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Dans le présent article, je m’interroge sur les raisons du silence des femmes dans la sphère médiatique en remettant en question les structures sociales et les pesanteurs culturelles. Mon travail s’appuie sur les résultats d’une enquête que j’ai effectuée au Sénégal (2014-2020) auprès de journalistes et de responsables des médias de trois quotidiens, Le Soleil, Walf quotidien et Sud quotidien; de trois radios, Radio Sénégal internationale (RSI), SudFM et Radio Futurs Médias (RFM); et de trois chaînes de télévision, TFM, RTS et 2STV.

L’analyse du contenu de rubriques et d’émissions ciblées des mêmes médias dévoile l’influence tenace du patriarcat sénégalais, dont les spécificités relevant de facteurs tels que des interprétations conservatrices de l’islam, les effets durables de la colonisation et le poids des traditions continuent de régir la société. J’ai choisi de concentrer mon regard sur les mécanismes mis en oeuvre par ce patriarcat pour construire et légitimer socialement, politiquement et religieusement l’invisibilité des femmes ou leur réticence à prendre la parole, ou les deux à la fois, dans la sphère médiatique. Comment expliquer le paradoxe d’une féminisation accrue du métier de journaliste par rapport au « silence » médiatique des Sénégalaises? Aussi les structures sociales et les pesanteurs culturelles continuent-elles à les confiner en marge d’une prise de parole égalitaire et libératrice.

Réflexion épistémologique

D’importantes et décisives recherches ayant conduit à redéfinir le statut des femmes ont été menées dans le monde occidental. Elles continuent à influer sur d’autres régions avec des acceptations et des réserves. Au-delà de cette dynamique et de cette confrontation conceptuelle et paradigmatique, notre approche sera essentiellement guidée par les productions locales ou sénégalaises depuis l’époque coloniale. Des emprunts aux différentes postures seront toutefois nécessaires pour comparer, appuyer ou infirmer certaines positions.

À travers la littérature existante, la plupart des études et des récits sur les femmes en Afrique sillonnent les corridors délimités par des logiques exogènes qui emprisonnent la créativité intellectuelle dans une position satellitaire. Il est difficile de tracer, dès le départ, une voie épistémologique permettant de traiter la question des femmes dans les médias au Sénégal sans prendre en considération la tension et la divergence alimentées par la colonisation et ses restes qui ont fortement et durablement consolidé l’hégémonie masculine à l’interne derrière celle du pays colonisateur.

Une bonne compréhension de ces représentations s’avère essentielle pour parvenir à comprendre les discours véhiculant la marginalisation et l’invisibilité des femmes dans la sphère médiatique, et ce, en recentrant l’analyse à partir de leurs vécus dans leur contexte et leur historicité : « L’erreur a été de vouloir retrouver dans l’évolution des sociétés africaines les mêmes formations sociales historiques, repérables dans les sociétés européennes » (Diop 2020 : 33).

Les références au discours dominant et l’absence de formulation de solutions de rechange amènent à emprunter la voie des études postcoloniales dans la mesure où, selon Deepika Bahri (2010 : 30), « théorie féministe et théorie postcoloniale sont préoccupées par les mêmes questions de représentation, de voix, de marginalisation ».

Dès lors, il me paraît nécessaire de revoir la dynamique qui a accompagné la dépossession des femmes de leurs pouvoirs multiformes au profit d’une hégémonie masculine soutenue en partie par le pays colonisateur. Pour y arriver, une analyse contextualisée de leur trajectoire historique s’impose (Spivak 2009 : 53) :

La question […] est plutôt que la construction idéologique du genre, en tant que, à la fois, objet de l’historiographie coloniale et sujet d’insurrection, préserve la domination masculine. Si, dans le contexte de la production coloniale, les subalternes n’ont pas d’histoire et ne peuvent pas parler, les subalternes en tant que femmes sont encore plus profondément dans l’ombre.

Oyéronké Oyéwumi (2016) abonde dans le même sens et démontre que l’imposition par le pays colonisateur du genre dans la société yoruba nigériane a subjugué et marginalisé les épistémé du pays où la mère occupe une position centrale.

J’essaie, dans ma réflexion, d’élaborer une pensée alternative en m’appuyant sur la réalité sénégalaise, où les valeurs occidentales, promues depuis la colonisation, et les valeurs religieuses ou traditionnelles se confrontent. Le peu d’écrits sur les représentations des femmes dans les médias ainsi que mes intérêts professionnel (journaliste) et universitaire (enseignante-chercheuse spécialiste des questions de genre dans une école de journalisme) m’ont poussée à approfondir ce sujet. La plupart des études se limitent essentiellement aux aspects quantitatifs avec une surveillance axée sur leur présence, leur temps de parole, leurs images véhiculées ou encore les stéréotypes. Les mécanismes de prise de parole y sont rarement abordés. Un des ouvrages ayant tenté d’apporter un début de réponse (Diop 2008) se consacrait à la place des femmes dans les médias.

