Comptes rendus

Alain de Libera, La référence vide. Théories de la proposition, Paris, PUF, coll. « Chaire Étienne Gilson », 2002, 357 pages.[Record]

  • Frédéric Tremblay

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  • Frédéric Tremblay
    Université du Québec à Montréal

En 1993, Perzsyck regrettait l’absence d’une étude détaillée sur l’histoire de la notion d’objet non existant. Il ignorait alors les travaux d’historiographie de la philosophie médiévale menés en France et entrepris par Hubert Élie lors de la publication, en 1936, de sa thèse sur Grégoire de Rimini et Meinong. La thèse intitulée Le complexe significabile fut réimprimée en 2000 sous le titre Le signifiable par complexe. La proposition et son objet. Grégoire de Rimini, Meinong, Russell. Élie défendait l’idée « que tout ce que Meinong et ses contradicteurs ont dit en la matière, Grégoire de Rimini et ses adversaires l’avaient, à peu de chose près, dit avant eux ». En 1991, De Libera contribuait à l’histoire commencée par Élie avec un article intitulé « Roger Bacon et la référence vide. Sur quelques antécédents médiévaux du paradoxe de Meinong », et il poursuivait en 1997 avec « Subsistance et existence : Porphyre et Meinong ». C’est en 1999, grâce à Jean-François Courtine, que parut la première traduction française de Meinong. Le présent livre se situe dans cette lignée qui se donne pour mandat de contribuer au projet contemporain de redessiner la carte des antécédents de la théorie des objets non-existants. Mais l’ambition outrepasse cette histoire pour s’étendre à celle des propositions, complexes signifiables et Sachverhalte (« états de choses »). Car si l’objet constitue la proposition ou l’état de choses, comme le juge l’auteur, la proposition elle-même peut être vide. De là le sous-titre, sans doute calqué sur « Theories of the Proposition » de E. J. Ashworth. Enfin, comme le livre aborde le « il y a » et le « es gibt » d’une façon générale, il concourt également à l’histoire de l’ontologie. Le livre fut constitué à partir de six conférences données en novembre et décembre 2000 lors des réunions de la Chaire Étienne Gilson à l’Institut catholique. Cependant, les titres des chapitres ne correspondent pas avec ceux des conférences, lesquelles furent, selon l’expression de l’auteur, « généreusement modifiées ». Voici au moins les titres des chapitres : « Les irréels du passé » ; « La constance du sujet » ; « Le “Troisième Royaume” » ; « Véri-facteurs et véri-porteurs » ; « Les faits et les choses » ; « “Complexe significabile” et “Sachverhalt” : “l’Argument du Penseur” » ; « Tropes ou état de choses ? » ; « Ce que disent les propositions » ; « Envoi ». Adoptant un style analytique en histoire de la philosophie médiévale, l’auteur qualifie son projet d’« archéologie philosophique », non indifférente à la démarche foucaldienne. S’inspirant de l’approche holiste et relativiste en histoire, Alain de Libera avance que si les vérités ne changeaient pas, elles ne pourraient être reformulées à une époque ultérieure, et l’historien ne pourrait jamais démontrer que telle thèse fut déjà défendue par tel autre penseur. Ainsi, la méthode consistant à faire l’histoire d’un problème demanderait d’établir une continuité dans l’apparente discontinuité. Pour démontrer la répétition historique d’une thèse, l’auteur cherche à introduire, dans le domaine de l’histoire de la philosophie de la logique, sa méthode qui consiste à localiser les « complexes de questions et de réponses » (CQR). Les CQR sur le thème de la référence vide du xiie auxve siècle sont conséquemment comparés, d’abord entre eux, ensuite avec des CQR tirés du xxe siècle. Et puisque les CQR sont « enfouis » (pour utiliser les termes de l’archéologie) dans les sophismata, l’auteur explique le rôle du sophisma au Moyen Âge. Le sophisma n’est pas un sophisme mais une proposition paradoxale du type de celle …

Appendices