Abstracts
Résumé
L’empowerment, ou la prise de pouvoir, est un terme très utilisé à notre époque. Mais comment cela se traduit-il sur le terrain ? Est-ce que tous les travailleurs et travailleuses du social en ont la même compréhension ? Pour le Bureau de consultation jeunesse, cette pratique réside dans la prise de parole des jeunes sur leur situation dans une visée de changement social. Cet article fait état d’un groupe de jeunes mères de l’organisme qui, interpellées par un sujet concernant leurs enfants, soit l’enquête sur la maturité scolaire, ont décidé de s’exprimer, de s’impliquer et de revendiquer leur droit d’avoir voix au chapitre à propos des décisions politiques les concernant.
Abstract
Empowerment is a much-used term in our time, but how does it translate in the field ? Do all workers in the social field understand it in the same way ? For the community-based Bureau de consultation jeunesse, the practice of empowerment is embodied in young people speaking out about their situation with a view to effecting social change. The paper gives an account of a group of young mothers from this community organization who, when concerned about an issue affecting their children (a survey on children’s maturity for school – Enquête sur la maturité scolaire), they decided to express their views, get involved and assert their place and role in the political decisions concerning them.
Article body
Introduction
Dans le domaine de l’intervention sociale, nous entendons de plus en plus parler d’empowerment, le fait d’aider une personne à retrouver du pouvoir sur sa vie. Pour savoir si nous appliquons réellement des pratiques en ce sens, il faut se questionner et analyser nos pratiques. Dans cet article, nous vous présenterons comment un organisme communautaire autonome, soit le Bureau de consultation jeunesse (BCJ), voit et adapte son intervention pour une réelle prise de parole de ses membres. Nous prendrons en exemple une action émanant des jeunes mères de l’organisme sur un sujet qui les a interpellées il n’y a pas très longtemps : la maturité scolaire. Dans un premier temps, nous allons situer l’organisme en faisant un bref historique et en explicitant valeurs, luttes, principes d’intervention et stratégies d’action. Dans un deuxième temps, nous ferons un retour historique sur le groupe de jeunes mères critiques, formé à la suite des recherches faites sur elles il y a plus de dix ans. Nous expliquerons dans un troisième et dernier temps l’accompagnement de ces jeunes mères dans la compréhension du concept (maturité scolaire) et leur prise de parole sur le sujet. Nous conclurons avec une réflexion sur la notion de la réappropriation du pouvoir des individus et sur les pratiques actuelles.
Présentation de l’organisme
Le BCJ est un organisme d’actions communautaires autonome qui oeuvre auprès des jeunes de 14 à 25 ans depuis 1970. Il compte plusieurs points de services sur l’ensemble du territoire du Montréal métropolitain (Montréal, Laval, Longueuil). La vision progressiste caractérisant les promoteurs du BCJ fait en sorte que l’organisme se différencie des services de l’État par son approche innovatrice favorisant la prévention comme méthode d’intervention. Le BCJ considère davantage l’ensemble de la réalité de la jeunesse, comparativement à l’approche dite plus traditionnelle. Il refuse d’agir uniquement en fonction des problèmes prédéfinis par les structures institutionnelles. Il accueille les jeunes en accordant pleine crédibilité à leur perception de la situation et en reconnaissant leur capacité à juger au mieux de leurs intérêts respectifs. Le BCJ adhère au principe que tout est politique et qu’un changement social doit avant tout se faire avec les jeunes : l’importance de son volet « Vie associative » montre que les jeunes s’impliquent activement dans la prise de décision et les orientations de l’organisme.
Le BCJ s’intéresse donc à la marginalité et aux conditions sociales des jeunes. Il privilégie l’approche globale, c’est-à-dire l’ensemble de la réalité de la personne. Son mandat principal est de soutenir les jeunes dans leur cheminement vers une plus grande autonomie et dans la recherche de solutions pour l’amélioration de leurs conditions de vie. Il veut aider les jeunes à se prendre en charge, à devenir des citoyennes et des citoyens autonomes, critiques et responsables. Il offre donc des services directs aux jeunes en faisant la promotion de leurs droits, en les aidant à se défendre, en impliquant la collectivité dans leur prise en charge et en étant un terrain d’expérimentation. Le BCJ fait la promotion des valeurs de liberté, solidarité et justice sociale : la démarche de groupe est l’instrument préconisé pour conduire les jeunes à entreprendre des actions collectives visant des changements sociaux. Il leur permet de confronter les idéologies et les valeurs et de prendre conscience de qui ils sont. Le groupe permet également d’aider à comprendre l’environnement et les politiques sociales les touchant afin d’être en mesure d’agir sur ceux-ci en revendiquant des services adaptés à leurs besoins pour améliorer leurs conditions de vie. En passant par ce processus, c’est l’expression de la citoyenneté qui s’expérimente, le sentiment d’avoir du pouvoir sur leur vie et sur la réalité qui les entoure.
