Regards croisés France-QuébecConférences

En écho : des instruments pour négocier le pouvoir[Record]

  • Cécile Rousseau

…more information

  • Cécile Rousseau
    Département de psychiatrie, Université McGill
    Transcultural Research and Intervention Team (TRIT)

Ce commentaire est un écho aux présentations faites dans le cadre de la tournée sur la prévention précoce. Bien que sous forme écrite, il reflète plus la liberté de pensée d’une réplique orale, qui se soucie peu de rigueur et d’exhaustivité, mais essaye plutôt de relancer le dialogue. Dans le cas présent, ce texte invite à prolonger et à nuancer les réflexions sur la prévention précoce proposées par Pierre Suesser et Sylviane Giampino. Ce matin, je me suis fâchée en lisant le journal. Le journal parlait d’Omar Khadr. Il était question de l’expertise d’un psychiatre américain qui soutenait qu’il s’agit là d’un cas de psychopathologie, d’un cerveau violent probablement, d’une personne qui n’a pas de remords. Il n’a pas de remords pour s’être défendu alors qu’il était attaqué, il n’a pas de remords alors qu’il a été emprisonné pendant huit ans, encore enfant, il a même une loyauté envers sa famille malgré le fait qu’il ait été torturé pour essayer de le faire changer d’allégeance. Il serait possible de penser que cela n’a rien à voir avec ce dont nous discutons ce soir, je pense cependant que cela parle d’une certaine lecture du monde qui envahit tous les champs sociaux et qui va de la naissance, de cette capacité de prédire ce qu’un enfant sera à la naissance, à notre interprétation d’un monde qui ne va pas très bien en ce moment. Cette hégémonie implicite de modèles génétiques, qui promeuvent une lecture individualisante des facteurs qui vont influencer le développement et le devenir d’un enfant, a une influence déterminante sur la façon de penser la prévention précoce. Je vais reprendre quatre questions que soulèvent les présentations de Pierre Suesser et Sylviane Giampino. Que voulons-nous prévenir ? Le mal-être, la mésadaptation… Oui, mais pourquoi ? Au-delà de l’intervention altruiste, on retrouve les impératifs d’un contrôle social qui essaye de prédire les dérapages, le dérèglement, l’échappé. La critique, la colère, l’opposition s’amalgament rapidement en un tout qui évoque une violence pour laquelle nos sociétés prétendent n’avoir aucune tolérance. On peut cependant se demander dans quelle mesure nos prédictions ne deviennent pas des prescriptions, dans un contexte où le discours sécuritaire envahit tous les champs sociaux. Videla, un dictateur en Argentine, disait déjà que la subversion est une maladie héréditaire et transmise. On évoquait déjà la génétique comme notion importante. Je pense que si nous regardons le contenu du discours sécuritaire des grandes dictatures d’Amérique latine du pôle Sud, dont l’Argentine, le Chili et l’Uruguay, dans les années 1970, nous sommes très près des discours sécuritaires actuels. L’impératif de l’urgence ou du danger prescrit de ne pas penser. « Il faut faire quelque chose, il faut faire quelque chose vite », nous sommes dans des logiques d’action qui demandent de ne pas prendre de temps de réflexion. Nous pouvons nous demander : est-ce qu’il y a vraiment danger ? Et je dirais oui, mais il faut se demander d’où viennent ces violences et à qui elles appartiennent. C’est une des questions clés dans le processus de réflexion et les discussions que nous avons maintenant. Je voulais également faire référence à de Certeau (1987) qui parle de la violence propre de nos sociétés : la violence administrative, la violence technocratique. René Girard (1972) parle de la violence des sociétés qui nient leur propre violence et la projettent vers l’extérieur, car il faut bien que la violence appartienne à quelqu’un. Or, toutes les sociétés ont un certain degré de violence autorisée que nous assumons, elle n’est pas bonne ou mauvaise, elle est là. Le problème, c’est de la nier parce que si nous la nions …

Appendices