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L’année 2019 marquait le centenaire de l’Organisation internationale du travail (OIT), cette « vieille dame » des Nations Unies[1] dont les objectifs sont voués à la promotion de la justice sociale, principalement par le biais de l’adoption de normes internationales du travail. C’est la Partie XIII du Traité de Versailles, mettant un terme à la Première Guerre mondiale, qui crée l’Organisation et en énonce les principes fondateurs essentiels, dont le premier, selon lequel : « une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la justice sociale »[2]. Déjà, au XIXe siècle, le contexte de la révolution industrielle impliquant des conditions de travail difficiles pour les ouvriers avait fait germer dans l’esprit d’industriels et de réformateurs humanistes l’idée d’une association internationale dédiée à la protection des travailleurs. La dette de gratitude envers les travailleurs ayant fait d’énormes sacrifices durant le conflit et la crainte de l’expansion de la révolution bolchévique à l’ouest de l’Europe poussèrent les anciens pays belligérants à associer les travailleurs à la création de cette nouvelle institution lors des pourparlers de paix. De cet engagement initial avec les partenaires sociaux découle le caractère tripartite de l’Organisation, toujours inégalé dans le système onusien, qui s’exprime dans ses activités par une représentation des États membres composée à la fois de délégués gouvernementaux, mais aussi de délégués représentant les travailleurs et les employeurs.
Les premières années de l’existence de l’OIT sont marquées par une activité normative soutenue et une interprétation large de son mandat autour des questions sociales et économiques[3]. Durant la Seconde Guerre mondiale, son siège est déplacé de Genève à Montréal et elle survit ainsi au démantèlement de la Société des Nations. Soucieuse de préserver son rôle dans l’architecture des institutions internationales d’après-guerre qui se dessine, elle adopte, en 1944, la Déclaration de Philadelphie[4], qui actualise le mandat de l’Organisation autour de l’affirmation de droits de la personne universels et de l’objectif du plein emploi. L’OIT devient l’une des agences spécialisées de l’Organisation des Nations Unies en 1946, peu après sa création.
Les Trente Glorieuses marquent la période de l’État providence, de la poursuite de programmes économiques de type keynésien, et de l’affirmation des droits fondamentaux. Sur le plan politique, l’OIT doit faire face aux enjeux de la décolonisation en admettant en son sein comme États membres de nouveaux pays indépendants à des niveaux de développement variés, ce qui entraîne une certaine pression pour une plus grande flexibilité des normes et une demande accrue pour l’assistance technique, tout en brisant le caractère homogène originel de l’Organisation. La guerre froide est par ailleurs source d’affrontements, notamment en raison des enjeux relatifs à l'indépendance des représentants des délégations tripartites des États membres communistes, amenant même le retrait temporaire des États-Unis de 1977 à 1980.
À l’occasion de son cinquantième anniversaire en 1969, l’OIT reçoit le prix Nobel de la paix pour son action continue dans la promotion de ses objectifs de justice sociale. Les années de la décennie 1970 sont teintées par les discussions autour du rôle des entreprises multinationales quant au respect et à la promotion des normes du travail qui déboucheront sur l’adoption par le Conseil d’administration de la Déclaration de principes tripartite sur les entreprises multinationales et la politique sociale en 1977. À partir des années 1980, l’Organisation n’est pas épargnée par les discours sur la libéralisation économique et la réduction de la taille de l’État qui deviennent prédominants et provoquent un ralentissement des activités normatives. Face aux défis posés par la mondialisation économique à laquelle elle cherche à donner une dimension sociale, l’OIT adopte successivement la Déclaration de 1998 sur les principes et droits fondamentaux au travail (Déclaration de 1998)[5] ; l’Agenda du travail décent en 1999 ; et la Déclaration de 2008 sur la justice sociale pour une mondialisation équitable (Déclaration de 2008)[6].
La capacité d’adaptation constante de l’OIT et l’influence de ses directeurs successifs lui ont permis de naviguer au travers les changements du XXe siècle et d’entrer dans le XXIe siècle consciente des défis posés par un monde du travail dont les réalités sont aujourd’hui bien différentes de celles ayant mené à sa constitution. Au fil des ans, c’est en se fondant entre autres sur la légitimité et le dynamisme découlant du tripartisme qu’elle a développé, à partir de ses dispositions originelles prévoyant notamment une Conférence internationale du travail, un Conseil d’administration et un Bureau international du travail (BIT) ayant à sa tête un directeur général[7], toute une structure de fonctionnement incluant les mécanismes d’adoption et de contrôle de l’application des normes, mais aussi des bureaux régionaux, un centre de formation et un institut d’études sociales lui permettant de dispenser de l’information et une assistance technique de qualité. Si l’OIT est dans son essence une agence créatrice de normes, comme il sera exposé en première partie, ses réponses aux défis posés par la mondialisation, qui seront analysées en deuxième partie, l’ont amenée à renforcer ses fonctions d’agence de développement et à adopter des modes de gouvernance souples.
I. L’OIT, une agence créatrice de normes
Le premier directeur général de l’OIT, Albert Thomas, envisageait l’amélioration de la législation du travail comme le moyen privilégié de réaliser les objectifs de l’Organisation[8]. L’adoption d’un corpus normatif élaboré par la Conférence internationale du Travail (CIT) sous la forme de conventions et recommandations constituant un Code international du travail reflète cette vision[9]. La mise en oeuvre de ces instruments est quant à elle assurée par une série de mécanismes de contrôle visant à assurer le suivi de leur application auprès des États membres.
A. Le processus d’adoption des normes
Les normes internationales du travail sont adoptées au fil des années en fonction des problèmes contemporains vécus dans les milieux de travail, qui sont identifiés comme des enjeux demandant un encadrement juridique précis par les mandants de l’OIT. Les normes internationales du travail prennent essentiellement deux formes : les conventions et les recommandations[10]. Les premières sont des traités internationaux dont l’observation est obligatoire pour les pays qui les ont ratifiées. Les secondes sont des lignes directrices destinées à guider les États membres sur un sujet donné, sans pour autant être contraignantes. Elles sont le plus souvent adoptées comme complément à une convention, afin entre autres de fournir aux États membres des détails sur l’application technique des normes, mais aussi lorsqu’il convient davantage d’encadrer un sujet par le biais de lignes directrices ou encore lorsque les États membres ne semblent pas prêts pour l’adoption d’un instrument ayant des effets obligatoires.
