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Introduction

Le Front commun des personnes assistées sociales du Québec (FCPASQ) et le Groupe de recherche et de formation sur la pauvreté au Québec (GRFPQ) sont deux organismes qui collaborent sur différents dossiers afin de faire du Québec une société plus égalitaire dans laquelle il soit possible pour quiconque de vivre en toute dignité. Dans cet article, nous voulons surtout présenter nos différents efforts pour lutter contre les injustices sociales et pour réduire les inégalités épistémiques. D’abord, nous allons présenter nos deux organisations et leurs activités. Ensuite, nous partagerons notre compréhension des notions d’injustices sociales et d’inégalités épistémiques, tout en montrant comment les personnes assistées sociales (PAS) sont concernées et touchées par celles-ci. Nous terminerons en présentant nos efforts les plus prometteurs pour réduire les injustices sociales et les inégalités épistémiques.

Le FCPASQ et le GRFPQ

Le FCPASQ a été fondé, en tant qu’organisation structurée, le 20 mai 1977 à Valleyfield par neuf organismes de défense des droits sociaux provenant de différentes régions du Québec (Dumas, 2002, p. 44-46). Il s’agissait alors, pour ces organismes de base qui existaient depuis quelques années déjà, de se réunir afin de coordonner leurs efforts pour « améliorer les conditions de vie des assistés sociaux et défendre leurs droits » (Ibid., p. 39). Aujourd’hui, le FCPASQ regroupe 34 organismes membres et sa principale mission est de promouvoir les droits économiques, sociaux et culturels des citoyen.ne.s du Québec exclu.e.s du marché du travail et qui vivent dans la pauvreté. Pour ce faire, il organise des manifestations, des rencontres avec le ministère du Travail, de l’Emploi et de la Solidarité sociale (MTESS) et ses représentant.e.s, des assemblées publiques, des alliances avec d’autres regroupements, etc. De plus, le FCPASQ a une vie démocratique très active qui accorde une place importante aux PAS.

Depuis sa fondation, le FCPASQ a mené plusieurs luttes contre les quatre réformes de ce qui était au départ, en 1969, la Loi sur l’aide sociale, et contre plusieurs projets de loi qui ont modifié ces lois. Chacune de ces quatre réformes, à des degrés divers et pour différentes raisons, a représenté des reculs pour les droits sociaux et les conditions de vie des PAS. Dans la dernière année, le FCPASQ a représenté les intérêts des PAS envers le MTESS pour réduire l’impact de la pandémie et des mesures sanitaires sur ces personnes. Hélas, le Québec est la province qui a le moins soutenu les PAS qui, pour la plupart, n’ont même pas reçu la Prestation canadienne d’urgence (PCU) parce qu’elles n’avaient pas les revenus de travail requis pour y avoir accès.

Le GRFPQ, quant à lui, a été fondé en 1989 par le FCPASQ lui-même. Comme son nom l’indique, il s’agissait pour le GRFPQ de faire des recherches et des formations sur la pauvreté afin de soutenir le FCPASQ et les groupes de base dans leurs luttes pour les droits sociaux. Aujourd’hui, le GRFPQ a pour mission de contribuer à l’avancement et à la diffusion des connaissances concernant la pauvreté, ses causes, ses conséquences et ses solutions, afin de contribuer à l’élaboration d’une société fondée sur des rapports égalitaires et le respect de la dignité des personnes.

