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La Seconde Guerre mondiale a révélé un ensemble d'horreurs qui a conduit aux violations des droits humains. Cela a permis de démontrer combien de fois il est urgent et important pour l’avenir de la civilisation de bâtir contre les agressions à la dignité humaine et à la liberté. C’est ainsi que certains sujets[1] de la société internationale ont mis sur pied un ensemble d’instruments juridiques qui devraient sauvegarder et valoriser la dignité de la personne humaine, mais aussi sa vie, sa liberté et son intégrité. Ces instruments ont pour rôle de protéger l’homme. Ainsi, la société internationale a pu faire émerger des droits naturels et fondamentaux à l’être humain, c’est-à-dire des droits qui lui sont inaliénables en tant qu’être humain. Ces droits humains[2] sont des libertés fondamentales inhérentes à l’individu sans distinction de son origine, de son sexe ou de sa religion. La Déclaration universelle des droits de l'Homme[3] et les traités subséquents, énumèrent une liste de plus d'une dizaine de droits humains significatifs[4] que les États doivent respecter et protéger.

La conformité c’est la « qualité de ce qui est conforme »[5] ou le « fait de se conformer (à quelque chose) »[6]. C’est donc le fait de respecter, de se soumettre et/ou d’appliquer les normes et principes d’un ordre juridique donné. Il faut rappeler que ce terme n’a pas encore de définition consacrée en droit international public[7]. Toutes choses qui donnent la liberté de proposer une esquisse de définition. Ainsi, dans le cadre de cette étude, l’on appréhende la conformité comme le fait pour un État d’adhérer, de se mettre en accord ou encore d’appliquer les règles et principes du droit international des droits humains.

En droit, rechercher les fondements revient « à se demander quel est, dans ses origines, le facteur qui explique sa force obligatoire »[8]. Ils peuvent être formels ou matériels. En ce qui concerne ceux de la conformité des États de l’Afrique subsaharienne au droit international des droits humains, l’on aimerait savoir ce qui les pousse à s’arrimer à cet ordre juridique. En d’autres termes, pourquoi les États de l’Afrique subsaharienne se conforment aux instruments du droit international des droits humains?

Il faut indiquer qu’en droit international en général, et en droit international des droits de l’homme en particulier, le problème est particulièrement difficile à résoudre puisqu’il s’agit de déterminer les raisons pour lesquelles des États souverains adhèrent à cet ordre juridique et à ses prescriptions[9]. Néanmoins, selon la pratique en cours dans l’ordre juridique international, la conformité des États de l’Afrique subsaharienne aux instruments internationaux[10] relatifs aux droits de l’homme se fonde, d’abord et avant tout, sur leurs engagements à le faire par la souscription « volontaire »[11] à ces derniers. C’est pour cette raison que le fondement visible à la conformité au droit international repose sur le principe pacta sunt servanda. En effet, depuis environ sept décennies, la diffusion des concepts sur les droits humains a atteint tous les continents et, à quelques rares exceptions près, tous les États et/ou royaumes de la planète Terre. Si l’on se fie au taux élevé de ratification des traités relatifs aux droits humains à travers le monde, l’on pourrait être tenté d’affirmer leur succès. Comme l’indique Anne Bayefsky, « chaque État membre de l’ONU a ratifié un ou plus des six principaux traités des droits de l'Homme. 80 % des États en ont ratifié quatre ou plus » [notre traduction][12]. L’Afrique, ne faisant pas exception à cette mouvance, s’y est arrimée autant que faire se peut. C’est ainsi que plusieurs États de l’Afrique subsaharienne ont ratifié le pacte de 1966 sur les droits civils et politiques[13]. Il s'agit notamment de : Angola, Bénin, Burundi, Cameroun, Cap-Vert, République centrafricaine, Congo, Éthiopie, Gabon, Gambie, Guinée, Guinée Équatoriale, Guinée-Bissau, Côte d'Ivoire, Kenya, Lesotho, Madagascar, Malawi, Mali, Namibie, Niger, Nigeria, Ouganda, Rwanda, Sénégal, Seychelles, Somalie, Tanzanie, Togo, Zambie, Zimbabwe, etc. Pourtant, la quasi-majorité des États africains n'a pas pris part à l’élaboration des principaux instruments du droit international des droits humains. Du fait de leur absence dans la conception de cet ordre juridique, l’on est tenté de s’interroger sur les raisons profondes de leur conformité à ce dernier. Qu’est-ce qui les poussent et/ou motivent concrètement à adhérer et à appliquer ces instruments? En réalité, le principe pacta sunt servanda laisse toujours sans solution sur l’interrogation susmentionnée, dont la pertinence est incontestable. Triepel reconnait qu’« on doit toujours et partout arriver au point où une explication juridique du caractère obligatoire du droit devient impossible »[14]. En scrutant la définition du droit international, l’on se rend compte que l'étude exclusive de ses sources formelles est incapable de produire une analyse exacte et complète. De toute évidence, l'article 38 du Statut de la Cour internationale de Justice[15] ne couvre pas toute la réalité du processus de création du droit international. Le droit n’est pas conçu comme un univers clos coupé du milieu social dont il est le produit. C’est pourquoi « [i]l ne subsiste aucun obstacle à ce que le juriste puisse s’aventurer dans le domaine des faits empiriques »[16]. Car « le fondement de la validité du droit est en dehors du droit »[17]. Dans le cadre de cette étude, l’on focalisera l’analyse sur des sources matérielles. Toutefois, certains aspects de cette étude prendront en compte des analyses basées sur les sources formelles du droit international. L’on peut émettre pour hypothèse que le mimétisme, l’effet de mode, l’inscription à de nouveaux paradigmes du droit, les nécessités économiques et financières ainsi que les pressions politiques sont les fondements de la conformité des États de l’Afrique subsaharienne au droit international des droits humains.

