Volume 2, Number 1, 2014 La réception de Debussy au XXe siècle. Incidences, influences et autorité
Table of contents (13 articles)
-
Présentation du numéro « La réception de Debussy au XXe siècle. Incidences, influences et autorité »
Articles
Incidences de Debussy dans la modernité
-
Proses Lyriques in Context
Paul Dworak
pp. 1–19
AbstractEN:
In Proses lyriques, Debussy developed new methods for setting text to music. The music critics in Paris and Brussels who reviewed this composition between 1894 and 1914 were in most cases highly critical of the work. Rather than admitting that they did not understand the goals that Debussy had set for this composition, some of the critics spoke of it in derogatory terms because they believed that it abandoned traditional principles for writing poetry and for setting the text to music. Debussy wrote the text for the four songs of Proses lyriques. He used the innovations in writing verse that were begun by Charles Baudelaire and culminated in works of Stéphane Mallarmé. In particular, Debussy used the literary genre of prose lyrique that was cultivated by the Belgian writer Arnold Goffin and some of his contemporaries. Prose lyrique was a synthesis of poésie lyrique and developments in vers libre that were prominent in poèmes en prose. Mallarmé and Remy de Gourmont, in particular, encouraged writers to be aware of the harmonic and rhythmic aspects of the words that they selected in their verse. This article presents selected reviews of Proses lyriques written during the two decades after its composition. It also discusses the development of verse during the second half of the 19th century. This discussion provides a context for understanding both the artistic environment in which Debussy composed these songs and the innovations that he implemented in this composition, so that future scholarship can explore his innovations in the design of his verse, its rhythm and word selection, and its melodic and harmonic realization.
FR:
Dans ses Proses lyriques, Debussy a développé de nouvelles méthodes dans la relation entre musique et texte. Les critiques de musique à Paris et à Bruxelles qui ont examiné l’oeuvre entre 1894 et 1914 exprimaient bien souvent des réserves. Plutôt que d’admettre qu’ils ne comprenaient pas les objectifs que Debussy s’était fixés dans cette composition, certains critiques ont parlé de lui en des termes péjoratifs parce qu’ils croyaient que le compositeur avait abandonné les principes traditionnels d’écriture de la poésie et de la façon de mettre un texte en musique. À cela s’ajoute le fait que c’est Debussy lui-même qui a écrit le texte pour les quatre chansons des Proses lyriques. Il a eu recours aux innovations d’écriture qu’a mis de l’avant Charles Baudelaire et qui ont trouvé à s’épanouir chez Stéphane Mallarmé. En particulier, Debussy a utilisé le genre littéraire de la prose lyrique, lequel a été cultivé par l’écrivain belge Arnold Goffin et certains de ses contemporains. La prose lyrique était une synthèse de la poésie lyrique et de l’évolution du vers libre qui était mis au premier plan dans les poèmes en prose. Mallarmé et Rémy de Gourmont, en particulier, ont encouragé des écrivains à prendre conscience des aspects harmoniques et rythmiques des mots qu’ils choisissaient dans leurs vers. Cette étude présente quelques-uns des commentaires qui ont été écrits au sujet des Proses lyriques durant les deux décennies qui ont suivi la composition de l’œuvre. Il aborde également la façon dont l’écriture versifiée a évolué au cours de la deuxième moitié du xixe siècle. Cette discussion pose le contexte pour comprendre à la fois l’environnement artistique dans lequel Debussy a composé ses chansons et les innovations qu’il a accomplies dans son oeuvre. De la sorte, il est possible de comprendre les innovations qu’on retrouve dans sa conception du vers, du rythme et du texte, en plus des choix mélodiques et harmoniques.
