Abstracts
Résumé
Pendant la pandémie de la COVID-19, des individus collaborent pour mettre fin au désert alimentaire qui perdure depuis plus de deux décennies dans le quartier Saint-Henri à Montréal. À partir des expériences des membres du Collectif La DAL, cet article propose une réflexion critique sur les enjeux qui entourent le développement de projets par et pour la population. Après un bref historique des défis rencontrés par le Collectif, nous présentons leurs démarches de recherche d’équilibre pour permettre au projet citoyen de voir le jour. Nous concluons avec des pistes pour donner l’occasion aux collectivités de soutenir le développement d’initiatives de proximité.
Mots-clés :
- désert alimentaire,
- organisme communautaire,
- autogestion,
- projet citoyen,
- Saint-Henri
Abstract
During the COVID-19 pandemic, individuals came together to try to end the food desert that has persisted for more than two decades in Saint-Henri, a neighbourhood in Montréal. Based on the experiences of the members of the La DAL Collective, this article offers a critical reflection on the issues surrounding the development of grassroots projects. After a brief history of the challenges encountered by the Collective, we present their search for a balance that allows the self-managed project to take shape. We then suggest ways for communities to support the development of local grassroots initiatives.
Keywords:
- food desert,
- community organization,
- self-management,
- citizen project,
- Saint-Henri
Article body
Introduction
C’est en voyant plusieurs dizaines d’individus, bravant le froid et l’attente pour un panier alimentaire chaque semaine, que l’inspiration du Collectif La DAL est venue. Un résident de Saint-Henri, exaspéré par le manque d’accès à l’alimentation dans le quartier et du peu de solutions, écrit une lettre ouverte rapidement signée par près de 700 personnes, majoritairement du sud-ouest de Montréal (Collectif La DAL, 2020). Le lendemain de la publication sur les réseaux sociaux, une autre résidente du quartier contacte l’auteur pour lui demander quelles seraient les prochaines étapes. Les deux ne travaillent plus en raison de la COVID-19 et veulent agir sur le problème d’insécurité alimentaire qui perdure dans leur quartier. À partir de discussions informelles sur l’accès à l’alimentation dans le quartier, le Collectif La DAL devient un projet citoyen[1], où des inconnus collaborent ensemble pour répondre à un problème complexe (Ferlie et al., 2011). Si le Collectif s’inscrit dans la mouvance du mouvement communautaire (René et al,. 2001), avec des membres unis sur la base de l’objectif commun d’avoir accès à de la nourriture saine, abordable et à proximité, le Collectif s’organise peu à peu comme un réseau local où les personnes qui y participent partagent leurs expériences et leurs expertises pour faire émerger des innovations sociales (Klein, 2014). Ainsi, moins de deux ans après la rencontre des membres fondateurs, le Collectif La DAL est en voie d’ouvrir une épicerie autogérée dans un désert alimentaire.
À partir des expériences des membres du Collectif La DAL, nous proposons une réflexion critique sur les enjeux qui entourent le développement de projets citoyens durables afin de contribuer à ce que d’autres initiatives locales voient le jour. Après avoir présenté sommairement le contexte de création du Collectif La DAL[2], nous abordons certains des obstacles rencontrés dans l’élaboration de l’épicerie autogérée par et pour la population de Saint-Henri. Puis, nous analysons les tensions entre proximité et distance avec les lieux de pouvoir qui obligent le Collectif à s’adapter pour que le projet survive. Du fait des apprentissages réalisés par le Collectif, nous proposons des pistes pour permettre aux collectivités de soutenir le développement d’initiatives citoyennes locales.