L’intérêt d’une telle étude est considérable au regard du regain des violations des droits humains dans certains pays de l’Afrique subsaharienne. Elle permet de mieux comprendre les agissements et les motivations réelles de certains dirigeants africains en matière des droits humains. En analysant le jeu des acteurs sur la scène internationale, cette étude lève un pan de voile sur le rôle que jouent les sujets puissants de la société internationale dans la mise en oeuvre du droit international des droits humains en Afrique.

Comme le champ spatial retenu pour cette étude est l’Afrique subsaharienne, il ne sera point besoin ici de présenter la situation État par État. Cependant, l’on tient à préciser que les situations en Afrique subsaharienne peuvent varier d’un État à l’autre, compte tenu du fait qu’il y ait un certain nombre de différences entre eux. Ces singularités sont perceptibles tant sur le plan économique, politique, idéologique, organisationnel, que culturel. Toutefois, ils ont quelques dénominateurs communs, notamment la pauvreté, la colonisation et la sujétion. L’on a pris le risque mesuré d’opter pour une analyse globale, en ce sens qu’elle repose sur une lecture panoramique du droit international des droits de l’homme dans cette zone géographique, tout en adoptant une perspective pluraliste et pragmatique.

La méthode juridique qui semble la plus appropriée pour appréhender la conformité des États de l’Afrique subsaharienne au droit international des droits humains est celle de la politique juridique. Le terme « politique juridique » est à appréhender ici au sens où l'entend Guy De Lacharrière, c'est-à-dire en tant que « politique à l'égard du droit et non pas nécessairement déterminée par le droit »[18]. Dans cette optique, la politique juridique représente à la fois un instrument et un enjeu dans la conduite des relations internationales.

L’approche critique sera convoquée dans cette étude. En droit international, l’approche critique est « caractérisée par le souci de dépasser le formalisme juridique au profit d’une mise en relation du phénomène juridique avec la réalité sociale et, en particulier, avec les contradictions qui la caractérisent »[19]. En fait, le droit « n'est pas fait de vérités éternelles, "objectives". Issue du fait social, évolutif par essence, la règle évolue avec lui; elle vit; elle meurt; et parfois même ressuscite »[20]. Dans le cadre des développements de cette étude, l’on insistera sur la prise en compte des phénomènes politiques et sociaux pour appréhender la conformité des États de l’Afrique subsaharienne au droit international des droits humains. Cependant, certaines analyses seront teintées par l’approche réaliste, car les États agissent en fonction de leurs intérêts et des moyens dont ils disposent pour les faire prévaloir. Et par le courant objectiviste, car l’on ne saurait nier les facteurs de solidarité ou de nécessités sociales qui régissent la société internationale. Toutes choses qui justifient que l’analyse de cette étude soit à la fois juridique, sociologique et historique. L’apport de l’histoire est évidemment primordial pour déterminer les conditions de l’émergence d’un discours sur le droit international des droits humains, et retracer le parcours de celles et ceux qui en sont à l’origine. Quant à l’approche sociologique, elle a grand mérite d’éviter de faire du droit un système clos et, en le situant dans son contexte social, d’en faire mieux comprendre les ressorts et les fins[21].

Cette étude sur les fondements de la conformité des États de l’Afrique subsaharienne au droit international des droits humains est structurée autour de deux grandes parties. L’on présente tour à tour les causes liées à la pression des sujets puissants de la société internationale (I) d’une part, et l’influence de nouveaux paradigmes juridiques (II) d’autre part.

I. La pression des sujets puissants de la société internationale

Les États de l’Afrique subsaharienne sont pour la plupart des pays en développement et, par conséquent, sont en proie à de nombreuses difficultés. Ils sont dans un état de nécessité économique qui les rend vulnérables à toutes pressions extérieures. Malheureusement, dans la société internationale contemporaine, la puissance[22] de certains de ses sujets[23] contraints les autres – faibles – à se conformer à l’ordre juridique international. La signature et ratification des instruments internationaux n’est qu’un élément infime et même négligeable qui fonde la conformité des États faibles au droit international des droits humains. Ainsi, les États africains se conforment à l’ordre juridique international pour sauvegarder non seulement leurs survies, mais aussi leurs intérêts. La pression exercée par les sujets puissants de la société internationale sur les États de l’Afrique subsaharienne n’est pas une abstraction. Mais un phénomène réel qui est démontré tout au long de cette partie. Cette pression est à la fois politique (B), économique et financière (A).