Ma démarche sera principalement qualitative et itérative. À partir des rencontres, des témoignages et des entrevues faites avec plusieurs acteurs et actrices de la sphère médiatique et, en dehors de celle-ci, des universitaires, de la documentation et des sources orales, je cherche à comprendre l’influence tenace du patriarcat sénégalais qui continue de rendre invisibles les femmes dans la sphère médiatique et de construire leur silence.

J’ai également recours à des données quantitatives tirées de mes collectes sur le terrain pour appuyer mon étude. Ma réflexion ne se veut pas une réponse à une réalité mouvante, mais plutôt une approche particulière pour remettre en question toute la complexité du silence des femmes dans l’espace médiatique.

J’ai choisi de consacrer mon étude aux médias classiques (presse écrite et audiovisuelle) dans la continuité d’une réflexion déjà abordée lors de mes recherches doctorales. Les journaux (Le Soleil, Walf quotidien et Sud quotidien), les radios (RSI, Sud FM et RFM) et les chaînes de télévision (RTS, 2STV et TFM) ciblés demeurent les plus représentatifs tant pour ce qui est de leur histoire qu’en ce qui concerne leur couverture de l’ensemble du territoire. Ce choix de médias publics et privés, certes subjectif avec ses limites, me permet d’avoir une vision plus proche de la réalité vécue par les femmes dans la société sénégalaise et d’explorer sous toutes ses dimensions (politique, religieuse, sociale) la question de leur représentation.

Un certain bouillonnement est également observé dans les réseaux sociaux depuis quelques années. Il faudra aussi y ajouter le développement exponentiel du téléphone portable qui combine à lui seul tous les autres médias énumérés ci-dessus. Son taux de pénétration de 110,31 % en 2019 au Sénégal (ARTP 2020) est un des plus importants au monde. Toutefois, l’absence de discours structuré et d’actrices symboliques à cet égard me contraint à limiter mon étude aux médias classiques. Une recherche plus ciblée permettrait de mieux mesurer leur portée qualitative et quantitative, tout en traçant les portraits divers des actrices présentes.

La période d’observation et d’écoute s’est faite en continu. L’étape de la collecte a été délimitée temporairement à plusieurs moments de l’année pour établir des comparaisons. Des périodes symboliques comme celle qui est liée à la Quinzaine de la femme célébrée en mars au Sénégal ont été retenues en raison de la forte mobilisation des associations féminines et médiatiques. Une appréciation relative sera faite pour maintenir un juste équilibre. Elle permettra surtout de mieux mesurer cette mobilisation circonstancielle et la portée des actions.

Alliance patriarcale entre pays colonisateurs et chefs coutumiers

Avant la colonisation, les sociétés négro-africaines reposaient pour la plupart sur des logiques du matrilignage ou bien sur celles du matriarcat (Diop 1960). En raison de la fréquence de ces dernières, on est en présence de sociétés « de réelle égalité entre les sexes; cela concerne la contribution sociale de l’un et l’autre – et même si les femmes sont au centre de la société, ce principe gouverne la vie sociale et la liberté des deux sexes » (Goettner-Abendroth 2019 : 9). Les femmes participaient alors à toutes les instances de pouvoir politique, social et même religieux au sein de la famille et de la communauté. Il existait « un bicaméralisme spécifique reposant sur la dualité des sexes. Loin d’entraver la vie nationale et d’opposer les hommes et les femmes, il garantissait l’épanouissement de tous » (Diop 1974 : 54).

Ce système est basé sur « un dualisme harmonieux, une association acceptée par les hommes et les femmes où chacun s’épanouit pleinement en se livrant à l’activité qui est la plus conforme à sa nature physiologique » (Diop 1959 : 114). Il ne connaît pas de structures hiérarchiques et ne repose pas sur l’oppression d’un sexe par l’autre. Au contraire, il « accorde une prééminence certaine aux femmes en vertu de Maât, l’esprit de justice égale pour tous » (Camara 2011 : 145).

Toutefois, cette organisation sociale et politique est déstructurée par la colonisation française avec la complicité des chefs coutumiers. Les valeurs coloniales imposées s’appuyaient sur un modèle infériorisant les femmes à l’image de celles de la métropole.

Sur le plan juridique, des recueils « Grands Coutumiers » servant de base aux « tribunaux indigènes » en Afrique occidentale française sont mis en place au cours des années 1930 (Coquery-Vidrovitch 1994; Rodet 2007). La seule reconnaissance du mari comme chef de famille, unique propriétaire des biens par la législation foncière régie par le décret du 23 octobre 1904 (Organisation du domaine), et l’introduction de l’économie monétaire et des cultures de rente bénéficiant aux hommes (Diarra 1971) ont dépossédé les femmes et réduit considérablement leur accès aux terres.

Dans le domaine de l’éducation, l’administration coloniale a ignoré les filles en créant, en 1910, l’École normale William-Ponty pour former les futurs cadres africains. Cependant, le manque de garçons parmi les élèves et la mise en place d’une politique d’assimilation l’ont obligée à créer des internats et des écoles normales en 1939 pour préparer « la future femme à bien tenir son rôle d’épouse, de mère et de maîtresse de maison » (Wellé 1981 : 217). Les formations étaient confinées dans des domaines réputés féminins (santé, secrétariat, enseignement).