Obstacles et changement de cap : un survol de l’historique du Collectif La DAL
Au cours de la dernière décennie, le quartier historiquement ouvrier de Saint-Henri s’est transformé. Avec l’arrivée de nouvelles populations plus aisées et la hausse des loyers, de plus en plus de personnes vulnérables sont amenées à se déplacer à l’ouest du quartier, un désert alimentaire avec un faible accès aux services. Peu à peu, les commerces abordables ferment leurs portes et sont remplacés par des magasins de spécialités, de produits fins et des restaurants gastronomiques qui attirent une clientèle de partout à Montréal. Avec les changements dans le tissu social des quartiers du sud-ouest de Montréal, les écarts entre les populations bien nanties et les personnes vivant en situation de précarité sont manifestes (Centraide, s.d.). Lorsque la pandémie de la COVID-19 éclate en mars 2020, la situation déjà difficile devient criante et beaucoup d’individus peinent à se nourrir, alors que les files s’allongent et que les prix augmentent dans la seule épicerie du quartier. Pour que toute la population puisse manger à Saint-Henri, plusieurs initiatives citoyennes voient le jour (Coalition montréalaise des tables de quartier, 2021 ; Langlois, 2021), dont le Collectif La DAL.
Après la publication de la lettre ouverte et un premier contact par le biais des réseaux sociaux, les membres fondateurs du collectif-en-devenir se rencontrent virtuellement pour discuter de leurs difficultés à se nourrir à Saint-Henri. Constatant des défis communs et peu de solutions concrètes, les deux choisissent d’utiliser leur temps (devenu) libre en raison du confinement pour agir sur le désert alimentaire qui sévit dans leur quartier depuis plusieurs années (Office de consultation publique de Montréal, 2016). Leur première action est de mobiliser le quartier pour signer une pétition à déposer au conseil d’arrondissement.
Dès ses débuts, le collectif-en-devenir rencontre des difficultés à être reconnu en tant que comité citoyen. Malgré plusieurs tentatives, les organismes du quartier refusent d’appuyer la pétition. On s’inquiète du dédoublement de mandat, on remet en doute son appartenance à Saint-Henri et on lui reproche sa distance vis-à-vis des instances formelles. À plusieurs reprises, on invite les membres à cesser leur démarche ou à s’inscrire dans les comités des organismes déjà existants (Lacroix-Couture, 2020). Si le milieu communautaire de Saint-Henri refuse son appui au mouvement qui grandit, les organismes des quartiers limitrophes sont nombreux à participer, tout comme la population. Ainsi, la pétition est déposée au conseil d’arrondissement avec 678 signataires et 12 lettres d’appui.
Souhaitant passer de la parole aux actes et offrir des produits accessibles dans la partie la moins desservie du quartier, le Collectif vise ensuite à créer un marché extérieur à l’été 2020. Les membres présentent le projet à l’arrondissement et proposent plusieurs emplacements pour le mettre en place rapidement. Toutefois, sans reconnaissance des organismes et sans historique dans le quartier, le Collectif reçoit des réponses négatives et est de nouveau encouragé à se joindre aux organismes déjà en place.
Convaincus de l’importance d’une diversité d’options alimentaires abordables, les membres du Collectif La DAL se professionnalisent et officialisent leur structure en tant qu’organisation à but non lucratif. Afin de se distinguer des organismes présents et de proposer des alternatives aux réponses classiques à l’insécurité alimentaire (T. de Souza, 2019), les membres s’éloignent peu à peu du discours du « communautaire » pour s’ancrer dans celui de l’économie sociale. Plutôt que de « lutter contre l’insécurité alimentaire », le Collectif souhaite maintenant « favoriser l’autonomie alimentaire » du quartier et des personnes qui y résident. Il ne vise pas à offrir de la nourriture aux personnes qui en ont moins, mais à lutter contre les facteurs systémiques qui limitent l’accès à l’alimentation et à repenser la place des individus dans le système alimentaire. En s’inspirant d’initiatives éprouvées dans différents pays (Brinkley et al., 2019), les membres repensent leur choix d’action et choisissent d’ouvrir une épicerie autogérée. Par ce modèle, le Collectif souhaite se distinguer du modèle des épiceries « solidaires », autant par les objectifs que par le mode de fonctionnement, et s’autonomiser pour ne plus dépendre des appuis du politique, du communautaire ou des bailleurs de fonds. D’un collectif citoyen luttant contre l’insécurité alimentaire, La DAL devient une entreprise d’économie sociale qui vise l’autonomie alimentaire des personnes qui résident à Saint-Henri avec, comme premier projet, la création d’une épicerie autogérée à l’ouest du quartier.