A. À travers la pression économique et financière

La pauvreté qui sévit dans la quasi-majorité des États de l’Afrique subsaharienne constitue l’une des raisons fondamentales pour laquelle ils s’arriment au droit international des droits humains afin de bénéficier des retombées économiques, financières et techniques, etc., de la part des sujets puissants de la société internationale. De ce qui précède, l’on se rend compte que plusieurs sujets du droit international appuient financièrement et techniquement les pays africains. En contrepartie, ces États africains devraient appliquer les instruments relatifs aux droits humains. C’est pour cette raison que le Fonds Monétaire International et la Banque mondiale exercent une influence importante dans la prise en compte des droits de l’homme en Afrique. L’un des moyens de cette pression est le Programme d’ajustement structurel (PAS). Par les PAS, ces institutions « n’hésitent [pas] à invoquer les droits de l’homme dans leurs critères d’intervention » et d’évaluation[24]. Le Cameroun, comme de nombreux autres pays africains, devait largement prendre en compte le respect des droits de l’homme pour atteindre le point d’achèvement.

Mais dans le cadre de cette analyse, l’on va se focaliser sur la coopération entre les États africains et l’Union européenne (UE) dans la mesure où cette dernière a mis sur pied un mécanisme de conditionnalité qui les pousse à se conformer au droit international des droits humains. Cette conditionnalité constitue une pratique originale, car elle donne lieu à l'émergence d'une « politique juridique extérieure »[25] directement « inspirée par les droits de l'homme, dont il est rarement des exemples aussi clairs »[26].

Selon l’Union européenne le respect de la démocratie, de l’état de droit et des droits de l’homme est un élément fondamental de ses relations extérieures. Et, les instruments de politique étrangère et d’assistance financière devaient contribuer à renforcer la démocratie et les droits humains dans le monde en général et en Afrique en particulier. L’adoption du Traité de Maastricht[27] marque une étape importante dans cette évolution. Dans ce sens, les droits humains sont désormais inscrits dans le dispositif du Traité sur l’Union européenne et repris dans les articles relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune (PESC). Ainsi, l’article 130 U du Traité instituant la Communauté européenne[28] « spécifie que la politique de coopération au développement contribue à la "consolidation de la démocratie et de l’État de droit ainsi qu’à l’objectif du respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales" »[29].

Pendant longtemps, les pays d’Afrique, Caraïbes et Pacifique (ACP) « ont refusé que les problèmes des droits de l’homme soient abordés dans les conventions qu’ils passaient avec la CEE [Communauté économique européenne] »[30]. Mais,

[l]a résolution votée par le Parlement européen du 17 mai 1983 reprend cette problématique en réaffirmant que [...] les droits fondamentaux de l'homme sont universels et que la communauté a le devoir d'en encourager le respect, particulièrement dans les pays avec lesquels elle entretient des liens étroits[31].

Il invitait la Commission européenne à « élaborer des propositions en vue d’inscrire des considérations relatives aux droits de l'homme dans le cadre des relations extérieures et des politiques de développement de la Communauté »[32]. Par la suite, il a fait pression pour qu’une clause « droits de l’homme » soit intégrée dans les accords de coopération et appliquée systématiquement et sans discrimination. C’est ainsi que lors de la Troisième Convention ACP-CEE signée à Lomé le 8 décembre 1984 (Accord de Lomé), il a été procédé à l’introduction de la question des droits de l’homme[33]. Il faut rappeler que les pays ACP ont servi de « banc d’essai »[34] dans ce domaine. Cette préoccupation relative au respect des droits humains s’est accentuée à la suite des changements survenus en Europe orientale à partir de 1989. Le texte fondateur de la conditionnalité économique et financière sur les droits de l’homme, la démocratie et le développement est la résolution du Conseil du 28 novembre 1991. Le Conseil soulignait que « la Communauté et ses États membres accorderont une haute priorité à une approche positive encourageant le respect des droits de l’homme et favorisant la démocratie »[35]. Le but était de créer des initiatives positives devant « apporter une assistance aux pays dans le besoin en construisant la société et en établissant les conditions de la démocratie, d’un développement durable et du respect des droits de l’homme »[36]. La formulation la plus actuelle de la conditionnalité économique et financière de la clause des « droits de l’homme » se trouve aux articles 9[37] et 96[38] de l’Accord de Cotonou signé le 23 juin 2000. Il est entré en vigueur le 1er avril 2003 et est révisé tous les cinq ans.

