Les ouvrages dont il est ici question portent sur un thème commun, le système partisan canadien. Ce système a connu une rupture importante lors de l’élection fédérale de 1993, à tel point que cette élection marque l’avènement du quatrième système partisan. Cet objet d’étude est traité sous des angles bien diversifiés par les auteurs et les auteures, selon leurs objectifs propres. Ainsi, alors que ames Bickerton, Alain-G. Gagnon et Patrick J. Smith privilégient une perspective macroanalytique ponctuée au rythme de l’histoire, Anthony M. Sayers adopte clairement une perspective microanalytique résolument contemporaine, et Lisa Young fait sienne une perspective mésoanalytique et féministe. En fait, c’est la prise en compte simultanée de ces ouvrages qui permet d’accéder à une connaissance plus complète des acteurs partisans qui animent le théâtre de la politique canadienne en ce début de siècle. J. Bickerton, A.-G. Gagnon et P. J. Smith, respectivement des universités St. Francis Xavier, McGill et Simon Fraser, jettent certainement le regard le plus large sur le système partisan canadien. Leur principal argument avance que les partis politiques ont, historiquement, établi des liens avec des clientèles électorales spécifiques, liens basés sur des affinités idéologiques et sur une philosophie partagée, c’est-à-dire des valeurs, des idées, une vision de ce que devrait être la société. Ces liens se sont développés au sein de trois systèmes partisans, le premier s’étendant de la Confédération à 1917, le deuxième de 1921 à la victoire de Diefenbaker en 1957-1958, le troisième de 1962 à la victoire conservatrice de 1984. Les auteurs voient dans l’ère conservatrice de 1984 à 1993 un intermède caractérisé par le retour de la politique fédérale à des préoccupations nationales plutôt que régionales. L’élection fédérale de 1993 vient tout à la fois conforter et mettre à mal ces liens établis, par l’histoire et par la pratique des partis, avec l’électorat, tantôt en étayant certaines caractéristiques de fond du système de partis canadien, tantôt en obligeant celui-ci à se redéfinir par rapport à d’autres aspects. L’élection de 1993 n’a pas tout chambardé ; certains éléments des systèmes partisans précédents perdurent : la structure idéologique et thématique du système de partis au Canada (au cours des années 1990, la question de l’unité nationale marque la politique canadienne comme auparavant) ; en dépit d’une régionalisation de la politique canadienne, certains partis (notamment le Parti libéral) cherchent toujours à glaner large dans l’électorat en concoctant une synthèse d’intérêts multiples, diversifiés, voire conflictuels ; le Parti libéral reste le parti dominant, peut-être le parti de gouvernement, comme autrefois ; enfin, le système électoral majoritaire nourrit toujours la régionalisation de la politique canadienne. Par ailleurs, le quatrième système de partis inauguré à l’occasion de l’élection de 1993 provoque aussi un certain nombre de ruptures avec le passé. Le changement le plus notoire est la répartition des votes et des sièges : non seulement deux des trois partis qui ont marqué la vie politique canadienne ont pratiquement disparu de la scène fédérale, mais deux nouvelles formations politiques — le Parti réformiste concentré surtout dans l’ouest et le Bloc Québécois concentré au Québec — s’affirment maintenant à tel point que l’un et l’autre constituent tour à tour l’opposition officielle à Ottawa. Au nombre des ruptures, mentionnons aussi une remise en question du leadership au sein du Nouveau Parti démocratique et du Parti progressiste conservateur — deux formations dirigées par des femmes lors du scrutin de 1993, qui seront rapidement invitées à démissionner au lendemain de la débâcle (il serait intéressant d’analyser les conséquences que le traitement injuste que le NPD et le PPC ont réservé à Audrey MacLaughlin et à Kim Campbell a pu avoir …
Ties That Bind. Parties and Voters in Canada, sous la dir. de James Bickerton, Alain-G. Gagnon et Patrick J. Smith, Don Mills, Oxford University Press, 1999, 251 p.Rebuilding Canadian Party Politics, de R. Kenneth Carty, William Cross et Lisa Young, Vancouver, UBC Press, 2000, 265 p.Parties, Candidates, and Constituency Campaigns in Canadian Elections, de Anthony M. Sayers, Vancouver, UBC Press, 1999, 244 p.Feminists and Party Politics de Lisa Young, Vancouver, UBC Press, 2000, 246 p.[Record]
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Manon Tremblay
Université d’Ottawa