FR:
Dans un texte publié en 1982 et portant le titre How Medecine Saved the Life of Ethics, le philosophe britannique Stephen Toulmin expliquait comment les problèmes éthiques que la médecine posait à la société avait relancé l’intérêt pour l’éthique et obligé les philosophes à réinvestir ce champ disciplinaire qu’ils avaient déserté depuis le début du xxe siècle. De la même manière, la crise environnementale et les dysfonctionnements des milieux économiques, pour ne rien dire de la crise des institutions ont également remis la question de l’éthique au goût du jour. Malgré l’intérêt que Toulmin voyait pour les philosophes à traiter ces questions, il faut toutefois reconnaître que les philosophes québécois sont restés sourds aux sirènes de l’éthique appliquée, à de très rares exceptions près. Et cette dernière s’est par conséquent constituée à partir des terrains de pratique d’où sont absents les philosophes.
En partant de ce constat, je tracerai d’abord un bref portrait du développement de l’éthique appliquée au Québec depuis les 50 dernières années. Fort de ce portrait, je soumettrai ensuite à la discussion le fait que l’absence des philosophes des terrains de pratique où s’est constituée l’éthique appliquée relève de la posture avec laquelle ils abordent le travail philosophique. Certains tenants de la tradition pragmatiste ont d’ailleurs associé la philosophie à une question d’attitude tandis que d’autres ont plaidé pour que les philosophes considèrent leur travail comme une enquête. C’est en m’inspirant de cette tradition de pensée que je défendrai l’idée que l’attitude des philosophes et la posture qu’ils se donnent les amènent à déconsidérer l’éthique appliquée trop associée à la singularité du monde, là où ils cherchent les fondements et l’universel.
EN:
In his 1982 article titled “How Medicine Saved the Life of Ethics”, the British philosopher Stephen Toulmin explained how the ethical problems posed by medicine had revived interest in ethics and forced philosophers to reinvest this disciplinary subfield, which had been neglected since the beginning of the 20th century. In the same way, the ecological crisis and the malfunctioning of the economy, not to mention the crisis of institutions, have also put the question of ethics back on the agenda. Despite Toulmin’s conviction that philosophers should address these issues, it must be said that, with a very few exceptions, Quebec philosophers have remained deaf to the siren calls of applied ethics. As a result, applied ethics has developed in areas of practice from which philosophers are absent.
Based on this observation, I will first draw a brief portrait of the development of applied ethics in Quebec over the past 50 years. From there, I will discuss the fact that the absence of philosophers in the areas of practice where applied ethics has developed is due to their conception of philosophical work. Some in the pragmatist tradition have associated philosophy with an attitude, while others have argued that philosophers should regard their work as an inquiry. Drawing on this tradition of thought, I will defend the idea that the attitude and stance of philosophers lead them to discredit applied ethics — too closely associated with the singularity of the world, when they are looking for the foundations and the universal.