C’est la CIT, organe plénier de l’OIT regroupant les délégations de chaque État membre, qui adopte les conventions et recommandations à la majorité des deuxtiers des délégués présents[11]. Ces normes sont le résultat d’un processus de « double discussion » entre les partenaires sociaux sur la base de rapports préparés par le BIT, qui dans un premier temps dresse le portrait de la législation et de la pratique des États membres sur le sujet visé et qui, à la suite d’une première rétroaction lors de la conférence annuelle de la CIT, propose le ou les projets d’instruments qui seront discutés pour adoption lors de la rencontre annuelle suivante[12]. Axé sur la consultation des partenaires sociaux, ce processus vise à assurer la pertinence et la légitimité des normes, de même que leur appropriation ultérieure par les États membres. Ces derniers doivent soumettre les conventions adoptées par la CIT aux autorités nationales compétentes pour ratification et intégration dans la législation interne[13].
L’importance du corpus normatif adopté dans les cent premières années de l’existence de l’OIT est frappante : 190 conventions et 206 recommandations à la suite de la séance annuelle de 2019 de la CIT. Les sujets qui sont abordés par ces « règles du jeu » sont tout aussi variés que les besoins des travailleurs et des marchés de l’emploi : liberté syndicale, travail forcé, travail des enfants, discrimination, santé et sécurité au travail, protection de la maternité, peuples indigènes et tribaux, pour n’en nommer que quelques-uns[14]. L’universalité à laquelle l’Organisation a toujours aspiré fait en sorte que le libellé des normes laisse place à la souplesse dans leur transposition dans la législation nationale de façon à tenir compte des États « dans lesquels le climat, le développement incomplet de l’organisation industrielle ou d’autres circonstances particulières rendent les conditions de l’industrie essentiellement différentes »[15]. Si les réserves aux conventions ne sont pas permises, les clauses de flexibilité qu’elles contiennent fréquemment permettent donc la prise en compte des réalités nationales.
Les normes internationales du travail fixent des objectifs et servent de modèles pour la législation des États membres. Elles procurent également des orientations pour la mise en place de politiques sociales nationales, entre autres en matière d’emploi, d’inspection du travail ou de dialogue social entre les partenaires du travail[16]. Malgré tous les efforts entrepris par l’OIT pour en assurer la pertinence, le taux de ratification des conventions demeure généralement faible, sauf pour ce qui est des conventions dites fondamentales associées aux principes proclamés par la Déclaration de 1998 sur les principes et droits fondamentaux au travail[17]. On note aussi l’obsolescence de certains standards constatée par l’Organisation elle-même. L’entrée en vigueur en octobre 2015 d’un amendement à la Constitution de l’Organisation internationale du Travail (Constitution de l’OIT), adopté en 1997, autorisant l’abrogation de conventions par la CIT offre une solution bienvenue à cet enjeu. Dans les dernières années, la CIT a fait un usage accru de recommandations autonomes, notamment sur le VIH/SIDA, le travail informel et le travail décent pour la résilience et la paix, ce qui semble confirmer une certaine préférence pour les instruments de droit souple[18]. Certains enjeux ont toutefois été encadrés par des instruments à caractère contraignant, toujours sous réserve de ratification, comme la question des travailleuses domestiques et du travail forcé. Preuve que le dialogue à l’OIT est le reflet des enjeux sociaux actuels, l’Organisation a adopté lors de la conférence internationale du centenaire en 2019 la Convention (n° 190) sur la violence et le harcèlement au travail.
B. Les processus de contrôle de l’application des normes
Deux types de mécanismes assurent le suivi de l’application des normes par les États membres de l’OIT. D’une part, la procédure de contrôle régulier et d’autre part, les procédures de réclamation et de plainte. La première se fait par voie de rapports périodiques soumis par les États membres quant aux mesures prises pour donner effet aux conventions qu’ils ont ratifiées[19]. Ces rapports indiquent de façon générale l’état du droit et des pratiques nationales sur le sujet concerné. Ils sont transmis aux organisations d’employeurs et de travailleurs qui peuvent faire des commentaires à leur sujet. Une procédure d’examen des rapports en deux étapes a été mise en place dès les premières années de fonctionnement de l’OIT[20]. Dans un premier temps, la Commission d’experts pour l’application des Conventions et Recommandations, composée d’une vingtaine « d’éminents juristes » nommés par le Conseil d’administration pour un mandat de trois ans procède à un examen « impartial et technique » du respect des conventions ratifiées[21]. La Commission d’experts peut émettre des observations concernant les problèmes d’application ou de non-respect d’une convention. Elle peut également requérir des informations additionnelles ou des éclaircissements par le biais de demandes directes. Le rapport de la Commission d’experts est ensuite examiné par la Commission de l’application des normes, une Commission permanente tripartite de la CIT. Cette dernière examine des cas individuels identifiés par la Commission d’experts comme demandant une attention particulière. Les gouvernements visés sont invités à répondre aux commentaires et à se présenter devant la Commission de l’application des normes pour une discussion. La Commission publie un rapport dans lequel elle consigne ses conclusions et recommandations. Une liste des cas de contravention aux normes les plus graves et persistants est également contenue au rapport qui est finalement soumis à la CIT.
La procédure de contrôle régulier allie une analyse à caractère juridique par la Commission d’experts, à un examen plus politique par les pairs devant la Commission de l’application des normes. Elle se fonde sur une logique dialectique, utilisant la persuasion et la réprobation pour inciter les États membres à respecter leurs obligations[22]. Le mécanisme vise à établir un dialogue entre les États membres et les organes de contrôle de l’OIT, qui permet aux premiers de mieux comprendre leurs obligations et d’ajuster leurs pratiques et leurs lois en fonction des commentaires reçus. Ce processus d’apprentissage est appuyé par les missions d’assistance technique souvent offertes aux pays se présentant devant la Commission de l’application des normes. Enfin la liste des cas les plus préoccupants permet à l’Organisation, dans les situations les plus critiques, de blâmer clairement, par un processus de « dénonciation et stigmatisation », les États membres en raison du non-respect des conventions.
