Volume 54, Number 1, 2024
Table of contents (6 articles)
-
Nos lauréats : Prix Germain-Brière / Prix Beaulne-Brière / Prix Johane-Paris
-
Trouver l’intrus dans l’affaire Sharp : la Cour suprême face aux rapports entre le droit international privé, le droit public et le test du lien suffisant
Naivi Chikoc Barreda
pp. 7–47
AbstractFR:
Dans l’affaire Sharp, la Cour suprême du Canada est confrontée aux rapports entre le droit international privé, le droit public et le test d’interprétation du champ d’application territoriale des lois. En déclarant l’applicabilité des règles de compétence internationale du Code civil du Québec à une demande de l’AMF pour imposer des sanctions administratives en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, la Cour rejette le postulat selon lequel le droit international privé a pour objet les rapports internationaux de droit privé. Ce texte défend la position contraire, en proposant une analyse critique de la démarche suivie pour déterminer la compétence du TAMF en vertu du Code civil et du rapport de complémentarité que la Cour suprême du Canada a trouvé entre le droit international privé et le test du lien suffisant de l’arrêt Unifund.
EN:
In Sharp, the Supreme Court of Canada was confronted with the relationship between private international law, public law and the test for interpreting the territorial scope of statutes. In declaring the applicability of the international jurisdiction rules of the Civil Code of Québec to an application by the AMF to impose administrative sanctions under the Securities Act, the Court rejects the premise that the object of private international law consists of international private law relationships. This article argues the opposite view and provides a critical analysis of the approach taken to determine the jurisdiction of the TAMF under the Civil Code, and of the complementary relationship that the Supreme Court of Canada has found between private international law and the sufficient connection test in Unifund.
-
Consentement et refus de l’électroconvulsivothérapie au Québec, partie 1 : le consentement libre et éclairé à l’électroconvulsivothérapie : une analyse critique des outils québécois
Audrey Ferron Parayre, Emmanuelle Bernheim and Delphine Gauthier-Boiteau
pp. 49–80
AbstractFR:
L’électroconvulsivothérapie (ECT) a un statut particulier dans l’imaginaire social. Longtemps associé à la période asilaire, ce traitement n’a pas été abandonné par la pratique médicale, son utilisation s’étant même accrue au cours des dix dernières années. Pourtant, le caractère controversé de ce traitement demeure. On reproche notamment à l’ECT un manque de fondement scientifique, une incertitude quant aux risques et effets secondaires à moyen et long terme, de même qu’une utilisation beaucoup plus importante chez les femmes âgées. Dans ce contexte, en quelles circonstances et de quelles manières est-il justifié de soumettre une personne à ce soin? Le présent texte porte sur le processus de consentement éclairé à l’ECT pour les personnes majeures et aptes, et aborde plus spécifiquement le contenu du devoir d’information des médecins. Nous proposons une analyse critique des pratiques ayant cours dans le contexte particulier de l’ECT au Québec. D’abord, les éléments scientifiques quant à la nature, aux bénéfices et aux risques de l’ECT seront discutés afin de rendre compte des controverses et des nombreuses incertitudes qui persistent concernant son usage. Les pratiques québécoises en matière de consentement à l’ECT seront par la suite décrites et analysées à la lumière des incertitudes scientifiques précédemment exposées, et en tenant compte du cadre normatif qui impose des balises en matière de devoir d’information et d’obtention du consentement par les médecins. Finalement, des propositions seront faites dans le but d’améliorer le processus de consentement éclairé à l’ECT au Québec, afin que les droits des patient.e.s concerné.e.s soient mieux respectés.
EN:
Electroconvulsive therapy (ECT) has a special status in the social imagination. Long associated with asylums, this treatment has not been abandoned by medical practice, and its use has even increased over the last ten years. Yet the controversial nature of this treatment remains. ECT is criticized for a lack of scientific basis, uncertain medium- and long-term risks and side-effects, and its much greater use in older women. In this context, under what circumstances and in what ways is it justified to subject a person to this treatment? This paper focuses on the process of informed consent to ECT for able-bodied adults, and more specifically on the content of physicians’ duty to inform. We propose a critical analysis of current practices in the specific context of ECT in Québec. First, the scientific evidence regarding the nature, benefits and risks of ECT will be discussed, in order to account for the controversies and numerous uncertainties that persist concerning this therapeutic approach. Practices regarding consent to ECT will then be described and analyzed in the light of the scientific uncertainties outlined above, and taking into account the normative framework that imposes obligations in terms of physicians’ duty to inform and obtain consent. Finally, proposals will be made to improve the informed consent process for ECT in Québec, so that the rights of the patients concerned are better respected.
