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INTRODUCTION

Le programme Habitations à loyer modique (HLM) cible les personnes à faible revenu étant dans une situation de défavorisation matérielle et sociale majeure (Morin, 2007). En leur assurant un loyer correspondant à 25 % de leurs revenus, il a pour objectif principal de fournir un logement et de contribuer à l’amélioration des conditions de vie des personnes les plus vulnérables (Leloup, 2007 ; Apparicio et Seguin, 2001). Ce modèle se distingue notamment du système français, ouvert à davantage de situations sociales, car 60 % de la population est éligible aux HLM (Ministère de la Cohésion des territoires, s. d.). En 2012 à Montréal, 21 037 de ces logements étaient occupés par près de 39 000 personnes (Morin, 2007). À la même date, 20 855 ménages restaient toutefois sur des listes d’attente (Office municipal d’habitation de Montréal [OMHM), 2013]. Les locataires de ces logements sont caractérisés par un revenu moyen largement en deçà du seuil de faible revenu (Leloup, 2007). En 2014, 61 % des logements étaient occupés par des personnes seules, plus de 40 % des locataires étaient des immigrants et le pourcentage de familles monoparentales était plus important que celui de la moyenne montréalaise (OMHM, s. d.).

Si le programme de HLM permet à ses bénéficiaires d’accéder à un « chez-soi » avec la sécurité d’un loyer adapté à leurs revenus, la vie dans ces logements sociaux peut également s’avérer complexe. En effet, les conditions matérielles de vie dans ces habitations restent bien souvent précaires. Les règles d’attribution de ces logements sociaux engendrent également une concentration géographique de personnes ayant d’importants problèmes de santé, physique ou mentale (Demoulin et Morin, 2016). Le « vivre ensemble » en HLM — lieu de cumul de situations économiques difficiles, de dépendances à une substance psychoactive et de faible intégration sociale — représente dès lors un défi majeur (Ville de Montréal, 2014).

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), « Le logement idéal favorise la santé physique et mentale. Il procure à ses occupants une certaine sécurité psychologique, des liens physiques avec leur communauté et leur culture ainsi que le moyen d’exprimer leur individualité » (Organisation mondiale de la Santé, 1989). Ce constat posé, il apparaît intéressant d’approfondir l’association entre les conditions de vie en HLM et la santé de ses habitants. Pour ce faire, cet article utilise le cadre d’analyse des mécanismes d’exclusion d'Adam et Potvin (2016). Basé sur l’approche relationnelle élaborée par le Social Exclusion Knowledge Network, dans le cadre de la Commission de l’OMS sur les déterminants sociaux, le cadre d’analyse des mécanismes d’exclusion conçoit l’exclusion comme un mécanisme limitant l’accès aux droits, ressources et capacités nécessaires à une vie en santé (OMS, 1989 ; 1986 ; Adam et Potvin, 2016 ; Popay et al., 2008). Les mécanismes d’exclusion sont dynamiques, multidimensionnels et alimentés par des relations de pouvoir inégales interagissant à travers quatre dimensions principales — économiques, politiques, sociales et culturelles — et à différents niveaux — l’individu, le ménage, le groupe, la communauté, du pays et du monde. Les conséquences des mécanismes d’exclusion se comprennent ainsi à travers un continuum de vulnérabilité conduisant à des inégalités de santé. Dans cette étude, un individu, un groupe ou une communauté sont considérés en situation de vulnérabilité lorsqu’ils ont de fortes probabilités d’être exposés à un risque, sans pouvoir mobiliser les ressources, les droits et les capacités nécessaires pour y faire face sans subir de pertes dommageables (Adam et Potvin, 2016 ; Popay et al., 2008).

Il semble ainsi nécessaire de s’intéresser aux conditions de vie et à la situation de vulnérabilité des habitants de HLM, au regard de ce cadre d’analyse. Cette étude poursuit l’objectif d’identifier quels éléments de contexte de la vie en HLM interagissent avec la situation de vulnérabilité de leurs résidents.