Trois procédures pouvant être initiées dans des cas de violations spécifiques complètent la procédure de contrôle régulier. La procédure de réclamation, prévue aux articles 24 et 25 de la Constitution de l’OIT, permet à une organisation représentative des travailleurs ou des employeurs, qu’elle soit nationale ou internationale, de déposer un recours contre un État au regard du manquement à l’une des obligations découlant d’une convention ratifiée. La réclamation est présentée au Conseil d’administration qui forme un Comité tripartite afin de procéder à l’examen du bien-fondé des allégations et de la réponse du gouvernement. Ce Comité doit ensuite rendre un rapport au Conseil d’administration contenant une analyse des questions juridiques soulevées par le litige ainsi que des recommandations pour résoudre les problèmes constatés. Lorsque la réclamation soumise par une organisation de travailleurs ou d’employeurs a trait à la liberté d’association ou à la négociation collective, elle est transmise au Comité de la liberté syndicale (CLS) pour analyse et rapport. Ce dernier – qui n’apparait pas dans la Constitution de l’OIT, mais qui a plutôt été créé en 1951 à la suite de l’adoption des Conventions n° 87 et n° 98 – est composé d’un président indépendant, de trois représentants des gouvernements, trois représentants des employeurs et trois représentants des travailleurs. L’une des particularités du fonctionnement du CLS est qu’il entend les réclamations relatives à la liberté syndicale formulées contre un État membre, peu importe que ce dernier ait ou non ratifié les conventions concernées. On considère en effet que l’obligation de respecter la liberté syndicale découle de la Constitution même de l’OIT et que tous les pays membres, en raison de leur appartenance à l’Organisation, doivent respecter ce principe.
Un État membre faisant défaut d’appliquer une convention qu’il a ratifiée peut aussi être visé par la procédure de plainte prévue aux articles 26 et suivants de la Constitution de l’OIT. Ce recours, habituellement réservé aux situations où un État est accusé de violations graves et répétées de ses obligations, peut soit être intenté par un autre État membre qui a lui aussi ratifié la convention en cause, soit par un délégué à la CIT ou encore d’office par le Conseil d’administration[23]. La plainte mène généralement à la création d’une Commission d’enquête, composée de trois membres indépendants, qui a pour mandat de procéder à une investigation approfondie de la situation, de façon à pouvoir établir les faits et énoncer des recommandations dans un rapport transmis au Conseil d’administration[24]. L’État membre visé par la plainte dispose de trois mois suivant la publication du rapport pour en accepter ou en refuser les conclusions[25]. Il peut également aviser le Conseil d’administration qu’il souhaite soumettre le différend à la Cour internationale de justice[26], qui peut confirmer, amender ou annuler les conclusions et/ou recommandations de la Commission d’enquête[27]. Enfin, la Constitution de l’OIT prévoit également que la Conférence internationale du Travail peut prendre des « mesures » contre un gouvernement qui ne se conforme pas aux conclusions de la Commission d’enquête ou de la Cour internationale de justice[28].
La procédure de réclamation fondée sur les articles 24 et 25 de la Constitution de l’OIT et celle devant le CLS sont utilisées régulièrement par les organisations de travailleurs et d’employeurs. Bien que l’impact de ces mécanismes de contrôle soit difficile à évaluer, plusieurs États membres ont rapporté avoir pris des mesures visant à se conformer aux recommandations émises pour les appuyer dans la mise en oeuvre des conventions[29]. L’usage du processus de plainte est quant à lui plus limité puisque seulement quatorze Commissions d’enquête ont été constituées depuis les origines de l’OIT. Le seul cas ayant mené à la prise de mesures en vertu de l’article 33 est celui d’une plainte intentée par un groupe de délégués de la CIT à l’encontre du Myanmar (Birmanie) pour contravention à ses obligations à la Convention n° 29 sur le travail forcé[30]. L’État membre avait refusé de se plier aux recommandations de la Commission d’enquête – qui avait conclu à une pratique de travail forcé généralisée et systémique – et d’accepter l’assistance technique de l’OIT[31].
Si le système de contrôle de l’OIT a été salué comme étant l’un des plus sophistiqués du système des Nations Unies, les critiques n’ont pas manqué de souligner son « manque de dents », en l’absence d’un pouvoir de contrainte voire d’incitatifs ou de pénalités économiques associés à un manquement. Le choix du caractère volontaire des normes pour les États membres a été assumé dès le départ par les fondateurs de l’Organisation, qui ont écarté l’idée d’une législation internationale du travail avec un effet direct obligatoire sans ratification afin d’assurer l’adhésion du plus grand nombre possible et d’éviter l’adoption de normes simplement ajustées sur les standards communs les plus faibles[32]. Les limites dont souffrent les mécanismes de contrôle de l’OIT sont celles inhérentes à la logique dialectique qui sous-tend toute l’architecture de mise en oeuvre des normes. L’utilisation plus fréquente de mesures en vertu de l’article 33 pourrait être envisagée de façon à pénaliser davantage les États membres qui sont en contravention de leurs obligations, mais cela demanderait également une ouverture quant à l’usage du mécanisme de plainte, réservé jusqu’à maintenant aux situations les plus graves. Il s’agit d’enjeux dont l’Organisation est bien consciente et qui ont été analysés dans les discussions entourant son repositionnement institutionnel dans le cadre de la mondialisation.