-
Consentement et refus de l’électroconvulsivothérapie au Québec, partie 2 : l’imposition de l’électroconvulsivothérapie contre le gré : la banalisation judiciaire d’une pratique risquée
Emmanuelle Bernheim, Audrey Ferron Parayre and Delphine Gauthier-Boiteau
pp. 81–120
AbstractFR:
Alors que l’usage de l’électroconvulsivothérapie (ECT) est en augmentation au Québec, son efficacité et son innocuité sont loin de faire l’unanimité. Les recherches internationales ont mis en lumière le fait que les personnes ayant reçu des séances d’ECT rapportent avoir eu peu d’information sur la procédure et notamment sur les risques qui y sont associés. Selon les études, l’ECT est imposée contre le consentement du ou de la patient.e dans une proportion qui varie entre le tiers et la moitié des cas. Aucune donnée concernant le processus de consentement à l’ECT et le refus de ce traitement n’est disponible au Québec.
Cet article présente les résultats d’une analyse de la jurisprudence en matière d’autorisation de soins concernant l’ECT. Tous les jugements rendus entre 1997 et 2023 disponibles dans les bases de données (N=99) ont été collectés et systématiquement analysés sous quatre aspects : 1) l’analyse du tribunal sur sa compétence; 2) l’analyse du tribunal sur les risques et bénéfices relatifs à l’ECT, notamment quant aux effets secondaires et aux connaissances scientifiques; 3) le degré de précision des ordonnances concernant l’ECT; et 4) la discrétion laissée à la partie demanderesse dans l’exécution des ordonnances.
Les résultats de notre recherche démontrent que les décisions judiciaires sont prises en l’absence de tout fondement scientifique, après une analyse juridique le plus souvent sommaire, et laissent une grande marge de manoeuvre aux parties demanderesses, ce qui soulève plusieurs interrogations quant aux possibilités pour certains groupes sociaux de refuser des soins psychiatriques.
EN:
While the use of electroconvulsive therapy (ECT) is on the rise in Quebec, its efficacy and safety are far from universally accepted. International research has highlighted the fact that many patients report having had little information about the ECT procedure, and in particular about the associated risks. Depending on the study, ECT is imposed against consent in between one third and one half of cases. No data on the consent process and refusal of ECT are available in Quebec.
This article presents the results of an analysis of case law on ECT authorization for care. All judgments handed down between 1997 and 2023 available on the databases (N=99) were collected and systematically analyzed under four aspects: 1) the court’s analysis of its competence; 2) the court’s analysis of the risks and benefits relating to ECT, particularly with regard to side effects and scientific knowledge; 3) the degree of precision of orders concerning ECT; and 4) the discretion left to the plaintiff in the execution of orders.
The results of our research show that decisions are taken in the absence of any scientific basis, after a legal analysis that is most often sketchy, and leave a great deal of leeway to the applicants, which raises several questions about the possibilities for certain social groups to refuse psychiatric care.
-
Le financement de la justice : la vraie mesure d’accès à la justice
Chloé Leclerc, Majda Lamkhioued, Maxine Visotzky-Charlebois, Dalia Gesualdi-Fecteau and Johanne Clouet
pp. 121–151
AbstractFR:
L’accès à la justice est souvent conceptualisé comme l’accès aux services juridiques, notamment par l’intermédiaire de la représentation par un.e avocat.e. Malgré l’accent mis sur l’importance des services juridiques gratuits ou à coût réduit, peu d’attention a été portée à leur mise en oeuvre et aux défis rencontrés par les justiciables admissibles. Le présent article repose sur des entrevues auprès de 69 justiciables et 36 acteurs clés des domaines du droit criminel, du droit familial et du droit du travail. Il met en lumière trois difficultés majeures vécues par les justiciables potentiellement admissibles à l’aide juridique, soit la difficulté : 1) à faire la preuve de leur admissibilité; 2) à trouver un.e avocat.e qui accepte de les représenter; et 3) à faire valoir leurs droits. Ces difficultés sont largement attribuées au sous-financement des services d’aide juridique. L’article présente ensuite les conséquences de ce sous-financement sur l’accès à la justice, en abordant l’atteinte au droit à un.e avocat.e de son choix et au droit à une défense pleine et entière, l’augmentation des coûts humains pour le ou la justiciable et la création d’une discrimination systémique à l’égard des populations les plus vulnérables. En conclusion, des recommandations sont formulées pour garantir que l’aide juridique, conçue pour améliorer l’accès à la justice, ne devienne pas un obstacle à celle-ci.