MÉTHODE

Échantillon

Cette étude est une analyse secondaire de données recueillies dans le cadre de l’évaluation d’implantation d’une intervention intersectorielle, en cours dans les HLM d’un quartier défavorisé de Montréal[1]. Ce programme consistait en une visite à domicile effectuée par des acteurs communautaires, à l’aide d’un questionnaire leur permettant de collecter des données sur les conditions de vie des habitants de logements sociaux et de les soutenir dans leurs démarches pour les améliorer. Cela a permis aux différents partenaires de constater une réelle difficulté à mettre en place des interventions répondant aux besoins spécifiques des locataires de HLM pour être en bonne santé.

Cet article présente une étude qualitative avec une perspective ethnosociologique effectuée auprès des habitants de trois HLM d’un quartier défavorisé de Montréal et construites dans les années 1970. Deux étaient destinées aux familles et personnes seules et la troisième était réservée aux personnes âgées.

Cet échantillon a respecté les principes de diversification interne. Un effort a été réalisé pour intégrer des personnes seules, des familles et des aînés. Les secteurs priorisés ont été ceux où une forte vulnérabilité avait été identifiée par les partenaires de cette intervention intersectorielle. Un échantillonnage raisonné de dix personnes a été constitué (Beaud, 2004). Les participants ont été recrutés selon les critères suivants : avoir plus de 18 ans ; être locataire d’une HLM ; avoir reçu l’intervention ; avoir donné son consentement libre et éclairé pour la présente recherche ; maîtriser oralement la langue française, anglaise ou espagnole. Les personnes souffrant de problèmes de santé mentale rendant impossibles un réel consentement et la réalisation d’un entretien ont été exclues. Une diversification interne a été effectuée selon l’âge, le sexe, la composition du ménage, la problématique rencontrée et le type de HLM (Beaud, 2004). Les limites de cette méthode seront abordées ultérieurement.

Méthode des récits de vie

Dix entretiens semi-directifs ont été réalisés au cours des mois de juin et juillet 2015 selon la méthode des récits de vie de Bertaux. Son approche ethnosociologique, alliant une méthode d’observation ethnologique et une construction sociale des objets d’étude, permet d’accéder au sens qu’ont les individus d’un événement spécifique (Bertaux, 2005). La méthode des récits de vie a ainsi été utilisée dans cette étude pour interroger le vécu et la compréhension des enquêtés en ciblant un fragment de réalité sociale dans un cadre spatio-temporel précis. Les entretiens s’articulaient ainsi autour de la période de leur emménagement en HLM. À partir de cet épisode, il s’agissait de connaître leurs conditions de vie, de savoir si des changements avaient été induits par leur accès à ce logement social et, le cas échéant, leur nature. Les personnes ont été amenées à parler de leur ressenti, des ressources utilisées ou non et plus généralement de leur santé. Les thèmes explorés ont été formulés dans un guide d’entretien et testés en amont par un préentretien. Les entretiens ont été enregistrés et effectués au domicile des participants ou dans le local d’un organisme communautaire.

Le devis de cette recherche a été approuvé par le comité d’éthique de l’Université de Montréal (15-073-CERES-D).

Analyse des données

Les entretiens ont été intégralement retranscrits et importés dans QDA miner. Ce logiciel d’analyse qualitative a permis d’effectuer un codage ouvert, selon la démarche de la thématisation séquencée (Paillé et Mucchielli, 2013). Les différents entretiens ont constitué un corpus permettant d’identifier les thèmes principaux. Quatre rubriques ont été définies — le milieu de vie, l’intervention, les informations personnelles et les ressources. Les entretiens ont ensuite été analysés selon une approche thématique et diachronique se centrant sur les événements marquants s’étant produits avant et après l’intervention.