Depuis sa fondation, le GRFPQ a mené plusieurs projets de recherche en partenariat avec des équipes et des centres de recherche universitaires. Par exemple, en 1995, le GRFPQ et le FCPASQ ont collaboré à un projet de recherche, Les barrières à la réinsertion sociale et professionnelle des PAS et la réforme du système de la sécurité du revenu, mené avec Christopher McAll. Ce projet de recherche a permis de mettre en évidence que les PAS rencontrent cinq barrières importantes dans leurs efforts d’insertion : la pauvreté, la discrimination, le système de sécurité du revenu, la difficulté d’accès à la formation et le marché de l’emploi. De plus, ce projet de recherche, et la tournée de diffusion et de discussion de ses résultats qui a suivi, ont mis la table pour la conception de la première plateforme de revendications du FCPASQ adoptée en 1996. Depuis, d’autres collaborations de recherche ont vu le jour qui ont mené à différents rapports et tournées de diffusion des résultats, mentionnons-en quelques-uns :

  • Le B.S., mythes et réalités. Guide de conscientisation, paru en 1992 et réédité en 2012.

  • Le mensonge de la solidarité sociale et les pièges de la pauvreté, en 2001.

  • Femmes assistées sociales : la parole est à nous !, en 2005.

  • Au-delà du préjugé : Trajectoires de vie, pauvreté et santé, de 2005 à 2012.

Ces différents projets de recherche ont permis au FCPASQ d’asseoir de manière plus solide son analyse des problèmes vécus à l’aide sociale et des solutions pour y mettre fin. Ainsi, en 2007, il a raffiné sa plateforme de revendications pour en faire un projet de société avec, comme pièce maîtresse, le revenu social universel garanti (RSUG). Le tableau suivant détaille chacun de ses termes :

Tableau 1

Le RSUG selon le FCPASQ et le GRFPQ

Le RSUG selon le FCPASQ et le GRFPQ

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Le projet de société du FCPASQ contient d’autres mesures, comme un véritable droit au logement, le respect de l’environnement, un véritable droit à la culture, des impôts au service du bien commun, etc. Il est significatif de relever que le FCPASQ, en plus de lutter contre les reculs à l’aide sociale, s’est doté d’un projet de société détaillé et évolutif pour qu’on puisse en finir une bonne fois pour toutes avec les problèmes vécus par les PAS. Cette approche participative inspirée de l’éducation populaire et de la conscientisation est caractéristique du FCPASQ et du GRFPQ qui cherchent à ancrer leurs luttes, leurs formations, leurs recherches et leurs revendications dans l’expérience concrète des injustices et des espoirs des PAS.

Les PAS, les injustices sociales et les inÉgalitÉs ÉpistÉmiques

Si le FCPASQ et le GRFPQ mènent plusieurs dossiers et projets distincts, nos deux organisations se rencontrent lorsqu’il s’agit de produire et de diffuser des connaissances sur l’aide sociale et les PAS pour réduire les injustices sociales et les inégalités épistémiques qu’elles vivent.

Si on connaît mieux les injustices sociales vécues par les personnes assistées, à commencer par les conditions de misère qui leur sont faites, les discriminations, les insultes et les violations de leur vie privée, on connaît moins bien les inégalités épistémiques qu’elles vivent. En fait, on connaît moins bien cette notion avec laquelle nous travaillons depuis quelques années déjà au CREMIS avec l’Équipe Épistémè (2018). On parle d’inégalités épistémiques, car « elles touchent à la capacité [des] personnes de dire ce qu’elles vivent, de témoigner de leur vécu, et, plus fondamentalement, d’être considérées comme des sujets fiables et compétents en matière de transmission de l’information et des connaissances » (Ibid., p. 6). En d’autres termes, cette notion indique simplement que toutes les personnes ne sont pas égales pour participer à la production et à la diffusion des connaissances. Par exemple, une personne assistée sociale, parce qu’elle est reconnue comme étant sur l’aide sociale, sera moins écoutée que d’autres, même si elle témoigne de sa propre expérience. Plus largement, on peut aussi parler d’inégalités épistémiques en ce qui concerne les différentes capacités des groupes sociaux de produire et de diffuser des connaissances qui les avantagent.