-
Debussy's Cakewalk. Race, Modernism and Music in Early Twentieth-Century Paris
James Deaville
pp. 20–39
AbstractEN:
Between November, 1902 and January, 1903, Paris experienced its first tastes of the danced cakewalk through the performances of two American touring ensembles: “Les Elks” and their troupe of black and white dancers appeared in the revue Les joyeux nègres at the Nouveau Cirque, while the “Florida Creole Girls”—seven African-American women—performed the cakewalk at the Casino de Paris. Within a matter of weeks the dance became the latest sensation of the capital, as reported in Paris qui chante of January, 1903, although not without serious dissension. It was upon this field of social and cultural contestation that Debussy entered into the world of syncopated Americanism with Golliwogg’s Cake-Walk from the Children’s Corner (1908). This was followed by The Little Nigar (1909), the theme of which he reused in Le boîte à joujoux (1913); Minstrels from the first book of Préludes (1910), which more subtly draws upon cakewalk rhythms; and “General Lavine”-Eccentric from the second book (1910-1913), for which he uses the tempo designation “Dans le style et le mouvement d’un cake-walk.” While the literature about Debussy and fin-de-siècle music does reference this music and his indebtedness to the cakewalk and ragtime, it has largely failed to position him within the prevailing discourse surrounding the dance, which includes the film Le cake-walk infernal by Georges Méliès (1903). This paper proposes to explore the four aforementioned works by Debussy from the perspective of the contemporary debate over the cakewalk in French culture and society. Rather than attributing to the composer a particular subject position regarding blacks and their culture through his appropriation of the cakewalk, we will explore what it meant for Debussy to align himself with those elements of Parisian society that embraced the dance form and its music. However, as we shall see in the case of Debussy and his Parisian milieu, the modernist adoption of the cakewalk was fraught with problematic constructions of race, which cannot be ignored.
FR:
Entre novembre 1902 et janvier 1903, les parisiens s’initient au cake-walk dansé à travers les représentations de deux troupes américaines en tournée : « Les Elks » et leur troupe de danseur noire et blanc apparaissent dans la revue Les joyeux nègres au Nouveau Cirque, alors que les « Florida Creole Girls » – sept femmes afro-américaines – dansent le cake-walk au Casino de Paris. Dans l’espace de quelques semaines, cette danse devient la nouvelle sensation de la capitale, comme il est indiqué dans l’édition de janvier 1903 de la revue Paris qui change, ce qui s’accompagne de quelques dissensions. C’est dans ce contexte culturel particulier que Debussy s’introduit dans le monde de la musique américaine syncopée avec son Golliwogg’s Cake-walk des Children’s Corner (1908). Cette œuvre est suivie par The Little Nigar (1909), dont il réutilise le thème dans La boîte à joujoux (1913) ; puis, par Minstrels du premier livre de Préludes (1910), qui reprend les rythmes du cake-walk de façon plus subtile ; enfin, «General Lavine »-eccentrique du deuxième livre (1910-1913), dans laquelle il utilise la désignation « Dans le style et le mouvement d’un cake-walk ». Alors que la littérature au sujet de Debussy et de la musique au tournant du siècle fait référence à la dette de Debussy à l’égard du cake-walk et du ragtime, elle a bien souvent échoué à situer le compositeur dans le discours qui prévalait au sujet de la danse, ce qui inclut le film Le cake-walk infernal (1903) de Georges Méliès. Cet article entend explorer les quatre œuvres de Debussy dans la perspective du débat contemporain sur le cake-walk dans la société et la culture françaises. Plutôt que d’attribuer une posture particulière au compositeur eu égard à la culture noire à travers l’appropriation du cake-walk, nous allons nous intéresser à ce que représentait pour Debussy la prise en charge des éléments de la société parisienne qui englobaient la danse et sa musique. Toutefois, comme le cas de Debussy et de son milieu parisien le montrera, l’appropriation moderniste du cake-walk ne peut ignorer les appréhensions problématiques entourant la race.