Bref retour historique sur les jeunes mères critiques
Le BCJ travaille auprès des jeunes mères depuis bon nombre d’années. Dans les premières années d’intervention auprès des jeunes mères, peu ou pas de services s’adressaient à elles. Depuis, les choses ont beaucoup changé. Dans le milieu des années 1990, un groupe de chercheurs de l’Institut de recherche pour le développement social des jeunes (IRDS) de Montréal a fait une première recherche sur les jeunes mères intitulée « La Mère veille ». Vers la fin des années 1990, le BCJ a constaté que plusieurs mères de ses groupes étaient sollicitées pour y participer : le BCJ a commencé à s’y intéresser. Cela démontre bien que c’est à partir de la réalité vécue par les membres que l’organisme travaille sur un sujet, développe sa réflexion et ses actions. Il est possible de lire dans la revue Nouvelles pratiques sociales (Laurin et Stuart, 2003), un article écrit par le BCJ sur la démarche entreprise :
[…] Nous avons présenté le projet de recherche de l’IRDS et la théorie de l’attachement aux filles. […] Nous avons appris des jeunes mères qu’elles n’avaient jamais été informées des objets de la recherche ni de l’utilisation des données. Nous nous sommes donc questionnées sur la notion de consentement libre et éclairé que le chercheur se devait d’expliquer aux filles. Nous avons alors entrepris des démarches dans une perspective de respect des droits des personnes. Des rencontres avec la direction de l’IRDS et le chercheur principal ont eu lieu et, selon nous, cela devait corriger les choses. […] Nous avons donc décidé d’inviter la chercheure en question à une réunion de groupe de jeunes mères afin qu’elle réponde elle-même aux questions des participantes. C’est à partir de ce moment que les filles ont commencé à y voir un jugement arrêté sur leurs conditions et, pis encore, à comprendre qu’on les percevait comme un risque pour leur enfant
p. 216
À la suite de cette démarche effectuée auprès des jeunes mères de l’organisme, le BCJ a développé une vision critique de l’approche en prévention précoce. Il s’est affilié au Groupe d’étude critique sur la prévention précoce, groupe créé en 2000 et impliqué dans l’organisation d’un colloque en 2002 sur le sujet (Groupe d’étude critique sur la prévention précoce, 2002). Le BCJ a émis plusieurs questionnements quant aux approches et visions prônées par les théoriciens de la prévention précoce :
Sous prétexte de vérifier leurs capacités, ces programmes contribuent plutôt à les insécuriser et à démontrer leur incapacité individuelle sans qu’aucune critique sociale ne soit apportée et sans aucune responsabilité systémique. Rappelons que nous l’avions déjà observé avec les jeunes mères qui ont participé aux recherches. Bien que les chercheurs admettent que la pauvreté joue un rôle primordial dans les déterminants de la santé, l’ensemble des solutions apportées demeure individuel et centré sur l’adaptation au contexte de pauvreté. Elles ne changent en rien les rapports et les politiques qui ne cessent de désavouer le « Naître égaux » si cher à la prévention précoce
Laurin et Stuart, 2003 : p. 217
Le constat n’a pas changé aujourd’hui et tend même à s’intensifier. Les individus de notre société et, dans ce cas-ci, les jeunes mères sont analysés par le biais de l’école de pensée positiviste. Gingras et Lacharité l’expliquent bien : « grâce à la science qui révèle la vérité, la bonne conduite de la vie repose sur une chaîne d’experts allant des scientifiques aux professionnels, aux parents et finalement aux enfants » (2009 : p. 137). C’est donc à une pensée imposée venant de « spécialistes » de ce qu’est la normalité et donc de la « bonne » parentalité que nous sommes confrontés jour après jour.
