Les transformations familiales propres au passage actuel à la postmodernité ont déjà été largement analysées. L’ampleur de ces mutations se confirme d’ailleurs ne serait-ce qu’à travers les fortes résistances de mouvements conservateurs prônant un retour à la famille nucléaire hétérosexuelle. Or la famille conjugale est apparue il y a plus de deux siècles, elle-même en rupture avec le modèle basé sur le principe lignager et sur la toute-puissance des pères (Durkheim, 2004). S’appuyant sur le mariage civil et le libre choix du conjoint, la famille conjugale a certes été rendue possible grâce à l’industrialisation, à l’urbanisation, à la généralisation du salariat, ainsi qu’à la séparation des lieux de production économique des foyers. Elle a aussi consacré une nouvelle hiérarchie spatiale et sexuelle des sphères publique et privée. Dès que l’enfant ne sera plus conçu comme un adulte imparfait mais plutôt comme une personne en devenir et à protéger, on assignera aux femmes le rôle de superviser son éducation (Rousseau, 2009). Cela a ouvert la porte à une nouvelle conception de la maternité et à un ordre naturel fondé sur la division masculin / féminin au sein des familles, celui des parents englobant hiérarchiquement les enfants, celui des maris englobant hiérarchiquement leurs épouses, le couple étant alors conçu comme un tout ne faisant qu’un (Théry, 2005). Par ailleurs, si les conceptualisations de la famille postmoderne sont variables, les données démographiques sont limpides : en 2005 et en 2009 respectivement, on consigne 3 divorces pour 4 mariages au Québec et en Belgique (Québec, 2010 ; Belgique, 2011). La durée des mariages et des unions libres s’amenuise. En France, 55 % des enfants sont nés hors mariage en 2010, ce qui est le cas de 63 % des enfants québécois en 2011 (France, 2011 ; Québec, 2012). En 2009, on recense 35 % des couples vivant en union libre au Québec. Et l’augmentation du nombre de familles recomposées, homoparentales et monoparentales est maintenant bien connue. Enfin, grâce à la mondialisation, les classes moyennes de partout dans le monde, bénéficiant d’un accès à la mobilité et aux moyens de communication, adoptent des comportements similaires, provoquant ainsi, dans leur société d’appartenance, une sédimentation des différents modèles familiaux (dynastique, conjugale et postmoderne). La famille conjugale a volé en éclats à la faveur de la tertiarisation de l’économie, de l’éducation des filles, des avancées scientifiques et techniques (baisse de la mortalité infantile, contraception, généralisation des appareils ménagers), de la perte d’influence de la religion et des mouvements sociaux. Les espaces physiques et symboliques ne sont plus en Occident sexuellement hiérarchisés de façon stricte et l’individu n’est désormais plus rattaché à un ordre de statuts : le soi statutaire (lié aux rôles sociaux) s’éclipse au profit du soi intime (lié à la personne) (Singly, 1998). Les sociétés post-modernes recentrent la vie domestique sur les valeurs de démocratie et d’égalité (Giddens, 2004) et l’individualisation ne consiste plus, comme avant, à « jouer son rôle » mais plutôt à « faire sa place » en fonction d’un talent ou d’une personnalité propres. L’élection affective, le triomphe de l’amour (Théry, 2005), la précarité des unions sont maintenant placées au centre de la conjugalité. La légitimité naturelle de la famille conjugale hétérosexuelle disparaît rapidement. Le « naturel » familial se resitue non plus au sein de l’institution du mariage mais plutôt au sein de ce que chaque individu est ou fait, et ce, sans référence explicite à une institution. La famille a tendance à se réduire à la fois à une relation parentale définie biologiquement, les tests génétiques ayant permis l’émergence d’une telle définition de la filiation, mais aussi, paradoxalement, à …
Appendices
Bibliographie
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