En ce qui concerne la politique, les femmes ont conquis leur participation à la vie citoyenne (Loi numéro 46-940 du 7 mai 1946 tendant à proclamer citoyens tous les ressortissants des territoires d’outre-mer[1]) près d’un siècle plus tard que les natifs des Quatre Communes (Saint-Louis, Dakar, Rufisque et Gorée), en 1848. Les autorités coloniales ont négligé leur pouvoir traditionnel, l’importance politique de leurs sociétés secrètes, de leurs chefferies ou de leurs prêtrises. Cette mise à l’écart de la sphère publique a contribué à perpétuer la représentation des femmes comme des êtres sans voix (Diaw et Sutherland-Ady 2007 : 34).

Au déclin des royaumes, l’emprise des marabouts devient plus visible sur la scène politique. L’alliance se déplace entre les autorités coloniales et ces derniers (Copans 1980). Ils n’appelaient plus à la rébellion contre le pouvoir colonial qui ne s’opposait plus à la construction de mosquées et d’écoles coraniques (daaras) (Fatou Kiné Camara 2007). À l’indépendance du Sénégal, en 1960, les nouvelles autorités perpétuent les valeurs infériorisant les femmes de l’État colonisateur et prolongent le « contrat social » avec les chefs religieux (O’Brien, Diouf et Diop 2002) sans elles.

Engagées dans la lutte pour la décolonisation et l’émancipation du pays, les Sénégalaises n’ont pas vu leur situation changer. Elles restent, au contraire, confinées et orientées par le pouvoir des hommes (politique et syndical) dans des espaces discursifs réduits (mouvements de femmes, associations féminines). Cette situation va limiter la portée de leurs actions en ce qui a trait à la revendication de leurs droits. Par la suite, leur mobilisation a pris diverses formes (réseaux de parenté, de voisinage, de solidarités et d’échanges multiformes). Les mbootaay (« associations féminines ») en sont le cadre dans la société wolof (Sow 2008). Considérées comme des faire-valoir, les femmes ont rarement le premier rôle et servent d’« escaliers » aux hommes.

En 1972, un code de la famille (CF), inspiré du Code civil français, ou Code Napoléon de 1804, est promulgué. Présenté comme un texte de « consensus », un texte « moderne », il ne fait qu’entériner des privilèges masculins sans sauvegarder les droits des femmes (Camara 2007 : 178). Par exemple, dans le contexte du mariage, l’époux est reconnu comme le seul chef de famille (art. 152 CF), l’autorité, celui qui choisit exclusivement la résidence conjugale (art. 153 CF) et exerce la puissance paternelle (art. 277 CF).

Les dispositions de ce code sont « un mélange hétéroclite de règles contradictoires où le devoir de fidélité côtoie l’autorisation de la polygamie, où l’égalité des sexes se réduit à une égalité d’obligations et à une inégalité de droits systématique entre hommes et femmes » (Camara 2007 : 163).

Le Code de la famille vient ainsi cristalliser l’assujettissement des femmes découlant d’une volonté délibérée, qui date de l’époque coloniale, d’abaisser leur statut, de leur ôter le maximum de droits. Cette façon de faire est perpétuée par les autorités dirigeantes depuis l’indépendance.

« Fabrique » du silence et de l’invisibilité des femmes

Tout un ensemble de facteurs parfaitement combinés « fabriquent » le silence et l’invisibilité des femmes en dehors de l’espace privé au Sénégal. En public, la prise de parole revient largement de droit et de fait aux hommes : « Le silence est l’ordinaire des femmes, il convient à leur position seconde et subordonnée » (Perrot 1998 : 1).

En préparant différemment les filles et les garçons, la société ne leur donne pas les mêmes chances. La « valence différentielle des sexes » (Héritier 2002 : 17), c’est-à-dire la valorisation du masculin et la dévalorisation du féminin, attache plus d’importance à leur réussite socioprofessionnelle. Les filles doivent travailler à leur réussite conjugale. Confinées dans l’espace domestique, elles doivent se prévaloir d’une « langue courte », pour reprendre l’expression populaire, renvoyant à un silence construit et souhaité par la société et avoir des « pas courts » pour ne pas dépasser l’espace qui leur est assigné, sauf avec l’autorisation de leur père ou époux, ou encore un « regard court » qui ne remet pas en cause les bases de leur subordination.

Cette socialisation différenciée est basée sur la stratification liée au sexe selon le sociologue Gora Mbodj (1997 : 210) :

Dès la naissance sociale (huit jours après la naissance biologique), des pratiques rituelles centrées sur le corps du bébé vont sexionner l’enfant pour le déterminer socialement en tant que femme ou homme. Il s’agit essentiellement du dàmp (« massage ») et du feral (« sevrage »).

S’appuyant sur les pratiques du dàmp (« massage ») et les rites de sevrage (feral) des filles et des garçons, Mbodj montre que cette stratification prépare la femme au statut de boroom néeg (« responsable de la chambre ») et l’homme à celui de boroom kër (« responsable de la maison »).