EN:
Access to justice is often conceptualized as access to legal services, particularly through legal representation. Despite the emphasis on the importance of free or reduced-cost legal services, little attention has been paid to their implementation and the challenges faced by eligible litigants. This article is based on interviews with 69 clients and 36 key players in the fields of criminal law, family law and employment law. It highlights three major difficulties experienced by those potentially eligible for legal aid: 1) proving their eligibility; 2) finding a lawyer willing to represent them; and 3) asserting their rights. These difficulties are largely attributed to the underfunding of legal aid services. This article then presents the consequences of this underfunding on access to justice, addressing the infringement of the right to a lawyer of one’s choice, the right to a full and complete defence, the increase in human costs for the litigant and the creation of systemic discrimination against the most vulnerable populations. In conclusion, recommendations are made to ensure that legal aid, designed to improve access to justice, does not become an obstacle to it.
-
Relic of a Bygone Era? A Comparative Review of the Defence of “Reasonable Correction” in Canadian and Israeli Criminal Law
Rick Aiyer
pp. 153–192
AbstractEN:
On January 25, 2000, the Supreme Court of Israel delivered its celebrated decision in Plonit. In a landmark ruling, the country’s highest court abolished the criminal law defence of “reasonable correction,” thus making Israel the first common law jurisdiction to recognize children’s right to equal protection from assault. Contrarily, in the Charter case of Canadian Foundation four years later, a majority of the Supreme Court of Canada elected to uphold a similar defence of reasonable correction in section 43 of the Criminal Code. This article therefore takes a fresh look at Canadian Foundation through the instructive lens of Plonit. It seeks, firstly, to supply an abolitionist frame of reference within which Canadian Foundation may be critically assessed. It endeavours, moreover, to buttress four minority positions expressed in Canadian Foundation: (a) section 43 offends Canada’s international commitments, (b) section 43 constitutes an unworkable criminal law standard, (c) section 43 is incongruous with a child’s right to dignity, and (d) striking down section 43 will not open the floodgates to criminal sanction for every trivial or necessary application of force. In doing so, this article concludes that section 43 of the Criminal Code has outlived not only its legal defensibility, but also its social acceptability.
FR:
Le 25 janvier 2000, la Cour suprême d’Israël a rendu sa célèbre décision dans l’affaire Plonit. Dans une décision historique, la plus haute juridiction du pays a aboli le moyen de défense fondé sur la « correction raisonnable », faisant ainsi d’Israël la première juridiction de common law à reconnaître le droit des enfants à une protection égale contre les voies de fait. En revanche, quatre ans plus tard, dans l’affaire Canadian Foundation, une contestation fondée sur la Charte, une majorité de la Cour suprême du Canada a choisi de maintenir un moyen de défense similaire fondé sur la correction raisonnable qu’offre l’article 43 du Code criminel. Cet article examine donc à nouveau l’affaire Canadian Foundation sous le prisme éclairant de l’arrêt Plonit. Il vise d’abord à fournir un cadre de référence abolitionniste à l’intérieur duquel l’arrêt Canadian Foundation peut être évalué de façon critique. Il tente également de renforcer quatre arguments minoritaires exprimés dans Canadian Foundation : (a) l’article 43 porte atteinte aux engagements internationaux du Canada, (b) l’article 43 constitue une norme de droit criminel irréalisable, (c) l’article 43 est incompatible avec le droit de l’enfant à la dignité et (d) l’abrogation de l’article 43 n’ouvrira pas la porte à des sanctions criminelles pour tout recours à la force négligeable ou nécessaire. Ce faisant, cet article conclut que l’article 43 du Code criminel n’est ni juridiquement défendable ni socialement acceptable.