De nos jours, les problématiques liées au respect des droits humains échappent de plus en plus à la compétence nationale. Par conséquent, il ne saurait être question de s'abriter derrière le principe de souveraineté et son corollaire, le principe de non-intervention, pour s'opposer systématiquement à toute mesure visant essentiellement à assurer le respect de ces droits. C’est en tant que partenaire commercial des États de l’Afrique que l’UE s’est permise de faire valoir son « droit de regard » en développant une pratique dont la finalité est de subordonner ses relations au respect de certains principes relatifs aux droits de l'homme, à l'État de droit et aux principes démocratiques. En effet, la clause « droits de l'homme » est une conditionnalité sine qua non de la conclusion des accords de coopération entre l’UE et les pays africains, ainsi que de leur maintien. Dans le cadre de cette coopération, des « aides » sont accordées aux États africains par l’UE afin d’améliorer les conditions de vie de leurs populations. L’aide octroyée aux pays africains peut être soit financière[39], matérielle[40] et/ou technique[41]. Cet appui s’appréhende plus à une pression économique et financière qu’à un don. Car, cette conditionnalité « des droits de l’homme » est un moyen de pression envers les États africains afin d’appliquer les droits humains dans leurs territoires selon les prescriptions du droit international. Cet état de choses remet en cause tant soit peu la théorie volontariste, selon laquelle la règle de droit tire son origine de l'expression de la volonté de l'État. De toute évidence, elle parait à bien des égards comme un leurre. Les États peuvent être égaux en droits, mais la volonté qu’ils expriment est flouée. Car leur volonté est plus ou moins libre selon la situation. Face à la pauvreté généralisée qui sévit dans la majorité des États de l’Afrique subsaharienne, les chefs d’État n’ont d’autre choix que de se conformer au respect des droits humains prescrits par le droit international. Ils adhèrent à ce courant de pensée par pis-aller. Il peut arriver des cas de figure où les dirigeants de ces États n’ont pas encore intériorisé le respect des droits de la personne humaine. Et, l’on assiste dans ces cas aux violations manifestes des droits humains.

Pour éviter les violations des droits humains en Afrique subsaharienne, l’UE prend des sanctions ciblées qui s’appuient sur un éventail d’autres mesures pour faire avancer leur respect. C’est ainsi que des mesures ont été prises à l’encontre du Rwanda, de la Somalie, du Liberia et du Soudan, États en guerre où la difficulté d’exécuter les obligations du traité avait abouti aux violations massives des droits de l’homme[42]. Les sanctions infligées par l’UE vont du ralentissement de la coopération[43] à la suspension de la coopération technique et financière[44], en passant par les embargos commerciaux[45].

Les premières consultations sur la base de l’article 366 bis de l’Accord de Lomé ont été ouvertes en 1998 avec le Togo. Comme aucune solution ne fut trouvée à la fin des entretiens et vu l’absence de mesures concrètes de la part des autorités togolaises, le Conseil décida le 14 décembre 1998 de mettre un terme aux consultations et de suspendre la coopération avec ce pays, sans pénaliser la population. De même, après plusieurs déclarations de l’UE effectuées de 2001 à 2002 dans lesquelles elle indiquait son inquiétude au sujet de la détérioration de la situation des droits humains au Zimbabwe, des consultations ont été ouvertes avec la participation des pays de la Communauté de développement de l’Afrique australe. Le Conseil européen décida de prendre des mesures coercitives (sanctions) contre le Zimbabwe dans la mesure où il jugea que les avancées dans l’application des droits humains étaient insuffisantes. Des sanctions financières furent prises à l’encontre du gouvernement Mugabe et une réorientation d’une partie de l’aide vers des projets en action directe avec la population fut décidée[46].

De ce qui précède, l’on se rend compte que c’est face à cette pression économique et financière que certains États de l’Afrique subsaharienne se conforment au droit international des droits humains. Cependant, il ne faudrait pas perdre de vue que ces pays subissent aussi des pressions politiques qui concourent au même but.

B. À travers la pression politique

Les sujets puissants de la société internationale déploient une certaine pression politique et/ou diplomatique sur les États de l’Afrique subsaharienne afin qu’ils se conforment au droit international des droits humains.

Il faut indiquer que la société internationale a une structuration complexe où parfois les rapports entre États dits « souverains » sont assimilés à des rapports de force. C’est le caractère normal de la violence dans les relations internationales[47] contemporaines. Ainsi, le rapport de force constitue un élément primordial de la société internationale qui détermine l’adoption d’une attitude particulière de la part d’un État. En principe, tout État peut abroger unilatéralement une convention internationale relative aux droits humains devenue contraire à ses intérêts et desseins, si du moins il dispose de la force nécessaire pour imposer sa décision à la communauté internationale. Malheureusement, les États africains sont insuffisamment puissants et forts. Par conséquent, ils subissent le diktat des États occidentaux.

Les États puissants dictent leur vision du monde par les moyens plus ou moins coercitifs en vue d’uniformiser le droit. C’est vrai que parler d’uniformisation du droit dans une société internationale qui semble divisée[48] parait paradoxal. Toutefois, l’on veut préciser dans le cadre de cette étude que la notion d’uniformisation ne renvoie pas à une parfaite acceptation par tous États de la même règle de droit, mais elle « fait référence au constat d’une époque où les mêmes règles de droit sont proposées à toutes les nations pour régir leurs rapports entre elles »[49].