-
Towards an Embodied Understanding of Performing Practices. A Gestural Analysis of Debussy’s “Minstrels” According to the 1912 Piano Rolls
Jocelyn Ho
pp. 40–58
AbstractEN:
Claude Debussy’s performance of “Minstrels” from Preludes, Book I, in the 1912 piano rolls contains expressive techniques that are not often heard today: random pushes and pulls of tempi, flippant rhythmic alterations, frequent inégale, and tempo rubato. These performing practices, although odd-sounding to the modern listener, were common at the turn of the twentieth century. His vivid rendition of the piece, including these expressive techniques that are missing from the notation, significantly alters the experience of the music. Unexpected meanings that cannot be deduced from studying the score alone arise when taking into consideration Debussy’s interpretation as a performer. This article gives an integrative analysis that regards the score and Debussy’s performance as equally important in a structural analysis. The concept of gesture is useful here, as it can be construed in both a score-based and a performative or physical approach. Moreover, in “Minstrels,” an extra dimension of physical gesture exists in its allusion to the blackface minstrel show. In the analysis, active, bodily-based concepts drawn from the blackface minstrel show are used to describe gestures and their transformations. From a Merleau-Pontyian perspective, the analysis thus treats gesture as at once musical and physical, moving away from a traditional, cognitive-based approach. The analysis shows the emergence of two large-scale structural processes—that of disorientation and that of upward reaching. These two processes culminate in the expressif section but are undercut by a dominating gesture of incoherence. A closer historical reading of the ridiculed, male “black” body in the context of blackface minstrelsy reveals that the emergent gesture-based structure of the piece can afford socio-historical meanings. The convergence between the study of historical performing practices and embodied gestural analysis yields fresh, important insights into the structure, inner workings and cultural significances of Debussy’s music.
FR:
La performance sur piano mécanique que propose Debussy en 1912 du prélude « Minstrels » (issu du premier livre des Préludes), contient des techniques expressives qu’on entend très peu dans les enregistrements contemporains : des tempos et des attaques plus relâchés, des altérations rythmiques jouées de manière désinvolte, des parties dans un style inégal et des tempo rubato. Bien que ces techniques puissent apparaître étranges aujourd’hui, elles étaient communes au tournant du siècle. Cette vivifiante exécution du prélude, qui révèle des techniques absentes de la partition, altère de manière significative notre expérience musicale. Des significations inédites qui ne sont pas repérables dans l’étude de la partition émergent une fois que l’on tient compte de l’interprétation proposée par Debussy. Cet article propose une approche qui montre l’importance égale de la partition et de la performance de Debussy dans la poursuite d’une analyse structurelle. Le concept de geste est utile dans la mesure où il peut être construit à la fois comme une assise dans la partition et une approche performative ou physique. De plus, dans « Minstrels », un geste physique propre à une autre dimension existe par l’allusion au spectacle de ménestrel (i.e. blackface minstrel show). Dans l’analyse, les concepts basés sur le corps en lien avec le spectacle de ménestrel servent à décrire les gestes et leurs transformations. Dans une perspective merleau-pontienne, l’analyse traite ainsi le geste à la fois comme quelque chose de musical et de physique, s’éloignant ainsi de l’approche cognitive plus traditionnelle. Au final, l’étude démontre la présence de deux processus structuraux au sein du prélude : celui de la désorientation et celui de l’ascendance vers le haut (i.e. upward reaching). Ces deux processus culminent dans la section expressive mais sont freinés par un geste d’incohérence dans l’interprétation du prélude. Une lecture historique qui tient compte du corps masculin noir dans le contexte du spectacle de ménestrel révèle que le geste qui structure le prélude comprend aussi des significations sociohistoriques. La convergence entre l’étude historique de la performance musicale et l’analyse gestuelle du corps permet un investissement important dans la structure, le travail compositionnel et les significations culturelles propres à la musique de Debussy.
-
Les Cathédrales englouties du peintre Ceri Richards. Une interprétation picturale des sonorités et de l’écriture debussystes
Laure Bazin-Carrard
pp. 59–81
AbstractFR:
Le peintre britannique Ceri Richards (1903-1971), mélomane et pianiste amateur, accorde une grande place à la musique et à la poésie dans son oeuvre. Après la Seconde Guerre mondiale, les références musicales sont de plus en plus importantes dans son travail artistique. Sommet de son art, la série des Cathédrales englouties (v. 1957-1967), inspirée du prélude éponyme de Claude Debussy, montre un langage plastique original et révèle des sources d’inspiration majeures empruntées à la partition : d’une part, les indications d’atmosphère notées par Debussy à l’intention du pianiste, et, d’autre part, des extraits musicaux cités par le biais de collages de mesures précises. L’analyse comparative proposée dans cet article met en relation la musique et la peinture à partir des atmosphères harmoniques et des indications pianistiques de la partition de Debussy. Elle montre comment les structures musicales s’invitent dans les tableaux porteurs de titres extraits de la partition du prélude et évoque les correspondances entre l’univers musical de Debussy et l’univers pictural de Richards.