Recherche sur la maturité scolaire
En 2006, la Direction de la santé publique (DSP) de l’Agence de la santé et des services sociaux (ASSS) de Montréal a réalisé une enquête sur la maturité scolaire des enfants de cinq ans, âge de la maternelle. Celle-ci avait pour but d’« évaluer les forces et les faiblesses de groupes d’enfants et d’attirer l’attention sur le niveau de risque existant chez ces groupes » (McKenzie, 2009 : p. 1) au moyen d’un questionnaire intitulé Instrument de mesure du développement de la petite enfance (IMDPE ; DSP, 2011). Lors de la sortie des résultats, les différentes régions métropolitaines devaient organiser un « sommet local sur la maturité scolaire » pour les présenter et pour discuter d’actions qui pourraient être prises pour aider les enfants en difficulté. C’est à ce moment que les différents partenaires qui travaillent auprès des enfants et auprès des parents ayant de jeunes enfants ont été interpellés.
Nous pouvons lire dans l’édition spéciale du journal Trouvé (journal du BCJ), intitulée « La maturité scolaire : ses défis et ses enjeux » : « Le BCJ a choisi de présenter cette enquête aux jeunes mères du sud-ouest de Montréal pour les informer, connaître leurs opinions à ce sujet et les mobiliser à venir prendre la parole lors du sommet local » (BCJ, 2009 : p. 4). Pour ce faire, l’organisme est parti de l’outil IMDPE et l’a présenté à l’un des groupes de jeunes mères. Plusieurs réflexions, questionnements et réactions ont émergé. Cela a amené les intervenantes et intervenants du BCJ à se questionner également.
Les jeunes mères se sont interrogées sur la méthode employée pour recueillir les informations sur les enfants : « Le questionnaire servait à évaluer les enfants selon la connaissance et les observations que ces professeurs en avaient, et ce, quelques mois après le début de l’année scolaire » (Ibid., 2009 : p. 4). Le fait qu’une seule personne soit l’observatrice de l’enfant, l’enseignante qui ne connaissait les enfants que depuis quelques mois, a laissé les mères sceptiques quant à la validité des résultats. Celles-ci ont également reproché à certains critères d’évaluation d’être soit trop flous, soit teintés d’exigences trop élevées :
Par exemple, nous trouvons dans la catégorie des enfants vulnérables, un enfant qui « ne manifeste peut-être pas encore une préférence pour une main en particulier ; est peut-être maladroit ; à un niveau d’énergie moyen et un développement physique moyen ». Selon les commentaires recueillis, les mots « peut-être » et « moyen » sont très subjectifs et peuvent être facilement interprétables de diverses façons. […] « Pourquoi est-ce que cela est un problème si l’enfant n’a pas de préférence de main, il peut être ambidextre ! »
Ibid., 2009 : p. 4
Elles ont aussi parlé des valeurs de notre société en mentionnant que les exigences avaient bien changé.
« Avant, la maternelle était moins exigeante, elle ne demandait pas autant aux enfants. C’est à la maternelle qu’on apprenait toutes sortes de choses qu’il faut maintenant savoir avant de la commencer. » Selon elles, de nos jours, nous stimulons trop les enfants. « Les enfants n’ont plus d’imagination parce qu’à deux ans, il faut que tu saches lire ! Avant, les enfants jouaient et inventaient des jeux. »
Ibid., 2009 : p. 5
Le 22 janvier 2009 a donc eu lieu le sommet local et cinq jeunes mères de l’organisme y ont participé. La première partie de cette journée avait pour objectif de dévoiler les résultats du territoire local, la deuxième étant concentrée sur des groupes de discussion. Les cinq membres du BCJ ont donc pu donner leurs opinions malgré leurs diverses peurs : s’exprimer devant des « professionnels », ne pas être considérées, être jugées.
Dans les semaines suivant le Sommet local portant sur la maturité scolaire sur le territoire de Lachine-Lasalle-Dorval, le BCJ a reçu des échos des différents intervenants présents lors de cette journée. Les personnes ont mentionné que les jeunes mères « participaient bien, qu’elles avaient pris leur place et qu’elles avaient des commentaires très appropriés ». Il a aussi été dit que les filles « avaient une belle vision globale des choses, qu’elles pouvaient suivre les enjeux, notamment les enjeux sociaux [et] qu’elles [étaient] prêtes à s’impliquer » (Ibid., 2009 : p. 6).
