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Introduction

Actuellement, 1 à 2 % de la population présente une déficience intellectuelle (DI) (Institut national de la santé et de la recherche médicale [INSERM], 2016). Cette dernière se caractérise par des limitations significatives du fonctionnement intellectuel et du comportement adaptatif, qui se révèlent durant la période développementale et qui l’affectent de façon durable (American Psychiatric Association [APA], 2015). Les personnes concernées peuvent rencontrer des difficultés dans divers secteurs d’aptitudes : la communication, les apprentissages, le travail, la vie quotidienne ou encore les loisirs.

Longtemps considérées « comme des sujets passifs d’assistance » (Guerdan et al., 2009, p. 6) ou encore « comme des objets de pitié qui avaient besoin “d’aide” à travers la charité » (Schulze, 2010, p. 12), les personnes présentant une déficience intellectuelle ont souvent été écartées de la société. Aujourd’hui, elles peuvent jouir des mêmes droits que tout un chacun. Ceux-ci sont exposés dans la Convention relative aux droits des personnes handicapées (CDPH) adoptée le 13 décembre 2006 par l’Organisation des Nations Unies (ONU). À ce jour, cette Convention est ratifiée par 175 pays, tenus de mettre en place les mesures nécessaires afin que les personnes en situation de handicap puissent vivre dans la société, avec la même liberté de choix que les autres personnes. L’article 19 les enjoint par ailleurs à prendre « des mesures efficaces et appropriées pour [leur] faciliter la pleine jouissance de ce droit ainsi que leur pleine intégration et participation à la société » (ONU, 2006, p. 14). La notion de participation sociale est particulièrement valorisée dans le texte de la CDPH, faisant de sa mise en oeuvre un enjeu politique majeur (Schulze, 2010). Ce nouveau paradigme de pleine participation sociale, de même que la reconnaissance des droits des personnes en situation de handicap, réinterrogent toutes les pratiques en vigueur, et notamment celles ayant trait à l’accompagnement (Guerdan et al., 2009).

Cet article vise à mettre en évidence les tensions présentes dans les pratiques professionnelles des éducatrices et éducateurs sociaux engendrées par l’évolution des droits des personnes en situation de handicap. Il se compose de trois parties. Tout d’abord, la notion de déficience intellectuelle est définie. Une brève synthèse des écrits actuels traitant de l’évolution des droits des personnes en situation de handicap ayant abouti à la CDPH est ensuite présentée. Enfin, quelques impacts liés à la mise en pratique de la CDPH et les tensions qu’ils engendrent sur les pratiques professionnelles sont exposés.

La dÉficience intellectuelle : dÉfinition

L’Organisation mondiale de la Santé (OMS, 2018) considère que la déficience intellectuelle est définie par :

La capacité sensiblement réduite de comprendre une information nouvelle ou complexe, et d’apprendre et d’appliquer de nouvelles compétences (trouble de l’intelligence). Il s’ensuit une aptitude diminuée à faire face à toute situation de manière indépendante (trouble du fonctionnement social), un phénomène qui commence avant l’âge adulte et exerce un effet durable sur le développement

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Au quotidien, les manifestations de la déficience intellectuelle varient selon les personnes et les situations. Par exemple, une personne présentant une déficience intellectuelle profonde (APA, 2015) est susceptible de rencontrer des difficultés pour communiquer verbalement et non verbalement ainsi que pour exécuter un certain nombre d’actes de la vie quotidienne. Tandis qu’une personne présentant une déficience intellectuelle légère (APA, 2015) aura les capacités de vivre de manière autonome en appartement, pourra communiquer de manière fonctionnelle, mais peinera à interpréter les codes sociaux.

Les personnes ayant une déficience intellectuelle se retrouvent fréquemment en situation de handicap, c’est-à-dire confrontées à des difficultés majeures entravant leur participation sociale et pouvant les conduire à l’exclusion. Le handicap découle de l’interaction entre les caractéristiques de la personne et celles de la société dans laquelle elle vit (OMS, 2018). La situation de handicap ne dépend donc pas uniquement de la présence de la déficience intellectuelle, mais également des obstacles environnementaux, qu’ils soient physiques ou sociaux (INSERM, 2016). Cette vision multidimensionnelle et systémique du handicap est présentée dans différents modèles du fonctionnement humain, comme la Classification internationale du fonctionnement, du handicap et de la santé de l’OMS (2001), le modèle du fonctionnement de l’American Association on Intellectual and Developmental Disabilities (AAIDD, 2010) ou encore le modèle de développement humain (MDH) et l’approche du processus de production du handicap (PPH) (Fougeyrollas, 2010). Ces modèles orientent les équipes socio-éducatives vers des interventions ciblées et adaptées à la situation de la personne, dans un but de réduction des situations de handicap. Ces interventions prennent en compte tant les incapacités de la personne que les obstacles dans l’environnement (INSERM, 2016). Ces développements ainsi que l’accroissement des connaissances scientifiques sur la déficience intellectuelle ont participé à améliorer la reconnaissance des droits des personnes handicapées.