En droit international, les États sont soumis à l'obligation de respecter les droits de l'homme, et cette obligation est qualifiée par la Cour internationale de Justice (CIJ) comme étant une obligation erga omnes[50]. En ce sens, la Cour internationale de Justice a affirmé dans l'affaire des Activités militaires et paramilitaires au Nicaragua que « [l]'inexistence d'un tel engagement ne signifierait pas que le Nicaragua puisse violer impunément les droits de l'homme »[51]. Ainsi, aucun « État agissant en violation » de cette obligation « ne peut se soustraire à sa responsabilité internationale en prétendant que ce domaine relève essentiellement de sa compétence nationale »[52]. D’ailleurs, « il est absurde de regarder la souveraineté comme quelque chose d’absolu »[53]. C’est pourquoi l’espace de contrôle de l’application des droits humains ne se limite plus à la seule dimension nationale, mais elle a actuellement une dimension internationale.

En matière de conformité au droit international des droits humains, les dirigeants des pays africains sont soumis depuis la fin de la guerre froide à des pressions internationales directes ou indirectes. Les sujets puissants de la société internationale utilisent plusieurs moyens pour faire pression aux États de l’Afrique subsaharienne. En ce sens, des protestations officielles, des démarches symboliques et même des sanctions ciblées, peuvent être un moyen de pression, au risque d’isoler un peu plus un régime, dans le but ultime qu’il se conforme au droit international des droits humains. Il peut aussi s’agir de la production des rapports. C’est ainsi que certaines organisations internationales produisent des rapports afin de rechercher un moyen de pression a minima, devant inciter les États du monde entier en général et les États de l’Afrique subsaharienne en particulier à réellement adopter des mesures de mise en oeuvre des instruments internationaux sur les droits humains. Cette incitation se retrouve également dans la potentielle diffusion internationale des progrès accomplis[54]. L’on peut aussi indiquer l’action des organes de contrôle tels que le Comité contre la torture[55] dont la mission est de surveiller et de superviser le respect des obligations des États parties en vertu du Traité. Le Conseil des droits de l’homme des Nations unies joue aussi le rôle d’organe de contrôle dans la mesure où il reçoit des rapports venant des États. Ainsi, il est alors organisé des séances dans lesquelles un représentant du gouvernement mis en cause est amené à s’expliquer sur une situation particulière relative aux droits humains. Ces conclusions et ces recommandations ont pour effet de susciter concrètement des changements sur l’attitude des États à l’égard de certaines violations en matière de droits humains. Les conclusions et recommandations peuvent obliger les gouvernements à s’y pencher et à expliquer clairement pourquoi ils ne respectent pas leurs obligations. Le Cameroun a fait l’objet d’un tel examen le 22 mars 2000 au terme duquel des recommandations furent faites[56]. De même, les États puissants de la société internationale produisent en leur sein des rapports et établissent des communiqués de presse qui sont « essentiellement fondés sur la persuasion et, dans une certaine mesure, sur l’aversion que peuvent éprouver des gouvernements [africains] d’être mis au pilori pour violation des droits de l’homme », ainsi que sur la pression de l’opinion publique internationale[57]. Les conclusions des rapports sur les violations des droits humains mettent une certaine pression sur les États africains et peuvent conduire au bout du compte à inciter ces derniers à les abandonner.

La France a contribué à pousser les pays africains francophones à s’arrimer au droit international des droits humains en leur imposant l’adoption de la démocratie dans leurs régimes politiques durant les années quatre-vingt-dix. De la Côte d’Ivoire au Togo, en passant par le Bénin, le Cameroun, le Gabon et le Congo, « la France s’est presque toujours vue en terre conquise du fait de son capital historique, de la masse et de la pérennité de ses intérêts politico-économiques, et elle a régulièrement appuyé les dirigeants en place »[58]. Le président français, François Mitterrand, a prononcé un discours[59] dans lequel il affirmait le caractère universel de la démocratie et entendait ainsi l’imprimer en Afrique. C’est ainsi que plusieurs présidents de l’Afrique francophone se sont alignés à ces prescriptions. De même, il faut indiquer que certains chefs d’État de l’Afrique subsaharienne reçoivent souvent des injonctions de la part des présidents occidentaux afin de se conformer aux instruments du droit international des droits humains. Cela peut s’effectuer soit par la voie des émissaires, soit par les appels téléphoniques. À titre d’illustration, le 22 février 2020, au Salon de l’agriculture de Paris, le président de la République française, Emmanuel Macron, a été interpellé par un activiste camerounais sur les cas de violations des droits humains au Cameroun. Le président Emmanuel Macron a affirmé que :

J’ai mis la pression sur Paul Biya[60] pour que d’abord, il traite le sujet de la zone anglophone et ses opposants. J’avais dit que je ne veux pas qu’on se voie à Lyon tant que Maurice Kamto[61] n’est pas libéré. Et, il a été libéré parce qu’on a mis la pression. Et là, la situation est en train de se redégrader. Je vais appeler la semaine prochaine le président Biya, et on mettra le maximum de pression pour que cette situation cesse[62].

Le 1er mars 2020, quelques jours après la déclaration du président Emmanuel Macron, les deux chefs d’État se sont appelés et « se sont accordés sur la nécessité d’une enquête impartiale »[63] sur les violences qui ont conduit à la mort de plusieurs camerounais dans la ville de Ngarbuh.

Quant aux États-Unis d’Amérique, l'on note des communiqués de presse et des déclarations du département d’État sur le respect des droits humains en Afrique. En effet, ce sont des leviers par excellence de la pression américaine sur les gouvernements africains qui constituent un soutien psychologique indéniable aux organisations de la société civile.