En ce qui concerne le massage, Mbodj (1997 : 210) précise que, pour la petite fille, le but à atteindre est le suivant :

Construire un corps harmonieux, malléable, souple, accueillant et gracieux. Ce corps doit être celui du plaisir à voir, du plaisir dans les rapports sexuels. C’est un corps omnisexuel. De la tête aux pieds, tous les segments sont massés et étirés pour construire l’ébauche d’une femme idéale.

Quant au petit garçon, par le massage « s’élabore une personne de labeur, de puissance, de force, une personne responsable, une personne protectrice. Il faut alors “ fabriquer ” un corps musclé, une personnalité de résistance et d’endurance physiques » Mbodj (1997 : 211).

Le sevrage suit le processus de différenciation des sexes également. Pour le garçon, il survient généralement entre 12 et 18 mois après la naissance; pour la fille, il faut y ajouter 6 mois (de 18 à 24 mois) en vue de mieux l’attendrir. Si le massage et le sevrage féminins préparent la jeune fille à la « patience », à la « tolérance », à la « discipline » et à la « vaillance dans ses actes », ceux du jeune garçon l’entraînent à conquérir le monde.

Le schéma de socialisation des filles est prédéfini de leur naissance à leur mort. Ce carcan se révèle d’autant plus (in)visible que la validité de leur expression se limite à l’espace domestique. Elles sont étroitement surveillées et subissent des contrôles à chaque étape de leur vie. Une telle surveillance contraste avec celle des garçons qui se trouvent obligés de conquérir leur « maturité » à l’extérieur du même espace (comportement, jeux, sorties) et lors des différents rites de passage.

Ce processus de différenciation combiné à la pudeur (kersa), inculquée aux filles dès leur plus jeune âge, est souvent avancé pour expliquer la réticence des femmes à prendre la parole dans l’espace public, voire leur « silence » médiatique. Le fameux baatu jigéen awra la est évoqué, c’est-à-dire que la voix des femmes est sacrée et ne doit nullement s’élever. Une croyance « sans fondement en Islam », selon l’imam Ahmadou Kanté[2], pour qui « la référence sur la pudeur touche autant l’homme que la femme. Il n’y a pas de texte spécifique sur la pudeur des femmes. C’est une vertu (Al Hayat) ».

La socialisation différenciée, combinée à une exclusion de l’histoire par des récits empreints de préjugés défavorables aux femmes ou tout simplement des oublis, n’arrange pas les choses. Ces oublis qui ont fini par créer l’effacement avec le temps servent de base à l’idée selon laquelle les femmes ne feraient pas partie des gens qui forgent l’histoire, alors qu’elles la préservaient par l’entremise de « l’orature » (chants, berceuses, contes, lamentations funèbres, panégyriques, incantations) (Diaw et Sutherland-Ady 2007).

À Dakar et dans la plupart des capitales régionales, la quasi-totalité des rues et des édifices publics se conjuguent au masculin et en français. Les universités, centres de référence de l’éclosion des connaissances et de l’esprit critique, s’inscrivent dans la même dynamique. Sur les sept universités, aucune ne porte un nom de femme. Des oublis (in)volontaires qui les excluent de la visibilité, de la reconnaissance universitaire, publique et sociale, mais surtout de la mémoire collective.

Présence des femmes dans les médias

Le champ médiatique sénégalais se déploie dans des structures sociales, politiques et économiques empruntées à la colonisation et perpétuées par les gouvernements successifs depuis l’indépendance (1960). Un discours marginalisant ou occultant les femmes s’est maintenu au fil des années à travers la presse écrite, la radio et la télévision.

Actualité écrite sans les femmes

Dans les journaux, mon analyse a porté sur les contenus des trois principaux quotidiens paraissant régulièrement, Le Soleil, Walf quotidien et Sud quotidien, du 5 au 11 mars 2018, pour trouver des réponses aux questions suivantes : Qui parle? Sous quelle rubrique? Pour dire quoi? Quel est son statut? Les articles des rubriques « Politique », « Économie », « Société » et « Sports » ont été pris en considération, de même que la une et les photographies. Les prises de parole des femmes, leurs citations et les signatures d’articles ont aussi été relevées. Cette analyse est venue compléter celle que j’avais menée du 1er au 7 décembre 2014 sur les mêmes quotidiens.

Sur 555 articles consultés, 19 sont consacrés aux femmes du 1er au 7 décembre 2014, soit 3,42 % du contenu des journaux ciblés durant la période d’analyse. Des 266 photos recensées, 32 portent sur elles, ce qui constitue un taux de 12,03 %. Pour la une des trois quotidiens étudiés, sur 43 photos (médaillons compris), seules 3 concernent les femmes, soit 6,98 %. Par ailleurs, 11,22 % des articles portent leur signature.

En 2018, j’ai fait le choix de privilégier une période où les femmes bénéficient d’une attention médiatique accrue : la Quinzaine de la femme, du 5 au 11 mars 2018. Mon étude a alors porté sur 665 articles, 307 photos et 346 signatures d’articles. L’analyse révèle que, sur 665 articles, seuls 77 ont pour sujet les femmes, soit 11,58 %. Au total, 64 photos sur 307 photos les montrent directement, soit 20,85 %. Sur 346 signatures d’articles, elles ont paraphé leur texte 51 fois, soit 14,74 %. Concernant les 59 photos (médaillons compris) de la une, 8 leur sont consacrées.