L’Évolution des droits des personnes en situation de handicap

La CDPH est le premier instrument juridiquement contraignant établissant les droits des personnes en situation de handicap. Elle énonce clairement et sans réserve que les personnes concernées ont droit à un plein accès et à une égale jouissance de tous les droits de l’Homme. Elle n’établit donc pas de nouveaux droits, mais spécifie et concrétise la manière dont les droits fondamentaux s’appliquent pour elles. Plusieurs facteurs ont présidé à son élaboration.

Premièrement, la CDPH a été impulsée par le constat que les instruments de droits internationaux ne protégeaient pas efficacement les personnes en situation de handicap. À cet égard, Schulze (2010) rappelle que ni la déficience ni le handicap ne sont mentionnés comme motifs de discrimination dans la Charte internationale des droits de l’Homme. Cependant, depuis les années 1970, de nombreux efforts ont été entrepris afin de réduire l’invisibilité de ces personnes, notamment dans les textes de l’ONU (Schulze, 2010). Par exemple, l’année 1981 a été proclamée « Année internationale des personnes handicapées » et la période 1982-1993 « Décennie des Nations Unies pour les personnes handicapées » par l’Assemblée générale ; cela afin d’inciter les gouvernements à mettre en place, dans un délai de dix ans, les recommandations édictées dans le Programme d’action mondial (pour une synthèse voir : ONU, 2007). L’ONU a ainsi joué un rôle majeur dans la promotion des droits des personnes en situation de handicap, notamment en codifiant progressivement le droit international.

Les mouvements associatifs tels que les associations d’autoreprésentant.e.s ou de parents ont également participé activement à la création de la CDPH. C’est notamment le cas du mouvement « Nothing about Us without Us », qui milite depuis les années 1970 pour la promotion des droits des personnes en situation de handicap (Charlton, 1998). Les personnes engagées revendiquent activement de pouvoir prendre part aux décisions qui les concernent. De plus, elles dénoncent les conditions de vie des personnes hébergées en institution et militent pour une meilleure accessibilité des milieux ordinaires (Gardien, 2015). Leur influence sur l’évolution des politiques sociales s’est accrue progressivement et a mené au développement de différents services dans une majorité de pays occidentaux.

Dans la ligne des évolutions précitées, la CDPH impose aux États Parties le respect de certains principes parmi lesquels figurent l’égalité des chances, la non-discrimination ou encore l’autodétermination. Elle précise également une finalité, celle de « permettre aux personnes handicapées de vivre de façon indépendante et de participer pleinement à tous les aspects de la vie » (ONU, 2006, p. 9). Elle encourage les personnes concernées à affirmer leur appartenance à la société (Boucher et al., 2015) et promeut notamment leurs droits à la liberté d’expression et d’opinion, au respect de la vie privée, au respect du domicile et de la famille, à l’éducation, au travail et à l’emploi, à la participation à la vie sociale et politique (ONU, 2006). Finalement, elle expose les moyens que les États Parties doivent mettre en oeuvre pour atteindre ces finalités : l’élaboration et la mise en oeuvre de lois et de politiques adaptées. En effet, « la transformation des pratiques et du cadre général existants est essentielle afin de permettre la prise en compte de la situation des personnes ayant des incapacités et d’améliorer l’exercice des droits humains au sein des sociétés contemporaines » (Boucher et al., 2015, p. 53).

L’évolution des droits des personnes en situation de handicap — et plus largement le changement de paradigme scientifique qui a cours depuis deux décennies — influence les manières d’appréhender le handicap (Mercier, 2006). Elle impacte également de manière conséquente les pratiques d’accompagnement socio-éducatives.