Certes, ces « pressions externes comme prégnantes »[64] en Afrique subsaharienne ne sauraient à elles seules entraîner un changement dans ce domaine, mais « il est difficile de sous-estimer l’influence potentielle que pourraient exercer les États-Unis d’Amérique et/ou les autres acteurs étrangers dans la conduite ou l’aboutissement des processus internes »[65] en matière de droits humains. D’autres facteurs conditionnent aussi la conformité des États africains au droit international des droits humains. Cela peut être dû par l’influence culturelle ou par la recherche de la légitimité sur le plan international.

II. L’influence de nouveaux paradigmes juridiques

Il faut dire que les États de l’Afrique subsaharienne, dans certains cas, se conforment au droit international des droits humains par adhésion volontaire aux nouveaux paradigmes juridiques. Ce choix peut être dicté soit par l’influence culturelle subie par ces pays (A), soit pour la recherche d’une certaine crédibilité au sein de la société internationale (B).

A. Par l’influence culturelle

Il s’agit ici de démontrer comment l’influence de la culture juridique occidentale a conduit les États africains à se conformer au droit international des droits humains. La culture peut être appréhendée comme une « totalité complexe » faite de normes, d’habitudes et de représentations « acquises par l’homme en tant que membre d’une société »[66]. L’intensification des échanges dans les relations internationales a créé une certaine interdépendance entre les sujets de la société internationale qui a davantage favorisé le progrès tant quantitatif que qualitatif du droit international des droits humains. Ainsi, le monde est traversé actuellement par l’ère de la « mondialisation juridique », où l’on vit une certaine

universalisation d’un langage et de catégories juridiques uniformisés par l’extension du champ et du volume des instruments juridiques de caractère universel ainsi que du cercle des parties à ces instruments, et la diffusion de certaines valeurs structurantes du discours juridique à l’échelle mondiale[67].

L’on se rend compte que les valeurs des États puissants deviennent des valeurs dominantes qui sont par la suite diffusées au reste du monde comme modèle d’universalisme. Cela participe à l’élaboration de « la civilisation internationale des moeurs »[68]. Cependant, il faut relever que parallèlement, cette universalisation conventionnelle dans la sphère de la société internationale moderne concourt avec d’autres phénomènes à l’uniformisation du droit international. Mais aussi à sa consolidation en vue de susciter une certaine conformité dans tous les pays du monde.

En droit international des droits humains, un certain nombre de valeurs dominantes parcoure aujourd’hui le monde et oriente plus ou moins les politiques juridiques des États africains tant sur le plan interne qu’international. Ces valeurs érigées en normes paradigmatiques communes[69] pour la société internationale sont plus ou moins bien appréhendées dans certains États. Il s’agit essentiellement de valeurs du monde occidental qui sont projetées au reste du monde en général et à l’Afrique en particulier. L’époque de domination des pays africains a eu pour conséquence d’importer la culture des Occidentaux, ce qui s’est prolongé même après l’accession à l’indépendance. La colonisation a permis la transmission culturelle des valeurs juridiques occidentales, à telle enseigne qu’elles sont maintenant perçues en Afrique subsaharienne comme communes à l’humanité. Ainsi, l’application du respect des droits humains est actuellement consacrée par certains dirigeants des pays africains comme « valeur universelle détachable de ses origines européennes »[70] :

En dépit du fait que l'essentiel de la liste des droits contenus dans la Déclaration universelle des droits de l'homme a été largement accepté par la signature de traités, des [auteurs] se sont inquiét[és] que la liste soit trop longue et trop influencée par l'égalitarisme libéral des pays riches[71].

Hier comme aujourd’hui, l’on constate que le droit international des droits humains est un « droit d’une province du monde appelée Occident projeté à l’échelle planétaire »[72], dans la mesure où il est largement conçu et pensé par les scribes de la pensée juridique « euro-américaine ». Pourtant, il existe de nombreux traités sur la pensée juridique négro-africaine, mais on ne trouve en droit international des droits humains « d’application universelle aucune trace de la consécration d’un principe juridique ou de quelqu’autre norme produits par ce[tte] civilisation »[73].

Dans une perspective de propagation des valeurs culturelles occidentales à l’échelle planétaire, les États occidentaux se sont assigné cette mission, mais également d’autres organisations qui sont soit internationales, soit de la société civile. L’attachement au respect des droits humains est partout proclamé, aussi bien au sein des Nations unies que dans les organisations régionales[74].

Le rôle des missionnaires religieux a été et reste encore non négligeable dans l’attrait aux valeurs culturelles du monde occidental. Son influence déjà présente à l’époque de la colonisation se manifeste encore aujourd’hui du point de vue de la transmission des valeurs « euro-américaines ». Le Vatican a reconnu l’importance fondamentale de la Déclaration universelle des droits de l'homme[75]. Un texte de l’Église catholique précise que la prise de conscience des dimensions spirituelles et morales ne peut être dissociée de l’apprentissage des qualités humaines élémentaires[76].

