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Le concept de consentement est-il le concept adéquat pour penser nos vies sexuelles et les rendre plus justes et égalitaires ? Telle est la question à laquelle La Conversation des sexes[1] entend répondre. Alors qu’on a tendance à tenir pour acquis que le consentement est un concept opératoire pour nous permettre de distinguer entre l’impermissible et le permis en matière sexuelle, la thèse centrale du livre est qu’il nous permet surtout, lorsqu’on le comprend de manière adéquate, de réfléchir à ce que pourrait être le bon sexe au sens d’une pratique sexuelle juste, heureuse et possiblement émancipatrice.

Avant d’entrer en détail dans l’argumentation, qu’il me soit permis ici un bref excursus biographique qui, me semble-t-il, permet de préciser l’orientation méthodologique du livre. J’ai grandi et étudié en France, mais je vivais et enseignais aux États-Unis depuis sept ans lorsque j’ai commencé à écrire ce livre. Ma vie en France et mon expérience de philosophe féministe en particulier m’avaient montré à quel point les Français·es pensent que les États-unien·ne·s sont obsédé·e·s par le consentement et ont une vie sexuelle très pauvre, en raison d’un puritanisme qui les empêcherait de jouir sans entraves. Les États-unien·ne·s, de leur côté, pensent que les Français·es sont obsédé·e·s par le sexe au point de laisser libre cours au harcèlement sexuel et au viol. Comme souvent avec les clichés, il y a sans doute quelque justesse ici malgré l’outrance, mais, surtout, ma position d’entre-deux a fait du sexe et du consentement des objets de constantes interrogations.

Dans mon premier livre, On ne naît pas soumise, on le devient, j’ai défendu l’idée que les femmes ne sont pas naturellement soumises, mais qu’elles sont amenées à se soumettre aux hommes par les normes sociales de féminité. Cela signifie, entre autres, qu’il est plus difficile pour les femmes que pour les hommes de dire « non », et que les femmes sont socialement invitées à donner la priorité aux désirs, aux plaisirs et au bien-être des autres plutôt qu’aux leurs. Face à un tel constat, on imagine bien qu’il est difficile non seulement de lutter avec succès contre les violences sexuelles, mais aussi, tout simplement, d’essayer d’avoir une vie sexuelle joyeuse. Comment les femmes peuvent-elles avoir une vie intime épanouie si le patriarcat les empêche de rechercher leur propre plaisir, voire leur propre désir ?

Le concept de consentement s’est imposé comme prisme d’examen de cette question pour deux raisons : d’une part, ce concept est central dans la littérature philosophique sur l’agentivité et l’autonomie sur laquelle on s’appuie lorsqu’on s’intéresse, comme moi, à ce que les femmes peuvent choisir dans un contexte patriarcal. D’autre part, il est devenu l’outil standard pour penser les choix des femmes dans un contexte sexuel. Le consentement a en effet triomphé en tant que notion clé pour penser et mettre en oeuvre l’égalité sexuelle entre les hommes et les femmes. Si pendant longtemps il dominait surtout sur les campus étatsuniens — au moins depuis l’adoption de la première politique de consentement affirmatif à Antioch College, en 1991 —, le consentement est devenu dans la foulée de #MeToo le terme central du discours dominant sur l’amour et le sexe, non seulement en Amérique du Nord, mais aussi en Europe continentale et dans de nombreux autres endroits du monde où il était, jusqu’alors, surtout utilisé par des universitaires et des militantes féministes.

Écrire un livre de philosophie sur le sexe et le consentement était une occasion d’essayer de tirer le meilleur parti de cette position franco-américaine dans laquelle je me trouvais, non seulement en ce qui concerne les perspectives apparemment opposées sur le sexe et le consentement entre les deux pays, mais aussi sur la méthode philosophique elle-même. J’ai cherché méthodologiquement à tenir ensemble ce qui est à mes yeux le meilleur de chacune des deux traditions philosophiques : embrasser l’ambition thématique vaste de la philosophie française, son intérêt pour les sciences humaines et pour les philosophes du passé, et son idée que la philosophie peut et doit s’adresser aussi aux non-philosophes, tout en s’engageant à la précision, à la clarté et à l’efficacité argumentative valorisées par le monde philosophique anglophone-analytique. Cela signifiait aussi faire dialoguer des cultures et des champs qui ne se parlent pas et se connaissent mal : interroger la philosophie morale analytique contemporaine à l’aune de la théorie féministe et de la philosophie kantienne, faire dialoguer les études psychologiques, sociologiques et anthropologiques du BDSM[2] avec la théorie juridique française. Cette volonté de marcher sur un fil tendu entre les deux traditions philosophiques dans lesquelles je travaille est l’horizon méthodologique de La Conversation des sexes.