Les membres du Collectif cherchent alors un local avec pignon sur rue et se heurtent à des propriétaires sceptiques. Sur une avenue commerciale qui s’embourgeoise, une organisation à but non lucratif qui souhaite ouvrir une épicerie à faible coût semble être une option peu crédible – ou lucrative – pour convaincre un propriétaire immobilier. Encore une fois, le Collectif doit établir sa légitimité, entrepreneuriale cette fois, pour continuer.
Pour ce faire, le Collectif lance une étude de marché à laquelle plus de 500 personnes du quartier répondent[3]. Puis, tout en continuant les recherches pour un local commercial, les membres du Collectif développent un plan d’affaires et répondent à plusieurs appels de projets en économie sociale. En parallèle, le Collectif continue à réfléchir à sa structure de gouvernance, précise son modèle d’autogestion et développe des comités de travail pour favoriser l’implication de la population. Le membrariat augmente, de même que la visibilité et, par le fait même, la crédibilité du Collectif en tant qu’acteur de changement à Saint-Henri. Grâce à de nouveaux partenariats, le Collectif obtient la reconnaissance nécessaire pour avoir le soutien de l’appareil politique municipal et un propriétaire accepte, après sept mois de négociation, de lui louer son local.
Après plusieurs mois de travaux, le Collectif La DAL ouvre une épicerie à Saint-Henri Ouest en février 2022. Une quarantaine de membres s’y impliquent et plus d’une douzaine de partenaires communautaires, politiques et commerciaux, collaborent au projet.
Équilibre entre proximitÉ et distance dans le Collectif La DAL
Si le bref survol de l’historique du Collectif présente plusieurs défis limitant ses possibilités d’action, nous souhaitons maintenant mettre en lumière comment ces obstacles témoignent de tensions entre proximité et distance avec les lieux de pouvoir qui doivent être équilibrées pour mener à terme un projet citoyen.
De l’extérieur, le quartier Saint-Henri peut donner l’impression d’une abondance d’options alimentaires, avec par exemple le Marché Atwater ou les nombreux restaurants rue Notre-Dame. Pour bien des gens, il s’agit d’un endroit festif où sortir profiter du canal Lachine et bien manger. Toutefois, pour les personnes qui y résident, les défis pour se nourrir au quotidien sont nombreux. Nous considérons une première tension puisque, selon la proximité ou la distance avec le désert alimentaire, les réactions autour de la démarche du Collectif La DAL varient. Pour certaines personnes qui résident dans la partie est de Saint-Henri, qui ont accès à une voiture ou qui peuvent couvrir les frais des commandes en ligne, l’accès à l’alimentation peut ne pas être un enjeu. Pour d’autres, la présence de quelques dépanneurs et de banques alimentaires est considérée comme suffisante pour répondre aux besoins de la population. Toutefois, pour les nombreuses personnes qui ont rejoint ou ont contacté le Collectif depuis ses débuts, le besoin est réel. C’est le cas pour Réjean[4], 77 ans, qui écrit au Collectif pour demander la date d’ouverture et dire que les coûts de la seule épicerie du quartier limitent sa capacité à se nourrir. C’est le même son de cloche pour une dame qui aborde un membre du Collectif devant le local pour dire que les 200 membres de sa résidence pour personnes âgées attendent l’ouverture avec impatience[5]. Bref, pour les personnes ancrées dans le quartier, il n’y a aucun doute sur la nécessité d’une épicerie, particulièrement pour les personnes vulnérables et celles résidant à l’ouest, alors que la perception est tout autre pour celles qui en sont éloignées. Pour le Collectif, il existe donc un équilibre à trouver entre mettre en oeuvre des solutions locales pour répondre aux besoins des personnes qui expérimentent directement le désert alimentaire tout en faisant suffisamment ressortir les problématiques dans l’espace public, afin d’obtenir les ressources pour agir. Pour ce faire, les membres du Collectif ont cherché à faire (re)connaître la problématique, par exemple en mettant de l’avant des témoignages d’individus résidant à Saint-Henri au moyen de vox pop diffusés sur les réseaux sociaux, et à démontrer en quoi leur initiative complète celles présentes dans le quartier à partir d’un point de vue citoyen.
