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Dans son travail récent, Marcel Marois a délaissé le monde de la une journalistique, de la catastrophe écologique, qu’il transformait jusqu’alors par un travail de déconstruction et de reconstruction de l’image en des oeuvres tissées qui donnaient à l’événement toute l’épaisseur du phénomène, c’est-à-dire qui se manifestent à la conscience et s’inscrivent dans des structures plus profondes qui sont de l’ordre de la longue durée. Ses oeuvres récentes, deux tapisseries magistrales Averse chromatique (2008) et Double horizon (2010), mais également une série de dessins à l’aquarelle (les séries Contemplation, Perception, Silence de 2007-2008 et Suspension et Déplacement de 2010) ont franchi la « barrière » de l’abstraction, une tendance qui s’est matérialisée au tournant des années 2000. Cet abandon de toute référence au réel signifie-t-il pour autant que l’artiste a changé sa vision ou sa manière ? À notre sens, non. Autant dans ses oeuvres figuratives des années 1990 que dans ses abstractions des années 2000, Marois travaille toujours selon une dialectique de l’ordre et du chaos. La théorie du chaos veut qu’une infime imprécision dans l’ordre des données de départ crée des perturbations imprévisibles dans le long terme. C’est la métaphore du battement d’aile d’un papillon au Brésil qui pourrait provoquer une tornade au Texas… Mais Marois a plutôt une démarche opposée. Il contrôle et stabilise la spontanéité et le hasard. Du chaos, il cherche l’ordre, de la tempête, il soutire l’intime vibration de l’air.
Le carton de tapisserie est le lieu où Marois laisse s’exprimer la couleur et le geste. L’aquarelle et la gouache jouent de transparence et d’opacité. Taches et coulures s’affirment. Mais déjà l’artiste y commence son travail de harnachement par collage et découpage, ajoutant, retranchant, reconfigurant son impulsion première. La composition, au final, n’est pas le résultat d’un automatisme, d’une improvisation, d’un chaos, mais une structure où des plans sont clairement définis, où les traces d’une manipulation de l’image influent sur le chromatisme et la nature même des taches de couleurs, où l’ordre déjà s’installe. Puis commence le long, le très long processus de tissage où chaque ton est reconstruit point par point, où chaque nuance est décomposée et rendue à l’aide de plusieurs fils de couleurs différentes. On serait tenté d’établir un parallèle avec la photographie numérique où, à l’écran, les valeurs colorées sont obtenues pixel par pixel. Mais, chez Marois, il y a cette matérialité de la fibre, absente de l’imagerie informatique. La régularité de la trame du tissage est aussi le résultat d’un battement…
On retrouve dans les dessins récents de Marois cette même précision cachée, cette divine proportion dans la fragilité de la touche. La fluidité de l’aquarelle est contrôlée malgré son apparente indocilité, soit par l’aspect sériel de larges bandes parallèles où la couleur « s’épuise », soit par l’apparition d’horizontales qui traversent les taches, comme si ses ciels de couleurs étaient dotés de plusieurs horizons.
Chez Marcel Marois, la synthèse entre la turbulence de l’élan créateur et la cohérence d’une exécution totalement contrôlée s’opère parfaitement. De cette dialectique de l’ordre et du chaos émergent des oeuvres qui ont la délicatesse de l’aile du papillon et la force de l’ouragan.
Appendices
Note biographique
Marcel Marois
Marcel Marois est professeur au Département des arts et lettres de l’Université du Québec à Chicoutimi où il assume la direction de la maîtrise en art. Sa carrière artistique a pris un tournant international avec sa participation, en 1981 et 1987, aux 10e et 13eBiennales internationales de la tapisserie de Lausanne, en Suisse. Il a représenté par la suite le Canada dans plusieurs autres événements d’envergure, dont les 4e, 6e, 9e et 11eTriennales internationales de tapisserie de Łódź, en Pologne, la Première Triennale internationale de Tournai en Belgique, et les 2e et 4eBiennales américaines de tapisserie. Il a été invité pour l’exposition de tapisserie contemporaine Kárpit-Tapestry, présentée au Musée des beaux-arts de Budapest à l’occasion des fêtes du millénaire de la fondation de l’État hongrois en 2001, et il a fait partie de la sélection d’oeuvres pour Working with Nature – 20th Century Textile Art présentée en 2008 au Minneapolis Institute of Arts. Son oeuvre a été exposée en Angleterre, en Australie, au Canada, aux États-Unis, en France, en Hongrie, au Japon, en Pologne et en Suisse. Elle est représentée dans de nombreuses collections publiques et privées, dont celles du Musée national des beaux-arts du Québec, du Musée canadien des civilisations, du Musée des beaux-arts de Montréal, du Minneapolis Institute of Arts, du Toronto Dominion Centre, et de la Ararat Art Gallery (Australie). Il a été consultant canadien pour les 7e, 8e et 13eTriennales internationales de la tapisserie de Łódź, ainsi que membre du jury pour la Biennale américaine de tapisserie IV, et pour l’exposition Artapestry 2005, organisée par l’European Tapestry Forum, au Danemark. Il a reçu en 1988 le Prix du Central Museum of Textiles de Łódź, en 1998 le Prix Saidye Bronfman et en 1984, il a été élu à l’Académie royale des arts du Canada. Plusieurs revues spécialisées lui ont consacré des articles, et son oeuvre est mentionnée dans trois ouvrages de référence : Histoire d’un art. L’Art textile (Skira, 1985), Tapestry (Phaidon Press, 1994) et Art Textiles of the World – Canada(Telos Art Publishing, 2009).