Mon ambition dans le livre est à la fois analytique et normative. Elle est analytique dans la mesure où je cherche à faire un état des lieux du consentement, à passer en revue les problèmes philosophiques que ce concept pose et les tentatives de résolution qui ont été proposées. Cette analyse du consentement est une première étape nécessaire tant la popularisation de ce vocabulaire et son appropriation par le militantisme post-MeToo a conduit à des simplifications et à des méprises sur son pouvoir normatif. Cette ambition analytique est portée par plusieurs partis pris méthodologiques : proposer une analyse philosophique et conceptuelle, m’appuyer sur des cas précis dont je fournis une description épaisse[3], utiliser des approches issues du droit, de la sociologie, de l’économie, de l’anthropologie. Le livre est également guidé par une ambition normative : une fois que l’on comprend à la fois les limites de l’approche libérale du sexe qui sous-tend la conception standard du consentement et les nécessités de penser une nouvelle façon, libre et égalitaire, de concevoir le sexe, il s’agit de décider de ce à quoi le bon sexe pourra ressembler.

À la confluence de ces deux ambitions se trouve l’argument selon lequel le consentement sexuel n’est pas une question juridique mais morale. On considère généralement comme évident que le consentement est une notion juridique qui, par conséquent, a pour vocation d’effectuer le travail du juridique sur le sexe — en d’autres termes, à distinguer le permis de l’interdit. En passant en revue, dans un premier chapitre, les différents champs d’application de la notion, je montre au contraire que le consentement sexuel ne peut pas être simplement compris à partir du concept juridique de consentement. Je montre en premier lieu qu’il y a une spécificité du consentement sexuel, qui empêche de raisonner simplement par analogie entre le consentement en général et le consentement sexuel. Je montre ensuite que le consentement sexuel fait surgir des problèmes qui sont d’abord des problèmes moraux. Interroger le sexe à l’aune du consentement sexuel est d’abord une entreprise de philosophie morale.

Faire du sexe l’objet de la morale est une thèse forte : le sexe apparaît généralement comme l’objet non moral par excellence, soit qu’il soit marqué d’une immoralité originelle et qu’il soit donc perçu comme un danger à prévenir par des règles moralisantes, soit qu’il soit revendiqué, comme dans le cas de la révolution sexuelle, comme un lieu où la morale ne devrait pas avoir de prise et dont le potentiel émancipateur viendrait précisément de son amoralité. Contre ces deux positions, une des thèses de La Conversation des sexes est que le consentement sexuel soulève des problèmes qui relèvent de la morale avant de relever du droit.

À première vue, la plupart des gens, surtout dans un contexte libéral, sont très sceptiques : une approche morale du sexe n’est-elle pas nécessairement moralisatrice ? Je montre dans le deuxième chapitre que ce n’est pas le cas et je défends deux thèses : la première est que lorsqu’on prend au sérieux le consentement sexuel comme un problème de philosophie morale, on comprend qu’il invite à se poser deux questions différentes. La première est celle qui vient immédiatement à l’esprit dans l’usage contemporain du consentement sexuel et qui intéresse le droit : quels rapports sexuels sont acceptables (moralement ou juridiquement), lesquels sont impermissibles ? Mais il y en a une autre, tout aussi fondamentale et rendue presque invisible par le prisme juridique habituellement appliqué : qu’est-ce que le bon sexe ? Au sens non pas d’un sexe qui ne serait pas injuste, mais de rapports sexuels qui feraient partie d’une vie bonne ou, qui sait, la rendraient possible. À partir de la distinction de ces deux questions, je détermine les différentes intuitions morales dont fait l’objet le consentement et je distingue deux lignées intellectuelles. D’abord, les débats américains sont structurés autour d’une compréhension libérale du consentement, héritée d’une lecture formaliste du harm principle de Mill, qui conduit à penser le consentement comme intrinsèquement lié au contrat et à la loi et comme ayant simplement à voir avec le permis et l’interdit. Pourtant, il existe une autre lignée du consentement, à la suite de Kant, qui considère le consentement comme une manifestation de l’autonomie humaine et donc de la dignité humaine. Cette mise en évidence des deux lignées intellectuelles du consentement me permet de mettre en lumière une erreur dans l’intuition la plus commune concernant la normativité du consentement : c’est parce qu’on attribue au consentement défini selon la conception libérale le pouvoir normatif qu’il n’a pourtant que dans la conception kantienne que l’on affirme qu’il suffit qu’un rapport sexuel soit consenti pour qu’il soit bon.