II. L’OIT à l’heure de la mondialisation économique et financière
Accélération des échanges commerciaux et des mouvements de capitaux à l’échelle mondiale, abaissement des barrières tarifaires et non tarifaires, multiplication des innovations technologiques sont parmi les caractéristiques principales de la mondialisation économique et financière dont le mouvement s’est accéléré depuis les années 1980. Ce processus d’intégration a profondément modifié l’organisation du travail sur le plan mondial en offrant aux entreprises de nouvelles possibilités d’agencement de leurs activités et de leurs modèles de production, notamment par la délocalisation et la sous-traitance vers les pays à faibles coûts de main-d’oeuvre. L’effondrement du bloc communiste a par ailleurs modifié l’échiquier politique global et entraîné la disparition d’une alternative systémique au capitalisme et à l’économie de marché. La réflexion critique amorcée sur les modèles économiques d’après-guerre a provoqué la montée du néo-libéralisme fondé sur une préférence pour le laissez-faire et la dérèglementation. L’ambitieux programme normatif social de l’OIT s’est ainsi retrouvé à contre-courant du nouveau modèle économique dominant et n’a pas échappé aux critiques des adeptes de régimes règlementaires minceurs. Face à ces vents adverses, l’Organisation a senti la nécessité de se renouveler pour promouvoir ses objectifs sociaux. Les deux Déclarations adoptées par la CIT en 1998 et 2008 constituent l’armature juridique de la réponse donnée au contexte de mondialisation économique, reflétant à première vue un glissement vers la souplesse normative. Ce repositionnement de l’OIT sur l’échiquier mondial n’occulte pas les problèmes de gouvernance internes reliés notamment à une crise du tripartisme.
A. Un repositionnement sur l’échiquier mondial par le biais des Déclarations de 1998 et de 2008
En 1994, le Directeur général de l’époque, Michael Hansenne, dans son rapport annuel à la Conférence internationale du travail, amorce une réflexion sur les normes internationales du travail à l’ère de la mondialisation économique[33]. Il identifie alors une série d’enjeux reliés aux normes adoptées par l’OIT : leur nombre élevé ; leur faible taux de ratification ; leur caractère volontaire et leur vocation à encadrer principalement la conduite des États et non celle des entreprises transnationales, du moins directement. Il souligne également la nécessité de réfléchir à l’un des sujets chaudement débattus à cette époque : celui de l’insertion de « clauses sociales » dans les accords de libre-échange commerciaux, de façon à lier les avantages commerciaux découlant de ces traités au respect des droits des travailleurs. Cette réflexion ainsi commencée au sein de l’OIT sera influencée par des évènements extérieurs à l’Organisation, notamment la Déclaration ministérielle de Singapour de 1996 dans laquelle les membres de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), tout en affirmant leur engagement envers les normes internationales du travail, ferment la porte à l’intégration d’une clause sociale dans les accords régis par cette organisation et rappellent que l’OIT est l’institution compétente en la matière. Le consensus qui s’installe progressivement dans les années 1990 autour de la notion de « core labour standards » ou principes fondamentaux du travail, plus particulièrement après le Sommet mondial pour le développement social de Copenhague en 1995, sera aussi déterminant pour la suite des choses[34].
C’est dans ce contexte que l’OIT va choisir l’affirmation de droits universels permettant à tous les travailleurs d’obtenir leur participation aux richesses créées par leurs activités et de réaliser leur plein potentiel humain comme voie privilégiée pour améliorer l’impact de ses activités. Ainsi, la Déclaration de 1998 sur les principes et droits fondamentaux au travail, se fonde sur les responsabilités assumées par les États membres en vertu de la Constitution de l’OIT et de la Déclaration de Philadelphie pour affirmer l’obligation de respecter quatre principes et droits fondamentaux au travail : la liberté d’association et la reconnaissance effective du droit de négociation collective ; l’élimination de toute forme de travail forcé ou obligatoire ; l’abolition effective du travail des enfants; et l’élimination de la discrimination en matière d’emploi et de profession.
Cette obligation s’impose aux États membres en vertu de leur adhésion à l’Organisation et existe même lorsqu’ils n’ont pas ratifié les conventions fondamentales se rattachant aux droits énoncés. Le mécanisme de suivi rattaché à la Déclaration de 1998 est quant à lui purement promotionnel. Il repose sur trois éléments : la soumission de rapports annuels concernant les huit conventions fondamentales par les États membres ne les ayant pas ratifiées ; un rapport global sur chacun des quatre principes à tour de rôle ; ainsi qu’un plan d’action pour chacun des droits. L’OIT s’engage aussi à fournir l’assistance technique nécessaire à ses membres pour mettre en oeuvre leurs obligations.
L’adoption de la Déclaration de 1998 a soulevé de nombreuses critiques chez les observateurs et analystes de l’OIT. Plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer le caractère minimal des droits énoncés, y voyant un rétrécissement du Code international du travail[35]. Pour sa part, le mécanisme de suivi a été attaqué en raison de sa faiblesse : l’absence d’obligations contraignantes et de moyens de sanction en a déçu plusieurs. Ce constat négatif doit cependant être nuancé. Si la Déclaration de 1998 est un instrument de soft law, donc moins contraignant qu’une convention ratifiée, le mécanisme de suivi promotionnel de rapports annuels destiné aux États membres et l’insistance du BIT auprès de ces derniers quant à l’importance d’adhérer aux conventions fondamentales ont permis d’augmenter significativement le taux de ratification de ces dernières. Il faut aussi prendre en considération les questions de politiques internes à l’OIT : la Déclaration était une priorité dans l’agenda de l’Organisation afin de réaffirmer son mandat et sa pertinence dans l’économie mondiale[36]. Le rayonnement de la Déclaration de 1998 au-delà de l’enceinte de l’OIT suggère que l’Organisation a réussi, du moins dans une certaine mesure, à propager sa vision des « règles du jeu » minimales sur le plan social dans un contexte de mondialisation. On note, par exemple, une évolution des politiques des institutions financières internationales, particulièrement la Banque mondiale, pour une meilleure prise en compte du respect des droits fondamentaux des travailleurs proclamés par la Déclaration de 1998, notamment par leur intégration dans les Normes de performance de la Société financière internationale (SFI)[37]. Sur le plan international, la Déclaration de 1998 est reprise dans les Principes directeurs de l’ONU sur les entreprises et les droits de l’homme comme l’un des instruments devant être respectés par les États et les entreprises en cette matière, de concert avec la Charte internationale des droits de l’homme [38]. Ironiquement, malgré l’échec des discussions concernant l’intégration d’une clause sociale dans les accords de l’OMC, de plus en plus de traités commerciaux bilatéraux ou plurilatéraux contiennent de telles clauses avec une référence aux quatre droits fondamentaux proclamés par la Déclaration de 1998[39].
