Comptes rendus

Pierre Perrault, Le mal du Nord, Hull, Éditions Vent d’Ouest, 1999, 380 p. (Passages, Récits.)[Record]

  • Gérard Duhaime

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  • Gérard Duhaime
    Département de sociologie,
    Université Laval.

Pierre Perrault était un poète, celui qui raconte en s’écartant sciemment du droit fil du récit et emprunte toutes ressources pour communiquer l’émotion au fondement de son oeuvre. Il était un poète du pays, des gens et des espaces. Peu avant son décès en 1999, Perrault faisait paraître le récit de son voyage de 1991, une croisière qui le mena de Québec au-delà du cercle polaire arctique, déjà racontée, fugaces paroles, au cours d’une série d’émissions radiophoniques. Ne soyons pas étonnés que le récit ne raconte pour ainsi dire rien : ce n’est qu’au tiers de l’ouvrage déjà que le brise-glace largue les amarres et le voyage (aller seulement) se déroule à peu près sans histoire. Dans le livre comme dans toute l’oeuvre de Perrault, le récit est intérieur. Le voyage procure un fil conducteur autour duquel Perrault réfléchit plus ou moins ad lib. sur l’avancée du monde, étalant sa fascination, ses doutes et sa nostalgie. L’auteur livre sa fascination pour les grandes oeuvres du monde et de l’Homme. L’immensité du fleuve et des glaces, par exemple, et la capacité du monde d’hier et d’aujourd’hui de s’y mouvoir sans s’y perdre grâce aux moyens qu’inspire chaque époque. Cette fascination révèle un attachement profond pour l’Homme lui-même, et pour le pays dans lequel il incarne son humanité. C’est un Perrault ému de l’amour du pays et de son monde qui écrit, dans un style soudain dépouillé : « Là où je suis, il fait toujours beau » (p. 116). Mais la fascination n’est pas seulement admirative. L’auteur livre également un portrait nostalgique des pertes accusées par l’humanité dans son avancée bouleversante. Pour Perrault, le GPS remplaçant la navigation à l’estime, la balise automatisée remplaçant le phare et son gardien, la cartographie détaillée des grands espaces remplaçant le hasard de la découverte, ne sont pas seulement de formidables progrès qui améliorent les choses. Ils rapetissent l’espace lui-même, c’est-à-dire la toute-puissance de la nature, assujettie au règne technologique ; ils rapetissent l’espace des rapports humains. Cette angoisse est au fondement de l’ouvrage : tout de son récit et de sa croisière pensive l’y conduit ; rien de ce qu’il voit du présent ne le rassure tout à fait sur le futur. Le titre même de l’oeuvre exprime cette angoisse fondatrice. Le livre aurait pu s’intituler « L’appel du Nord », dont le sens aurait été univoque. Perrault choisit plutôt de livrer toute l’ambiguïté de sa lecture du monde contemporain dans une expression empruntée à René Richard, dont on ne sait trop si elle décrit une maladie incurable ou une fascination. Du reste, cette angoisse face au destin du monde, face à l’oeuvre inachevée, est symbolisée par le voyage lui-même, solitaire malgré l’équipage, incomplet, inachevé. Arrivé à cette destination qui le déçoit, il se rend compte qu’il a voyagé seul, malgré l’équipage qu’il a côtoyé durant quinze jours, discutant avec lui-même seulement de l’isolement croissant des hommes. Puis, il laisse le bateau pour l’avion et ne dit rien du retour. Il gardera pour lui les secrets de l’autre versant du voyage. Ces thèmes n’étonneront pas ceux qui connaissent un tant soit peu l’oeuvre du poète, puisqu’ils marquent toute son oeuvre. A-t-il voulu livrer un testament révélant délibérément sa vérité intérieure ? Chose certaine, on peut parcourir le récit sans histoire de cette manière ; si la mort de l’auteur n’est que coïncidente à la parution de l’ouvrage, elle ne décourage pas cette interprétation. Tout se passe comme si l’auteur avait voulu laisser parler les préoccupations de sa vie sur le déclin, livrer des réflexions vagabondes, sans y opposer d’ordre absolu comme l’aurait exigé …