Toutefois, le Collectif La DAL lutte à la fois contre la problématique du désert alimentaire et contre certains organismes qui considèrent ce combat comme leur chasse gardée. En effet, si les membres du Collectif jugent être « plus sensibles aux problèmes de leur milieu et donc plus portés à les prendre en charge, parce qu’ils en ont une expérience directe » (Divay, Belley et Prémont, 2013, p. 10), quand ils décident de s’organiser, de nombreux organismes sont dubitatifs face à l’initiative. Ces derniers peinent à comprendre pourquoi des individus préfèrent créer un nouveau projet plutôt que de joindre ceux qui existent déjà. Pourtant, lorsque les membres du Collectif tentent de collaborer avec l’organe de concertation du quartier, celui-ci annule les rencontres ou les repousse à une date ultérieure. Plus d’un an plus tard, bien que l’épicerie DAL soit ouverte, le Collectif attend toujours d’être membre du regroupement des organismes locaux.
Considérant que cette difficulté à collaborer avec le milieu communautaire aurait pu mettre à mal le projet, nous y voyons une seconde tension autour de la légitimité d’action. La majorité des membres du Collectif La DAL vivent dans le désert alimentaire, ont conscience des initiatives déjà en place et choisissent de s’organiser pour répondre à leurs besoins non répondus. Bien qu’il ait été possible de rejoindre un comité déjà établi dans le quartier, les membres ont plutôt choisi de développer une initiative qui leur ressemble, qui les motive et qui leur permet d’innover grâce aux solutions proposées. Toutefois, bien que le Collectif soit ancré à Saint-Henri, avec des membres ayant des profils et des expériences diversifiés dans le quartier[6], il est éloigné des instances de pouvoir et passe près de s’éteindre, faute d’appuis. Ainsi, la proximité avec la problématique et la volonté d’agir ne sont pas considérées comme suffisantes pour donner une légitimité d’action au Collectif. Au contraire, c’est le rapprochement avec les institutions, d’abord par l’officialisation du Collectif en tant qu’organisation à but non lucratif puis grâce à des collaborations avec d’autres organisations, qui lui permet d’être reconnu comme acteur du quartier. Les premiers appuis institutionnels, notamment les premières subventions, ont d’ailleurs été particulièrement significatifs pour la survie du projet puisqu’ils ont servi de levier pour en chercher d’autres. Pour le Collectif, il en ressort donc l’importance d’une proximité avec les instances considérées comme légitimes pour être jugé légitime d’agir.
Pourtant, c’est cette distance avec les instances présentes qui permet aux membres du Collectif d’innover dans les solutions proposées. En effet, celle-ci a permis aux membres de développer leur propre solution pour répondre au désert alimentaire plutôt que de s’inscrire en continuité avec celle des organismes présents, par exemple en cherchant à créer une épicerie autogérée par et pour la population, alors qu’il n’y en a qu’une seule au Québec (https://wordpress.epicerieledetour.org/). C’est d’ailleurs parce que le Collectif La DAL innove et s’inscrit en économie sociale qu’il a obtenu le financement pour démarrer. En effet, le financement traditionnel des organismes communautaires comporte plusieurs barrières à l’entrée, dont la nécessité d’être actif depuis au moins deux ans, ainsi que l’appui des organisations communautaires locales. Dans le contexte d’une organisation qui peine à être reconnue par les organismes communautaires du quartier, il aurait été difficile, voire impossible, d’obtenir ce financement et donc le projet n’aurait pu être mis en place. Ainsi, pour le Collectif, il importe pour un projet citoyen d’atteindre une harmonie entre la proximité nécessaire, afin d’être considéré comme légitime par les institutions, et la distance essentielle pour être autonome et pouvoir innover.
