La pair-aidance connaît un développement important, depuis quelques années, mais encore peu de publications en discutent les enjeux. La revue Nouvelles pratiques sociales a ainsi invité Farin Shore, qui exerce ce rôle depuis plusieurs années, à parler de sa pratique au sein de l’organisme Médecins du Monde. Dans cette entrevue, il livre une analyse très riche de ce que la pair-aidance peut apporter, au regard des difficultés d’accès aux soins et à l’aide rencontrées par les personnes marginalisées. Bien sûr, mais je vais d’abord commencer en nommant la manière dont je suis arrivé chez Médecins du Monde, afin de clarifier ma position. Puisque je travaille comme pair-aidant en réduction des méfaits, mon vécu qui « compte », dans cette position que j’occupe, se veut être les années où j’ai consommé des drogues par injection. Ce qui m’amène chez Médecins du Monde, c’est le fait que, dans le passé, j’ai eu beaucoup de difficulté à trouver un traitement efficace. Lorsque j’ai moi-même pris la décision de diminuer ma consommation, tout ce qui était offert à ce moment-là dans le système de santé était basé sur des approches qui s’appuient sur la foi. Nous étions invités à avoir foi en Jésus, en Dieu, en l’espoir. Cependant, ce n’était rien de scientifique. Je préfère avoir des attentes « réalistes » que simplement de l’espoir, puisque pour moi, aucune de ces interventions n’a fonctionné. J’ai même l’impression que ces approches ont aggravé ma situation. J’ai donc décidé de trouver ma propre approche et pendant à peu près six ou sept ans de recherches et d’expérimentations, j’ai développé ce que je nomme « une consommation gérée ». Quand j’ai commencé à travailler comme pair-aidant, pour un autre organisme communautaire à l’époque, j’ai tout de suite trouvé que la méthode de réduction des méfaits est très semblable à l’approche que j’ai développée. Pour moi, l’important dans le traitement c’est, d’une part, de réduire les méfaits de la consommation et, d’autre part, d’améliorer les bienfaits de la vie. Donc, il y a deux mouvements qui agissent parallèlement, qui octroient de l’autonomie aux personnes afin qu’elles puissent contrôler le progrès de leur qualité de vie. J’ai été très chanceux d’être reconnu par Médecins du Monde, qui a aimé cette approche. En effet, Médecins du Monde fait vraiment dans l’accès à la santé et c’est quelque chose qui est très difficile pour les personnes qui consomment. L’approche traditionnelle d’abstinence retire l’autonomie des personnes, ce qui n’est pas toujours agréable. Cette dernière fait un peu de profilage social dans le sens où les gens doivent être abstinents pour avoir accès aux soins et pour moi, c’est un bémol. C’est quelque chose contre lequel il faut se battre ! Donc, ma position chez Médecins du Monde me place dans une situation où je peux travailler en intervention avec des personnes consommatrices de drogues et, en même temps, faire des plaidoyers pour assurer que le système de santé devienne assez flexible pour répondre aux capacités de ces personnes. Effectivement, nous concevons la santé à travers une perspective holistique, où il est question d’avoir accès à un logement sain et à de la nourriture. Nous considérons aussi l’entourage de la personne et les dynamiques relationnelles qui s’y trouvent ainsi que de l’implication sociale de celle-ci. Nous adressons des éléments qui ont tendance à être ignorés par le système de santé qui, lui, emprunte un discours biomédical et qui oublie l’influence du social sur les personnes qui consomment. Pour nous, cette division dans le réseau amène des complications pour les personnes qui tentent d’avoir accès à des soins. Donc, nous voulons que le système …
Le rôle de pair-aidant en itinérance et toxicomanie : partage d’expérience à Médecins du MondeEntrevue avec Farin Shore, Médecins du Monde à Montréal[Record]
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Benoit Tellier
Professeur de sociologie, Cégep de Saint-Jérôme
btellier@cstj.qc.ca