L’opposition entre une conception kantienne et une conception libérale du consentement se trouve déjà dans les débats juridiques sur le sexe, et je consacre le troisième chapitre à une analyse détaillée des débats juridiques sur le BDSM, pour faire surgir à la fois le caractère profondément émancipateur et égalitariste de la conception libérale du consentement et ses limites quand il s’agit d’analyser les relations intimes dans des contextes oppressifs. Ce chapitre montre que les adeptes du BDSM ont développé une manière complexe et subtile de comprendre le consentement, qui est au coeur de leurs pratiques sexuelles. Par exemple, les pratiques BDSM remettent en question l’idée que le consentement est quelque chose qui est donné et qui rend les rapports sexuels ultérieurs autorisés. Il y a une temporalité du consentement et différentes sortes de consentement à différents moments de la rencontre sexuelle : il y a une discussion sur le consentement avant la scène, l’attention portée au consentement pendant la scène (et la possibilité d’un consentement silencieux), et le débriefing sur le consentement après la scène. Le consentement n’est pas ce qui rend la pratique sexuelle possible, il en est une partie inhérente. Pour autant, cette approche libérale conduit aussi à envisager le consentement sexuel comme intervenant entre deux individus présumés égaux, au risque de passer à côté des structures de domination sociale qui justement empêchent cette égalité de départ.

Pour établir cette faiblesse du libéralisme — présumer à tort une égalité des partenaires —, je consacre le chapitre suivant à faire la démonstration de la dimension politique du sexe, avec Freud d’abord, Foucault ensuite et enfin les « sex wars » des années 1970 et 1980 entre féministes, qui manifestent de manière évidente que le privé, et donc le sexe, est politique. L’enjeu de ce chapitre est de montrer, d’une part, qu’il est impossible de penser le consentement en dehors des rapports de pouvoir entre les individus qui consentent — qu’il est impossible, en somme, d’avoir une vision individualiste du consentement — et d’autre part, que toute réflexion contemporaine sur l’éthique sexuelle est un héritage des débats féministes dits de la deuxième vague sur la dimension politique de la sexualité. Ainsi, je remets en contexte les désaccords féministes sur les potentialités émancipatrices du BDSM pour, d’une part, mettre en évidence la façon dont cette culture est effectivement utilisée pour renforcer des hiérarchies de genre sexistes et, d’autre part, pour montrer qu’est en jeu dans la réflexion féministe contemporaine sur le consentement sexuel une volonté de « finir » la révolution sexuelle, au sens de finir le travail émancipateur et égalitaire que les mouvements des années 1970 ont initié, mais n’ont pas terminé. Si l’approche libérale du sexe a permis de montrer que la persécution des personnes pratiquant une sexualité non monogame, non hétérosexuelle, non procréatrice, était injuste et illégitime, si elle a permis, en d’autres termes, qu’il soit communément admis qu’« entre adultes consentants » toutes les pratiques sont légitimes, elle n’a pas réussi à rendre visible ou à résoudre les problèmes liés aux injustices structurelles qui traversent la sexualité.