Des pratiques en tension

L’accompagnement offert aux personnes présentant une déficience intellectuelle a fortement évolué au cours des siècles. Cette évolution est tributaire du développement des connaissances scientifiques, des modifications des systèmes de croyances et de valeurs ainsi que de la meilleure reconnaissance des droits des personnes concernées (Brown et Radford, 2007). Un aperçu historique met en évidence ces articulations.

Dans l’Antiquité, les pratiques telles que l’exorcisme ou l’élimination des enfants ayant une déficience reposaient sur des croyances faisant appel au surnaturel. L’apparition d’une conception médicale de la déficience intellectuelle au Moyen-Âge a quant à elle contribué au développement de pratiques de soin pour guérir cette « maladie » et éviter sa propagation (administration d’herbes médicinales, prothèses, chirurgie et médicaments). C’est à partir du 19e siècle que voit le jour un accompagnement de type pédagogique, ayant pour finalité le développement des habiletés utiles à la vie quotidienne et s’appuyant sur la reconnaissance du potentiel de développement des personnes ayant une déficience intellectuelle. L’accompagnement devient individualisé, puisqu’il tient compte des spécificités des personnes, et des structures scolaires adaptées voient le jour. Puis, dès la moitié du 19e siècle, les pratiques s’orientent vers une institutionnalisation afin d’éviter l’itinérance des personnes et pour rassurer la communauté (Caouette, 2014).

Le milieu du 20e siècle donne naissance à des pratiques axées sur la reconnaissance du droit des personnes ayant une déficience, filiation dans laquelle se situe la CDPH. Il s’agit de favoriser leur qualité de vie et leur participation sociale par le biais de mesures de normalisation du milieu de vie et de désinstitutionnalisation. Des pratiques d’accompagnement individualisé émergent, parmi lesquelles le projet individualisé occupe une place de choix. Se développent également des dispositifs d’apprentissage à l’autodétermination (Caouette, 2014). Il résulte de ces évolutions un changement important de paradigme, symboliquement représenté par les transitions suivantes : passage de l’intervention de soin au projet pédagogique, d’une culture de la vocation à une culture de la profession, des institutions fermées aux institutions ouvertes, d’une gestion autoritaire à une gestion démocratique des institutions, de l’unidisciplinarité à la pluridisciplinarité et enfin d’une politique de l’insertion à une politique de l’inclusion (Mercier, 2006).

Si la personne concernée devient l’actrice principale de sa propre vie, le rôle des équipes socio-éducatives n’en reste pas moins important. L’accompagnement représente en effet l’un des outils essentiels pour favoriser la participation sociale des personnes ayant une déficience intellectuelle (Mercier et Bazier, 2004). Agir dans ce nouveau paradigme et promouvoir les droits inscrits dans la CDPH impose aux professionnel.le.s le défi d’une réflexion de fond au sujet des finalités de leurs actions et des méthodes d’accompagnement. Il s’agit en effet de mettre l’accent sur la promotion de l’autonomie dans ses différentes facettes, à savoir le « faire seul » ou encore le « décider seul », mais également sur la participation des personnes dans la société. Émergent ici les deux finalités essentielles du travail social que sont l’autonomie et la socialisation, finalités à la fois complémentaires et sources de paradoxes, de tiraillements entre les intérêts individuels et collectifs (Coquoz, 1996).

Toute pratique éducative se situe dans un champ de tensions jamais totalement résolu et les pratiques socio-éducatives n’échappent pas à cette règle. Ces tensions se situent sur deux niveaux : les finalités visées et les modalités mises en oeuvre (Reboul, 2010). Sur le plan des finalités, il s’agit de concilier des visées d’intégration dans le respect des valeurs de la société avec l’épanouissement de la personne « selon sa propre nature » (Reboul, 2010, p. 23). Des questions fondamentales se posent alors aux professionnel.le.s : comment tenir compte tout à la fois des enjeux du collectif (la société, l’établissement socio-éducatif, les groupes d’appartenance, la famille) et des enjeux individuels (valeurs, envies, besoins, aspirations de la personne) ? Et comment assumer les potentielles contradictions entre le désir de liberté de la personne et les contraintes liées à la vie en collectivité ? Le second champ de tension se situe quant à lui au niveau de la manière de s’y prendre : s’agit-il d’exercer une action — parfois très contraignante — sur la personne ? Au contraire, le processus de développement lui appartient-il totalement ? L’accompagnement se situe-t-il plutôt sur un continuum entre ces deux pôles : faire pour l’autre, avec l’autre, faire en sorte que l’autre puisse faire, s’abstenir de faire, se tenir à côté, en retrait ?