Cet équilibre est également à trouver en ce qui concerne l’action citoyenne et la professionnalisation. En effet, pour l’élaboration de règlements généraux, d’une étude de marché ou d’un plan d’affaires, il est nécessaire d’avoir des compétences spécifiques ou les ressources financières pour embaucher des individus pour les développer. Pour le Collectif, c’est parce qu’il était composé de personnes ayant des expériences transférables (notamment en innovation sociale, en gestion, en action collective et en droit) que les membres ont réussi à dépasser les barrières administratives et à devenir une organisation reconnue par la loi. Ce n’est donc pas tout le monde qui le souhaite qui a les ressources pour développer un projet citoyen durable. Au contraire, pour que celui-ci puisse prospérer, il semble nécessaire d’avoir une proximité avec les milieux afin d’acquérir certains types de connaissances permettant de perdurer. Toutefois, c’est également parce que les membres vivent dans le quartier, ont une force de mobilisation et un grand réseau que le Collectif se répand rapidement. Ainsi, un équilibre est également nécessaire entre les compétences pour répondre aux exigences formelles, mais sans perdre la proximité avec le terrain.
À la lumière de ces tensions qui ont obligé le Collectif à prendre position, il nous apparaît clair que chaque décision est potentiellement fatale pour un projet citoyen. Parmi les facteurs qui peuvent avoir permis au Collectif de perdurer, outre sa capacité de mobilisation et son haut degré de professionnalisation, il faut noter sa capacité d’adaptation. En effet, plutôt que de s’ancrer dans une tradition, les membres ont navigué entre différents lieux de pouvoir en restant suffisamment près pour y être entendus et suffisamment loin pour ne pas perdre leur autonomie. Bref, pour développer un projet citoyen durable, en 2021, il nous semble nécessaire d’avoir à la fois des connaissances sur les modèles de gouvernance et de gestion, des capacités d’adaptation et de mobilisation ainsi qu’une proximité avec le milieu où on souhaite s’établir pour avoir une légitimité d’action.
Conclusion
Nous avons présenté l’historique du Collectif La DAL afin de témoigner des défis que peuvent rencontrer les projets citoyens qui veulent passer de l’idée à l’action. Puis, nous avons abordé certaines des tensions vécues par le Collectif La DAL, afin de mettre en lumière le besoin d’équilibre entre la proximité et la distance avec les lieux de pouvoir. Bien que le Collectif semble jusqu’à présent avoir réussi ce parcours de funambule, la question se pose à savoir s’il va réussir à maintenir ses assises pour mener à terme les changements qu’il souhaite ou si les tensions vont l’obliger à s’éteindre.
De plus, si nous avons fait ressortir certains des facteurs qui ont permis jusqu’à présent de prospérer, c’est le contexte de la pandémie de la COVID-19 qui a fait la différence entre vivre du mécontentement et avoir la possibilité de passer aux actes. En effet, pendant le confinement du printemps 2020, plusieurs des individus qui sont devenus membres avaient soudainement beaucoup de temps libre qui a pu être utilisé pour s’impliquer socialement. Par ailleurs, comme certaines personnes recevaient la Prestation canadienne d’urgence, elles avaient la possibilité d’utiliser leur temps pour un changement social puisqu’elles n’avaient ni à travailler ni à chercher un moyen pour subsister. Bien sûr, plusieurs personnes n’avaient pas accès à la Prestation canadienne d’urgence ou ont continué à travailler pendant la pandémie. Néanmoins, sans cette situation de crise, il aurait été plus difficile pour les membres fondateurs d’investir le temps nécessaire pour mobiliser d’autres individus et développer les ressources permettant d’engager des personnes salariées pour porter le projet d’épicerie[7]. De fait, bien que le contexte de confinement n’ait pu éliminer l’ensemble des obstacles à la participation citoyenne, il ressort tout de même que le fait d’avoir du temps libre et un revenu garanti a favorisé la mise en action des individus. Pour plusieurs, cette situation a permis d’avoir le temps de se questionner sur le désert alimentaire et de vouloir y remédier par de nouvelles formes d’implications. Sans ce contexte, il est probable que le Collectif La DAL n’ait jamais vu le jour.
Ainsi, les collectivités qui veulent soutenir le développement d’initiatives citoyennes locales doivent favoriser l’accès aux ressources par la population. Puisque les personnes qui vivent une réalité sont les mieux placées pour connaître leurs besoins, il faut leur offrir du temps : le temps de se reposer, de réfléchir et d’agir sans craindre de manquer de ressources. C’est lorsque le travail ne prend pas toute la place (Couturier, Nguyer et Posca, 2016) que nous pouvons avoir l’espace mental pour rêver et innover. D’ici à l’instauration d’un revenu minimum garanti qui pourrait permettre de créer un contexte où toute la population peut avoir les ressources pour créer, nous suggérons aux collectivités d’offrir plus de programmes de financement, plus de mesures de soutien au développement de projet et plus de flexibilité dans les critères pour obtenir ces aides.