Pour le BCJ, cela est le résultat de l’expression de la citoyenneté. En effet, des jeunes citoyennes se sont senties interpellées par un sujet les touchant directement. Elles se sont mobilisées pour participer à un événement où elles pouvaient prendre la parole, exprimer leurs opinions et prendre du pouvoir sur leur réalité.
Lors de la journée du 22 janvier, les organisateurs ont annoncé la venue d’un sommet régional qui rassemblerait l’ensemble des partenaires de l’Île-de-Montréal ; les participants de la journée seraient invités à s’y joindre. Enthousiastes à l’idée de pouvoir participer activement aux prises de décision les concernant, les mères du BCJ ont immédiatement manifesté leur intérêt. Pour elles, il allait de soi qu’elles allaient continuer à s’impliquer, elles devaient être partie prenante des décisions politiques qui toucheraient leurs enfants. Quelque temps plus tard, l’organisme a appris que les 300 places étaient déjà réservées : les membres du BCJ ne pourraient pas y participer. La DSP avait lancé un nombre limité d’invitation aux Centres de santé et de services sociaux (CSSS) qui devaient choisir les personnes représentant leur secteur : « Étant donné le nombre limité de places, il y a des places réservées à quelques parents et c’est le comité régional sur la maturité scolaire qui a proposé des noms » (Ibid., 2009 : p. 2).
À la suite de cette réponse, les jeunes mères membres du BCJ ont exprimé leur incompréhension et leur colère. Elles ne trouvaient pas normal de ne pas être partie prenante des décisions politiques qui allaient les toucher, elles et leurs enfants. Un sentiment d’impuissance s’en est suivi et le groupe s’est demandé ce qu’il pouvait faire. Une discussion portant sur les droits et libertés a eu lieu sur les différentes possibilités de prise de parole. C’est alors qu’une mère a eu l’idée d’écrire une lettre d’insatisfaction qu’elle voulait remettre aux organisateurs du Sommet régional sur la maturité scolaire. De plus, l’idée de manifester le jour du Sommet régional, le 28 mai, a été retenue.
Le BCJ a alors accompagné le groupe dans ce processus d’exercices de la citoyenneté. Pour écrire une lettre qui représenterait l’ensemble des mères de l’organisme, la jeune membre est allée faire une présentation à chacun des groupes de jeunes mères (deux groupes dans le Sud-Ouest et deux au Centre-Nord de Montréal ainsi que le groupe de Longueuil). Lors de ces rencontres, elle a pu présenter l’outil de mesure de la maturité scolaire, mettre en contexte cette étude et recueillir les réactions des personnes des groupes. À partir de tous ces commentaires et de ce qu’elle avait retenu de la Charte des droits et libertés de la personne, elle a écrit une lettre à remettre lors de la journée de la manifestation (voir annexe I). Ces rencontres ont également donné le goût à d’autres mères d’écrire ce qu’elles pensaient (voir exemple en annexe II) et de participer activement aux démarches. Elles ont, entre autres, dû se préparer à répondre aux questions au cas où des journalistes se présenteraient. De son côté, le BCJ a fait appel aux différents partenaires avec lesquels il travaille et a envoyé un communiqué de presse aux médias.
Le BCJ a pu participer directement au sommet sur la maturité scolaire puisqu’il s’y est fait inviter comme représentant d’une table de concertation. Une jeune mère du conseil d’administration de l’organisme a également pu s’y joindre au nom d’un regroupement famille. En tout, 12 parents parmi 322 participants et conférenciers étaient présents dans la salle. « Un mandat a été donné au BCJ de la part des jeunes parents membres : remettre une lettre d’indignation signée de leur main disant aux décideurs que dans une société démocratique, les citoyens veulent et doivent participer aux débats et aux décisions qui les concernent » (BCJ, 2009 : p. 3).
Pendant qu’une manifestation pacifique avait lieu à l’extérieur, la jeune membre du BCJ distribuait la lettre d’indignation aux centaines de personnes qui venaient assister au sommet régional sur la maturité scolaire. Malgré les nombreuses tentatives de contrôle de la DSP pour empêcher la jeune femme de prendre la parole, celle-ci a réussi à prendre le micro et à faire part aux participants des raisons qui motivaient les actions de la journée.
