Disputatio

Le réel, inconnu à cette adresse[Record]

  • Aude Bandini

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  • Aude Bandini
    Département de philosophie, Université de Montréal

Avec L’adresse du réel, Jocelyn Benoist poursuit une réflexion originale sur le réalisme entreprise depuis au moins les années 2000, et à laquelle il avait déjà notamment consacré ses précieux Éléments de philosophie réaliste. Ce nouvel opus revient avec attention sur ce que cela signifie fondamentalement que d’être réaliste en philosophie, si tant est que le « réalisme » ne soit pas qu’une entité purement nominale, renvoyant à des doctrines différentes et parfois même opposées. À cet égard, il semble bien que Benoist partage avec Putnam l’idée que, quelle que soit la forme sous laquelle il se présente, le réalisme « métaphysique » échoue nécessairement à tenir ses promesses, notamment celle de pouvoir une fois pour toutes sauver l’innocente Princesse du Sens commun, face à ses ennemis héréditaires (l’idéalisme, le kantisme et le néo-kantisme, le pragmatisme ou encore l’anti-réalisme). Ce qu’il a en tête dans L’adresse du réel, c’est le type de réalisme épistémologique et métaphysique qui dérive de la philosophie kantienne, magistralement endossé au vingtième siècle par des auteurs tels que C. I. Lewis, Wilfrid Sellars ou encore John McDowell, et que les partisans du « Nouveau Réalisme », par exemple Maurizio Ferraris, Markus Gabriel ou Quentin Meillassoux, entendent dépasser. Les raisons pour lesquelles Benoist demeure réservé quant à la question de savoir s’ils y parviennent mériteraient qu’on s’y attarde davantage. Faute d’espace, je me concentrerai néanmoins plus directement sur ce qui, selon Benoist, pourrait constituer un réalisme bien compris en philosophie, c’est-à-dire, et en dépit des apparences de paradoxe, un « réalisme sans métaphysique ». L’entreprise de Jocelyn Benoist, telle qu’il la présente dans le premier chapitre de l’ouvrage qui nous intéresse, consiste à « essayer d’isoler, pour autant que cela ait un sens, un trait général de l’orchestration [qu’il propose de qualifier] de “métaphysique” du thème réaliste », En s’appuyant sur la critique du « corrélationisme » développée par Meillassoux, Benoist dénonce comme absurde toute métaphysique et toute théorie de la connaissance qui impliqueraient de séparer les choses telles qu’elles nous apparaissent des choses telles qu’elles sont en soi, avec l’idée que nos facultés cognitives (ou la pensée en général) ne nous permettraient jamais d’atteindre que les premières, sans jamais nous dissuader de croire en l’existence des secondes, ni par conséquent nous décourager de chercher à découvrir un moyen d’y accéder dans leur supposée « pureté ». La métaphysique à laquelle il s’attaque comme à un mythe est ainsi celle qui pose, d’une part, l’existence d’une pensée capable de transcender ses propres limites (se voulant ainsi « affranchie de toute condition de pensée »), et d’autre part et du même coup, l’existence d’un « être pur », qui cesserait immédiatement d’être lui-même à partir du moment où il serait pensé. Là contre, l’objectif de Benoist consiste à défendre la thèse selon laquelle : La clef, si l’on veut s’extraire d’une telle métaphysique, fondamentalement absurde parce que, par principe, elle exclut la possibilité d’être autre chose que parfaitement vaine, consiste selon Benoist en un contextualisme épistémologique et un réalisme qu’on pourrait dire « déflationniste » sur le plan métaphysique, dont il a déjà avancé une première caractérisation dans ses Éléments de philosophie réaliste. À l’aide de ces deux outils théoriques, et pour reprendre les termes de la petite histoire racontée par Putnam, le Chevalier réaliste pourrait parvenir à honorer les termes de son contrat de mariage avec la Princesse du Sens commun, au lieu de finir par lui annoncer un beau matin et au milieu du petit déjeuner, qu’elle n’obtiendra finalement rien de ce qui lui avait été promis au moment de leurs voeux (à …

Appendices