RÉSULTATS

Les entretiens ont mis en évidence que l’obtention d’une HLM permet d’améliorer les conditions de vie des individus, notamment par la sortie d’une grande situation de vulnérabilité, l’accès à un « chez-soi », la sécurité du coût d’un loyer ajusté aux revenus, l’amélioration de l’estime de soi liée à la capacité de payer ce loyer et la proximité de différentes ressources.

Toutefois, la vie en HLM entraîne également l’apparition d’éléments contextuels associés à une perception de détérioration des conditions de vie. Trois éléments spécifiques ont été identifiés : la salubrité, le voisinage et la stigmatisation.

Salubrité

Les participants ont évoqué des éléments liés à la salubrité de leur logement, de leur immeuble ou plus généralement dans leur quartier. Par exemple, la présence de punaises de lit[2] ou de cafards.

[...] ils me hantent et ils peuvent te mordre et tu les as partout sur toi et après tu as peur d’aller chez tes amis parce que tu te sens traumatisée, parce que tu vas les contaminer les [] et après tu dois dire à tout le monde « désolée, j’ai des punaises de lit » donc maintenant tous tes amis doivent traiter leur logement par fumigation. C’est comme… c’est tellement embarrassant et tu dois t’isoler pendant si longtemps, donc c’est comme… et ce n’est même pas ta faute.

Madame D, traduction libre

Outre les problèmes d’insectes, les enquêtés ont mentionné avoir des problèmes matériels persistants dans leur appartement malgré les réclamations faites à cet égard.

Dans la douche, pareil, ça suinte tous les jours ; j’ai toujours de la merde tous les jours. Quand le monsieur, je sais que le monsieur prend sa douche parce que j’entends le bruit en haut, le bruit, je le sens. Et puis ça commence à couler, tic tic tic ! ça suinte

Madame A

Les participants ont également rapporté des problèmes d’insalubrité dans leur immeuble. Ils ont déclaré que s’il leur était possible d’améliorer leur logement et d’assurer sa salubrité, il leur était plus difficile d’agir sur l’ensemble de leur immeuble. Ils ont également affirmé que les espaces communs n’étaient pas nettoyés régulièrement et que des déchets, ainsi que des déjections humaines et animales pouvaient y être retrouvés.

Là je suis quand même assez chanceuse parce que l’état de l’ascenseur en ce moment est vraiment bien ; comparé à d’habitude, c’est vraiment beaucoup plus propre, parce qu’il y a quelqu’un qui a nettoyé. Normalement il y aurait des excréments, il y a des gens qui jettent de la nourriture, il y a du pipi séché depuis trois-quatre jours…

Madame B

Les participants ont déclaré que certains habitants des HLM ne jetaient pas leurs déchets dans les poubelles, ce qui attirait des animaux, notamment des rats. Subséquemment, ils révélaient avoir honte de présenter leur milieu de vie, ce qui a un impact sur leur vie sociale.

Si… je voulais partir, ce serait à cause de la saleté ; la saleté, ça me dérange. C’est embarrassant, c’est assez difficile de vivre dans un logement social, mais c’est tellement sale […] Et les personnes pissent aussi dans l’ascenseur parfois et… c’est embarrassant ; comme mes amis n’appartiennent pas forcément à ce milieu de pauvreté donc c’est comme « hey tu veux qu’on se voie dehors ? » et tu amènes quelqu’un chez toi et tu es déjà un peu dans une situation précaire et tu as honte de ce que tu es dans la vie, et après tu les amènes dans l’immeuble qui sent très mauvais et qui est sale. C’est vraiment gênant. […] c’est admettre que tu es aussi pauvre. Donc j’ai admis que je suis pauvre et que maintenant je dois vivre dans des bidonvilles.

