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Québec est un mystère politique et nombreuses sont les explications proposées pour comprendre le comportement électoral des citoyens de la région de la capitale. Par rapport au reste de la province, ces derniers choisissent d’élire beaucoup plus de députés de partis conservateurs depuis les années 1970, que ce soit l’Union nationale, le Crédit social, le Parti conservateur du Canada, l’Action démocratique du Québec ou encore Coalition Avenir Québec. Pourtant, rien ne laisse anticiper une telle distinction. Ce casse-tête a été examiné par plusieurs chercheurs (Drouilly, 2003 ; Pinard et Rafail, 2007 ; Villeneuve et al., 2007 ; Parent, 2015), mais aucun modèle théorique n’est en mesure d’en rendre pleinement compte et de lever le voile sur le mystère. Cette recherche revient sur les modèles d’explication proposés pour ensuite tester empiriquement quelques relations qui pourraient s’avérer fécondes dans la résolution de l’énigme[1].

Les données du projet Making Electoral Democracy Work (Blais, 2010) permettent d’examiner en quoi les citoyens de cette région sont différents du reste du Québec au niveau des valeurs et de l’attitude. Les résultats réfutent les plus récentes tentatives d’explication et laissent le mystère irrésolu, en démontrant toutefois que même si les électeurs de la région de Québec se disent généralement plus à droite sur l’échiquier politique et moins favorables que le reste du Québec à la redistribution économique, ils sont très similaires au reste du Québec et que la clé de l’énigme ne réside pas dans les valeurs et l’attitude. Une piste intéressante apparaît toutefois très féconde : lorsqu’on isole les attitudes des moins nantis, les résultats démontrent qu’il n’y a pas de classe sociale pauvre qui serait économiquement plus à gauche dans la région de Québec alors que c’est le cas dans les autres régions.

Mise en contexte et historique d’un mystère qui perdure

Québec est une ville prospère où l’on trouve une importante classe moyenne, vivant en majorité dans des banlieues typiquement nord-américaines. Son centre de la ville et certains quartiers historiquement ouvriers (dont Saint-Roch et Saint-Sauveur) sont en plein renouveau urbanistique depuis les années 2000 (Langlois, 2007 : 193-194). Néanmoins, le dynamisme démographique s’essouffle plus rapidement qu’ailleurs, alors que le taux de natalité a drastiquement chuté (Langlois, 2003 : 139). La ville compense essentiellement à l’aide d’arrivée de migrants francophones provenant en large partie de l’est et du centre du Québec (Langlois, 2007 : 1998).

Un autre trait marquant de la région concerne la station de radio CHOI-FM de Québec. Cette dernière est particulièrement populaire et reconnue pour son franc parler et ses excès de langage. Écoutée par trois fois plus d’hommes que de femmes, cette « radio poubelle », qui critique un ordre établi et est particulièrement sévère envers la bureaucratie, le féminisme étatique et le syndicalisme, rejoint surtout la génération des « X » (Langlois, 2005). CHOI-FM n’avait d’ailleurs pas pu renouveler sa licence et maintenir ses activités, ce qui a été vivement critiqué par une certaine tranche de la population analysée par Simon Langlois (2005), dont le titre « Jeunes hommes en colère à Québec : malaise de classe et de génération » annonce bien le propos.

Sur le plan politique, les citoyens de la région de Québec[2] se démarquent depuis la fin de la Révolution tranquille et, de manière encore plus marquée, durant les années 1970. En effet, l’Union nationale au niveau provincial et le Crédit social au fédéral ont fait élire un nombre considérable de députés dans cette région. Puis, avec les années 1990, la nouvelle Action démocratique du Québec y trouva également un terreau fertile et l’appui au référendum de 1995 était plus faible chez les francophones de la région de Québec par rapport au reste de la province (Gagné et Langlois, 2002). Néanmoins, l’énigme de Québec se présente dans sa forme la plus récente par le succès du Parti conservateur depuis l’élection fédérale de 2006. Lors de cette élection, les conservateurs ont récolté près de 39 % du suffrage dans la grande région de Québec, par rapport à 25 % dans le reste du Québec. Ils ont par la suite réussi à obtenir une majorité de députés dans la région en 2008 et en 2015, avec l’exception de 2011 qui a été marquée par la vague orange du Nouveau Parti démocratique au Québec (Fournier et al., 2013).

