Dynamiques de mobilisation et de syndicalisation des travailleurs de plateforme. Approche comparative transnationale et intersectorielle au sein des activités de mobilité[Record]

  • Fabien Brugière,
  • Donna Kesselman and
  • Jean Vandewattyne

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  • Fabien Brugière
    Maître de conférences, Université de Strasbourg, laboratoire SAGE

  • Donna Kesselman
    Professeure, Université Paris-Est Créteil, laboratoire IMAGER

  • Jean Vandewattyne
    Professeur, Université de Mons, Service de Psychologie du travail

Depuis un peu plus d’une décennie, des transformations d’ampleur ont affecté divers secteurs de services en raison de l’essor d’un nouveau type d’acteurs économiques se distinguant par leur usage extensif des technologies numériques au service d’une stratégie « disruptive » de conquête des marchés. L’expansion de ces « plateformes allégées » sur une échelle globalisée s’est en effet appuyée sur un modèle économique caractérisé par l’« hyper-externalisation » (Srnicek, 2016) du capital physique et de la main-d’oeuvre. Le recours majoritaire à l’emploi non salarié qui en découle leur a permis de contourner les régulations du travail et de l’emploi fondées sur une unité de lieux, de temps et d’organisation collective (Degryse, 2020), selon une logique de réduction des coûts du travail (Brugière, 2020). Parmi toutes les sphères de cette économie – désignée par diverses recherches sous les termes de « capitalisme de plateforme » (Srnicek, 2016 ; Abdelnour & Bernard, 2018) ou d’« économie des petits boulots » (gig economy) (Huws et al., 2017 ; Vallas & Schor, 2020) –, nous avons choisi de concentrer notre attention sur les activités professionnelles ayant trait à la mobilité (chauffeurs sur réservation, livreurs à domicile de repas et de courses). Celles-ci y occupent en effet une position centrale compte tenu de leur poids économique, de leur visibilité dans l’espace et dans les débats publics du fait des controverses et mobilisations suscitées par l’essor de nouvelles figures de travailleurs dans des zones grises institutionnelles, sociales et territoriales (Carelli et al. 2022 ; Azaïs, 2019). La chronologie de leur développement apporte un éclairage significatif sur les évolutions du marché du travail dans une conjoncture jalonnée par des crises économiques et sociales. Dès leur émergence aux États-Unis dans la foulée de la « grande récession » de 2008, les plateformes ont pu puiser dans un réservoir de travailleurs disponibles, à la recherche d’un emploi ou d’un complément de revenu. Ces conditions structurelles ont ainsi favorisé l’essor de la plateformisation sur des marchés présentant des caractéristiques opposées : tension concurrentielle avec les taxis dans le secteur du transport de personnes et ouverture d’un marché dans le cas de la livraison de repas. Lors de la crise de la COVID-19, ce dernier secteur connaît d’ailleurs une expansion fulgurante en tirant parti des mesures de confinement, ce qui a entraîné une forte demande de main-d’oeuvre. A contrario, la réduction drastique des déplacements relative au contexte sanitaire a fait chuter l’activité et les revenus des chauffeurs, les plongeant (encore davantage) dans une précarité économique de plus en plus structurelle. La segmentation des expériences entre ces groupes professionnels se manifeste par des écarts en matière de revendications et de modes d’action, qui s’expriment par ailleurs différemment selon les contextes nationaux. Les disparités sectorielles se traduisent ainsi par des mots d’ordre divergents : des demandes de protection face à la dégradation des conditions de travail du côté des activités de livraison, et de régulation économique sinon d’aides publiques, de celui des activités de transport. Aux côtés de ces enjeux conjoncturels, les travailleurs de plateforme ont développé des revendications spécifiques à leur activité professionnelle : exigences de clarification et de reconnaissance de leur statut d’emploi, à savoir de travailleurs salariés ou d’indépendants à part entière (Nasom-Tissandier & Sweeney, 2019 ; Dubal, 2020 ; Mazuyer 2022), réclamation de « droits syndicaux numériques » (digitallabourrights), à l’instar d’un « droit social de l’algorithme » (Chagny & Forrestier, 2021). Elles sont le fruit de processus de mobilisation et syndicalisation – fragiles et limités, mais néanmoins présents dans divers contextes nationaux depuis le mitan des années 2010 – qui se développent …

Appendices