Ce processus de réflexion et de conscientisation s’est continué dans le temps. Les travailleurs et travailleuses du BCJ ont dû s’approprier cette démarche et faire en sorte que les jeunes parents des différents points de service de l’organisme puissent y être sensibilisés. Une animation a été créée pour permettre aux parents de parler de leurs expériences eu égard aux exigences scolaires de leur enfant et de réfléchir sur plusieurs sujets tels que : décrochage scolaire ; âge pour être une bonne mère ; perception de la société sur des mères de moins de 25 ans ; meilleur intérêt des enfants ; la possibilité d’expérimenter un processus décisionnel par une mise en situation d’une table de concertation ; compréhension des concepts idéologiques derrière les programmes d’intervention auprès des jeunes mères (c’est-à-dire les concepts sur la prévention précoce).
Conclusion
Comme il est possible de le constater à la lecture de ces expériences, le BCJ s’inscrit dans une perspective constructiviste et critique. Pour l’organisme,
la réalité n’existe pas en dehors de la pensée de la personne. [Les travailleurs et travailleuses vont] aller chercher de quelle manière les êtres humains voient et ressentent la réalité qu’ils vivent. [La personne] est au centre des phénomènes, car c’est [elle] qui [lui] donne un sens
Seye, 1996 : p. 20
Cette école de pensée s’oppose donc au courant dominant actuel, c’est-à-dire au positivisme.
En prenant un exemple comme celui cité plus haut, les intervenantes et intervenants auraient pu être les seuls à se rendre au Sommet local sur la maturité scolaire ou encore inviter les jeunes mères en leur disant que c’était « bon » pour elles. Ils auraient pu « moraliser » leurs réactions si celles-ci avaient été « négatives » en leur laissant voir que c’est pour le bien des enfants que tout cela est fait. L’organisme aurait pu inviter les membres sans leur présenter de quoi il était question, sans prendre le temps d’en faire une analyse préalable.
Le BCJ a un principe de transparence et croit au consentement libre et éclairé. Cela implique que pour avoir une opinion et prendre des décisions librement, il faut connaître tous les aspects d’une situation, être éclairé. Cela exige un temps d’analyse, une place pour faire des débats, donner la chance aux personnes concernées de bien comprendre la situation afin de s’exprimer en toute légitimité et d’agir en cohérence avec leurs valeurs. Dans cet exemple, l’organisme a pris le temps de connaître et de comprendre les fondements théoriques des approches préconisées par les dirigeants et les chercheurs affiliés. Il les a transmis aux mères de l’organisme en examinant les valeurs auxquelles ils se rattachent. Des discussions et des débats ont eu lieu et les travailleuses et les travailleurs ont entendu les jeunes sans « moraliser » leurs réactions, mais plutôt en relançant le débat pour approfondir la réflexion. Cela a permis aux jeunes mères de mettre des mots sur des incompréhensions, sur le monde qui les entoure, sur les politiques qui les touchent.
Le BCJ laisse donc la place aux jeunes, soit à l’autodétermination de qui ils sont. Il n’est pas là pour leur apprendre quelle est la « bonne » manière d’agir et de penser, mais vise plutôt à les engager dans un processus de réflexion sur leurs valeurs, croyances, aspirations et à agir en conséquence. Les actions des jeunes sont porteuses de sens, porteuses de changement. Ils sont les experts de leur propre vie et ce préjugé favorable leur permet d’être les créateurs de leur propre vie. Telle est la façon dont l’organisme conçoit l’éducation populaire. Paolo Freire, un pédagogue du xxe siècle écrivait que « Personne n’éduque autrui, personne ne s’éduque seul, les hommes s’éduquent ensemble par l’intermédiaire du monde » (cité dans Danvers, 2009 : p. 186).
Appendices
Annexes
Annexe I. Pétition concernant la maturité scolaire
Nous sommes présents aujourd’hui pour manifester contre la décision d’exclure les parents lors du Sommet montréalais sur la maturité scolaire. En tant que personnes directement concernées par ce refus, nous voudrions partager nos revendications concernant la recherche sur la maturité scolaire.
Parce que les parents devraient avoir leur place au Sommet régional sur la maturité scolaire de la même manière qu’aux sommets locaux.