Madame D, traduction libre

Au regard du récit des enquêtés, la gestion de la salubrité en HLM apparaît comme une limite à l’accès à un logement de qualité. Cet environnement, comportant des problèmes de salubrité sur différents plans, a des conséquences sur l’expérience des participants de leur environnement et sur leurs conditions de vie. Les invasions de punaises de lit peuvent par exemple causer de fortes démangeaisons, ainsi que des troubles d’anxiété et du sommeil. Dans ce sens, les entretiens montrent que la salubrité constitue un élément de contexte qui limite les possibilités de bien-être dans un contexte de vie en HLM.

Voisinage

À travers les entretiens, la qualité du voisinage s’est révélée faible pour certains participants, majoritairement ceux vivant depuis moins de dix ans dans leur logement. Ces derniers ont déclaré vouloir conserver leurs distances en se limitant à la simple courtoisie.

Je me suis rendu compte à un moment donné… hé… ça là, le corridor, c’est une rue. Les appartements, c’est comme quand je suis dans la rue, il y a des maisons, il y a des portes. C’est tout.

Monsieur C

Si les personnes vivant en HLM depuis plus de dix ans ont déclaré se sentir globalement en sécurité, les autres enquêtés ont affirmé vivre de l’insécurité dans leur milieu de vie. Ces derniers ont avancé craindre de se promener seuls, surtout le soir. L’analyse du récit des enquêtés a permis d’identifier qu’un trafic de drogue subsiste et qu’il est facile de s’introduire dans les HLM. Il a été évoqué une appréhension à se balader seul dans le quartier le soir.

Et c’est pas sécuritaire […] Donc pour rentrer à 9 h du soir… 11 h le soir dans ce quartier-là… je ne me sens pas à l’aise même à 7 h du soir […] même ici, j’ai toujours l’habitude de bloquer la porte dès que je rentre […]

Madame B

Il est à noter que les participants ayant déclaré ne pas se sentir en sécurité étaient essentiellement des femmes, vivant seules ou avec une personne dont elles sont responsables (un parent âgé ou un enfant), et ayant peu de contact avec leurs voisins. Ce sentiment d’insécurité semble lié à une possibilité d’être victime d’une agression. Par exemple, Madame A, vivant seule à cette époque, a été victime d’une effraction à son domicile. Au milieu de la nuit, elle s’est réveillée et a constaté la présence d’un homme dans sa chambre à coucher. Lorsqu’elle s’est mise à crier, ce dernier s’est enfui, mais le traumatisme créé par cet événement a affecté sa qualité de vie et s’est transformé en une source de grand stress quotidien.

Parce que à un moment j’ai eu une invasion de domicile ici. […] À un moment j’étais tellement craintive […] que j’avais hâte de déménager tout de suite. J’étais plus capable, j’étais vraiment plus capable. Il a fallu que je travaille sur moi, pendant des semaines, des mois. Pour pouvoir me ressaisir. […] J’étais même pas capable de sortir, à 7 h, à 5 h, 6 h, 7 h j’avais déjà peur parce que je savais pas. Est-ce que c’est quelqu’un que je connais ? Est-ce que c’est quelqu’un qui me veut du mal ? Je me suis posé tant de questions  !

Madame A

Il a été rapporté dans les entretiens que de nombreuses personnes ayant des problèmes de santé mentale étaient présentes dans les HLM et qu’elles ne semblaient pas avoir de suivi médical :

Lorsqu’on ouvre les yeux, qu’on circule, qu’on commence à voir un peu qui nous entoure, des cas psychiatriques abandonnés sans soins, moi j’appelle ça l’hôpital psychiatrique sans personnel où je vis.

Monsieur E

Les participants, surtout ceux qui vivaient seuls ou avec de jeunes enfants, ont ainsi déclaré ne pas se sentir en sécurité face aux comportements imprévisibles de ces personnes. Par exemple, la présence d’un homme nu devant l’immeuble a inquiété Madame D et Madame J. Elles avaient peur qu’il se retrouve seul avec leurs enfants. Les enquêtés ont également rapporté avoir des difficultés à dormir à la suite des nuisances sonores que causaient les personnes ayant un problème de santé mentale. Plus encore, face à un danger potentiel, tous les participants ont affirmé ne pas agir, car leurs démarches ne semblaient pas aboutir.