Durant les périodes consacrées à mon étude en 2014 et en 2018, la tendance est restée constante. La très grande majorité des articles sont écrits par des hommes. Seuls 12,83 % des articles sont signés par des femmes journalistes qui n’ont publié ni chroniques ni éditoriaux, encore moins de tribunes. Il n’y a pas eu d’avancée significative en quatre ans.

De manière générale, les problématiques touchant précisément les femmes dans les quotidiens à l’étude constituent une question accessoire, voire incidente. Leur présence dans les contenus d’information reste encore marginale. Sous-représentées dans certains types d’articles (politique, économie et sport), ou même absentes de ceux-ci, elles n’en sont jamais le sujet principal. Une lecture plus détaillée révèle un grand déséquilibre entre leur parole et celle des hommes, plus valorisée. Les femmes sont peu consultées en tant qu’expertes et quasi absentes des articles requérant l’avis de spécialistes distingués sur des questions essentielles à la société (économie, sciences, politique). Les seules interrogées comme sources d’information jouissent d’un certain statut social : universitaires, représentantes de partis politiques, de la société civile ou d’organisations. Aucune rubrique féminine permanente n’existe dans les trois journaux étudiés qui sont parmi les plus importants du paysage médiatique sénégalais. La presse écrite demeure donc majoritairement masculine. La voix des femmes semble s’étouffer à travers les lignes : elle ne parvient pas à s’affranchir des mailles d’un système inégalitaire encore persistant.

« Silence radio » des femmes sur les ondes

Mon étude a porté principalement sur les personnes qui interviennent dans les émissions interactives (actualité, religion et divertissement) sur RSI, Sud FM et RFM. Je voulais déterminer, d’un point de vue quantitatif, la part occupée par les intervenantes et, d’un point de vue qualitatif, le sens et la portée de leur discours dans ces émissions. L’écoute des productions radiophoniques ciblées, dans un premier temps, s’est faite du 1er au 14 septembre 2014 et, dans un second temps, du 2 au 17 janvier 2019 pour la RSI ainsi que du 5 au 17 novembre 2018 pour Sud FM et RFM. À la suite de ces périodes d’écoute, 208 personnes, soit 130 auditeurs et 78 auditrices, ont été retenues.

La libéralisation des ondes a donné un nouveau souffle au paysage médiatique sénégalais après des décennies de monopole étatique. L’utilisation des langues nationales, surtout le wolof[3] pour la diffusion d’une grande partie des émissions, a révolutionné l’univers radiophonique dans un pays où le taux d’analphabétisme en français (langue officielle) touche 54,6 % de la population, 62,3 % chez les femmes contre 46,3 % pour les hommes (ANSD 2018). Les auditrices et les auditeurs peuvent désormais intervenir, même sans qualification et en direct, dans les émissions interactives.

Sud FM, première radio privée du Sénégal, offre une diversité d’émissions interactives diffusées uniquement en wolof et communément appelées « Wax sa xalaat » (« Donner son avis »). Ces émissions se déroulent après les deux principales éditions du soir (17 h 30) et de la nuit (21 h 30), du lundi au samedi, et restent liées à l’actualité du jour ou de la semaine. Durant la période d’écoute, soit 1 h 48 min, les femmes n’ont pris la parole que pendant 16 min, soit 15 % du temps. Les questions concernant leurs préoccupations sont rarement abordées. La politique nationale est le thème quasi quotidien. Une situation confortée par l’identité des personnes qui appellent, celles-ci étant – dans leur écrasante majorité – des hommes (96 %).

La RFM ne déroge pas à la règle. L’émission interactive « Point de vue, regards croisés sur l’actualité » apparaît de prime abord comme un espace devant être régi par des discours pluriels et contradictoires. Cependant, les appels sont sélectionnés. Le triage est effectué par la rédaction pour désigner les personnes qui peuvent participer au jeu discursif. Une bonne partie de celles qui sont ciblées sont reconnues pour leurs prises de position ou encore leur appartenance à un groupe d’intérêts bien connu et font déjà l’actualité. Le recours systématique aux mêmes personnes limite la portée des débats et exclut de facto les femmes. Durant la période d’écoute allant de 12 h 35 à 12 h 45 en français et à 13 h 30 en wolof, du lundi au vendredi, seuls des hommes ont été choisis comme intervenants. Les questions ont porté en grande partie sur la politique et le sport, principalement le football.

Les radios privées (Sud FM et RFM) ont mis en place un serveur payant par lequel transitent les appels de l’auditoire. Le coût unitaire à la minute, variant de 400 à 500 francs CFA (soit de 1,00 $ à 1,25 $), demeure un des premiers filtres pour les femmes du fait de leur paupérisation plus marquée. Le quintile le plus pauvre concerne 16,5 % d’entre elles contre 13,9 % des hommes selon l’Enquête de démographie et de santé continue (ANSD 2014).