En ce qui concerne les organisations, nous encourageons plus d’ouverture à des collaborations ainsi que plus d’échanges de connaissances et de services pour que toutes les parties puissent apprendre ensemble et retisser le filet social du Québec. Enfin, pour les individus qui veulent développer un projet citoyen, nous espérons que les expériences du Collectif La DAL permettront de mettre en oeuvre des réflexions sur les défis à venir et de trouver des moyens de les prévenir. Somme toute, en plus des ressources nommées précédemment, il faut un réseau de soutien et de solidarité solide pour continuer malgré les obstacles et, surtout, la forte motivation d’individus qui ne peuvent pas se permettre d’échouer.
Appendices
Notes biographiques
Mélanie Ederer est travailleuse sociale, candidate au doctorat en études des populations à l’Institut national de la recherche scientifique et militante. Elle cherche à allier théorie et pratiques afin de lutter contre les injustices sociales. Parmi ses intérêts, elle lutte contre les violences basées sur le genre, les obstacles à la participation citoyenne et s’intéresse aux pratiques des organismes communautaires. ederer.melanie@uqam.ca
Dimitri Espérance est directeur général du Collectif La Dal. Après un début de carrière en consultation et en gestion de projet, il se tourne vers l’entrepreneuriat social. Il concentre son action sur son quartier d’adoption à Montréal, Saint-Henri, en y développant des initiatives locales visant à créer des liens entre les membres de sa communauté. En 2019, il crée l’Association de basketball du Sud-Ouest. Puis, en mai 2020, dans un Québec confiné, il cofonde le Collectif La DAL, un regroupement de résident.e.s de Saint-Henri qui désirent assurer leur autonomie alimentaire en gérant une épicerie autogérée. dimitri.esperance@gmail.com
Notes
-
[1]
L’usage du terme « citoyen » ne réfère pas au statut de citoyenneté au Canada. Nous l’utilisons au sens d’individu membre de la communauté civile.
-
[2]
L’historique présenté dans cet article provient d’échanges avec les membres du Collectif La DAL entre mai 2020 et septembre 2021.
-
[3]
Étude interne du Collectif La DAL.
-
[4]
Nom fictif pour préserver l’anonymat de la personne.
-
[5]
Témoignages reçus par les membres à l’été 2021.
-
[6]
Dans le Collectif, une partie des membres est née au Québec alors que d’autres y ont grandi ou y ont déménagé récemment ; la majorité sont francophones bien que certaines personnes soient anglophones ; certains individus résident à Saint-Henri depuis plus d’une décennie, d’autres sont arrivés ces dernières années. Il y a des couples de jeunes personnes professionnelles avec ou sans enfants, des personnes célibataires aux âges variés, des personnes aux études et d’autres qui sont à la fin de leur carrière. Si quelques individus ont beaucoup d’expériences dans le milieu communautaire, la plupart en sont à leur première expérience d’implication sociale.
-
[7]
Un des membres fondateurs a d’ailleurs investi plus d’un an à temps plein dans le développement de l’épicerie, ce qui n’aurait pas été possible sans un revenu garanti (Prestation d’urgence et assurance-emploi).
Bibliographie
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- Langlois, A. (2021, 17 février). « Nourrir Henri » un frigo à la fois. Radio-Canada.https://ici.radio-canada.ca/nouvelle/1771131/nourrir-henri-frigo-aide-alimentaire-quartier-montreal-epicerie.
- Office de consultation publique de Montréal – OCPM. (2016). Au-delà des chantiers, pensons les quartiers : l’avenir des quartiers avoisinant l’échangeur Turcot : Saint-Henri Ouest, Émard, Côte-Saint-Paul : rapport de consultation publique. https://ocpm.qc.ca/sites/ocpm.qc.ca/files/pdf/P81/rapport-quartiers-turcot.pdf.
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