Un mystère intact et quelques pistes d’explications

Plusieurs politologues, anthropologues et sociologues se sont intéressés au casse-tête que représente le comportement électoral des électeurs de la région de Québec. Pierre Drouilly (2003) s’est par exemple concentré sur les variables sociodémographiques pour démontrer que la population des comtés les plus éloignés du centre de la région de Québec était moins scolarisée et avait un revenu moindre. Pour leur part, Yvon Jodoin et Marius Thériault (2007) ont formulé des explications pour rendre compte du fait que lesbanlieues de la région ont une tendance plus conservatrice, mais l’énigme reste entière car aucune explication qui s’appliquerait à l’ensemble de la région n’est proposée. Au niveau empirique, Gilles Gagné et Simon Langlois (2002) y voient quant à eux une relation entre le plus grand nombre de retraités vivant dans la région de Québec et la faiblesse du vote OUI en 1995. Langlois (2007) avance deux idées supplémentaires pour expliquer la faiblesse du vote souverainiste tant pour le Parti québécois que le Bloc québécois. Premièrement, les citoyens de la capitale vivent avec l’assurance d’être déjà dans une capitale, et ce, même si le Québec n’est pas souverain. Autrement dit, les citoyens de Québec sont habitués à l’exercice du pouvoir politique et ses élites ont toujours été bien présentes (Langlois, 2007 : 212). Deuxièmement, les facteurs « langue et immigration » ne jouent pas à Québec, contrairement aux autres régions, notamment à Montréal où les francophones en contact avec l’anglais se sentent davantage menacés sur le plan linguistique.

Maurice Pinard et Pat Rafail (2007 : 128) contredisent l’affirmation de Gagné et Langlois (2007) en démontrant, données à l’appui, qu’il n’y a pas plus de retraités et ils élaborent quelques hypothèses supplémentaires. D’une part, ils estiment que les attitudes conservatrices expliqueraient le vote pour des partis conservateurs et démontrent que les individus de la région de Québec sont davantage conservateurs. Entre autres choses, ils sont plus défavorables aux syndicats et beaucoup plus favorables au gouvernement lors des conflits de travail, en plus d’être moins favorables que le reste du Québec au mariage entre gens de même sexe (Pinard et Rafail, 2007, tableaux 4 et 5). D’autre part, les auteurs démontrent que, tel qu’anticipé, la désaffection politique est plus élevée dans la région de la capitale provinciale. Cette désaffection bénéficierait aux tiers partis, ce qu’était le nouveau Parti conservateur en 2004, mais également en 2006 (ibid. : 134). Ces deux éléments expliqueraient le comportement électoral et l’appui aux partis conservateurs de la région de Québec.

Tout récemment, Frédéric Parent (2015) a adopté une méthode ethnographique pour proposer une explication globale à l’énigme. Plus précisément, cet auteur a le mérite d’adopter une nouvelle démarche, qualitative, dans un village de la partie sud de la région de Québec. Selon lui, le rejet de l’interventionnisme serait dû au fait que les individus de cette région privilégieraient les réseaux familiaux et l’entrepreneuriat local, contrairement aux « gros syndicats » et à la machine bureaucratique, non appropriés à leur dimension locale. Parent note néanmoins que l’ambiance autour des « radios poubelles » et le sentiment d’efficacité politique joueraient un rôle dans l’explication de l’attitude plus conservatrice de ces citoyens du fait qu’ils sont très proches du discours qui y est véhiculé ; mais ce n’est qu’une partie de l’explication. En effet, ce qui expliquerait l’énigme est le rejet de l’interventionnisme étatique qui serait fondamentalement une réaction afin de préserver leur pouvoir local.

