont les enjeux de marketing et les intérêts légitimes de profit n’ont rien à voir avec l’objet de la clinique psychiatrique, qui soutiennent subrepticement et orchestrent en subliminal l’établissement des données probantes et la définition des meilleures pratiques ?
« Être en contact avec l’industrie pharmaceutique a un impact direct sur la pratique médicale », dit le Dr Wazana, « les études convergent toutes », conclut-il à la suite d’une méta-analyse (Ashley Wazana, 2004, 14). Alors, la question qui vient spontanément est la suivante : quelle a été l’influence de la prise en charge financière des rédacteurs des guides de pratique sur leurs recommandations et sur l’insistance mise dans ces guides sur l’usage des médicaments dans les différentes pathologies ? Non, un cadeau n’est jamais seulement qu’un cadeau, avertit Wazana (2000). La recension rigoureuse qu’il a faite des recherches portant sur les rapports entre médecins et compagnies pharmaceutiques l’amène à mettre en évidence le concept de « réciprocité » utilisé par l’industrie comme outil majeur de persuasion dans son interaction avec les médecins : comme tout autre individu, dès le moment où un médecin reçoit un cadeau, quelle que soit sa valeur, une relation de dette psychologique s’amorce, une obligation morale de rendre ce qui a été reçu. Les études démontrent que la dette sera habituellement « remboursée » par un changement dans les opinions ou les habitudes de prescription du médecin : c’est ça la réciprocité (Wazana et Primeau, 2002, 652).
Outre notre réflexion sur cette question pointue des données probantes sur les meilleures pratiques qui doivent présider aux recommandations faites par les comités formés pour établir les guides cliniques, l’étude de Wazana nous fait aussi réfléchir en tant que médecin-psychiatre dont les activités de formation continue sont soutenues par les compagnies pharmaceutiques : « Il est extrêmement dérangeant pour nous d’admettre que notre jugement et notre intégrité puissent être altérés par un repas, des billets de spectacle ou un voyage. L’édifice de notre éducation médicale ne peut tout de même pas être si fragile ! Pourtant si, il l’est » affirme-t-il (Wazana, 2004, 14). Et, l’auteur suggère de mettre en place les conditions qui assureront « qu’aucune interférence ne s’interposera entre notre pratique et le bien-être de nos patients » (Wazana, 2004, 17). Il est rassurant que l’alerte sonnée par ce chercheur soit publiée dans le Bulletin de notre Corporation des médecins du Québec. Quand on travaille avec des médicaments qui, du fait de leur complexité et de leur niveau d’action, ont un effet sur tout l’organisme, de telles mises en garde sont extrêmement pertinentes et donnent la clairvoyance nécessaire pour réussir à pratiquer une psychiatrie qui ne laisse personne pour compte.
Une philosophie de soins pour la psychiatrie des années 2000
La psychiatrie de nos jours évolue dans un monde marqué par un désordre global dont la médiatisation à outrance ou carrément barbare touche personnellement une population captive de l’information imposée qui avalise des positions inacceptables : guerres d’idéologies utilisant des armes sauvages, désastres écologiques et humanitaires, décisions politiques où la loi du plus fort prime sur le consensus des nations, fausses représentations, solidarités brisées par l’appât du gain, exécutions en direct… Les problèmes psychiques qu’apportent nos patients portent l’inscription de cette mondialisation qui se développe de façon vertigineuse et le contenu de leurs difficultés en revêt les couleurs. Dans ce cadre, la psychiatrie a la possibilité de devenir le domaine où se pense l’intégration des aspects multifactoriels des problèmes psychiques qui en sont l’expression.
Nous n’en sommes plus à la dichotomie surannée des années soixante entre médicament et psychanalyse. Pourtant, nous trouvons encore des psychiatres biologistes qui, dans l’expectative de la disponibilité de molécules dont ils attendent la mise en marché, vantent déjà les effets salvateurs de ces nouveaux produits chimiques sur le corps de leurs patients, en l’opposant à une théorie psychanalytique erronée et désuète de culpabilisation des parents, par exemple, sur une base quasi religieuse de faute accomplie dans leur comportement vis-à-vis de leurs enfants. Pourtant, l’éthique de la psychanalyse depuis Freud a toujours promu la responsabilité de la personne elle-même, plus spécifiquement du sujet de l’inconscient, en regard de ses choix, incluant l’enfant. Cette attaque de « la » psychanalyse semble avoir pour raison de cacher leur ignorance que du même souffle ils reconnaissent concernant les causes de la perturbation biochimique dont, à courte vue, ils prétendent régler toutes les conséquences avec un médicament. Malheureusement, cette loi du moindre effort est le pain quotidien de nos sociétés nord-américaines bien nanties, et une certaine psychiatrie n’en est pas exempte : plutôt que de s’intéresser à la globalité de l’être en souffrance, le médicament administré supporte une attente passive tant du soignant que du soigné où le patient devient un défi à relever dont une polypharmacie calculée pourrait vaincre la résistance ; et, il se trouve des patients qui, suivant cette voie de la facilité, du moins à court terme, réclament ce type de traitement. Et pourquoi pas ?