Ce passage par la révolution sexuelle et ses angles morts donne de bonnes raisons de se méfier de toute approche apparemment apolitique de la sexualité et, dans le même temps, la question demeure de savoir comment répondre aux demandes manifestées par MeToo et s’assurer que la révolution sexuelle entre au port sans laisser les femmes de côté. Pour établir le rôle que pourrait jouer le consentement dans cette étape, féministe, de la révolution sexuelle, il paraît fondamental de prendre au sérieux les objections majeures soulevées par certaines féministes contre ce concept. C’est pourquoi je consacre ce cinquième chapitre à prendre au sérieux les trois grandes objections féministes au consentement : celle, politique, de Carole Pateman d’abord, celle, anthropologique, de Nicole-Claude Mathieu ensuite et enfin, celle, juridique, de Catharine MacKinnon. Les chapitres 4 et 5 fonctionnent ainsi comme un tandem pour parvenir à un point de l’analytique du consentement où toute la confiance que l’on pouvait avoir dans ce concept comme outil d’émancipation paraît absolument sapée.

C’est à partir de ce point bas, que l’on pourrait qualifier de point de découragement tant la critique de MacKinnon paraît sans appel, que le travail normatif autour du consentement se construit dans les chapitres 6 et 7. Ces deux chapitres entendent répondre aux questions formulées dans le deuxième chapitre, c’est-à-dire, pour le chapitre 6, à la question de savoir si le consentement peut nous aider à comprendre ce qu’il en est de la distinction entre permis et interdit en matière de sexe, et dans le chapitre 7, à la question de savoir ce que le consentement peut pour le bon sexe.

Le chapitre 6 cherche à évaluer la thèse commune sur le consentement selon laquelle il s’agit du meilleur outil pour déterminer les pratiques sexuelles illégitimes — et possiblement illégales — dans un contexte patriarcal, et pour y mettre fin. La thèse de ce chapitre est que, sur ce plan, le consentement n’est que d’une utilité limitée, parce qu’il ne peut pas servir à distinguer le sexe acceptable du viol. En effet, je montre que le sexe non consenti et le viol sont deux choses différentes, et que c’est une conception sexiste du viol que de le définir par le non-consentement : le viol ne vient pas de l’attitude de la victime, il vient de l’intention du violeur de contraindre la victime à un acte sexuel. On ne peut donc pas se contenter du concept de consentement pour comprendre ce qu’est le viol et le prévenir. Et c’est précisément parce que le viol n’est pas le sexe non consenti qu’il existe cette « zone grise » entre le viol et le sexe consenti, faite de toutes les occurrences de sexe non consenti qui ne sont pas le résultat d’une contrainte claire d’un violeur. Cette zone grise révèle le continuum du sexe hétérosexuel entre sexe consenti et viol, et les injustices du sexe hétérosexuel sur lesquelles le droit peut rarement agir, mais que la philosophie morale peut clairement reconnaître comme du sexe immoral et injuste.

Enfin, dans le chapitre 7, je défends la possibilité d’une troisième voie entre libéralisme et kantisme, consistant à voir le consentement comme une conversation, c’est-à-dire comme quelque chose que nous avons le devoir non seulement de respecter, mais de rendre possible. Cette troisième voie est une nouvelle façon de penser le consentement sexuel et son utilité. L’argument central de ce dernier chapitre est que nous ne devrions pas tant nous concentrer sur la manière dont le consentement devrait être donné que sur les conditions à mettre en oeuvre pour qu’il puisse être donné. Au lieu de nous demander si les femmes ont dit « oui » ou « non », il faut se concentrer sur ce que les partenaires devraient faire l’un pour l’autre pour construire ensemble le rapport sexuel et leur plaisir. La société nous répète que les femmes, dans la mesure où elles sont structurellement exposées au risque de se voir imposer des rapports sexuels, sont celles qui doivent donner ou refuser leur consentement. En d’autres termes, nous pensons traditionnellement que c’est le rôle de la personne qui a le moins de pouvoir et qui ne prend pas l’initiative de consentir et de faire comprendre ce qu’elle veut ou ne veut pas à la personne qui a le pouvoir et l’initiative. Contre cette vision individuelle, je plaide ici en faveur d’une compréhension relationnelle du consentement : dans les rapports sexuels, le consentement est coconstruit par les partenaires qui échangent constamment leur consentement l’un avec l’autre. Cependant, compte tenu des inégalités sociales, la personne la plus puissante dans la dynamique — souvent l’homme, mais pas toujours, étant donné que la race et la classe sociale peuvent également jouer un rôle dans cette dynamique — a la responsabilité de mettre en place les conditions d’un échange aussi égal que possible. En d’autres termes, c’est à la personne en position de pouvoir de travailler à égaliser la situation pour rendre la conversation possible, à cette personne de prendre conscience de son pouvoir et de la vulnérabilité qu’il génère chez son ou sa partenaire, à cette personne de déployer des vertus épistémiques d’humilité, d’écoute et d’attention à l’autre. Il ne s’agit pas de dire que le consentement est l’affaire des dominants ou de « désempouvoirer » les femmes, mais de contrer trois représentations sexistes : l’idée que les hommes consentiraient par principe ; l’idée que le consentement sexuel concernerait seulement ou principalement les femmes ; l’idée que ne compte dans le consentement que l’attitude et les mots de celle ou celui qui refuse (et non l’écoute et l’attention de celui ou celle qui a proposé). Le consentement est une responsabilité collective, mais tant que nous vivons dans une société aussi inégalitaire, il incombe principalement aux puissants de veiller à ce que les conditions de son échange soient réunies.