On constate aussi une réappropriation de cet instrument chez les entreprises, notamment dans leurs initiatives privées de responsabilité sociale[40]. Le contenu de la Déclaration de 1998 est en effet devenu un indicateur en ce qui concerne la crédibilité et la légitimité de ces initiatives, au premier chef les codes de conduite et autres chartes éthiques. Sur le plan des autres acteurs sociaux, la Déclaration de 1998 est reprise dans les initiatives de régulation des Fédérations syndicales internationales que sont les accords-cadres internationaux et par de nombreux systèmes de certification sociale. Dans plusieurs de ces cas, il est intéressant de constater que cette réappropriation pourrait provoquer un durcissement normatif des droits énoncés par la Déclaration de 1998, que ce soit par la voie contractuelle, conventionnelle ou bien judiciaire.
Dans la décennie suivante, la réflexion de l’OIT sur les enjeux sociaux à l’ère de l’économie mondialisée se poursuit, d’abord avec l’adoption en 1999 de l’Agenda du travail décent, un plan d’action qui recentre les activités de l’Organisation autour de quatre objectifs stratégiques : principes et droits fondamentaux au travail ; promotion de l’emploi ; protection et sécurité sociale ; et dialogue social et tripartisme[41]. Au-delà de l’aspect organisationnel de ce programme, c’est le concept de travail décent qui est mis de l’avant comme objectif phare de l’OIT : « le droit à un travail décent implique l’accès à un travail productif, d’une qualité acceptable, dans lequel les droits de la personne qui l’exerce sont protégés, et qui lui assure un revenu suffisant ainsi qu’une couverture sociale appropriée. »[42] L’adoption de la Déclaration sur la justice sociale pour une mondialisation équitable en 2018 apporte une plate-forme juridique au concept de travail décent.
L’objectif affirmé de la Déclaration de 2008, présenté comme « l’expression de la vision contemporaine de la mission de l’OIT à l’ère de la mondialisation[43] » est de renforcer la capacité de l’OIT de faire avancer ses objectifs par le biais de l’Agenda du travail décent. Son contenu normatif est toutefois bien limité, puisque la Déclaration affirme simplement que les efforts des membres à promouvoir le travail décent devraient se fonder sur les quatre objectifs stratégiques de l’OIT et que les moyens à mettre en oeuvre pour y parvenir devraient être déterminés au niveau national. Le mécanisme de suivi de la Déclaration de 2008 est, encore une fois, strictement promotionnel et il mise essentiellement sur un appui efficace de la part de l’OIT à ses membres, la contribution des membres à la réalisation des quatre objectifs stratégiques par leur politique sociale et économique et le ralliement des organisations internationales du système onusien à ces objectifs. Un mécanisme de rapports sur les quatre objectifs stratégiques à tour de rôle, à l’image de celui relié à la Déclaration de 1998, et des plans d’action développés au niveau national complète l’ensemble. Bien qu’on ait pu y voir une forme extrême de soft law et s’interroger sur son impact potentiel[44], la Déclaration de 2008 n’est pas restée lettre morte puisque le travail décent fait maintenant partie des objectifs de développement durable de l’ONU pour la période 2015-2030.
Les réponses données par l’OIT au défi de la justice sociale dans un contexte de mondialisation économique lui ont permis de réussir à s’ouvrir davantage à la communauté internationale et faire des droits fondamentaux au travail et du travail décent des objectifs globaux, partagés par les institutions internationales et les acteurs sociaux. Cette participation de l’OIT à la table de la gouvernance mondiale n’occulte toutefois pas les enjeux institutionnels pesant sur l’organisation, dont les difficultés de fonctionnement du tripartisme.
B. Des enjeux institutionnels persistants
Le tripartisme se fonde sur « la prémisse que le dialogue entre travailleurs et employeurs a un rôle fondamental à jouer dans le développement de la société[45] ». En permettant aux partenaires sociaux de s’exprimer sur les enjeux industriels, ce dialogue a grandement influencé les normes internationales du travail. Le tripartisme a historiquement contribué à la vigueur de l’OIT, mais il est maintenant source d’une certaine inertie institutionnelle. Puisqu’il repose sur la volonté de coopération des représentants des gouvernements, des employeurs et des travailleurs, la désaffection d’un de ces groupes peut aller jusqu’à compromettre le bon fonctionnement des activités de l’Organisation, comme le démontre la crise de 2012 autour du rôle de la Commission d’experts et du droit de grève[46].
Cette année-là, lors de la séance de juin de la Commission de l’application des normes, les délégués du groupe des employeurs se sont opposés à étudier les cas relatifs au droit de grève traité dans le rapport de la Commission d’experts en contestant notamment le pouvoir de cette dernière de procéder à l’interprétation des conventions. Or, le droit de grève n’est pas explicitement mentionné dans les Conventions n° 87 et n° 98 qui traitent de la liberté syndicale, mais découle de l’interprétation constante donnée par la Commission d’experts et le CLS à la Convention n° 87, notamment ses articles 3 et 10[47]. Les délégués du groupe des travailleurs ont refusé de travailler dans les conditions posées par les délégués du groupe des employeurs et condamné cette attaque frontale à un principe jugé fondamental. La Commission de l’application des normes n’a donc pas procédé à l’étude de cas spécifiques en 2012.
Pour une éviter une nouvelle paralysie du système en 2013, les parties en sont venues à un accord temporaire sur le fonctionnement de la Commission de l’application des normes. La Commission d’experts a quant à elle réaffirmé son mandat relatif à l’interprétation des normes en 2014. Différentes démarches ont aussi été entreprises à l’interne fin de dénouer la crise : rencontre tripartite en 2015 ; rapport conjoint du président de la Commission d’Experts et du Comité de la liberté syndicale sur les mécanismes de contrôle en 2016. Si ces différentes démarches ont permis d’éviter une paralysie du système de contrôle après 2012, le fond du problème quant au pouvoir d’interprétation de la Commission d’expert et à la protection du droit de grève sur le plan international ne semble pas réglé puisque la position défendue par les employeurs a de nouveau été réitérée par un délégué du groupe des employeurs dans le cours des travaux de la CAS en juin 2018[48]. L’article 37 de la Constitution de l’OIT permettrait d’apporter une réponse juridique à la question puisqu’on y prévoit deux recours possibles pour obtenir l’interprétation d’une convention : une demande la Cour internationale de justice ainsi que la création d’un tribunal interne[49]. Cette possibilité – qui n’a jusqu’à présent jamais été utilisée – a bien été analysée par le Conseil d’administration et les groupes de délégués employeurs et travailleurs à la suite de la crise de 2012, mais les différents protagonistes ont apparemment préféré l’ambiguïté actuelle à une décision claire qui leur soit désavantageuse.