Parce que nous avons le droit d’être informés. Nous voulons tout savoir et non seulement ce que vous trouvez pertinent de dévoiler au public.
Parce que le gouvernement devrait considérer la parole des citoyens aussi importante que celle des « grands experts ».
Parce que ce sont les parents qui sont les mieux placés pour connaître les besoins de leurs enfants. Nous considérons être experts dans les situations que nous vivons.
Parce que nous sommes outrés de voir le peu de considération que vous donnez à notre opinion.
Parce que le gouvernement veut de l’implication de la part des parents, mais nous ferme la porte au nez quand vient le temps de le faire.
Parce que nous devrions être en mesure de donner nos opinions, nos accords et nos désaccords.
Parce que nous devrions prendre part aux décisions qui affecteront notre futur, celui de nos enfants et de nos petits-enfants.
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Nous aimerions vous rappeler quelques phrases de la Charte des droits et libertés de la personne :
3. Toute personne est titulaire des libertés fondamentales telles la liberté de conscience, la liberté de religion, la liberté d’opinion, la liberté d’expression, la liberté de réunion pacifique et la liberté d’association.
44. Toute personne a droit à l’information, dans la mesure prévue par la loi.
C’est pourquoi nous, citoyens et citoyennes, réclamons un réel débat public concernant la maturité scolaire.
Annexe II. Réflexion sur la maturité scolaire : Un texte de Simonne[*], étudiante
Bonjour chers lecteurs et lectrices,
Je me présente : je suis une femme, une mère d’un jeune et merveilleux petit garçon et étudiante à l’école des adultes. Deux amies du programme « Ma place au soleil » et moi-même avons participé au Sommet local sur la maturité scolaire de Lachine, sur les jeunes enfants de 5 ans. Cet événement avait pour but de nous informer sur « les résultats de l’enquête dans le territoire de Lachine » la mesure prise pour évaluer la capacité des enfants à commencer l’école. Ceci afin de débattre sur la meilleure prévention et les solutions pour augmenter les chances des tout-petits pour leur rentrée scolaire, afin de prévenir le décrochage scolaire.
L’après-midi était consacré à discuter en ateliers. Nous nous sommes séparées pour retrouver des petits groupes pour échanger et faciliter le pouvoir de nous exprimer. Dans le but de prioriser une sphère que nous jugeons la plus importante à améliorer afin de mettre sur pied des solutions, des programmes, enfin, des choses qui permettraient d’améliorer la situation de ce problème (prévenir le décrochage) si important aux yeux de la majorité des gens. Tout cela dans le but d’assurer un meilleur avenir à nos enfants ou futurs petits-enfants.
Bref, pour ma part, après avoir écouté les témoignages des gens sur place, j’ai senti qu’ils visaient beaucoup les jeunes mères monoparentales. C’est une impression que j’ai eue malheureusement. L’une des choses que j’ai comprises de cette conférence c’est que si un enfant n’est pas particulièrement « toujours prêt à aider un camarade, est turbulent, a tendance à avoir de l’agressivité, n’est pas habillé convenablement, est beaucoup agité » et j’en passe, cet enfant est jugé ne pas avoir les qualités requises et est plus particulièrement apte à décrocher l’école, mais… hum… à mon humble avis, je crois que ceci est plutôt ridicule. Écoutez, moi, à l’époque où j’ai commencé la maternelle nous n’avions pas besoin de savoir écrire, attacher nos souliers ou bien être ouvert aux autres ou être toujours prêt à aider. Une chance, parce que moi j’étais une élève très timide et réservée et j’aurais sûrement échoué le test, car je n’avais pas acquis tous les critères recommandés qui demandent à être appris aujourd’hui pour être prête à commencer l’école, car ceci nous était montré par le professeur. Même, il n’y a pas si longtemps une petite cousine de mon entourage a commencé la maternelle, et elle est arrivée avec un diplôme comme quoi elle avait appris à attacher ses souliers toute seule. Alors, il y a 3 ans, ceci était encore montré à la maternelle, mais pourquoi plus aujourd’hui ? Ceci sert-il à enlever des tâches à accomplir par le professeur ? Si l’enfant sait écrire, est capable de compter, de sociabiliser, de s’exprimer, d’aider les autres, à bien accomplir ce qui lui est demandé, à quoi sert la maternelle ? Quelle tâche est réservée au professeur si tout lui est montré avant la maternelle ? À ce que je sache, la maternelle est une transition entre la maison et la première année. Pour apprendre justement à respecter les règlements, apprendre à sociabiliser, à devenir plus responsable. Si un enfant est trop surchargé de travail et que cela ne laisse plus de place à l’imagination et à une liberté d’expression, dites-moi comment cela le motiverait à poursuivre des études à long terme ? Donnez-leur une chance de vivre un peu leur enfance, c’est le seul temps qu’ils auront à eux parce qu’à l’âge adulte, avec les responsabilités, le travail, et tout ce que la vie nous demande, ils n’auront plus de temps à eux. D’après moi, même si les enfants ont toutes les qualités requises pour débuter leur maternelle, ceci ne veut pas dire qu’ils ne vont pas abandonner l’école plus tard.