Je développe notamment ce modèle contre celui du consentement comme négociation entre partenaires, qui revient à penser le sexe sur la base d’une représentation des relations humaines et sexuelles qui est précisément à la racine de ce qui crée le mauvais sexe et les violences sexuelles. Comprendre le consentement comme une négociation présuppose en principe une égalité des partenaires qui est celle de l’égalité des contractants dans une relation commerciale, celle des négociants. C’est donc une représentation a priori préférable aux représentations sexistes selon lesquelles les hommes auraient toujours envie et ce serait aux femmes de faire preuve de pudeur et de retenue pour tempérer les ardeurs masculines. Mais cette représentation consiste cependant à voir le rapport humain qui se tisse dans le sexe comme un rapport égoïste, comme un rapport dans lequel l’enjeu est de prendre le maximum en donnant le minimum. La négociation est une façon de faire face à la rareté et elle met face à face des partenaires dont les intérêts sont distincts, or ce n’est pas le cas du sexe : le plaisir d’un partenaire n’enlève pas de plaisir à l’autre, au contraire. Par conséquent, un modèle d’individus égoïstes qui maximisent leur utilité par la négociation échoue à comprendre ce qui se joue dans l’échange des amants. Après avoir montré que la subjectivité sexuelle est quelque chose qui se construit, au fil du temps et de manière subjective, j’utilise des approches sociologiques et philosophiques pour montrer que l’un des effets du patriarcat est que nous sommes analphabètes en matière de sexe : non seulement nous ne savons pas comment parler de sexe, mais nous ne savons pas non plus comment penser au sexe ou comment pratiquer le sexe. Contestant l’idée que le mystère et le silence sont importants pour le désir et le plaisir sexuels, je soutiens, au contraire, que cette conception du mystère du plaisir sexuel est un avatar d’une conception patriarcale et hétérocentrée de la sexualité. Au contraire, la conversation est un modèle qui permet de penser la possibilité de construire l’égalité dans le temps à partir de la pratique sexuelle. Considérer le sexe comme une conversation, c’est aussi le distinguer d’un dialogue ou d’une discussion. C’est une façon de souligner la dimension collaborative, le fait que les partenaires travaillent ensemble vers un but commun, plutôt que de se renvoyer la balle ou d’essayer d’avancer leurs propres arguments. Dans une conversation, on perd progressivement de vue la paternité des idées, pour se concentrer sur ce que produit la conversation dans son ensemble.

Cette conception du sexe comme conversation me conduit à souligner la nécessaire insuffisance des approches juridiques : non seulement le droit ne peut pas grand-chose pour favoriser le bon sexe, mais, en plus, le système judiciaire est tel qu’une réponse juridique ne suffit pas à lutter contre les violences sexuelles. Mon livre soutient que le consentement n’est pas seulement un outil d’éducation sexuelle comme l’ont utilisé et surutilisé les bureaux du Title IX[4] et l’éducation sexuelle dans les écoles, mais qu’il est en fait au coeur même d’une forme de citoyenneté sexuelle qui peut participer à la construction d’un futur égalitaire.