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L’ouvrage collectif Raisons d’être. le sens à l’épreuve de la science et de la religion permet d’engager un dialogue entre les disciplines en rassemblant les réflexions de spécialistes ayant une formation en physique, en théologie, en philosophie, en éthique ou oeuvrant en sciences de la vie. Tout en évitant le concordisme ou l’uniformisation, cette quête de cohérence au travers de la diversité des approches présentées et ce dialogue entre science et religion soulèvent des questions aussi fondamentales que le sens (ou non-sens) de la vie et de l’être humain ainsi que les questions de la vérité, de l’expérience religieuse en modernité et du statut des sciences humaines en science. Le groupe de recherche dont émanent ces études s’est donné la possibilité – et a pris le risque – de penser la complexe réalité humaine et la diversité des savoirs, ce qui est signe d’universalité et non de cloisonnement des disciplines. Cette démarche humanisante et constitutive de notre humanité est aussi, selon le théologien Gérard Siegwalt, celle de la pensée religieuse qui relie et qui cherche à intégrer les savoirs à la totalité du réel et à la totalité de l’être humain, ce qui s’accompagne d’une continuelle tension entre rationalité scientifique et réceptivité spirituelle.
En première partie, les physiciens Louis Lessard et Normand Mousseau indiquent que les révolutions scientifiques situent l’être humain dans l’Univers en d’autres termes que ce qui prévalait auparavant et ils avancent que l’existence humaine est désormais pensée en termes, de probabilités, de processus d’évolution plus ou moins chaotiques, de propriétés émergentes et de complexité. Lessard propose par conséquent une réflexion sur la méthode scientifique, ses a priori, sa validité et son ordre épistémologique constitutif. La question du sens et la quête de sens interpellent et motivent la démarche scientifique tout en faisant appel à d’autres démarches. Se posent alors les mêmes exigences de cohérence, de rationalité et de sens critique caractéristiques de la démarche scientifique. Le philosophe Jean Grondin poursuit dans cette veine : il montre que la question du sens 1) a à tout le moins un sens du fait qu’elle est posée, 2) peut être, ainsi que les diverses réponses qu’elle apporte, située dans l’histoire, 3) est liée à celle des origines à laquelle l’hypothèse scientifique du Big Bang, sans en nier la valeur, ne répond pas entièrement, 4) est aussi celle de la direction, de l’orientation et de la destinée de la vie et de l’univers, aspect évacué ou traité partiellement par la science moderne, car elle se concentre sur et se limite à ce qui est observable et mesurable. La première partie de l’ouvrage inclut la contribution de la théologienne Solange Lefebvre, qui rappelle la pluralité des théologies et la possible ouverture de celles-ci aux discours sur le monde et sur l’être humain, dont fait partie le point de vue scientifique. Pour sa part, le spécialiste de neurobiologie et de neuropsychologie Mario Beauregard présente ses recherches en neurosciences spirituelles : l’étude du cerveau de carmélites lorsqu’elles vivent des expériences religieuses, spirituelles et mystiques (ERSM) montre un caractère multiple (cognitif, émotionnel, état de conscience où la perception de temps et de l’espace est altéré, etc.). Cette étude remet en question de nombreuses explications biologiques réductionnistes des ERSM (phénomènes strictement hallucinatoires, provenant du seul lobe temporal, etc.). Beauregard insiste sur l’impossibilité de démontrer ou d’infirmer la réalité objective de Dieu ou d’un monde spirituel. Enfin, le bioéthicien Hubert Doucet décrit brièvement les discours basés sur les neurosciences selon lesquels la réalité humaine est à chercher et à transformer au niveau du cerveau, puis il fait écho à quelques critiques de cette position et de sa concomitante éthique naturaliste.
En deuxième partie, Christian Downs et Paul Allen abordent des questions épistémologiques reliées aux rapports entre science et religion. Downs présente quelques positions de Gérard Siegwalt qui veut, d’une part, dépasser le dualisme ontologique et son corollaire, l’objectivisme scientifique et, d’autre part, met de l’avant une raison philosophique, ontologique et globalisante. Le théologien Paul Allen se concentre sur la possibilité de construire une épistémologie où science et religion ne sont pas considérées comme séparées ou n’ayant aucun rapport l’une avec l’autre. En ce sens, Allen se réfère au réalisme critique de Ian Barbour, en indique des points critiques et propose sa propre réflexion liée à des problématiques théologiques. Ensuite, la question d’un possible dialogue et du statut des sciences (« de la nature » et « humaines ») est posée par le philosophe Peter Odabachian. En s’appuyant sur l’oeuvre et la pensée de Gadamer, Odabachian montre la pertinence de l’effort herméneutique au sein des pluralismes mouvants de l’époque actuelle et argumente pour que les sciences humaines aient un rôle face aux interrogations sur les fins dernières. Heather Stephens, rattachée à l’Institut Thomas Moore, témoigne de l’importance du questionnement lorsque plusieurs discours ou disciplines sont en jeu. Revenant à la question du sens, la contribution du philosophe Georges Hélal clôt la deuxième partie. Raison et sensibilité alimentent toutes deux l’expérience religieuse. Situer les apports de l’une et de l’autre soulève la question de la vérité (objective et subjective) si discutée en modernité. Finalement, Gérard Siegwalt conclut en repensant l’aventure disciplinaire de cet ouvrage issu d’un symposium : le défi d’un véritable dialogue et d’une approche « dialectiquement unitaire » conduit à mettre de l’avant la réflexion épistémologique. Dans la crise des fondements de la modernité, il semble nécessaire de développer une pensée capable de mettre en relation les savoirs et d’arriver à une conception globale de l’unité du réel. C’est à l’épistémologie qu’il revient de chercher, et les fondements du réel, et l’unité au travers de la diversité du réel. La pensée ainsi mise en place ouvre aux questions du sens et du non-sens (des choses, des êtres, de Dieu, de l’univers, de l’être humain, etc.) tout en respectant le droit de chacune des spécificités.