Les tensions précitées sont potentiellement exacerbées par la mise en oeuvre de la CDPH. Les parties suivantes abordent certaines tensions en jeu dans l’intervention sociale en établissement socio-éducatif (ESE) et présentent des recommandations de bonnes pratiques susceptibles de favoriser la réduction de ces tensions.

Les tensions liées aux finalités

Les finalités visées par la CDPH imposent notamment au personnel socio-éducatif de favoriser la participation sociale et l’autodétermination des personnes en situation de handicap. L’autodétermination se définit comme la capacité à faire ses propres choix, fixer ses propres règles, prendre des initiatives et des décisions libres d’influences et d’interférences externes exagérées (Wehmeyer, 1992, 2005). Cependant, dans le cadre d’un accompagnement en ESE, il peut s’avérer difficile de tenir compte à la fois des envies et besoins individuels et des impératifs liés à la vie en collectivité. Les enjeux sont concrets et pas toujours conciliables. En effet, « l’autodétermination permet de se singulariser par rapport au reste de l’institution. Or la prise en charge collective contraint bien souvent les personnes à se plier aux plannings imposés par le groupe » (Giroud et Ortiz, 2013, p. 1). Ainsi, est-il envisageable que les personnes puissent choisir leurs heures de repas, avec qui, où et ce qu’elles vont manger, lorsque le collectif est composé d’une dizaine de personnes aux envies et goûts diversifiés et en tenant compte des contraintes organisationnelles de l’ESE ? Les exemples peuvent être multipliés : choix des heures de lever et de coucher, choix des colocataires ou encore de vivre avec un animal de compagnie. De fait, les opportunités d’exercer son autodétermination restent rares dans le quotidien de la vie en ESE. Pour complexifier la situation, s’ajoutent les contraintes économiques auxquelles sont confrontés les ESE. Par exemple, la dotation en personnel peut fortement impacter la qualité de l’accompagnement offert, de même que les ressources financières à disposition.

Outre les contraintes liées à la vie en collectivité et celles liées aux ressources institutionnelles, d’autres facteurs influencent également la pratique de l’autodétermination. En effet, cette dernière demande de mobiliser des compétences complexes afin de comprendre les choix proposés ou de prendre des décisions ajustées, d’analyser les différentes possibilités pour finalement pouvoir indiquer sa préférence. Cela suppose la conscience de soi et du contexte dans lequel vit la personne et sous-entend une forme de responsabilité ainsi que la capacité à anticiper les conséquences de ses choix. Les personnes présentant une DI peuvent rencontrer des difficultés, tant dans le domaine cognitif que socioaffectif, à acquérir et mobiliser ces compétences. De plus, particulièrement sujettes au biais de désirabilité sociale, elles peuvent avoir tendance à s’en remettre au personnel éducatif ou à un membre de la famille pour prendre des décisions les concernant. Ainsi,

l’affect ou la volonté de ne pas vouloir contrarier ou déplaire à ses parents ou à ses référents éducatifs peut fortement influencer les choix des personnes en situation de handicap et engendrer de douloureux conflits de loyauté que celles-ci résoudront généralement en renonçant à leurs désirs ou besoins, privilégiant la relation, le lien

Giroud et Ortiz, 2013, p. 1

Comment favoriser alors l’exercice de l’autodétermination dans des contextes comme celui des ESE tout en s’assurant que les personnes soient capables de se positionner ? Des programmes adaptés se sont développés afin de soutenir tant les professionnels que les personnes présentant une DI. Dans cette veine, Fontana-Lana et Petitpierre (2017) ont élaboré et testé, en collaboration avec des professionnels et des personnes présentant une DI, un programme d’intervention visant à promouvoir l’adoption des principes d’autodétermination et d’engagement civique. Un des buts poursuivis par le projet était que les personnes présentant une DI soient représentées dans les organes décisionnels de l’ESE. Les résultats montrent que si les méthodologies didactiques employées sont adaptées, l’apprentissage de l’autodétermination est possible. Ce constat est soutenu par les recherches de Bastien et Haelewyck (2017), qui se sont intéressés à la manière de favoriser la santé des personnes ayant une déficience intellectuelle par l’autodétermination.