EN:
The British painter Ceri Richards (1903-1971), music and piano lover, attaches a great place to music and poetry in his art. After the Second World War, musical references become more and more important in his work. Seen as his major achievement, the Cathédrale Engloutie series (ca. 1957-1967), inspired by the eponymous Prelude by Debussy, shows a truly original style and reveals major inspiration sources from the score such as the atmospheric and mood instructions to the pianist and the very precise musical citations of the score. The comparative analysis proposed in this article puts together music and art showing how the musical structures can be found in the paintings which titles are extracted from the Debussy’s score. The links between Debussy’s musical field and Richards’s painting field are also evocated.
Influences de Debussy chez les musiciens du XXe siècle
-
Bridging Musical Worlds. Arrangements of Works by Debussy in the Repertoire of the Sousa Band
Tobias Fasshauer
pp. 82–100
AbstractEN:
As is generally known, Claude Debussy’s cakewalks and cakewalk-inflected compositions are a response to the ragtime craze that was stimulated in Paris by the performances of the American “March King” John Philip Sousa and his band in 1900 and 1903. Far less familiar is the fact that the Sousa Band in turn played a handful of transcriptions of works by Debussy in later years. Considering the instrumentation and the popular character of Sousa’s ensemble, his embracing of Debussy may seem surprising at first sight. However, a well-balanced mixture of ‘vernacular’ and ‘cultivated’ music and the employment of the latter for the sake of entertainment was the hallmark of his style of programming. Still it can be said that the Debussy arrangements, along with transcriptions of certain works by Richard Strauss, represent the highest degree of sophistication and modernity that could ever be found in Sousa Band programmes. Focusing on the analysis of transcriptions of the Prélude à l’après-midi d’un faune by Sousa and of La cathédrale engloutie by Herbert L. Clarke (both written in 1921), this article aims to demonstrate that the departure from musical conventions in Debussy’s works required a fresh approach to band scoring which could only partially build on contemporary standards. Thus, arranging Debussy for wind band did not only mean crossing borders in a social and aesthetic sense but also in a technical one. Since traces of impressionist compositional thinking can even be found at some points in Sousa’s own works, the American bandmaster may be regarded as a pioneer of the popular adaptation of impressionist elements that soon would be common in the music of Broadway, Tin Pan Alley and Hollywood.
FR:
Fait largement connu, la présence des cakewalks et de ses dérivés stylistiques chez Debussy constitue une réaction à l’engouement pour le ragtime qu’ont suscité les concerts donnés à Paris en 1900 et 1903 par le « Roi de la marche », l’Américain John Philip Sousa. Moins connu est le fait que le Sousa Band a joué des adaptations d’œuvres de Debussy quelques années plus tard. Quand on pense à l’instrumentation et au style populaire de l’orchestre de Sousa, son appropriation de l’oeuvre de Debussy peut paraître surprenante. Cependant, un subtil mélange de musique « vernaculaire » et de musique « savante » marque la façon dont la programmation est pensée. On peut cependant affirmer que les arrangements des oeuvres de Debussy, ainsi que les adaptations de certaines oeuvres de Richard Strauss, s’avèrent être le plus haut degré de sophistication et de modernité au sein des programmes du Sousa Band. En se concentrant sur l’analyse des adaptations du Prélude à l’après-midi d’un faune par Sousa et de La cathédrale engloutie par Herbert L. Clarke (toutes deux conçues en 1921), le présent article cherche à montrer que la rupture des conventions musicales présente dans les oeuvres de Debussy exigeait une approche nouvelle de l’orchestration, laquelle ne pouvait se fonder qu’en partie sur les références de l’époque. Des traces de tentative de composition impressionniste peuvent même être décelées dans certains éléments des oeuvres de Sousa. En ce sens, le chef d’orchestre américain peut être considéré comme un avant-gardiste quant à l’adaptation populaire d’éléments impressionnistes, qui finiront par s’imprégner dans la musique de Broadway, de Tin Pan Alley et d’Hollywood.