L’on ne peut ne pas évoquer l’action manifeste de certaines organisations de la société civile qui opèrent en Afrique subsaharienne, notamment Amnesty International, la Fédération internationale des droits de l’Homme (FIDH) et l’Action des chrétiens pour l’abolition de la torture (ACAT). Ces organisations non gouvernementales oeuvrent en Afrique subsaharienne pour une inculcation culturelle des droits de l’homme. Leurs diverses actions consistent en la rédaction de rapports sur l’état des droits de l’homme dans les États; sur l’organisation des colloques, des séminaires et des campagnes de sensibilisation afin de conscientiser non seulement les gouvernements, mais aussi la population.

Des juridictions internationales telles que la Cour pénale internationale et la Cour africaine des Droits de l’homme et des Peuples condamnent des États et leurs dirigeants pour des violations contre les droits humains. Cela pousse certains chefs d’États africains à se conformer au droit international des droits humains afin d’éviter des condamnations comme responsables de crimes internationaux. Allant toujours dans le même ordre d’idées, l’on est aussi tenté de penser que les décisions des juridictions susmentionnées sur les questions de violation des droits de l’homme dans certains États de l’Afrique subsaharienne participent à « la sédimentation de l’obligation de respecter les droits de l’homme en Afrique et de se mettre en conformité avec les principes de la démocratie »[77].

La conformité des États de l’Afrique subsaharienne au droit international des droits humains par le truchement de leur adhésion aux valeurs communes à l’humanité a aussi pour effet d’être adoubée par la communauté internationale.

B. Par la recherche de la crédibilité sur le plan international

Il peut arriver des cas de figure où des dirigeants des États africains se conforment au droit international des droits humains pour rechercher leur crédibilité sur la scène internationale. Ainsi, les pays africains sont contraints de se conformer aux règles du droit international des droits humains pour se faire accepter par la communauté internationale. Car

la position d’infériorité occupée par la plupart des États d’Afrique noire dans le champ de la problématique internationale les conditionne ou les prédispose à la consommation des manières d’être ou de faire dont la définition est l’enjeu de la compétition entre les États puissants de la scène internationale[78].

Il ne faut pas sous-estimer le poids de la honte sur un État dit « voyou », surtout lorsqu’il est faible. Braquer un projecteur sur les États irrespectueux de l’application des droits humains est un important moyen de rendre ce dernier responsable. Aucun État ne souhaite se sentir indexé par des rapports mettant en cause sa mauvaise gestion sur le respect des droits humains dans son territoire. Il est particulièrement humiliant pour un État de se voir coller l’étiquette de violateur de valeurs communes à l’humanité[79]. C’est une sorte de « répression symbolique des mauvaises moeurs »[80] et en voulant éviter cette humiliation, certains États de l’Afrique subsaharienne se conforment au droit international des droits humains tout en adhérant volontairement aux idéologies philosophiques relatives à la sacralisation de l’homme comme un être doté de dignité. En effet, dans le domaine de droits humains, le « concept fédérateur est celui de la dignité humaine qui seul peut servir de base à l’universalité des droits fondamentaux »[81]. Ainsi, les dirigeants de certains États africains peuvent vibrer en phase avec des valeurs communes à l’humanité dans la mesure où ils recherchent une certaine légitimité auprès de la communauté internationale. Par ailleurs, pour avoir une ouverture au monde et être acceptés par la communauté internationale afin de participer aux rencontres internationales, certains États de l’Afrique subsaharienne se conforment à des normes internationales relatives au respect des droits humains.

Les États parties à la Charte des Nations unies se sont engagés à favoriser le respect universel et effectif des droits de l’homme et des libertés fondamentales pour tous, sans aucune discrimination, car l’application des droits humains est une caractéristique des États modernes et les États de l’Afrique subsaharienne se sont lancés vers cette modernité. En plus, la majorité de ces États font partie de l’Organisation des Nations unies dès l’accession à leur indépendance. En adhérant à cette organisation, ils manifestent plus ou moins leur appartenance à cette universalité. Ainsi, en se conformant au droit international des droits humains, certains chefs d’État africains entrent dans l’histoire par la grande porte en inscrivant leurs noms en lettre d’or. En prenant des initiatives relatives au respect des droits de l’homme, ils sont cités en exemple par les sujets puissants de la société internationale. Cela peut paraitre rare dans la société contemporaine africaine. Pourtant, le souci de protéger les droits de l’être humain a toujours existé et apparaît sous des formes diverses au chercheur attentif et sérieux, aussi loin qu’il puisse remonter le temps[82]. Les droits de l’homme ne sont l'exclusivité « [d’] aucune époque, [d’] aucun lieu, [d’] aucune culture »[83]. En effet, les droits de l’homme sont consubstantiels à la nature de l’homme et sont donc une préoccupation de tous quels que soient les continents ou la couleur de peau. L’attrait au droit international des droits humains importé de l’Occident ne signifie nullement que les Africains n’en partagent pas l’idée. Avant la venue des Européens, les sociétés africaines étaient organisées et possédaient des tribunaux indigènes tels que le reconnaît Marcel Ardant[84]. Les peuples africains, constitués pour la plupart en royaumes, ont élaboré des règles de sagesse et avaient chacun leurs organisations sociale, politique et judiciaire, sécurisant et harmonisant ainsi les rapports sociaux et économiques au sein d’un même groupe. Ces règles ont constitué un ensemble de normes juridiques appelé droit coutumier. Le rôle des tribunaux indigènes était donc de résoudre les litiges conformément à ce droit. Certaines cultures africaines avaient des règles qui établissaient à certains égards le respect des droits de la personne humaine. Cela s’illustre à suffisance dans cette sagesse de l'Égypte de l'ancien empire : « n’usez pas de violence contre les hommes à la campagne comme en ville, car ils sont nés des yeux du soleil, ils sont le troupeau de Dieu »[85]. Le droit dans l'Afrique précoloniale, et particulièrement le droit des droits humains, était coloré de moralité et auréolé de religiosité dans certaines zones géographiques. Cependant, il faudrait tout de même nuancer ces propos, dans la mesure où même s’il a été constaté l’existence d’un système des droits de l’homme dans les anciennes sociétés africaines, il s’agit certainement de bribes et rien de plus. Car des régimes sociopolitiques qui