Si les finalités de l’accompagnement mettent en tension les pratiques professionnelles, le choix des modalités d’accompagnement, favorisant la mise en place de soutiens adaptés et individualisés, n’en est pas moins source d’enjeux importants.

Les tensions liées aux modalités d’accompagnement

La CDPH est porteuse d’un modèle qui engendre une redéfinition des modalités d’intervention, ainsi qu’une « reconfiguration des rapports entre professionnels et personnes dites handicapées [et] leur entourage » (Ebersold, 2012, p. 289). Dans le champ des tensions liées aux modalités, elle se situe sur une posture médiane qui promeut un partenariat entre la personne concernée et le personnel socio-éducatif. Ce partenariat peut être défini

par une association de personnes […], par la reconnaissance de leurs expertises et de leurs ressources réciproques, par le rapport d’égalité entre eux, par le partage de la prise de décision, par le consensus entre les partenaires au niveau, par exemple […] de la priorité des objectifs d’éducation ou de réadaptation à retenir

Bouchard et al., 1999, p. 195

Il implique ainsi un principe de complémentarité, de réciprocité, d’égalité entre les acteurs, la reconnaissance des forces et ressources ainsi que la valorisation des rôles de chacun, et la négociation de l’intervention. Ce principe, lorsqu’il est mis en oeuvre, suppose des enjeux forts pour les équipes socio-éducatives, enjeux qui se cristallisent particulièrement autour de l’élaboration du projet individualisé, outil essentiel du travail social.

Le projet individualisé représente un « plan écrit qui fixe les objectifs éducatifs, socio-éducatifs et thérapeutiques à poursuivre avec la personne présentant des besoins éducatifs particuliers » (Petitpierre, 2010, p. 1). Il a pour fonction de personnaliser les prestations proposées, d’adapter les modalités d’accompagnement, de donner du sens aux actions à entreprendre, de structurer l’intervention, de clarifier le partage des tâches et de garantir une cohérence d’action entre les professionnel.le.s (Petitpierre, 2010). Un projet individualisé repose sur des observations faites au préalable au sujet de la personne et de sa situation. Il contient généralement les finalités et objectifs visés, les moyens et stratégies à utiliser, les responsabilités des différents partenaires, la posture adoptée par les professionnels vis-à-vis de la personne concernée, de même que les critères qui seront utilisés pour vérifier l’atteinte des objectifs ainsi que les modalités d’évaluation qui permettront de réactualiser le projet (Petitpierre, 2010).

Le projet individualisé doit être vu comme « une démarche dynamique, une co-construction qui tente de trouver un équilibre entre différentes sources de tension » (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médicaux-sociaux (ANESM), 2008, p. 15). C’est bel et bien un partenariat entre la personne concernée et ses accompagnant.e.s qui est souhaité, dans le respect des orientations de la CDPH. Une telle démarche de co-construction comporte des avantages évidents : la personne peut s’approprier son propre projet, une forme de cohérence entre les diverses parties est garantie et l’accompagnement gagne en efficacité (Petitpierre, 2010). Ce choix de posture recèle cependant des contraintes fortes pour les membres de l’équipe socio-éducative : elle est coûteuse en temps, demande des compétences en animation de groupe et nécessite une ouverture et une envie de collaborer de la part des différents partenaires. Cette démarche pose également un certain nombre de questions d’ordre technique, notamment lorsqu’il s’agit de favoriser la participation de personnes qui ont de forts déficits de communication et de compréhension : comment s’assurer que le projet leur correspond vraiment ? Comment entrer dans une réelle démarche de co-construction ? Comment favoriser l’expression des personnes face aux différents acteurs de leur accompagnement ?

L’ANESM (2008) présente des recommandations de bonnes pratiques professionnelles concernant la mise en place des projets individualisés. Elles visent notamment à favoriser l’expression et la participation de la personne — vues comme un droit et non une obligation — tant durant la conception du projet que durant sa mise en oeuvre. Ces recommandations font écho à différents articles de la CDPH rappelant le droit des personnes d’être actrices de leur propre vie. Les règles européennes pour une information facile à lire et à comprendre (Unapei, 2009) proposent également des pistes de réponses en vue d’aider les professionnel.le.s à rendre les informations accessibles aux personnes présentant une déficience intellectuelle : utilisation de phrases courtes ne comportant qu’une seule idée et de mots simples ; non-utilisation de métaphores ou de caractères spéciaux. « Le vocabulaire est à adapter non seulement à l’âge développemental de la personne, mais également à son âge chronologique. En d’autres termes, un langage simple ne signifie pas un langage simpliste ou infantilisant » (Tessari Veyre et al., 2016, p. 75). Diverses recherches (Goldbart et Caton, 2010 ; Prosser et Bromley, 2012) ont également montré que l’utilisation de photographies, d’objets ou de pictogrammes peut faciliter tant la compréhension que l’expression des personnes avec une déficience intellectuelle.

