IntroductionAutochtones et épidémies : vides et profusion[Record]

  • Marie-Pierre Bousquet

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En 2020, quand la pandémie de COVID-19 s’est abattue sur le monde comme un coup de massue, un constat a rapidement émergé : non seulement les réponses sociales et sanitaires ont été variées, à cause de la diversité des cultures de santé publique selon les pays, mais la pandémie a également rendu très visibles les inégalités de traitement entre populations, certaines étant nettement défavorisées par rapport à d’autres, même au sein d’un seul pays. À l’échelle de la planète, les peuples autochtones, y compris dans les pays industrialisés censés garantir un accès équitable à l’ensemble de leurs citoyens, ne bénéficiaient − et ne bénéficient − en général pas des mêmes services que leurs concitoyens non autochtones. Par exemple, on a vu se multiplier les articles de journaux et autres reportages télévisés sur la Première Nation navajo, aux États-Unis, qui a particulièrement souffert avec un taux d’infection très élevé, un nombre de morts proportionnellement très haut et de graves problèmes d’accès aux soins (voir Purvis Lively 2021 ; Wang 2021). Pour la première fois, une pandémie a pu être suivie presque au jour le jour dans les médias, à l’heure de la diffusion instantanée de l’information. Si de nombreux peuples autochtones n’ont pas accès aux grands réseaux médiatiques de leurs pays respectifs, parce qu’ils sont isolés, minoritaires, souvent marginalisés et stigmatisés, la façon dont ils ont été affectés par la COVID-19 a pu être connue du grand public grâce aux médias alternatifs que sont les réseaux sociaux, comme Facebook, TikTok ou Instagram. Qu’ils soient urbains, ruraux, montagnards ou autres, tous ont dû réagir devant la crise, quel que soit le continent. Les pays les plus riches ont parfois échoué à mettre en oeuvre un principe d’équité vis-à-vis des peuples autochtones de leur territoire dans les processus de prises de décision concernant les couvre-feux, les mises en quarantaine, la couverture vaccinale (voir Megget 2022, au sujet des Maoris de Nouvelle-Zélande). La crise a aussi mis en relief les situations socio-sanitaires des Autochtones dans les pays les plus industrialisés, révélant des facteurs favorisant le développement de problèmes de santé. En effet, les Autochtones cumulent souvent des risques de comorbidités : hauts taux de diabète, maladies du coeur, obésité et autres problèmes découlant d’un manque d’accès à des aliments de qualité et à de l’exercice physique. De même, les quarantaines et l’isolement n’ont pas toujours pu être respectés, notamment dans des communautés aux maisons trop petites, en mauvais état ou surpeuplées. Au Québec, face à l’impossibilité d’appliquer littéralement les consignes de santé publique, certaines communautés se sont organisées elles-mêmes en déclarant, par exemple, que l’ensemble de la communauté – et non chaque maisonnée − formait une « bulle sanitaire », ou encore en instaurant des points de contrôle à l’entrée des villages pour vérifier les entrées et les sorties. Du point de vue socio-économique, la fermeture des frontières et la mise à l’arrêt des structures touristiques pendant la majeure partie de l’année 2020 ont eu un impact certain sur tous les peuples présents dans plus d’un pays, comme les Saamis par exemple (Arctic Council 2020). Parfois, l’impact a été positif, la pause dans les activités humaines ayant bénéficié aux animaux et aux plantes dont peuvent dépendre des groupes entiers, pasteurs ou agriculteurs. Par ailleurs, des petites entreprises ont fermé, menant au bord du gouffre des petites communautés dont les ressources économiques étaient déjà faibles. En outre, il ne faut pas oublier que des familles ont été séparées pendant de longs mois, ce qui a affecté les réseaux de parenté et de coopération qui peuvent être les seuls garde-fous de la cohésion sociale. Dans les …

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