La position des employeurs quant à la reconnaissance de la protection apportée au droit de grève n’est pas nouvelle, mais beaucoup plus affirmée qu’auparavant. La trajectoire des normes de l’OIT au-delà de son enceinte semble être pour partie responsable de cette situation. Outre leur rayonnement dans la communauté internationale, les normes de l’OIT ont été davantage mobilisées depuis les années 2000 par les tribunaux nationaux et régionaux dans des litiges relatifs à la détermination de la portée des droits fondamentaux. Ainsi, sans être considérées comme contraignantes, les recommandations de la Commission d’experts et de la Commission de la liberté syndicale ont été utilisées comme sources interprétatives persuasives pour élargir la portée du droit d’association, notamment pour y inclure le droit de grève[50]. Les juges sont ainsi devenus des acteurs de plus en plus importants de la mise en oeuvre des normes internationales du travail sur le plan interne. La crise de 2012 est donc pour partie reflet du malaise des employeurs devant le durcissement des normes de l’OIT. Elle découle aussi de l’opposition plus marquée du groupe des employeurs – et de certains États membres – à l’adoption de normes depuis les années 1980. La crainte de l’influence des régimes communistes a été un facteur de premier plan dans la collaboration des groupes à l’OIT. Or, la conjoncture favorable au dialogue reliée à cet enjeu géopolitique a disparu avec la chute du mur de Berlin et les compromis entre les différents groupes sont maintenant plus difficiles à atteindre.
Cette intransigeance de la part des employeurs arrive à un moment où la représentativité des mandants à l’OIT et leur « capacité de représenter les réalités du travail dans toute leur diversité »[51] est de plus en plus vivement contestée. Malgré leurs efforts pour se renouveler et parler au nom de l’ensemble des travailleurs, avec un taux de syndicalisation déclinant dans plusieurs pays, les associations syndicales ne représentent concrètement qu’une partie des travailleurs. Quant à eux, les délégués du groupe des employeurs sont le plus souvent issus des fédérations d’employeurs et chambres de commerce nationales, et ne sont donc pas plus représentatifs de certaines franges importantes de l’économie : entreprises multinationales, secteur financier et petites entreprises que l’on retrouve souvent dans le secteur informel[52]. Les deux groupes sont réticents à apporter des changements qui élargiraient le système de représentation à l’OIT à d’autres acteurs et remettraient ainsi en cause leur monopole. Leur ouverture à laisser place à des organismes de la société civile lors des discussions précédant l’adoption de la Convention n° 189 sur les travailleuses domestiques en 2014 est néanmoins encourageante. Dans ce cas particulier, la question de l’accès à des conditions de travail décentes a été envisagée comme un enjeu de dignité et de respect des droits de la personne pour cette catégorie de travailleuses, parfois employées dans des conditions qui s’apparentent à une forme moderne d’esclavage, ce qui a permis de rallier les différents groupes autour de la nécessité d’adopter une convention[53]. Le peu de familiarité du groupe des employeurs quant à un travail s’exerçant essentiellement dans la sphère privée (résidence familiale) et la faiblesse de la représentation syndicale pour les travailleuses domestiques, qui s’explique en partie par leur isolement au travail, ont créé des conditions favorables à la participation d’associations de travailleuses domestiques provenant de divers horizons dans l’élaboration de la Convention n° 189. Reste à savoir si cette ouverture demeurera exceptionnelle ou si elle pourra perdurer et faire germer des modifications institutionnelles plus importantes, améliorant ainsi la représentativité des groupes.
À l’aube de son centenaire, l’OIT a entrepris de revisiter une nouvelle fois ses orientations pour le siècle à venir afin de les adapter aux transformations du monde du travail propres au nouveau millénaire, dont celles relatives à la révolution numérique et à l’intelligence artificielle. Dès 2013, plusieurs chantiers de réflexion ont été lancés par le Directeur général de l’Organisation sur les enjeux relatifs à la gouvernance, aux normes du travail, aux entreprises, au développement durable, à l’éradication de la pauvreté, aux femmes sur le marché du travail et de façon plus large à l’avenir du travail[54]. L’OIT est pleinement consciente des transitions qui sont aux portes des sociétés contemporaines que ce soit sur le plan écologique, technologique, économique ou encore démographique, et des défis qu’elles engendreront pour les marchés du travail[55]. L’un des constats émergeant de ces réflexions est la nécessité de « redynamiser le contrat social » et de développer « un programme d’action centré sur l’humain pour l’avenir du travail »[56] de façon à préparer les individus aux défis des sociétés de demain.
La Déclaration du centenaire adoptée lors de la Conférence internationale du travail de 2019 reflète cette approche centrée sur l’humain développée dans le rapport de la Commission mondiale sur l’avenir du travail[57]. Le texte de la Déclaration du centenaire fait un appel aux États membres à travailler pour « renforcer les capacités de tous à oeuvrer à tirer parti des possibilités offertes par un monde du travail en mutation »[58] notamment par l’égalité de genre, l’apprentissage tout au long de la vie, l’accès universel à la protection sociale et l’accompagnement dans les transitions dans la vie professionnelle. On y énonce aussi que
[t]ous les travailleurs devraient jouir d’une protection adéquate conformément à l’Agenda du travail décent, en tenant compte des éléments suivants : le respect de leurs droits fondamentaux ; un salaire minimum adéquat, légal ou négocié ; la limitation de la durée du travail ; la sécurité et la santé au travail[59].
Le texte n’affirme toutefois pas l’obligation des États membres de respecter ces droits comme le faisait la Déclaration de 1998 quant aux quatre principes et droits fondamentaux au travail qu’elle énonçait[60]. On ne peut qu’espérer que les principes contenus dans cet instrument, dont le droit à l’apprentissage tout au long de la vie, seront malgré tout repris par les acteurs de la communauté internationale comme l’ont été les principes et droits fondamentaux au travail[61].