Ainsi, les connaissances deviennent, pour plusieurs raisons, autant un terrain de bataille que des armes pour transformer les conditions de vie, les perceptions et les compréhensions. À une autre époque, on aurait parlé de la lutte idéologique pour soutenir les luttes structurelles relatives à l’économie et à la politique. Ou, pour le dire autrement et plus simplement, pour lutter contre la pauvreté, il faut lutter contre les préjugés, parce qu’ils permettent de rendre acceptables et tolérables les injustices qui accompagnent la pauvreté. Bien que nous déplorions qu’il soit si facile pour les partis au pouvoir qui se succèdent de sabrer dans la base de la protection sociale qu’est l’aide sociale, il n’est pas étonnant qu’ils y arrivent si facilement ; un sondage de la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse du Québec (CDPDJQ) commandé en 2015 a montré que les PAS sont le groupe envers lequel la population québécoise a la plus mauvaise opinion.

Nous avons donc un énorme travail à faire pour permettre une plus grande reconnaissance, à plusieurs niveaux, des PAS, afin que les injustices qu’elles vivent, et desquelles elles témoignent, soient reconnues comme des injustices. En fait, dans nos différents efforts, on se bute à cette conception étroite et très tenace selon laquelle une personne qui peut travailler doit travailler, même si, dans la réalité, plusieurs personnes que le MTESS considère comme étant aptes à l’emploi peinent à trouver un emploi et à le conserver.

Nos efforts pour rÉduire les injustices sociales et les inÉgalitÉs ÉpistÉmiques

Pour terminer, nous allons nous concentrer sur nos récentes stratégies d’utilisation et de production des connaissances pour réduire les inégalités épistémiques et les injustices sociales vécues par les PAS. Ces dernières années, nos deux organisations ont mené des projets importants relatifs aux connaissances : le FCPASQ (2021) a produit une série de vignettes historiques, visant à rappeler les luttes qu’il a menées, et le GRFPQ (2021) a réalisé une série documentaire en cinq épisodes sur les problèmes que l’aide sociale fait vivre aux PAS.

Le projet de vignettes du FCPASQ vise à informer, à travers les médias sociaux, les membres et le grand public sur les luttes qu’il a menées contre les coupes et les reculs à l’aide sociale. Ces vignettes ont été réalisées dans le cadre des célébrations entourant le 40e anniversaire du FCPASQ et du 30e anniversaire du GRFPQ. Elles portent aussi sur les événements qui ont marqué le FCPASQ, comme les grandes étapes de sa structuration, sa participation à de grandes coalitions, comme la Marche mondiale des femmes, et ses victoires.

La série documentaire, quant à elle, vise surtout à informer et à sensibiliser le grand public sur des problèmes et des injustices que l’aide sociale fait vivre aux PAS. Le 5e et dernier épisode traite du RSUG comme solution efficace et réaliste à ces problèmes. Dans cette série, on suit Fred Dubé, humoriste caustique, qui part à la rencontre de PAS, de personnes salariées d’organismes communautaires et de personnes qui font de la recherche, pour montrer et critiquer ces problèmes.

Dans ces deux projets, nous avons déployé plusieurs stratégies pour contribuer à réduire les inégalités épistémiques et mettre de l’avant notre vision d’un monde plus juste. D’abord, il faut mentionner que ces projets ont été menés avec des PAS pour mettre en valeur leurs contributions et leurs points de vue. Cette pratique, qui repose sur une alliance entre des PAS et d’autres personnes solidaires, est au coeur des principes de nos deux organisations. Il s’agit pour nous, d’une part, d’un souci de cohérence et, d’autre part, d’une stratégie visant à faire reconnaître les PAS comme des locutrices crédibles qui méritent d’être écoutées et traitées dignement. Cette stratégie a aussi pour objectif de favoriser la reconnaissance des PAS elles-mêmes comme des personnes étant dignes et crédibles. Il s’agit alors de lutter contre l’intériorisation de la honte et du stigmate liés à la pauvreté et l’aide sociale par les PAS elles-mêmes en créant avec elles des espaces où elles peuvent partager ce qu’elles vivent en toute confiance. Selon l’approche de la conscientisation, on parlera alors de lutte contre « l’intériorisation de l’oppression » (Freire, 1974).