admettent la subordination fondée sur le hasard de la naissance et la sous-humanisation dont l'esclavage est la plus criarde et la plus insoutenable manifestation, peuvent difficilement être considérés comme respectueux de la liberté et de l’égalité, les deux fondements des droits de l'homme[86].

Les réminiscences du passé plus ou moins glorieux de l’Afrique peuvent pousser certains dirigeants des États de cette zone géographique à se conformer au droit international des droits humains volontairement parce qu’ils recherchent la stabilité et la paix sociale au plan interne. Ces instruments internationaux relatifs aux droits humains visent à « instituer un standard de comportement, un modèle de conduite pour les États vis-à-vis des individus »[87] afin d’instituer l’état de droit.

En outre, il semble que les discours sur les droits humains connaissent une adhésion quasi unanime en Afrique, même si l’on constate que des divergences persistent sur le contenu à donner à cette notion et sur les modalités de leur mise en oeuvre. Plusieurs chefs d’État africains, et particulièrement ceux qui sont en « procès d’émancipation de l’autoritarisme »[88], ont une certaine « fierté de dire que leur pays dispose d’un régime démocratique »[89] où ils assurent la protection des droits humains et mettent en place l’État de droit. En Afrique francophone, plusieurs présidents se sont arrimés plus ou moins aux principes démocratiques parce qu’ils voulaient faire plaisir aux dirigeants de la République française. Pis encore, certains chefs d’État africains se sont mués en élèves. C’est ainsi que :

lors d’une interview sur le perron de l’Élysée le mercredi 3 avril 1991, et en réponse à la question de savoir s’il faisait partie des bons ou des mauvais élèves du président Mitterrand en matière de démocratie, le président Paul Biya est formel : « eh bien! Je ne crois pas déformer la pensée du président Mitterrand en disant qu’il estime que je suis parmi les meilleurs élèves »[90].

De toute évidence, la conformité à ces valeurs permet de nos jours à un État africain de faire partie de ce que la Charte des Nations unies entend par « Nation civilisée »[91].

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Au terme de cette étude, l’on se rend compte que les fondements de la conformité des États de l’Afrique subsaharienne au droit international des droits humains sont multiples. Cet article a des conséquences pratiques importantes et est au centre de controverses doctrinales passionnées. Sans toutefois récuser le formalisme juridique, cette étude démontre que c’est principalement hors du droit que réside le fondement de la conformité des États de l’Afrique subsaharienne au droit international des droits humains.

Compte tenu de leur fragilité économique et stratégique, ces États subissent des pressions tant économiques, financières que politiques de la part des sujets puissants de la société internationale afin d’appliquer les droits humains. Au cas où les États africains deviennent violateurs des droits humains, des mesures coercitives leur sont appliquées. De telles mesures comprennent des sanctions financières ciblées, des embargos sur les armes, des interdictions de voyage et des sanctions diplomatiques.

Par ailleurs, certains États africains se conforment au droit international des droits humains volontairement dans la mesure où ils ont été influencés par la culture juridique occidentale de l’ère coloniale jusqu’à nos jours. Leur adhésion à ces instruments internationaux est le résultat d’une acculturation. Cependant, il faut relever que certains chefs d’État d’Afrique se conforment à cet ordre juridique parce qu’ils veulent être soit adoubés, soit légitimés, ou encore honorés par la communauté internationale.

Ces brèves réflexions ont pour but d'esquisser une certaine compréhension sur les fondements de la conformité au droit international des droits humains des États de l’Afrique subsaharienne. Ces fondements peuvent s’appliquer sur les différents États de l’Afrique subsaharienne soit de manière cumulative, soit de manière partielle. Cette étude ne prétend nullement les cerner dans tous leurs aspects, ni répondre à toutes les interrogations liées aux facteurs qui expliquent le caractère obligatoire de la conformité au droit international des droits humains dans cette zone géographique. Cependant, elle permet de repenser ces fondements tout en se démarquant des postulats d'un débat limité à la rhétorique du formalisme juridique dans un environnement aussi complexe.