-
Claude Debussy. Modèle à suivre ou à éviter ? La réception du maître français chez Alfredo Casella
Justine Comtois
pp. 101–115
AbstractFR:
Tout au long de sa carrière de compositeur, Alfredo Casella (1883-1947) semble faire un cas particulier du maître français Claude Debussy. Lors de sa période de formation en France (1896-1915) Debussy est une source d’inspiration majeure pour le jeune compositeur en quête d’un style qui lui soit personnel. De retour en Italie, Casella encourage les jeunes compositeurs à s’inspirer des techniques européennes, incluant celles de Debussy, pour moderniser la musique instrumentale italienne. Cependant, avec la mise de l’avant du passé musical italien, pour la création d’un art national, Casella adopte progressivement une position différente, voire diamétralement opposée, face à la musique de Debussy. Le compositeur français n’est alors plus un modèle, ni même un « rêve pour les générations futures », mais plutôt, si l’on en croit Casella, l’auteur d’un langage tout à fait incompatible avec « l’esprit profondément italien ». Nous proposons une étude de nature critique, historique et esthétique d’oeuvres de Casella datant de 1902 à 1930. Nous tenterons d’établir un lien méthodologique entre les affirmations et les opinions dans les écrits de Casella et leur application dans ses compositions par l’entremise de l’argumentation développée par le musicien.
EN:
Throughout his career, Alfredo Casella (1883-1947) seemed to make a particular case of French master Claude Debussy. During his training period in France (1896-1915), Debussy was a major source of inspiration to the young composer seeking his own personal style. Back in Italy, Casella encouraged young composers to inspire themselves of European techniques, including those of Debussy, to modernize the Italian instrumental music. However, with the promotion of the Italian musical past, aiming the creation of a national art, Casella gradually adopted a different position, event diametrically opposed, regarding Debussy’s music. Then the French composer is not considered as a model anymore, nor even, a “dream for the future generations,” but rather, according to Casella, the author of a language entirely incompatible with “the profoundly Italian spirit.” We propose a critical, historical and aesthetical study of Casella’s works from 1902 to 1930. We shall try establishing a methodological link between the assertions and opinions in Casella’s writings and their application in his musical works, by the means of the argumentation developed by the musician.
-
The Resonance of Debussy for United States Post-Modernists
James Briscoe
pp. 116–140
AbstractEN:
This study draws upon interviews with It seeks to show that Claude Debussy continues to exert a presence in contemporary United States composition. It thus can be seen that Debussy already foresaw such a possibility when he wrote in 1908, “I am working on things that will be understood only by our grandchildren in the 20th children.” Composers interviewed were Leslie Bassett, William Bolcom, Dave Brubeck, Elliott Carter, John Corigliano, George Crumb, Richard Danielpour, Philip Glass, John Harbison, Tania León, Wynton Marsalis, Pauline Oliveros, Steve Reich, Bright Sheng, Joseph Schwantner, Steven Stucky, Robert Ward, and Ellen Taaffe Zwilich. Five resonances abide from Debussy: 1) that he has instigated multi-cultural listening including across national lines, 2) has contributed to a set of identifiable predispositions or mindsets (forming an “armature” for a composition), 3) has led to a changed attitude toward forming, 4) has superseded Schoenberg and Stravinsky in importance, and 5) has impressed U.S. composers by permitting any realm of possible but necessarily coherent choices.