La même tendance s’observe à la RSI malgré la suppression du serveur, le temps d’antenne consacré au public (une heure) et la possibilité de s’exprimer dans une des quatre langues (wolof, français, parfois pulaar et mandingue).

L’analyse des émissions interactives d’actualité ou religieuses montre que la prise de parole est une affaire d’hommes et conforte la dominance masculine de l’espace radiophonique. Les femmes y sont peu présentes en tant qu’expertes ou responsables d’émissions diffusées à l’heure de grande écoute.

Les émissions à forte audience, axées sur la politique, l’économie ou la religion, sont animées par des hommes (« Grand Jury » sur RFM; « Objections » sur Sud FM ou encore « Le débat » sur RSI). Les personnes invitées, en 2018, ont été des hommes à 95 %. Seules quelques femmes membres des partis politiques, des organisations de la société civile ou des universitaires ont brisé la mainmise masculine sur les plateaux radiophoniques. De plus, même dans des émissions consacrées à la santé, telles que « Allô Docteur » sur Sud FM, « SOS Sages-femmes » sur la RSI ou encore « Bonne santé » sur RFM, que l’on pourrait penser les intéresser plus directement, elles ne parviennent pas à bousculer l’hégémonie masculine. Pourtant, la présence remarquée des femmes est importante dans les émissions de divertissement, surtout d’animation musicale, offrant des titres d’album ou transmettant des voeux aux différents membres de leur réseau social. À l’image du tisserand horizontal africain qui noue et relie différents parties et segments, elles tissent des liens entre les membres de la famille et, plus largement, entre ceux et celles de la société. En fait, plus le tisserand tisse, plus la bande s’élargit pour devenir un pagne, une couverture. Une bande qui s’étend en fonction des liens de parenté, des relations amicales, voire de la grandeur de la communauté. Les femmes jouent alors le rôle de bâtisseuses de relations sociales!

Ce vaste déploiement social autour des femmes, socle de la société, renvoie, selon Hamadou Hampaté Ba (1993 : 21), à toute une symbolique de la parole : « le forgeron forge la Parole, le tisserand la tisse, le cordonnier la lisse en la corroyant. Le tisserand représente l’Homme Primordial Maâ ». Cette façon de travailler et d’agir « rappelle la cadence originelle de la Parole créatrice, liée au dualisme universel et à la loi des cycles ». La parole est donc constructrice et dépasse largement sa vocation communicationnelle. Confisquée ou monopolisée, elle perd sa mission sociale et sa vocation originelle.

Loin de favoriser la pluralité, la radio ne fait que conforter les représentations déjà ancrées dans la société en renforçant cette domination masculine qui se reflète également dans la configuration des différentes administrations des groupes de presse. Aucune femme n’est propriétaire d’un groupe de presse rassemblant plusieurs titres au Sénégal.

Écrans d’invisibilité

Dans mon étude, j’ai examiné des émissions télévisuelles consacrées aux femmes sur la 2STV (« Kër gi ») (« La maison »), la TFM (« Wareef ») (« Devoir ») et la RTS (« Jeeg ak këram ») (« La femme dans son foyer »), diffusées en mi-journée, du lundi au jeudi. Au total, 24 émissions, soit 8 par chaîne, du 3 au 13 décembre 2018, ont été analysées pour voir comment se décline l’intervention des femmes. J’ai aussi considéré la première saison de deux téléfilms populaires pour y étudier leurs représentations, les rôles joués par les protagonistes et les messages véhiculés :« Pod et Marichou » et « Maîtresse d’un homme marié » (MHM). Toutes les émissions audiovisuelles ciblées sont diffusées en wolof.

Orientées vers les faits de société sous divers angles, les émissions des télévisions privées, soit « La maison » de la 2STV et « Devoir » de la TFM, ont une approche conformiste des questions liées aux femmes. Leur choix s’explique par leur forte coloration religieuse (musulmane) et les différences d’interprétation du Coran entre deux maîtres coraniques (oustaz). Celui qui intervient dans l’émission « La maison » de la 2STV a une interprétation figée de la religion concernant les femmes, contrairement à l’imam qui adapte ses prêches au contexte social dans l’émission « Devoir » de la TFM.

Dans ces émissions, les femmes sont les principales intervenantes, mais elles contribuent peu à la discussion en profondeur. Elles appellent surtout pour saluer les animateurs, les féliciter pour leur style (habillement, maquillage, coiffure) ou pour demander leur numéro de téléphone afin de les rappeler en dehors de l’espace public radiophonique.

Celles qui participent donnent souvent des conseils de résilience (muñ, forme d’abnégation) aux autres. Ces espaces privilégiant la prise de parole des femmes subissent fortement l’influence de la publicité, mais moins de leurs préoccupations quotidiennes. Leur réussite sociale passe encore par le cadre conjugal, un idéal qu’érode difficilement et timidement la quête d’autonomie de plus en plus perceptible en milieu urbain. Voilà, un aspect qui pourrait faire l’objet d’une autre étude.

Dans l’émission « La femme dans son foyer », de la télévision publique RTS, les points abordés sont traités avec une dimension féminine marquée, mais l’antenne n’est pas ouverte au public. Certes, elle met en valeur la Sénégalaise lambda ignorée le plus souvent par les autres médias, cependant sa forte dimension institutionnelle limite sa portée.