En outre, la dynamique du projet devrait être souple et adaptée à la personne (ANESM, 2008). Une réévaluation constante du projet est souhaitée de manière à respecter le rythme de la personne et à intégrer les imprévus de la vie, les rencontres, l’évolution des attentes de la personne, les nouvelles opportunités qui se présentent. Il n’est cependant pas toujours possible pour les équipes socio-éducatives de respecter à la fois le rythme de la personne et celui de l’ESE, qui généralement détermine des échéances fixes pour la mise en place et l’évaluation des projets. Diverses pratiques sont ainsi préconisées par l’ANESM (2008, p. 17) : écoute, stimulation, recadrage, attente, « être là », tout en évitant, pour les situations qui nécessitent uniquement d’« être à côté », de ne pas tomber dans une forme d’indifférence, ce qui sous-entend la possibilité d’adapter les procédures de l’ESE aux spécificités des personnes concernées.

Conclusion

La ratification de la CDPH par 175 pays marque incontestablement une avancée essentielle et remarquable dans la reconnaissance et le respect des droits des personnes présentant une déficience intellectuelle. Sa mise en oeuvre, notamment dans les pratiques d’accompagnement en établissements socio-éducatifs, ne va toutefois pas de soi. La CDPH propose en effet des orientations fortes en termes de valeurs et suggère un partenariat basé sur un principe d’égalité et de complémentarité entre les différents protagonistes. Elle ne fournit par contre pas les outils nécessaires à sa mise en oeuvre, cette dernière étant dévolue au personnel socio-éducatif, qui doit concilier les enjeux du collectif et des individus pour résoudre les tensions qui en découlent. Ces tensions peuvent s’avérer source de souffrance pour les professionnel.le.s, mais également devenir moteur dans la recherche de réponses créatives et innovantes, adaptées aux personnes concernées et à leur situation.

Travailler avec ces tensions implique, au niveau individuel, de favoriser le développement des capacités des personnes par l’adoption d’une posture professionnelle favorisant la participation sociale et par la mise en place d’un accompagnement individualisé. Cela sous-entend également une volonté institutionnelle, mais également politique — pas toujours avérée dans un contexte de nouvelle gestion publique axée sur la responsabilité des individus, le contrôle et la performance (Bresson et al., 2013) — d’encourager et de soutenir le développement de pratiques respectueuses de l’autonomie des personnes.

Des démarches novatrices se développent, comme « Imagine ton projet de vie », un outil d’aide à la formulation et à la mise en oeuvre du projet individualisé des personnes ayant une déficience intellectuelle (Haelewyck et Bara, 2012). Sur le plan collectif, des initiatives existent afin d’encourager le droit d’expression des personnes. C’est le cas de l’ESE La Cité des Genévriers, en Suisse romande, dans lequel a vu le jour en 2016 la Commission « C’est Ma Vie », composée de personnes ayant une déficience intellectuelle qui travaillent sur des thématiques liées aux droits, au lieu de vie, à l’affectivité ou aux loisirs (Eben-Hézer, 2016). De nouveaux services sont également à développer dans la société. Ainsi, des alternatives à la vie en ESE émergent dans différents pays, proposant aux personnes qui le souhaitent de bénéficier d’un logement personnel en pouvant choisir et piloter les soutiens qui leur semblent les plus appropriés — avec l’aide d’une personne garante si nécessaire. L’association JAG, en Suède, qui appartient au mouvement « Independent living », propose ce type d’approche depuis les années 1990. En Suisse, Pro Infirmis Vaud travaille actuellement sur un projet pilote inspiré de cette expérience (Lachat, 2017, p.3).

La CDPH peut ainsi être vue comme un catalyseur de changements des pratiques socio-éducatives afin de tendre vers une mise en application toujours plus grande des droits des personnes présentant une déficience intellectuelle.