Données et indicateurs

Pour répondre aux objectifs de recherche et tester les hypothèses déjà présentes dans la littérature, les données de sondages en ligne conduits au Québec par la firme Harris International dans le cadre du projet Making Electoral Democracy Work (Blais, 2010) sont mobilisées[3]. Le premier sondage s’est réalisé en deux étapes : la première vague, durant la dernière semaine de la campagne électorale provinciale de 2012, a permis de rejoindre 1014 répondants ; 747 d’entre eux ont répondu à la deuxième vague, postélectorale, qui s’est déroulée lors des trois semaines suivant le scrutin. Le deuxième sondage a été mené au cours des élections fédérales de 2015 et contient un important échantillon à l’échelle québécoise : 1864 électeurs ont été joints dans la première vague (pré-électorale) et 1254 dans la deuxième (post-électorale). Il y a un total de 2878 observations sur l’ensemble du territoire québécois. Un peu plus de 10 % de ces individus sont dans la région de Québec[4].

Les données de ces deux sondages sont combinées tout au long de l’analyse afin d’augmenter le nombre de répondants provenant de la région de Québec. Chaque répondant est associé à une circonscription et peut donc être ciblé comme faisant partie, ou non, de la région de Québec[5]. En utilisant le dernier recensement canadien, les données ont été pondérées en fonction de l’âge, du sexe, du niveau de scolarité et de l’intention de vote[6]. De plus, seuls les individus dont le français est la langue maternelle ont été retenus pour des fins de comparaison. Inclure les non-francophones du reste du Québec, qui y sont beaucoup plus nombreux, aurait faussé la comparaison.

Les variables sociodémographiques classiques incluent le sexe, l’âge et le niveau de scolarité[7]. Comme toutes les variables qui suivront (à l’exception de l’âge qui est codé de manière continue et non par groupe), elles ont été standardisées de 0 à 1. L’éducation est dichotomisée en un niveau de scolarité post-secondaire ou non, et le sexe est dichotomisé avec le féminin comme catégorie de référence. Finalement, en ce qui concerne le statut socioéconomique, le revenu individuel a été groupé en quatre catégories[8].

Plusieurs variables concernent les valeurs et les attitudes des répondants[9]. L’intérêt pour la politique en général a été mesuré à l’aide d’une question allant de 0 à 10, tout comme cinq questions qui s’attardent à l’idéologie des électeurs (voir en fin d’annexe pour le libellé des questions concernant l’idéologie). Dans la question la plus générale, on demande au citoyen de se placer lui-même sur un spectre allant de l’extrême gauche à l’extrême droite. Ensuite, deux questions permettent de connaître le placement du répondant par rapport à la gauche/droite sociale : on lui demande s’il favorise des « programmes de réhabilitation » pour les criminels ou s’il préfère des « sentences lourdes » (c’est-à-dire tough on crime) et s’il se considère très favorable, ou non, à l’accueil de plus d’immigrants. Finalement, deux questions capturent l’idéologie économique et proposent une gradation entre des positions très favorables à « la réduction des taxes et impôts » par rapport à « l’amélioration du service public », de même qu’entre une position très favorable, ou non, à la redistribution. Ces indicateurs auraient pu être combinés, mais le fait de les inclure séparément amène une image plus nuancée et permet de saisir davantage de subtilités parmi trois catégories : l’idéologie subjective, l’idéologique gauche/droite sociale et l’idéologie gauche/droite économique.

En matière de partisanerie, un individu déclarant se sentir proche d’un parti politique est codé 1, et 0 si ce n’est pas le cas. Le niveau de cynisme est mesuré par la question « Durant les campagnes, les politiciens font des promesses qu’ils n’ont pas l’intention de respecter », qui est codée 0 si le répondant est totalement en désaccord, 0,33 si plutôt en désaccord, 0,67 si plutôt en accord et 1 si totalement d’accord. Le sentiment d’efficacité face à la politique est également mesuré. Ce concept, développé sous l’appellation political efficacy dans la littérature anglophone (Balch, 1974 ; Craig et Maggiotto, 1982), est quantifié par une question codée de la même manière que le cynisme et ses quatre options de réponse. On demande au répondant d’évaluer la phrase suivante : « Parfois, la politique est trop compliquée pour les gens comme moi. » En somme, il s’agit de données riches qui incluent énormément d’indicateurs : les variables sociodémographiques de base, les attitudes et les valeurs de toutes sortes, et des indicateurs de l’idéologie divisée en sous-items détaillés (placement subjectif, gauche/droite sociale et gauche/droite économique). Les statistiques descriptives pour toutes ces variables se retrouvent au tableau 1.