La télévision contribue à confiner les femmes dans leur grand boubou traditionnel, en les présentant comme épouse ou mère ou encore en les renvoyant à leur féminité. Leur visibilité n’apporte aucun changement qualitatif sur leur perception, tout comme la féminisation des plateaux de télévision. Aucune remise en cause des rapports de pouvoir et de domination entre hommes et femmes n’est faite au cours des débats empreints d’un sceau consensuel. De plus, celles qui interviennent ne se démarquent pas par leur contribution sur leurs savoirs. À la télévision, les femmes bénéficient d’une certaine visibilité, mais la tonalité du discours véhiculé dans les émissions étudiées reste toutefois conformiste et conservatrice.

Dans une société d’oralité comme le Sénégal, la représentation des femmes résiste au temps à travers la culture populaire : griots, contes, productions théâtrales, chansons. L’un des penseurs les plus connus chez les Wolofs de cette tradition orale, Kocc Barma (1584), reconnaissable à ses quatre touffes de cheveux symbolisant autant de messages, fait passer la femme comme un être non digne de confiance : « Aime la femme, mais n’aie jamais une confiance aveugle en elle. » théâtre relatant les scènes historiques.

Présentées comme des femmes d’honneur prêtes au combat, voire au sacrifice, les soeurs ou les mères des souverains redevenaient des épouses soumises dans leur foyer. Dans les pièces dramatiques de Daaray kocc (« L’école de Kocc ») ou Diamano tey (« Notre époque »), des pièces instructives, pédagogiques et ludiques qui ont bercé des générations de Sénégalais, en traçant un portrait sans complaisance de la société, cette représentation se perpétue.

Le tournant est arrivé avec l’adaptation par le petit écran de l’excellent roman de Mariama Bâ, Une si longue lettre, où Ramatoulaye, personnage principal, bien qu’elle soit attachée aux traditions, est une femme « moderne » et progressiste pour son époque. Abandonnée par son mari, elle se battra pour éduquer seule ses enfants et sera plus soucieuse de leur réussite que de certaines pesanteurs sociales comme aller seule au cinéma le soir. Veuve, elle refusera de se remarier pour ne pas devenir une seconde épouse.

Dans ces pièces qui posent les contours de la condition féminine, le muñ (« abnégation ») et le nangu (« consentement ») sont mis en avant comme des vertus féminines. Ce portrait des femmes apparaît dans les téléfilms des années 2020, comme « Pod et Marichou » et « Maîtresse d’un homme marié » (MHM), même s’il évolue et s’adapte à leur vie plurielle. Si Marichou dissout sa vie dans celle de son mari en quittant son travail pour mieux incarner son rôle d’épouse parfaite, on assiste à une approche différente dans « Maîtresse d’un homme marié », où toutes les actrices exercent des activités professionnelles, sans être déchargées pour autant des obligations familiales. Elles vacillent entre résilience et résistance aux contraintes multiples. Elles composent ainsi un tableau de femmes fortes, même puissantes, mais fragilisées par leur statut défini par la société.

Les discours véhiculés dans les médias ainsi que les productions théâtrales et culturelles en tant que pratiques signifiantes ont une influence sur les représentations des femmes, qui constituent 50,2 % de la population (ANSD 2018). Elles jouent un rôle vital dans l’existence de tous les jours et à différents niveaux en assumant les responsabilités liées à leur vie familiale et professionnelle : gestion du foyer, éducation des enfants, travail salarié, informel, sans s’imposer.

Piliers essentiels de l’économie, les femmes prennent largement part à l’amélioration des conditions de vie de leur famille et plus généralement des populations en faisant reculer la pauvreté. Pourtant, les médias, qui ont un pouvoir prescripteur pour rendre visible ou non un sujet dans l’imaginaire collectif, ne traduisent pas ce poids démographique, économique ou social dans les contenus.

Paradoxalement, depuis quelques années, les femmes journalistes sont présentes dans les bureaux de rédaction et même dans des salles de dépêches dites masculines (sports, politique, religion, économie). Visiblement, la profession se féminise. Cette percée quantitative ne doit pas cependant occulter une féminisation par le bas, c’est-à-dire que les femmes sont surtout confinées dans les postes les moins valorisés et les moins valorisants. Dès lors, cette évolution n’apporte aux contenus aucun changement structurel et qualitatif. Les conditions d’emploi et de travail sont moins favorables aux femmes. La maternité, l’âge, les différences salariales et les préjugés socioculturels constituent un moussor de verre (« foulard de tête ») pesant sur leur tête. De plus, les conditions d’emploi et de travail (maternité, écart salarial, discrimination) freinent leur cheminement.

