L’entrevue

La réforme Dubé et Santé QuébecEncore plus loin dans la même direction. Entrevue avec Anne Plourde, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques[Record]

  • Louis Chaput-Richard

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Cette entrevue a été réalisée dans le cadre de NPS Balado, le balado de la revue Nouvelles pratiques sociales. Elle peut être écoutée et téléchargée sur toutes les grandes plateformes de baladodiffusion, ainsi que sur la page Audio/vidéo de notre site web.

La réforme Dubé et la création de Santé Québec viendront bouleverser dans les prochains mois un Réseau de la santé et des services sociaux (RSSS) déjà à bout de souffle et hautement fragilisé par des décennies de réformes néolibérales. « Les colonnes du temple vont shaker », promettait d’ailleurs le ministre Dubé en mars 2023, juste avant de déposer son projet de loi 15, lors d’un forum coorganisé – ce n’est peut-être pas anodin – par la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (Giguère, 2023). À quoi s’attendre de cette réforme pour les services sociaux et les services publics de santé ? Quelles conséquences pour les populations les plus précarisées ? Nous en avons discuté avec Anne Plourde, chercheuse à l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), dont les recherches portent sur les rapports entre le capitalisme, l’État et les politiques sociales. Elle vient de faire paraître, aux Éditions Écosociété, Santé inc. : mythes et faillites du privé en santé (2024). La première chose à dire, c’est que la réforme Dubé s’inscrit clairement en continuité avec les précédentes. Vous avez parlé de la réforme de 2015 de Gaétan Barrette, et celle-ci avait été précédée de la réforme Couillard en 2003. La réforme Dubé est vraiment l’aboutissement des deux précédentes, qui visaient à fusionner des établissements de santé et de services sociaux (SSS). Un de ses effets principaux, c’est donc d’accentuer la centralisation de la gestion. Pour rendre ça plus concret, disons qu’on est parti de plusieurs centaines d’établissements dans les années 1990 – CHSLD, CLSC, hôpitaux, etc. –, qu’on a fusionnés en 2003 dans 95 Centres de services de santé et de services sociaux (CSSS). Et en 2015, on a refusionné ces établissements-là dans 22 Centres intégrés de santé et de services sociaux (CISSS), certains universitaires (CIUSSS). Avec la réforme Dubé, on prend maintenant ces mégaétablissements créés en 2015, déjà considérés comme très lourds bureaucratiquement, et on les refusionne dans un seul gigantesque établissement, Santé Québec, qui va être responsable de gérer la totalité des employé·es du RSSS. On parle de plus de 325 000 employé·es dans plus de 1500 installations. On va donc créer une espèce de monstre bureaucratique, qui va devenir l’employeur le plus important au Canada. Il n’y a aucune entreprise privée ou publique qui est comparable en termes de grosseur. Et un autre élément important aussi, c’est que cette nouvelle loi ouvre la porte encore plus à des pratiques de privatisation de services qui avaient déjà lieu depuis un bon moment, mais qui sont maintenant reconnues et formalisées par la loi. On y place vraiment le secteur privé et le secteur public sur un même pied, et on facilite donc le recours au privé. Donc, ce qu’on fait, en gros, c’est qu’on va encore plus loin dans la même direction qui avait déjà été empruntée par les réformes précédentes. On ne peut certainement pas s’attendre à ce que cette réforme donne une plus grande place aux services sociaux. La place « historique » des services sociaux dans notre système de SSS, elle leur a été conférée au début des années 1970, au moment de la création du réseau [avec la Loi sur les services de santé et les services sociaux (LSSSS) de 1971]. C’était une grande originalité de notre système de santé, notamment en Amérique du Nord, d’intégrer dans les mêmes établissements, par exemple dans les CLSC [Centres locaux de services communautaires], à la fois les services de santé et les services sociaux. Avec cette réforme [de 1971], il y avait vraiment une volonté de sortir de l’hospitalocentrisme et de la subordination des services sociaux aux …

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