Tableau 1

Statistiques descriptives

Statistiques descriptives

Note : Données du projet Making Electoral Democracy Work durant l’élection provinciale québécoise de 2012 et l’élection fédérale de 2015.

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Résultats

La méthode employée pour vérifier si les citoyens de la région de Québec se distinguent sur ces indicateurs par rapport au reste de la province peut se faire de deux façons. Premièrement, l’utilisation de tests t pour simplement vérifier si les moyennes au tableau 1 diffèrent aurait été la méthode la plus simple, mais elle ne permet pas de contrôler pour d’autres facteurs (Fox, 1999). Deuxièmement, une façon de contrôler pour les variables socio-démographiques de base (âge, sexe et éducation) consiste à opérer des régressions linéaires des moindres carrés (OLS) où ces contrôles sont inclus, en plus d’une variable « Québec », codée 1 si le répondant fait partie de la région de Québec et 0 si ce n’est pas le cas. Si la variable « Québec » est significative, cela indique que les personnes de la région de Québec se distinguent significativement du reste du Québec. Même si les résultats sont essentiellement les mêmes peu importe la méthode utilisée (des tests t par rapport aux régressions), les régressions ont été privilégiées afin de dresser un portait plus complet et précis.

Les tableaux 2 et 3 présentent les résultats. Les variables indépendantes sont toujours les mêmes et constituent les contrôles classiques, à savoir l’âge, le sexe et le niveau de scolarité, en plus de la variable centrale d’intérêt : Québec, dont les résultats sont en caractères gras. La variable dépendante de chaque modèle est indiquée au haut de chaque colonne.

Tableau 2

Attitudes politiques des électeurs de la région de Québec

Attitudes politiques des électeurs de la région de Québec

Notes : Les variables en colonne représentent la variable dépendante du modèle, qui est une régression OLS.

Les erreurs standards sont entre parenthèses.

**p < 0,05 ***p < 0,01

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Tableau 3

Valeurs politiques et positionnement des électeurs de la région de Québec

Valeurs politiques et positionnement des électeurs de la région de Québec

Notes : Les variables en colonne représentent la variable dépendante du modèle, qui est une régression OLS.

Les erreurs standards sont entre parenthèses.

**p < 0,05 ***p < 0,01

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Le tableau 2 montre que dans la majorité des cas, les variables contrôles ont un impact significatif, dans le sens attendu (par exemple, les plus âgés et instruits sont plus intéressés par la politique), mais que les électeurs de la région de Québec ne se distinguent dans aucun cas du reste du Québec. En effet, ils sont autant intéressés par la politique, sont autant partisans, cyniques et aliénés. Ces résultats nous rapprochent bien peu d’une explication du mystère de Québec, comme cela aurait pu être le cas si, par exemple, le niveau de cynisme ou encore le sentiment d’efficacité avait été distinct pour les électeurs de la région de Québec. Ce n’est donc pas au niveau de l’attitude que réside la solution à l’énigme. Le tableau 3 permet d’analyser une autre catégorie de variables : les valeurs et, plus précisément, le positionnement idéologique.

Le tableau 3 comporte cinq variables relatives aux valeurs des répondants. Tel que décrit dans la section précédente et présenté en annexe, il y a un placement subjectif individuel sur l’échelle gauche/droite, deux questions par rapport à l’axe gauche/droite économique et deux autres sur l’axe gauche/droite social. Pour la première (et seule) fois, la variable « Québec » obtient deux relations significatives. Premièrement, les électeurs de la région de Québec se disent un peu plus à droite que les autres électeurs au Québec. Néanmoins, la différence reste modeste puisque le coefficient indique qu’en passant du reste du Québec à la région de Québec, un individu augmenterait en moyenne de 0,039 point sur l’échelle allant de 0 à 1, pour une augmentation de près de 4 points de pourcentage vers la droite. Il s’agit donc d’un effet très modeste. Deuxièmement, les électeurs de la région de Québec se distinguent également, et d’une manière plus importante encore, sur une dimension économique. Plus précisément, ils sont de 0,069 point plus opposés à la redistribution que les électeurs du reste du Québec.

