À l’instar de la médiation artistique dans la santé et le social, Loser pose un regard d’ensemble sur les réalités relatives aux pratiques de médiation artistique hors du domaine thérapeutique. Il vise à identifier les enjeux de cette pratique ; à offrir un espace de réflexion pour les praticiens ; à définir cette pratique telle qu’elle se développe dans les programmes de travail social. Suivant ses interlocuteurs scientifiques issus de la philosophie esthétique, de la phénoménologie et, dans une moindre mesure, de la psychanalyse, l’auteur postule que l’esthétique, comme dispositif de connaissance irréductible à la raison instrumentale et à la morale, conjugue l’agir et la sensibilité. S’appuyant sur Gadamer, qui conçoit l’événement artistique comme une expérience singulière totale, l’auteur propose l’hypothèse suivante : la création artistique relèverait moins d’une démarche thérapeutique que d’une expérience où les participants éprouveraient pleinement leur humanité. Ainsi, de se questionner Loser, le paradigme thérapeutique ne céderait-il pas le pas à celui du lien social ? Pour répondre à cette question, il situe ses observations dans des ateliers de création d’arts plastiques pour adulte. Ensuite, l’auteur invite trois praticiennes à expliciter leur pratique afin de clarifier certaines zones d’ombre liées aux frontières entre la portée expressive et existentielle de la médiation artistique, zones d’ombre qui se dégagent des observations en ateliers. Son ouvrage est divisé en trois chapitres : dans le premier, il expose son cadre conceptuel et méthodologique et, dans les deux autres, il analyse les résultats de sa recherche. Dans son premier chapitre, Loser documente les discours sur les pratiques qui recourent aux arts plastiques dans le travail social, l’enseignement et la thérapie. Il note que la médiation artistique se situe sur un continuum : à une extrémité, on retrouve la pédagogie active, en passant par le développement personnel et le questionnement existentiel. À l’autre extrémité se trouve l’enseignement artistique. Du reste, connaissance, lien social, expression, langage, manière d’exister, sont des réalités qui traversent ce continuum. Suivant ce constat, Loser remarque que les ateliers incitent les participants à explorer une poétique du monde où se chevauchent le symbolique et l’existentiel. Pour saisir les subtilités de ces espaces, il puise chez deux penseurs pivots, soit Gadamer et Kerlan, en ratissant les contributions de St-Giron, Cometti, Henry, Huizinga et Winnicott. Son intérêt pour ces auteurs repose sur cette conciliation entre le sensible de l’esthétique et la connaissance. S’appuyant sur le concept de cognitivo sensitiva de Kerlan, Loser suggère que c’est par l’expérience esthétique qu’est dépassé ce clivage cartésien entre corps et esprit. Par extension, l’expérience esthétique, comme le suggère Gadamer, est une manière d’éprouver la totalité de l’être. Qui plus est, s’inspirant de Gadamer et Henry, Loser démontre que l’art permet à celui qui s’y abandonne de se distancer à la fois de la pesanteur terrestre et de la souffrance. En cela, le coeur de son cadre conceptuel relève du parallèle entre l’expérience esthétique et le symbolique, le jeu, la fête et la cérémonie. En effet, Loser démontre qu’en plus de leur dimension relationnelle, libre et créative, ces moments de création impliquent également une temporalité suspendue en dehors de celle qui marque l’affairement quotidien. En outre, tout comme le jeu, la fête et la cérémonie, l’art constitue une présencesui generis. De plus, l’aspect symbolique de l’art se situerait aux confins du dévoilement et de la dissimulation. En effet, l’oeuvre ne renvoie pas à un sens auquel on pourrait accéder intellectuellement, mais incarne plutôt un sens en elle-même. Son analyse prend appui sur la théorie littéraire et l’analyse linguistique de Molino et Lafhail-Molino. Dans le deuxième chapitre, il pose une réflexion approfondie sur le journal …
Francis Loser, La médiation artistique en travail social : enjeux et pratiques en atelier d’expression et de création, Genève, Institut d’études sociales (IES) Éditions, 2010, 272 p.[Record]
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Sonia Hamel
Département de sociologie-anthropologie, Université de Concordia