Je crois que le problème vient de la société dans laquelle on vit. On vit dans un monde trop individualiste et trop surchargé. En plus d’enseigner à nos enfants les valeurs, la propreté et tout ce qu’ils doivent apprendre pour être une personne entière, il nous faudrait leur montrer aussi tout ce qu’ils sont supposés apprendre à la maternelle avant même de l’avoir commencé. Donnez une chance aussi aux parents. Écoutez, entre le travail, les travaux ménagers et tout ce que la vie quotidienne demande, où est le temps de pouvoir leur montrer tout ça ? Moi-même étudiante, je ne trouve pas le temps. Après la semaine, je suis épuisée et au lieu de pouvoir passer du temps à m’amuser avec lui et avoir du plaisir je serais obligée de l’assoir et lui apprendre des choses, qui peut-être ne l’intéressent pas, après une journée à la garderie. Il voudrait peut-être plus prendre du temps pour l’affection et la tendresse avec sa maman. Est-ce qu’ils peuvent avoir une vie d’enfant avant de commencer leurs vingt ans d’études ? N’oublions pas que ce sont des enfants et non des petits adultes ou peut-être même petits robots, il leur faut une vie d’enfant, d’imagination pour pouvoir être prêts à commencer l’école : ceci est supposé être un processus normal. Alors, on peut se poser la question maintenant : pourquoi les gens tombent en dépression et décrochent ? À mon avis, ceci se produit sans doute parce que les gens ne prennent pas le temps de vivre, mais plutôt sont embarqués dans une vague qui les pousse à seulement travailler, travailler, travailler et non profiter des joies de la vie.
Avant de terminer je voudrais remercier les gens qui nous ont permis d’assister à cet événement et plus spécialement à [la travailleuse communautaire]. Sans elle, nous n’aurions pas été présentes et n’aurions pas pu nous défendre sur ce sujet qui nous tient à coeur. En ce qui me concerne, ceci m’a aidée à prendre conscience que mon voeu le plus cher, c’est que mon enfant vive la vie qu’il veut en faisant les choix appropriés pour un avenir que lui considérera convenable à ses désirs pour une vie dans laquelle il sera heureux et épanoui.
Merci d’avoir pris le temps de lire ce que j’avais à vous dire.
Simonne
Les noms cités dans cet article sont des noms fictifs par respect de la confidentialité.
Note biographique
Carole Drolet est intervenante dans un organisme communautaire famille à Sherbrooke et étudiante à l’intérieur de deux certificats universitaires (Santé mentale : fondements et pratique ; Histoire). Elle a été travailleuse communautaire au Bureau de consultation jeunesse (BCJ) de 2003 à 2010 dans les milieux lavallois puis montréalais. Elle s’est particulièrement engagée dans l’accompagnement des jeunes mères dans le dossier sur la maturité scolaire. Travailleuse et militante, elle a également été membre du comité organisateur d’ATTAC-Montréal et siège actuellement au conseil d’administration de l’organisme de défense des droits des travailleuses et travailleurs non syndiqués Illusion Emploi à Sherbrooke.
Bibliographie
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- Gingras, M.-A. et C. Lacharité (2009). « Trois perspectives sur la personne, la famille et le changement », dans C. Lacharité et J.-P. Gagnier, Comprendre les familles pour mieux intervenir : Repères conceptuels et stratégies d’action, Boucherville, Gaëtan Morin Éditeur, 130-154.
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