Voie des femmes

Les luttes des femmes ont amélioré leurs conditions de vie de façon générale, malgré la diversité de situations. L’acquisition de ces droits s’avère importante dans la reconnaissance de leurs combats, même s’ils ne changent pas la réalité sociologique ni le monopole masculin du pouvoir. Dans leur combat quotidien, les militantes sont prises, d’un côté, entre les financements extérieurs dictant les programmes et priorisant les actions à mener sur le terrain, souvent en décalage par rapport aux préoccupations sociales; et, de l’autre côté, par un soupçon permanent, parfois des accusations de vouloir saper les fondements mêmes de la société et de la religion (surtout musulmane). C’est probablement ce qui explique qu’elles sont davantage dans le consensus, le conformisme, la « respectabilité » et moins dans « l’audace » qui permet de « transgresser pour progresser » (Lamoureux 2016 : 184) par crainte du regard social et du jugement.

La force du patriarcat sénégalais réside dans la combinaison parfaite entre la religion, la culture, la politique ou encore l’éducation pour faire « intérioriser l’infériorité des femmes » par les femmes elles-mêmes, qui sont paradoxalement les meilleures « gardiennes » de cette façon de penser transmise de génération en génération.

Tout au long de leur parcours social, les Sénégalaises évoluent dans un paysage mental construit sur le respect, la soumission à un ordre social et la fidélité totale au mari, par qui passerait leur salut ici-bas et dans l’au-delà (caaby aljana ou « clé du paradis »), où l’oeuvre d’une mère dans son ménage déterminerait l’avenir de ses enfants, surtout leur réussite (ligéeyu ndey añub doom). Cette réussite symbolise le prix de ses sacrifices et récompense son comportement exemplaire en soumission (déggal sa boroom kër ou « suivre les recommandations de son époux ») dans son foyer, car l’échec social d’un enfant est imputé à sa mère, « l’enfant de sa mère ». Toute une construction mentale sociale consacre cette croyance bien intériorisée dans l’imaginaire collectif.

Une remise en cause de ces représentations requiert une volonté politique et la mobilisation continue des femmes et des hommes (Jablonka 2019) pour revoir l’histoire, les manuels scolaires, les émissions médiatiques (radio, télé, rôles des personnages dans les pièces de théâtre, les dessins animés, les jeux, les lectures, les chansons populaires), bref, les fondations de l’organisation sociale. Il y a là toute une idéologie patriarcale à déconstruire et à redéfinir.

La plupart des Sénégalaises sont conscientes des rapports de pouvoir dans la société, mais ne remettent pas forcément en cause cette dernière. Au contraire, elles l’acceptent le plus souvent en transformant leur position subalterne en force intérieure pour faire ressortir les voies/voix prônées et défendues dans le cadre familial et communautaire. Les tactiques adoptées quotidiennement pour tracer leurs voies, prendre en main leur destinée, assurer leurs besoins fondamentaux, sortir de la précarité, trouver des solutions à leur problème avec foi, optimisme et courage, en s’appuyant sur leurs réseaux de solidarité, témoignent d’une forme de résilience, soit cette capacité de vivre, de réussir et de se développer positivement en dépit de l’adversité (Cyrulnik 2002 : 8). Toutefois, cela ne les empêche pas d’emprunter des passerelles pour continuer la lutte dans une société où rien n’est vraiment acquis de façon définitive.

Conclusion

Au Sénégal, les médias sont le reflet d’une société accordant plus de visibilité et de poids aux hommes. Leur discours contribue à maintenir le statut inférieur des femmes en les marginalisant dans les contenus. Dans les journaux, leurs traces ne résistent guère à l’usure du temps. Ce constat est encore plus frappant à la radio, dans les émissions interactives où elles peuvent pourtant requérir l’anonymat, mais sont peu audibles. À la télévision, leur visibilité se révèle trompeuse. Quelques voix féminines occupent en boucle les médias et produisent souvent un discours uniforme sans incidence majeure sur le quotidien des femmes.

La quasi-absence des femmes des colonnes des journaux, leur silence sur les ondes ou à la télévision, qui s’infiltre dans tous les aspects de la vie sociale, dépasse la sphère médiatique. C’est une responsabilité sociétale, voire totale, même un enjeu politique! Il ne suffit pas de changer la culture médiatique, mais bien les soubassements de pratiques culturelles qui maintiennent les femmes dans l’invisibilité et le silence.

La trajectoire définie ne peut aboutir que grâce à une profonde remise en cause de la structuration du système médiatique basée sur des façons de faire masculines telles que la routine journalistique imposant de travailler dans l’urgence, l’appel aux mêmes sources majoritairement masculines, la hiérarchisation arbitraire des sujets ou encore les logiques de rentabilité, en sus des pesanteurs culturelles tenaces et du conservatisme religieux. Ce sont autant de facteurs qui restreignent la portée de la voix des femmes. Il en est de même sous l’arbre à palabres, où seuls les hommes palabrent sur cette résilience au féminin.

Les femmes et les hommes ont toutes et tous leur place dans la société selon leurs capacités et non suivant des assignations genrées : l’essentialisation est donc l’« ennemi principal ». Pour faire bouger les choses, il faut remonter aux fondements du silence des femmes, ce dernier ayant été construit par l’idéologie patriarcale. En effet, ce silence construit ramène à un complexe processus mental, culturel et politique destiné à reproduire les schèmes de la domination masculine et à étouffer l’audibilité de la voix des femmes.