Quand il s’agit de la décision du patient, la psychiatrie dont nous faisons la promotion ici se fonde sur la reconnaissance et l’acceptation de la libre décision de la personne en souffrance. Mais, l’éthique du psychiatre des années 2000 requiert qu’il donne toute l’information à son patient concernant les choix de traitement qui s’offrent à lui — analytiques, psychologiques, éducatifs, communautaires, biologiques, médicamenteux, spirituels — et pas seulement l’information qui supporte son idéologie ou ses choix moraux qui, elle, risque trop d’être entachée et pervertie par son histoire personnelle, ses échecs, ses peurs et angoisses, ses préjugés, etc. Le médecin bioéthicien David Roy l’exprime simplement mais clairement : “Nous cliniciens, chaussons nos patins et prenons nos rondelles, pour patiner à travers cette glace qu’est la vie de cette personne malade et marquer des buts. Mais, ce sont nos buts, pas les siens. Pourtant c’est sa vie, pas la nôtre et les décisions que nous devons prendre doivent être guidées par sa vie » (Roy, 1992).
Le problème trop souvent réside dans le fait que le psychiatre, unilatéralement, impose sa définition du soin au patient. Pourtant, les tensions conflictuelles créées par la complexité chez un être humain ne peuvent trouver de réponse que dans un traitement individualisé et personnalisé. Pour le psychanalyste, chaque sujet est unique. Dans un traitement proposé à un patient en particulier, l’application d’une solution générale ou d’une solution qui ne prendrait pas en compte les aspects multiples de l’humain en face de lui, serait trompeuse. Nous considérons qu’un véritable traitement psychiatrique, prend en considération, en premier lieu, tout ce qui ne peut pas être rapidement objectivé ou livré spontanément et qui ne peut être verbalisé sans qu’une adresse au sujet ne soit faite sur ses déchirements, ses conflits, sa façon de penser, sa parole, son mode de négociation avec les autres, ses choix, ses conditions, autrement dit, un traitement psychiatrique commence par la prise en compte de la dynamique intrapsychique. Le psychiatre doit offrir à son patient des modalités de traitement qui tiennent compte de la complexité du sujet humain et, conformément à la « vision du système de santé mentale » du groupe de travail de l’Association des Psychiatres Américains, un plan de soins appropriés et personnalisés, axés sur le patient et sa famille, ancrés dans la communauté, facilement accessibles, respectant la dignité du patient et son choix de médecin et d’organisme dans sa communauté, (Gagnon, 2004, 5), dans un milieu qui, « tout en assurant la sécurité et un traitement efficace, soit le moins restrictif possible » (American Psychiatric Association, 2000, 306). Dans ce contexte, nous pourrons, ajouterais-je, « redonner à la psychiatrie son sens initial de gardien de la santé psychique et de refuge pour la parole excentrique marginalisée et délivrer le « patient » de l’interdit de penser et de parler que l’approche biomédicale et scientifique risque d’induire » (Bergeron, 2004, 47).
À Québec, l’expérience du Centre psychanalytique de traitement pour jeunes adultes psychotiques, le 388, a donné le coup d’envoi à l’ouverture d’autres Centres de traitement dans la communauté, incluant tous une composante de traitement intensif sur place, 24h/24, alternatif à l’hospitalisation. Regroupés sous le vocable de Psychiatrie en ville, forts de leur expérience de traitement en ville, les psychiatres de ces centres spécialisés dans le traitement dans la communauté et quelques autres, supportent actuellement une proposition de Programme de traitement et de réadaptation dans la communauté. Ils proposent de s’occuper, en ville, à partir de leurs centres de traitement, de l’ensemble de la clientèle de la région de Québec souffrant de troubles mentaux graves, soit les personnes aux prises avec des problèmes qui nécessitent un traitement à long terme et des services de réadaptation. En partenariat avec les différents acteurs sociaux en santé mentale — organismes communautaires d’aide au logement, au travail, au loisir, groupes d’entraide, services publics, centres de santé, médecins omnipraticiens, etc. —, dans une organisation de services intégrés, axée sur l’information, l’échange, des ateliers de formation, la consultation, l’évaluation, la concertation clinique et le soutien aux proches, les psychiatres veulent créer un milieu de traitement qui accentue la qualité, la continuité et la coordination des services, cherche des solutions dans le milieu de vie et surtout qui est fondé sur la primauté de la personne dans toute sa complexité, comme l’énonce la Politique gouvernementale de santé mentale de 1989 et le document d’orientation ministériel de 1997.
Au fond, pour dépasser l’incommunicabilité que nos patients déplorent et les aider à se réarticuler à la vie sociale, les psychiatres de Psychiatrie en ville ont pris le parti d’intégrer de façon complémentaire les différentes approches, de renforcer la cohérence interne entre les équipes et de considérer le choix du type de traitement comme un droit du patient en tant que citoyen. La psychiatrie a toujours été un domaine clinique passionnant. Elle le demeurera et s’enrichira des découvertes scientifiques des neurosciences dans la mesure où ceux qui l’animent et font de cette discipline médicale un art maintiendront le cap sur sa raison d’être, la personne qui souffre dans sa totalité. Et, nous conclurons avec cette réflexion que nous a soufflée le Film à portée philosophique « Matrix » : si c’est le code instinctif de l’animal qui garantit son équilibre neurophysiologique et préserve sa vie, chez l’Homme, l’organisme ne peut survivre sans l’esprit et sans l’impulsion du désir inconscient qui sous-tendent sa capacité de choix.
Appendices
Références
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