Le rôle de l’OIT dans la gouvernance mondiale au moment de son centenaire est double. D’une part, l’organisation doit continuer à mobiliser ses mandants autour des objectifs contemporains du monde du travail. Elle doit s’attaquer non seulement à des enjeux ayant une résonance au niveau national pour les États membres, mais aussi à des situations à caractère transnational, comme elle l’a déjà fait avec succès pour des problématiques telles que le travail domestique, mais avec des résultats plus mitigés pour d’autres enjeux comme l’encadrement normatif des entreprises transnationales. À défaut de susciter l’adhésion des délégués pour l’adoption d’instruments normatifs contraignants, l’OIT doit continuer de promouvoir des normes à caractère souple et utiliser d’autres modes de gouvernance, comme l’assistance technique, les partenariats et la consolidation de ses programmes phares en matière de développement, tels le programme international pour l’élimination du travail des enfants et du travail forcé (IPEC+) et le programme Better Work pour l’amélioration des conditions de travail dans l’industrie du textile.
D’autre part, l’OIT doit s’assurer que la promotion du travail décent et de la justice sociale demeure à l’avant-plan des objectifs de développement durable de la communauté internationale. Malgré le rayonnement de la et de la Déclaration de 2008 à l’extérieur de l’Organisation, il demeure que les objectifs des organisations financières et économiques internationales, dont l’OMC, entrent parfois en contradiction avec ceux de l’OIT. La logique commerciale peut pousser certains États à utiliser un avantage comparatif fondé sur la main-d’oeuvre à faible coût d’une façon abusive et en porte-à-faux avec les normes promues par l’OIT, une situation qui rappelle le préambule de la Constitution de l’OIT selon lequel « la non-adoption par une nation quelconque d’un régime de travail réellement humain fait obstacle aux efforts des autres nations désireuses d’améliorer le sort des travailleurs dans leurs propres pays ». L’OIT doit ainsi participer à la recherche d’une meilleure cohérence entre les logiques institutionnelles au niveau international[62].
Le contexte de pandémie mondiale actuel, qui affecte autant les travailleurs que les milieux de travail, a exacerbé les inégalités et mis en lumière l’importance d’assurer la recherche de la justice sociale, du travail décent et des droits fondamentaux des travailleurs. Les objectifs de l’OIT, énoncés dans son texte fondateur et plusieurs fois réaffirmés, n’ont aujourd’hui point perdu de leur pertinence. Les normes de l’OIT peuvent fournir des lignes directrices concrètes et être mobilisées pour assurer le travail décent en ces temps de crise. C’est donc en misant sur ses forces et en améliorant sa capacité d’action que l’OIT entre dans son deuxième centenaire en promouvant ses objectifs dans un contexte de réalité changeante, comme elle l’a toujours fait jusqu’à maintenant.
Appendices
Notes
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[1]
Francis Maupain, L’OIT à l’épreuve de la mondialisation financière : peut-on réguler sans contraindre, Genève, Bureau international du travail - Institut international d’études sociales, 2012, 2 à la p 3.
-
[2]
Pacte de la Société des Nations de 1919, « Traité de Versailles de 1919 », 28 juin 1919, UKTS 1919 n° 4 partie XIII (Travail), (entrée en vigueur : 10 janvier 1920) [Constitution de l'OIT].
-
[3]
Isabelle Duplessis, « Un abrégé de l’histoire des normes de l’OIT et de leur application » dans Pierre Verge, dir, Droit international du travail, Perspectives canadiennes, Cowansville (QC), Yvon Blais, 2010 à la p 85 [Duplessis, Abrégé de l'histoire des normes de l'OIT].
-
[4]
Déclaration de Philadelphie de 1944 concernant les buts et les objectifs de l’Organisation Internationale du Travail, 10 mai 1944, Annexe à la Constitution de l’OIT [Déclaration de Philadelphie].
-
[5]
Déclaration de l’OIT relative aux principes et droits fondamentaux au travail et son suivi, Doc off OIT, 86e sess, Doc OIT CIT/1998/PR20A, 37 I.L.M. 1233 (1998) [Déclaration de 1998].
-
[6]
Déclaration de l'OIT sur la justice sociale pour une mondialisation équitable, Doc off OIT, 97e sess, (2008), en ligne : <http://www.ilo.org/global/meetings-and-events/campaigns/voices-on-socialjustice/WCMS_099767/lang--fr/index.htm> [Déclaration de 2008].
-
[7]
Constitution de l'OIT, supra note 2, arts 2 et 8.
-
[8]
Steve Hughes et Nigel Haworth, The International Labour Organization (ILO). Coming in From the Cold, Routledge, New York, 2011 à la p 6.
-
[9]
Code international du Travail, 1951, BIT, Genève, 1954.
-
[10]
Constitution de l'OIT, supra note 2, art 19.1.
-
[11]
Ibid, art 19.2.
-
[12]
Organisation internationale du travail, Les règles du jeu : Une introduction à l’activité normative de l’Organisation internationale du travail, 5e édition, Genève, Édition du centenaire, 2019 à la p 20 [Les règles du jeu].
-
[13]
Constitution de l'OIT, supra note 2, art 19.5.2.
-
[14]
Les règles du jeu, supra note 12 à la p 3.
-
[15]
Constitution de l'OIT, supra note 2, art 19.3.
-
[16]
Les règles du jeu, supra note 12 à la p 26.
-
[17]
Parmi les conventions fondamentales on retrouve : Convention (n° 87) sur la liberté́ syndicale et la protection du droit syndical, 1948 ; Convention (n° 98) sur le droit d’organisation et de négociation collective, 1949 ; Convention (n° 105) sur l’abolition du travail forcé, 1957 ; Convention (n° 138) sur l’âge minimum, 1973 ; Convention (n° 182) sur les pires formes de travail des enfants, 1999 ; Convention (n° 100) sur l’égalité́ de rémunération, 1951 ; Convention (n° 111) concernant la discrimination (emploi et profession), 1958.