FR:
Cette étude s’appuie sur des entretiens réalisés par l’auteur avec des compositeurs américains. Les résultats montrent que Claude Debussy continue à exercer une influence profonde dans la composition musicale aux États-Unis depuis les années 1960. Dans cette optique, on peut mieux circonscrire ce que Debussy a voulu dire en 1895 : « Je travaille à des choses qui ne seront comprises que par les petits-enfants du xxe siècle. » Les compositeurs interviewés pour l’occasion sont Leslie Bassett, William Bolcom, Dave Brubeck, Elliott Carter, John Corigliano, George Crumb, Richard Danielpour, Philip Glass, John Harbison, Tania León, Wynton Marsalis, Pauline Oliveros, Steve Reich, Bright Sheng, Joseph Schwantner, Steven Stucky, Robert Ward et Ellen Taaffe Zwilich. Cinq résonances debussystes restent toujours d’actualité : 1) le fait qu’il a initié une écoute de type multiculturel qui va au-delà des barrières nationales ; 2) le fait qu’il a contribué à alimenter une ouverture d’esprit en fournissant un outillage pour penser la composition ; 3) le fait qu’il a changé radicalement la vision qu’ont les compositeurs de la forme musicale ; 4) le fait qu’il a repris sa place dans le canon musical du xxe siècle par rapport à Schoenberg et Stravinsky ; et 5) le fait qu’il a marqué les compositeurs américains actuels en permettant l’accès à une multitude de choix possibles dans un esprit de cohérence.
L'autorité de Debussy
-
Debussy saisi par les Indépendants. Une contribution à l’analyse du processus de reconnaissance de l’oeuvre de Debussy
Alexandre Robert
pp. 141–158
AbstractFR:
Comment l’oeuvre de Debussy en est-il venu à être considéré comme l’un des plus importants de l’histoire de la musique occidentale ? Il est certain que le processus de reconnaissance auquel on a ici affaire est d’une redoutable complexité. Néanmoins, cet article se propose d’isoler et d’examiner une des étapes cruciales, à savoir la reconnaissance de Debussy par certains de ses pairs. Notre thèse est la suivante : la reconnaissance dont jouit aujourd’hui l’œuvre de Debussy est largement tributaire de son appropriation, dans les années 1900 et 1910, par les musiciens français qui constituent le groupe des « Indépendants ». Il semble indispensable, dans un premier temps, d’élargir l’échelle d’observation et de restituer la position collective des Indépendants au sein de la structure de l’univers macro-social relativement autonome qu’est le « champ musical français » du début du XXe siècle. On peut alors montrer qu’ils s’inscrivent dans une double opposition – indissociablement institutionnelle, esthétique et musicale – à l’Institut et surtout à la Schola Cantorum de Vincent d’Indy. Dans ce contexte de lutte, un examen des écrits d’Émile Vuillermoz, Florent Schmitt, Maurice Ravel et Charles Koechlin montre que les Indépendants « saisissent » – au double sens du terme, c’est-à-dire « s’emparent de » et « comprennent » – l’œuvre de Debussy au travers de logiques esthétiques spécifiques (logique de l’émotion et logique de l’innovation). Si l’appropriation de l’oeuvre de Debussy par les Indépendants est si décisive, ce n’est pas seulement parce qu’ils sont parmi les premiers à en faire un jalon indiscutable de l’histoire de la musique ; c’est aussi parce qu’ils s’en réclament de façon cohérente et quasi organisée pour fonder leur propre existence artistique. C’est par cette double action, qui consiste à la fois à faire de l’auteur de Pelléas le père fondateur de leur lignée artistique et à lutter (avec succès) pour exister au sein du champ musical français, que les Indépendants font grandir peu à peu l’oeuvre debussyste.
EN:
How does Debussy’s work became to be considered as one of the most important of occidental music history? It is certain that we here dealing with a very complex process of recognition. However, this article aims to isolate from it and to examine one of its main stages, such as the recognition of Debussy by some of his peers. Our thesis is the following: the recognition that today knows Debussy’s work is widely due to its appropriation between the 1900s and 1910s by French musicians from the group of the “Indépendants.” It seems essential, in the first instance, to widen the scale of observation and restore the collective position occupied by this group within the structure of the relatively autonomous macro-social world that constitutes the “French musical field” of the early 20th century. We can then show that they are part of a dual opposition—inextricably institutional, aesthetic and musical—to the Institut and to the Schola Cantorum managed by Vincent d’Indy. In this conflicting context, an accurate review of the writings from Émile Vuillermoz, Florent Schmitt, Maurice Ravel and Charles Koechlin shows that the Indépendants take hold of Debussy’s work through specific aesthetic logics (logic of emotion and logic of innovation). If this appropriation of Debussy’s work by the Indépendants is so decisive, it is not only because they are among the first to make an indisputable milestone of history of music, but also because they identify with it in a coherent and near-organized way to found their own artistic existence. It is through this double action, which consists on making of the author of Pelléas the founder of their artistic lineage and struggling (successfully) to exist within french musical field, that the Indépendants gradually make the value of Debussy’s work grow.
