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La grande ourse ou comment accoucher de son moi profond[Record]

  • Penda Diouf

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  • Penda Diouf
    Autrice

L’accouchement est un acte de transformation. Une femme, en mettant au monde, gagne un autre statut : celui de mère. Au-delà de l’arrivée physique d’un nouvel être après une période de gestation, l’acte de donner naissance participe à la fois d’une création et d’un don au monde ou à l’humanité. C’est participer à la continuité d’une famille, d’un nom, d’une lignée, mais aussi d’une espèce. L’enfant ne vous appartient plus, il fait partie d’une communauté. En tout cas, c’est ainsi qu’il est considéré dans les pays d’Afrique de l’Ouest, dont il est fait référence dans ma pièce La grande ourse (2019). Donner naissance, c’est élargir l’idée de la famille nucléaire pour ancrer l’enfant dans un environnement plus large et poreux. C’est l’intégrer dans le monde du vivant. L’accouchement est annoncé par une période de douleur, de contractions de plus en plus fortes et accélérées, préparant le corps à l’enfantement, à l’expulsion de ce qui était caché et suspendu à la mère vers une autonomie progressive dans un monde où l’enfant devra s’inscrire, s’ancrer et évoluer. Accoucher, c’est aussi laisser place à la surprise, à l’étonnement, au merveilleux comme au monstrueux, car on n’est jamais certaine de ce qui va advenir de l’enfant, quand bien même on lui a donné naissance. Dans La grande ourse, le personnage de la mère n’a pas de prénom. Il est caractérisé par son statut de maman, à savoir de femme ayant conçu un enfant ou ayant accueilli un enfant dans son foyer pour l’élever. Cette mère a donné naissance à un garçon, à qui elle transmet certaines valeurs, des traits de caractère et une langue, le wolof, au travers de comptines. Dans la pièce, la mère est arrêtée par la police pour avoir laissé sur la voie publique un papier de bonbon. Devant le grotesque de l’affaire, face à la police puis au juge, elle accuse d’abord son fils avant de reconnaître les faits et sa responsabilité. Elle est condamnée à être surveillée par les mauvaises langues. Pour conjurer le sort, elle fait appel aux forces de la nature, à son imagination et se transforme en ourse… Contrairement au père, le fils possède comme sa mère la capacité à pénétrer l’entre-deux-mondes et à naviguer d’un monde à l’autre. C’est au rythme du tambour, d’un battement de coeur, d’une mélopée envoûtante, initiatrice d’une transe, que ces voyages se déroulent, comme dans certains rituels de communautés évoluant auprès de chamans. Et même si l’enfant n’a pas assisté aux transformations physiques de sa mère en ourse, il a la capacité lui aussi de changer de forme et de se réinventer pour devenir autre. Dans la pièce, la mère donne donc naissance à son fils, mais sans réellement pouvoir le mettre en lien avec sa communauté, dont elle s’est elle-même éloignée. Elle semble effectivement bien isolée, dans un environnement qui n’est pas totalement le sien. On apprend, par le biais du personnage du griot, que des questions d’exil ont empêché une forme de transmission et d’ancrage dans une famille élargie, une communauté. La femme est seule avec son mari pour pourvoir à l’éducation de son enfant. De ce fait, il y a une forme d’inachevé, car son isolement ne lui permet pas d’établir un lien avec les aïeux·eules ni avec l’histoire familiale dont elle est elle-même privée. Mais au cours de la pièce, la mère donne naissance à un autre personnage, hybride, à une autre facette d’elle-même, la grande ourse. L’accouchement est ritualisé. Il se déroule en forêt alors que les accouchements en Europe se déroulent habituellement en milieu hospitalier. Pas de contractions physiques pour cet accouchement, mais …

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