Néanmoins, outre ces deux indicateurs, les électeurs de la région de Québec ne se distinguent pas de manière systématique par rapport au reste de la province. Il aurait été possible d’anticiper un positionnement plus à droite sur le plan social, que ce soit sur la question concernant les sentences criminelles ou encore l’immigration (c’est-à-dire qu’ils ne sont pas plus durs eu égard à la criminalité et pas moins ouverts à l’immigration). De plus, au niveau de la dimension économique, il y a un effet sur la question de la redistribution de la richesse, mais il n’en est rien quand il s’agit de prioriser la réduction des taxes versus l’amélioration du secteur public. Ces résultats sont particulièrement étonnants puisqu’ils vont contre la croyance populaire véhiculée dans les médias et infirment les conclusions de l’étude ethnographique de Parent (2015) discutée précédemment. Ce dernier explique que c’est essentiellement le rejet d’une présence gouvernementale forte qui expliquerait le mystère, alors que les résultats obtenus à la question portant sur la réduction des taxes versus l’amélioration du secteur public réfutent cette explication.

Un effet de classe ?

Langlois (2005) invite à mobiliser l’idée de classe sociale et elle ne peut être opérationnalisée que par une seule régression où il y a une variable « Québec » indiquant s’il y a une différence significative ou non. L’idée du sociologue consiste à dire que les personnes au statut social faible (ceux aux revenus modestes) réagiraient plus fortement à certains enjeux que les autres groupes. La raison est que cette classe sociale plus modeste se trouve déclassée par rapport à une classe de fonctionnaires bien payés qui est par ailleurs beaucoup plus présente dans la région de Québec que dans le reste du Québec. Pour tester cette idée, il convient de reproduire les analyses sur les questions portant sur les valeurs (comme au tableau 3), mais en observant l’effet du revenu sur un échantillon de la région de Québec, et comparer au reste du Québec (voir les tableaux 4a et 4b).

La catégorie de référence consiste aux individus dont le revenu est inférieur à 29 999 $. Sans surprise, plus le revenu du répondant est élevé, plus il se situe à droite sur le positionnement idéologique subjectif. Ce phénomène s’observe tant dans la région de Québec que dans les autres régions, bien que l’ampleur des effets soit plus importante dans la région de Québec. Quant au premier indicateur économique, rappelons qu’un coefficient négatif exprime un penchant pour la droite (« très favorable à la réduction des taxes et impôts »). Dans le reste du Québec, l’effet est intuitif : les plus riches sont plus à droite pour favoriser les baisses de taxes et d’impôts. Or, il n’y a aucun effet dans la région de Québec chez les deux classes mitoyennes (dont le revenu est de 30 000 $ à 59 999 $ et de 60 000 $ à 99 999 $). C’est donc dire que les plus pauvres sont autant à droite que les plus riches dans la région de Québec, ce qui est assurément intrigant.

En ce qui concerne l’indicateur de la redistribution, un coefficient élevé indique une plus forte opposition à la redistribution. Dans le reste du Québec, la tendance est simple : plus le répondant est aisé, plus il est opposé à la redistribution. Il y a toutefois une différence notable dans la région de Québec. La catégorie suivant celle des moins fortunés ne se distingue pas de la catégorie de référence (ceux dont le revenu est en-deçà de 30 000 $). En somme, sur le plan économique, la tendance est intuitive et conforme à ce que l’on pourrait s’attendre dans le reste du Québec, mais elle est particulière dans la région de Québec. En effet, les classes moyennes (revenu allant de 30 000 $ à 99 999 $) ne sont pas significativement moins à droite que les plus pauvres. Il n’y a donc pas, dans la région de Québec, de classe moins fortunée qui serait plus économiquement à gauche[10]. C’est la première fois que cette affirmation est soutenue par des données et elle est tout à fait pertinente dans l’explication, à tout le moins partielle, du mystère de Québec.

Tableau 4

L’effet différencié du revenu

a

Reste du Québec

Reste du Québec

b

Région de Québec

Région de Québec

Notes : Les variables en colonne représentent la variable dépendante du modèle, qui est une régression OLS.