Enfin, il a été rapporté un paradoxe entre le sentiment d’être en sécurité des personnes et leur exposition réelle à des situations dangereuses. En effet, deux personnes ont déclaré se sentir en sécurité tout en rapportant des incidents. Madame J et ses enfants ont notamment été témoins de coups de feu, tout en affirmant se sentir en sécurité.

Stigmatisation

Une forme particulière de stigmatisation a été rapportée en HLM par les personnes issues de minorités non francophones. Par exemple, Madame H était originaire des Caraïbes. Elle parlait peu français et préférait s’exprimer en espagnol avec les autres femmes latino-américaines de l’immeuble. Elle était ainsi confrontée à un problème de discrimination face à d’autres locataires québécois :

Ils me le disent là et là « Tu n’as pas le droit parce que tu n’es [pas] née ici ! »

Madame H, traduction libre

Ce phénomène de discrimination a également été relevé par Madame I, née au Québec. Son appartenance à une minorité visible et le fait d’être anglophone semblait être la source de la discrimination vécue.

Et les personnes vont dire « ah ils sont juste paresseux ». Mais… j’en connais beaucoup qui travaillent si dur, faisant trois jobs différents juste pour gagner ce que tu pourrais gagner avec un, mais tu sais, les opportunités manquent. Donc c’est un défi. […] On appelle ça privilège. Vous avez des privilèges que nous n’avons pas. […] Et ce sont les hommes noirs, pas toujours les femmes je veux dire, mais les hommes. Donc mon petit garçon, qui a juste tout d’un coup sa grande taille et comme tu sais… « tu dois savoir comment te comporter, parce que tu es… tu es… suspect ». Ouais, et c’est une pratique qu’ils [les policiers] font souvent. Tu prends le métro et tu sais... « Où est-ce que tu vas ? Qu’est-ce que tu fais ? Fais-moi voir ton sac ! »

Madame I, traduction libre

Les enquêtés ont également déclaré que leurs conditions de vie précaires pouvaient favoriser le recrutement des gangs de rue dans leur quartier. Les jeunes garçons appartenant à une minorité visible semblaient constituer la cible principale de ces trafiquants de drogue.

Mais ils deviennent les soldats, ils sont la cible principale. Ils trouvent les petits garçons qui ne trouvent pas de travail, ils sont là. Si tu ne peux pas trouver de travail, tu le fais clandestinement, parce que nous devons tous vivre, pas vrai ? Donc si tu vas à McDonald’s et qu’ils ne t’embauchent pas, et tu vas là et là tu ne peux pas trouver de travail et… notre système éducatif est très eurocentrique. […] Donc c’est un cercle vicieux.

Madame I, traduction libre

DISCUSSION

Les résultats montrent que, si dans le quartier étudié le programme de HLM contribue à l’amélioration des conditions de vie des individus en situation de vulnérabilité, cet environnement semble également interagir avec leur bien-être. Si vivre en HLM constitue un mécanisme d’inclusion, permettant aux individus de bénéficier d’un chez-soi avec la sécurité d’un loyer adapté, il entraîne également l’apparition d’éléments qui limitent l’accès à un environnement favorable à leur bien-être ; en l’occurrence les problèmes de salubrité, de voisinage et de stigmatisation. Ces éléments ne sont pas exclusifs au milieu des logements sociaux. Toutefois, au sein d’un public déjà en situation de vulnérabilité, ces derniers ont des conséquences d’autant plus importantes limitant de facto les effets positifs initialement engendrés par l’accès à un logement.