-
Bilitis après Debussy. Hommage, influence, prise de distance ?
Federico Lazzaro
pp. 159–190
AbstractFR:
Composer des mélodies issues des Chansons de Bilitis de Pierre Louÿs dans la France de la première moitié du XXe siècle impliquait évidemment une confrontation directe avec le recueil de Debussy, paru en 1899. Les comptes rendus des concerts à Paris dans les années 1920-1930, alors que le processus de canonisation de Debussy battait son plein, nous permettent d’étudier le discours autour des compositeurs proposant leurs propres Chansons de Bilitis. Le cycle du maître – très joué lui-même – y est souvent cité comme œuvre de référence, et devait forcément être pris en compte par les compositeurs se confrontant aux Chansons. Ainsi, en étudiant les nouvelles Bilitis, il est pertinent de s’interroger sur les attitudes des compositeurs envers l’oeuvre debussyste : est-ce que les nouvelles Bilitis se veulent comme un hommage explicite à Debussy ? Sont-elles plutôt indirectement influencées par le recueil du maître ? Ou bien prennent-elles une distance nette de leur illustre prédécesseur ? Deux auteurs en particulier font l’objet de cette étude comparée : Charles Koechlin et Georges Dandelot. Leur choix de textes parmi les Chansons de Louÿs ainsi que la dramaturgie et les techniques compositionnelles employées sont analysées ici. Les mélodies de Koechlin se révèlent très éloignées de l’imaginaire grec de Debussy, tandis que Dandelot bascule entre l’imitation du style debussyste et l’appropriation décontextualisée de certains de ses traits distinctifs. La comparaison du cycle debussyste avec les « autres » Chansons de Bilitis donne des indices sur la réception compositionnelle de Debussy et n’est pas sans faire ressortir les spécificités stylistiques et esthétiques du recueil debussyste.
EN:
The composition of Chansons de Bilitis by French composers in the first decades of 20th century implied a direct confrontation with Debussy’s cycle, published in 1899. Concert reviews of the 1920s-1930s—when the canonization of Debussy was at its high—offer interesting material for studying the discourse about the composers who created their own Chansons de Bilitis. Reviews often cite Debussy’s cycle—which was performed constantly—as a reference. Composers could not write their own Bilitis without considering Debussy’s. Therefore, the study of the new Chansons brings up relevant questions about the composers’ attitude towards Debussy’s work: Are more recent Bilitis an explicit homage to Debussy? Are they influenced by the master’s work in a more implicit way? Or do they definitely take a distance from their illustrious predecessor? Two authors in particular are the object of the present comparative study: Charles Koechlin and Georges Dandelot. This analysis focuses on their text choice, dramaturgy and compositional technique. ’s mélodies are very far from Debussy’s imagined Greece, while Dandelot toggles between the imitation of Debussy style and the decontextualized appropriation of some of its distinctive features. The comparison between the Chansons de Bilitis by Debussy and by other composers is relevant about the compositional reception of Debussy. Moreover, some stylistic and aesthetic specificities of Debussy’s cycle emerge from the comparative analysis.
-
Claude Debussy vu par Jean Cocteau
Malou Haine
pp. 191–211
AbstractFR:
Dans Le Coq et l’Arlequin (1918), Cocteau est le porte-parole de Satie et des jeunes musiciens qui gravitent autour de lui. Une vingtaine d’aphorismes attaquent violemment la musique de Debussy, car Cocteau souhaite voir émerger une musique française débarrassée des caractéristiques de la musique impressionniste. Par la suite, ses écrits abordent encore Debussy à plusieurs reprises, dans une bonne vingtaine d’articles divers. Jusque vers 1940, il justifie ces positions de jeunesse ; il tente de se dédommager en tentant d’expliquer que c’était là une attitude de jeunes en rébellion contre leurs aînés. Par la suite, Cocteau sera de plus en plus nuancé ; il ne se justifiera plus, mais affirmera son admiration pour Debussy et son chef-d’oeuvre, Pelléas et Mélisande, dont il conçoit même les décors et les costumes lors d’une production au Théâtre municipal de Metz en 1962.