-
[18]
Isabelle Duplessis, « Raison d’être et perspectives d’avenir de l’Organisation internationale du travail (OIT) à l’aube de son centenaire » (2019) 48:2 RGD 391 à la p 443 [Duplessis, Raison d'être et perspectives].
-
[19]
Constitution de l'OIT, supra note 2, arts 22-23.
-
[20]
Duplessis, Abrégé de l'histoire des normes de l'OIT, supra note 3 à la p 84.
-
[21]
Les règles du jeu, supra note 12 à la p 106.
-
[22]
Edward Weisband, « Discursive Multilateralism : Global Benchmarks, Shame and Learning in the ILO Labor Standards Monitoring Regime » (2000) 44:4 Intl Stud Quarterly, 643 à la p 666.
-
[23]
Constitution de l'OIT, supra note 2, arts 26.1, 4.
-
[24]
Ibid, arts 26.3, 28.
-
[25]
Ibid, art 29.2.
-
[26]
Ibid.
-
[27]
Ibid, art 32.4.
-
[28]
Ibid, art 33.
-
[29]
Les règles du jeu, supra note 12, arts 24-25.
-
[30]
Convention n° 29 sur le travail forcé, 28 juin1930, Genève (entrée en vigueur : 1er mai 1932).
-
[31]
Francis Maupin, « Is the ILO Effective in Upholding Workers’ Rights : Reflections on the Myanmar Experience » dans Philip Alston, dir, Labour Rights as Human Rights, Oxford, Oxford University Press, 2004, 85 à la p 142.
-
[32]
Francis Maupin, L’OIT à l’épreuve de la mondialisation financière : peut-on réguler sans contraindre, Bureau international du travail, Institut international d’études sociales, Genève, 2012 à la p 16 [Maupin, l'OIT].
-
[33]
OIT, Defending Values, Promoting Change: Social Justice in a Global Economy : An ILO Agenda, Report of the director-general to the International Labour Conference, 81e sess, Genève, 1994.
-
[34]
Isabelle Duplessis, « La Déclaration de l’OIT relative aux droits fondamentaux au travail : une nouvelle forme de régulation efficace ? » (2004) 59:1 RI 52 à la p 72 [Duplessis, Déclaration].
-
[35]
Philip Alston, « Core Labor Standards and the Transformation of the International Labor Rights Regime » (2004) 15:3 European Jl of Intl L 457 à la p 521.
-
[36]
Duplessis, Déclaration, supra note 34.
-
[37]
International Finance Corporation, Normes de performance en matière de durabilité environnementale et sociale, IFC, Washington, 2012.
-
[38]
Haut-Commissariat des droits de l’homme, Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme, mise en oeuvre du cadre de référence « protéger, respecter et réparer » des Nations Unies), Genève et New York, Nations Unies, 2011, adopté par le Conseil des droits de l’homme dans sa résolution 17/4 du 16 juin 2011.
-
[39]
Jean-Michel Siroën, « Le travail dans les accords de préférence commerciale : état des lieux et perspectives » (2013) 152:1 RIDT 93 à la p 116; OIT, Labour Provisions in G7 Trade Agreements : A Comparative Perspective, Genève, 2019.
-
[40]
Renée-Claude Drouin et Isabelle Duplessis, « La régulation internationale du travail de 1998 à 2008 : un Eldorado normatif ou un désert interprétatif? » (2009) 14:2 Lex Electronica.
-
[41]
BIT, Un travail décent, Rapport du Directeur général à la Conférence internationale du travail, 87e sess, Genève, 2018.
-
[42]
Drouin et Duplessis, supra note 40 à la p 16.
-
[43]
Déclaration de 1988, supra note 5.
-
[44]
Ibid.
-
[45]
Organisation internationale du travail, Plateforme ressource sur le travail décent au service du développement durable : Tripartisme et dialogue social, en ligne : <www.ilo.org/global/topics/dw4sd/themes/s-dialogue-tripartism/lang--fr/index.htm>.
-
[46]
Claire La Hovary, « A Challenging Ménage à trois : Tripartism in the International Labour Organisation » (2015) 12:1 Intl Org L Rev 204 à la p 236; Duplessis, Raison d'être et perspectives, supra note 18.
-
[47]
BIT, La liberté syndicale. Compilation des décisions du Comité de la liberté syndicale, 6e éd, Genève, 2018 à la p 143.
-
[48]
Duplessis, Raison d'être et perspectives, supra note 18 à la p 431.
-
[49]
Claire L Hovary, « The ILO and the Interpretation of Fundamental Rights at Work : A Closer Look at Establishing a Tribunal under art. 37.2 » dans Ensuring Coherence in Fundamental Labor Rights Caselaw : Challenges and Opportunities, Leiden, Social Justice Expertise Centre, 2016 aux pp 49-59.
-
[50]
Janice Bellace, « L’OIT et le droit de grève » (2014) 153:1 RIT 31 à la p 74.
-
[51]
Maupin, L'OIT, supra note 32 à la p 284.
-
[52]
Guy Standing, « The ILO : An Agency for Globalization? » (2008) 39:3 Development and Change à la p 379.
-
[53]
Adelle Blackett, « The Decent Work for Domestic Workers Convention and Recommendation 2011 » (2012) 106:4 AJIL 778 à la p 794.
-
[54]
OIT, Rapport du directeur général, Vers le centenaire de l'OIT : réalités, renouveau et engagement tripartite, Doc off OIT, 102e sess, Doc OIT ILC.102/DG/1A (2013) à la p 2.
-
[55]
Alain Supiot, « Les tâches de l’OIT à l’heure de son centenaire » (2020) 159:1 RIDT 131 à la p 152.
-
[56]
OIT, Travailler pour bâtir un avenir meilleur. Commission mondiale sur l’avenir du travail, Genève, Bureau international du Travail, 2019 à la p 11.
-
[57]
Ibid.
-
[58]
OIT, Déclaration du centenaire de l’OIT pour l’avenir du Travail, adopté par la Conférence générale de l’Organisation internationale du Travail, 108e sess, Genève, 2019, en ligne : <www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/@ed_norm/@relconf/documents/meetingdocument/wcms_711695.pdf>.
-
[59]
Ibid.
-
[60]
Ibid.
-
[61]
Ibid.
-
[62]
Déclaration de 1988, supra note 5.