Les résultats montrent que des problèmes de salubrité impactent la santé physique, mentale et sociale des habitants de HLM. En effet, les discours des enquêtés rejoignent la littérature scientifique sur les points suivants. La présence d’insectes peut causer des problèmes dermatologiques, telles de fortes démangeaisons, des réactions allergiques et des infections cutanées (Delaunay et al., 2011). L’insalubrité du milieu de vie peut également causer des troubles du sommeil ainsi que des problèmes d’anxiété et de dépression (Shum et al., 2012). Qui plus est, l’environnement des HLM entraîne l’apparition d’un sentiment de honte chez les résidents. Par exemple, l’insalubrité de leur immeuble peut amener les individus à limiter les visites de leurs proches, réduisant le soutien potentiel qu’ils auraient pu leur fournir (Susser et al., 2015). Face à ces problèmes, les résidents déploient plusieurs actions pour lesquelles ils doivent mobiliser du temps et des ressources. S’il existe des éléments qui modèrent l’impact de l’insalubrité de ces logements sociaux — tels que la capacité à mobiliser les ressources institutionnelles pour demander une intervention et la capacité à maintenir son logement propre — leurs effets sont limités par des caractéristiques de cet environnement qui dépassent les habiletés individuelles. L’exemple des punaises de lit l’illustre, car si un individu en est infesté et ne les traite pas, ces insectes se propagent dans l’ensemble du bâtiment, limitant les efforts individuels des autres locataires pour les éviter. Les résultats de cette étude rejoignent ainsi la littérature scientifique en montrant qu’un manque de contrôle des personnes sur leurs conditions de vie peut impacter in fine leur santé (Rascle et Irachabal, 2001 ; Cohen et Syme, 1985).

Si vivre en HLM permet aux individus d’avoir la sécurité d’un loyer adapté à leurs revenus, les résultats ont montré que l’accès à ce milieu sécuritaire est limité par le contexte même de ces logements sociaux. Les résultats de cette étude confirment la littérature scientifique en montrant que la concentration de personnes ayant des problèmes de santé mentale et en situation de précarité rend difficile la cohabitation et augmente les risques de conflits (Apparicio et Séguin, 2001 ; Leloup et Gysler, 2009). Les individus ont ainsi une probabilité supérieure d’être victimes ou témoins d’une situation criminelle. L’exposition accrue à des événements traumatisants et la crainte de leur réalisation peuvent avoir des conséquences sur leur santé mentale. Plus encore, les problèmes de voisinage peuvent impacter la santé sociale des locataires de HLM. En effet, cet environnement est caractérisé par une carence voire une inexistence des relations sociales (Séguin, 1997). Le faible soutien social dans le voisinage renforce le sentiment d’insécurité et l’isolement, défavorables au bien-être des individus (Koleck et al., 2003). En accord avec la littérature scientifique, la faible qualité du voisinage constitue dès lors un facteur de vulnérabilité contribuant à la détérioration de la santé mentale par une exposition constante à des sources de stress (Nyqvist et al., 2008 ; Lazarus et Folkman, 1984).

Nos analyses suggèrent que le contexte des HLM interagit avec un phénomène de stigmatisation. Dans l’exemple montréalais, cette dernière impacte les conditions de vie des personnes issues des minorités visibles ou non francophones à deux niveaux. Elle prend premièrement la forme d’une discrimination individuelle ou directe, entendue comme la mise à l’écart d’une personne sur la base de caractères stigmatisants (Link et Phelan, 2006). Cela se traduit par une complexification des relations sociales de ces personnes avec leur voisinage. Cette discrimination les met à l’écart des ressources potentielles que ces dernières auraient pu leur fournir. Les participants ont également mis en avant une discrimination structurelle, notamment au niveau institutionnel (Link et Phelan, 2001). Elle s’est traduite dans les entretiens par une surexposition des jeunes garçons issus d’une minorité visible à des contrôles policiers arbitraires. La discrimination se traduit aussi par une accessibilité limitée des minorités visibles ou des personnes non francophones au marché du travail, et plus particulièrement à un emploi qualifié (Jounin, 2008). De nombreux auteurs ont montré que la faiblesse, voire l’inexistence de latitude d’action, engendrent un sentiment de stress et de mal-être (Karasek et Theorell, 1990 ; Sooman et Macintyre, 1995). Ce phénomène détériore la santé globale des individus par la diminution de leur qualité de vie, la perte potentielle d’estime de soi, l’apparition de problèmes de santé mentale tels que la dépression et la perte de revenus aggravant la précarité de leur situation (Link et al., 1997 ; Rosenfield, 1997). Nos données suggèrent enfin qu’en HLM, la stigmatisation prend la forme d’une séparation entre « eux » et « nous » (Link et Phelan, 2001). Les individus ont intériorisé le discours sur la pauvreté, les attributs conférés à ce groupe stigmatisé (Goffman, 1975). Ils peuvent ainsi se mettre volontairement à l’écart des ressources existantes pour ne pas y être associés.