EN:
In his well-known Le Coq et l’Arlequin (1918), Cocteau is the leader of Satie and the other young musicians that fostered Satie’s model. More than twenty aphorisms are directed brutally against Debussy’s music, because Cocteau wishes to see a French music avoided of characteristics that belonged to impressionist music. In the aftermath, his writings evoked Debussy a couple of time, precisely in twenty varied articles. Until 1940, Cocteau justified the positions that he developed against Debussy when he was young: he tried to legitimate himself with the explanation that his position was an attitude of young rebellions against their elders. After that step, Cocteau will be more nuanced in front of Debussy; he will no more justified himself as long as he claimed his admiration for Debussy and his chef d’oeuvre, Pelléas et Mélisande—he conceived the decors and costumes for the production of the opera that took place in the Théâtre municipal de Metz in 1962.
Contribution libre
-
La cathédrale anglicane de Québec et les organistes, 1801-1967. Adéquation ou décalage entre l’offre et la demande ?
Louis Brouillette
pp. 212–229
AbstractFR:
Cette étude analyse, selon une approche à la fois historique et socioéconomique, l’offre et la demande d’organistes à la première cathédrale anglicane construite en dehors des îles britanniques : Holy Trinity de Québec. La période étudiée est délimitée par les années 1801 et 1967, soit les années d’engagement du premier et du dix-huitième organiste de la cathédrale. Le but de cette analyse réside dans la théorisation de l’adéquation ou du décalage entre les propositions des dirigeants de la cathédrale et de la congrégation (les demandeurs) et les exigences des organistes (les offreurs). En vue de formuler des conclusions, les concepts de demande et d’offre sont expliqués dans le contexte particulier de cette étude. Les explications de ces deux termes puisent leurs sources dans la circonscription de notions qui leur sont ici intrinsèques : le terrain de recherche d’organistes, les stratégies de recrutement, le processus de sélection, les incitatifs à l’embauche, les attentes de l’employeur, le contenu des offres finales, la décision des organistes face aux offres finales, les raisons de l’arrêt de travail et la demande de pension. En plus de faire référence à certains principes de la microéconomie concernant la théorie de l’offre et de la demande, cette étude propose des éléments d’analyse propres au contexte, dont le facteur temporel relatif à la durée de recherche d’un employé. Les données qui sous-tendent l’analyse proviennent de recherches inédites dans les archives de la cathédrale Holy Trinity de Québec. Les informations colligées et analysées permettront d’ailleurs d’élargir le champ des connaissances concernant les cathédrales anglicanes en Amérique du Nord.
EN:
This article uses a historical and socioeconomic approach to analyze the supply and demand of organists at the first Anglican cathedral built outside the British Isles: Holy Trinity, in Quebec City. The period of study spans from 1801 to 1967, the tenure of the first to the seventeenth cathedral organist. The purpose of this analysis is to form a theory of the adequacy or discrepancy between the proposals of cathedral leaders and the congregation (the requesters) and the requirements of the organists (the suppliers). In order to draw conclusions, the concepts of supply and demand are explained within the particular context of this study. The explanations of these two terms are based on the following concepts: field research carried out to find organists, recruitment strategies, the selection process, hiring incentives, employer expectations, content of final offers, the organists’ decisions regarding final offers, reasons for cessation of work, and pension claims. In addition to referring to principles of microeconomics regarding the theory of supply and demand, this study provides analytical elements specific to this context, such as the time required to search for an employee. The data underlying the analysis come from original research conducted in the archives of the Cathedral of the Holy Trinity, in Quebec City. The information collected and analyzed will broaden the scope of knowledge of the Anglican cathedrals in North America.