Les erreurs standards sont entre parenthèses.

**p < 0,05 ***p < 0,01

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Sur le plan social, le rôle du revenu qui vient capturer l’effet de classe joue également de différentes façons entre la région de Québec et l’ensemble du Québec. Sur la question des sentences criminelles, les riches sont plus à droite (favorables aux sentences lourdes) dans le reste du Québec, alors qu’il n’y a aucune différence dans la région de Québec. C’est toutefois l’inverse dans le cas de l’immigration : il y a une tendance significative dans la région de Québec alors qu’il n’y en a pas dans les autres régions. En effet, plus le répondant de la région de Québec est riche, plus il se situe à droite (souhaite une réduction des seuils d’immigration) par rapport aux moins nantis. Somme toute, les résultats au niveau social apparaissent moins féconds dans l’analyse du mystère de Québec.

Bref, la présente analyse appuie fortement l’étude de Langlois (2005), à savoir que les « déclassés » de la région de Québec seraient plus à droite que ceux de l’ensemble du Québec. Les résultats sont d’autant plus probants au niveau des indicateurs économiques, alors que les moins nantis ne sont pas plus à gauche que les plus fortunés, ce qui est pourtant le cas ailleurs.

Ces conclusions pourraient soulever deux objections potentielles chez un lecteur sceptique. Malgré le mérite des différentes mesures, notamment idéologiques, qui permettent de distinguer plusieurs concepts, le fait que le nombre d’observations d’électeurs dans la région de Québec ne soit pas si élevé, de même que le fait que ces données proviennent de deux élections différentes, constituent des limites. À cette dernière limite, la réponse est très concise : après l’avoir testée, on peut affirmer que l’inclusion d’une variable contrôle qui distingue les observations provenant du sondage lors de l’élection provinciale par rapport à l’élection fédérale ne change en rien les résultats. Quant au nombre de cas, qui impliquerait le manque de « pouvoir statistique », cela serait pertinent si la variable d’intérêt (le fait d’être un électeur de la région de la capitale) était relativement proche d’être significative. Par exemple, si la valeur p était autour de 0,10 ou 0,15, on pourrait croire que l’ajout d’observations[11] permettrait d’obtenir des résultats positifs qui franchiraient un seuil acceptable. Or, à l’exception du degré de partisanerie qui est à p = 0,15, les autres variables ne seraient toujours pas significatives à un seuil raisonnable. En ce sens, l’ajout de quelques centaines d’observations supplémentaires n’éclairerait pas davantage le mystère de Québec.

Conclusion

Pour conclure, la remarque d’André Blais (2005 : 833), marquée d’optimisme, s’applique tout à fait à cette recherche :

Some readers of previous drafts have expressed concerns about my remarkable ability to disconfirm hypotheses and my equally remarkable inability to produce “positive” results. My typical response to such “unfair” criticisms has been that I adhere to a Popperian epistemology, according to which the goal of science is to disprove as many propositions as possible.

Il aurait été souhaitable de pouvoir expliquer le mystère de Québec dans son entièreté. Mais les mécanismes qui expliquent la tendance conservatrice de la région de la capitale nationale restent difficiles à cerner, bien qu’on ait proposé ici d’examiner de manière exploratoire, avec des données tout à fait pertinentes, en quoi ces citoyens se distinguent du reste du Québec. Il en ressort une double déception. Premièrement, les données ne laissent entrevoir aucune explication systématique intéressante, à l’exception du positionnement subjectif plus à droite et d’une opposition plus marquée en matière de redistribution. Deuxièmement, l’analyse infirme la plus récente explication de l’énigme (Parent, 2015) qui se concentre sur le rejet de l’interventionnisme étatique.

Cette recherche amène toutefois une contribution fondamentale dans la compréhension du mystère de Québec. D’une part, elle a le mérite singulier de pointer là où il ne faut pas porter son attention afin d’espérer résoudre le casse-tête. D’autre part, elle indique qu’une partie de l’explication se trouve dans le fait qu’à Québec, la classe sociale plus pauvre n’est pas idéologiquement plus à gauche que l’ensemble des électeurs.