L’analyse du récit des enquêtés permet de voir que les conditions de vie en HLM peuvent entraîner l’apparition d’éléments négatifs contre lesquels les individus doivent déployer des actions et utiliser leurs ressources, favorisant ainsi le maintien dans une situation de vulnérabilité. Sur ce point, cet article confirme la littérature scientifique. Il permet aussi d’aller plus loin en montrant que c’est l’interaction de la structure[3] des HLM, produisant des éléments de contexte, avec l’agence des individus qui a des conséquences sur les conditions de vie des habitants des HLM (Giddens, 1984). Les mécanismes d’exclusion, résultats de la dynamique entre les différents éléments identifiés, renforcent donc la situation de vulnérabilité dans laquelle ces individus peuvent se trouver (Adam et Potvin, 2016 ; Giddens, 1984 ; Sen, 2000).

Cette étude exploratoire comporte certaines limites. Cette recherche ne couvre tout d’abord qu’une partie des mécanismes d’exclusion. Par ailleurs, malgré sa volonté de représenter toutes les caractéristiques présentes dans les HLM, certains « cas typiques » peuvent ne pas avoir été recrutés à cause de la méthode d’échantillonnage. En effet, les participants ont été sélectionnés à partir des formulaires de consentement remis par les intervenantes, pour être ensuite contactés par l’équipe de recherche. Or, le nombre de refus pour le porte-à-porte et la présente étude (neuf refus pour dix-neuf personnes contactées) était assez important. Ont également été écartées de l’étude les personnes ne parlant ni français, ni anglais, ni espagnol, ainsi que les personnes présentant des problèmes importants de santé pour des raisons éthiques. Pour finir, au moment de la réalisation de l’échantillon, seul un tiers des habitants des HLM avait été rejoint par les intervenantes. Selon ces constats, il est donc permis de penser que les personnes les plus vulnérables ont pu être écartées de cette étude.

CONCLUSION

Cet article identifie les éléments de contexte de la vie en HLM interagissant avec la situation de vulnérabilité de leurs résidents. Au regard des résultats apportés, il apparaît que les problèmes de salubrité, de voisinage et de stigmatisation impactent le quotidien de ses habitants à différents niveaux. Ils ont des conséquences, directes ou indirectes, sur leur santé physique, mentale et sociale. Par la génération de ces éléments de contexte, l’environnement des HLM limite les effets positifs et entraîne une exposition accrue de ses habitants à un risque, avec une possibilité moindre ou inexistante de mobiliser les ressources, droits et capacités nécessaires pour y faire face (Adam et Potvin, 2016 ; Popay et al., 2008). Il les maintient dans une situation de vulnérabilité. Dès lors, les problèmes de salubrité, de voisinage et de stigmatisation apparaissent constitutifs des mécanismes d’exclusion.

Les HLM ont pour objectif d’améliorer les conditions de vie de leurs habitants. Cette analyse identifie des éléments dynamiques expliquant en partie les limites de sa réalisation. Elle permet ainsi de cibler des objets précis pour la mise en place d’interventions permettant d’améliorer le bien-être de leurs habitants.