De surcroît, ces deux projets misent sur l’utilisation des médias sociaux pour assurer leur diffusion. En utilisant les médias sociaux, nous nous assurons l’accès à un public, bien qu’il soit moins important que si nous passions par les grands médias, tout en gardant un contrôle total sur les informations et leur traitement. C’est donc notre propre analyse que nous pouvons diffuser, sans que nous ayons à composer avec les idées préconçues des journalistes sur lesquelles s’appuient leurs questions récurrentes relatives à l’injonction au travail.

Dernier point en commun sur lequel nous voulons mettre l’accent : ces deux projets insistent largement sur le projet de société du FCPASQ et sur des solutions durables comme le RSUG. Bien qu’il importe de critiquer les problèmes et les injustices qui sont reproduits par le système d’aide sociale, nous misons aussi sur la diffusion de connaissances qui portent sur un autre modèle de société. Bref, nous mettons de l’avant notre propre vision du monde, de sorte que le monde tel qu’il est puisse apparaître plus problématique, injuste, voire insensé et irrationnel. La série documentaire, grâce aux répliques cinglantes de Fred Dubé, fait apparaître les incohérences du système d’aide sociale comme étant complètement ridicules.

En ce qui concerne plus spécifiquement la série documentaire du GRFPQ, comme cette série s’adresse au grand public, et que le grand public a surtout de l’aide sociale des idées fausses trop bien répandues, chaque épisode commence par un rappel d’une idée fausse. Il s’agit d’interpeller le public par ce qu’il connaît, pour ensuite invalider cette connaissance. De plus, en croisant les propos, et les visages, de PAS, de personnes salariées d’organismes communautaires et de personnes qui font de la recherche, c’est la parole des PAS qui se trouve crédibilisée et renforcée avec l’appui des autres personnes. Ainsi, ce sont leurs connaissances de leur réalité qui sont validées par d’autres connaissances bénéficiant d’une plus grande crédibilité, comme les connaissances scientifiques.

En conclusion

Dans ce bref article, nous avons tenté d’exposer nos efforts pour lutter contre les injustices sociales par le terrain de la production et de la diffusion des connaissances. Si le FCPASQ agit sur plusieurs terrains, comme les champs juridique et politique, le FCPASQ et le GRFPQ collaborent surtout sur le terrain des connaissances. Nous avons donc montré différentes stratégies que nous déployons pour collaborer à la reconnaissance des PAS comme étant des personnes crédibles et dignes d’une vie bonne. Ainsi, nous croyons qu’en améliorant l’opinion publique à l’égard des PAS, il sera plus difficile pour les gouvernements de couper dans l’aide sociale, et plus facile pour des coalitions de faire des gains. Enfin, c’est le pari que nous faisons.

Toutefois, bien que nos efforts soient incessants, nos deux organisations ont des capacités de production et de diffusion des connaissances bien limitées lorsqu’on se compare à des ministères ou encore à des centres de recherche. Il s’agit probablement d’une autre forme d’inégalité épistémique qui concerne la capacité même d’un groupe social à s’organiser afin de produire et de diffuser des connaissances qu’il est dans son intérêt de produire. De plus, les connaissances sur la pauvreté se sont tellement complexifiées et diversifiées ces dernières années qu’il devient très difficile pour des petites organisations comme les nôtres de suivre ces débats très pointus. Nous pensons aux différentes mesures de la pauvreté qui sont très compliquées et qui sont très loin de notre expérience terrain. Bien que nous tentions de simplifier les débats pour les ramener à une échelle humaine, la complexité des considérations macroéconomiques et des différents indicateurs finit par nous rattraper. Il reste à voir comment nous allons apprendre à naviguer dans ces savoirs scientifiques et technocratiques sans pour autant délaisser les savoirs d’expérience portés par les PAS.