La faculté d’agir ensemble est « le miracle qui sauve le monde, le domaine des affaires humaines, de la ruine normale, “naturelle” » (1983 : 278). C’est ce qu’affirme Hannah Arendt qui considère que « c’est la possibilité d’action qui fait de l’homme un être politique ; elle lui permet d’entrer en contact avec ses semblables, d’agir de concert, de poursuivre des buts et de forger des entreprises » (1972a : 193). Cette possibilité qu’ont les gens d’agir ensemble, Hannah Arendt en parle comme d’une responsabilité. Elle la définit comme le contraire de la résignation « si caractéristique de l’Europe durant la dernière guerre » (1980 : 68). Saul Alinsky (1976 : 64) considérait lui aussi la résignation comme le plus puissant frein à l’action. Selon lui, une telle résignation, qui « plonge dans l’inaction totale » et engendre une « inertie cachée et pernicieuse », représente « l’ennemi de l’intérieur » le plus redoutable. Stéphane Hessel (2010 : 14) abonde dans le même sens : « La pire des attitudes est l’indifférence, dire “je n’y peux rien, je me débrouille”. » En se comportant ainsi, estime-t-il, on perd « l’une des composantes essentielles qui fait l’humain […] : la faculté d’indignation et l’engagement qui en est la conséquence ». S’indigner, dire non, refuser collectivement les situations qu’on juge inacceptables, voilà autant d’attitudes indispensables à la décision de passer ensemble à l’action. Attitudes indispensables certes, mais non courantes, et même plutôt rares. S’indigner collectivement pour ensuite s’engager ensemble dans l’action ne serait pas facile. D’où la pertinence d’intervenir pour favoriser une telle démarche, autant pour la susciter que pour la supporter. Le présent dossier de NPS porte sur les pratiques d’intervention visant à soutenir l’action collective. De telles pratiques, développées au Québec à partir des années 1960, sont depuis cette époque reconnues comme « méthode du travail social » (Comeau et St-Onge, 2008 : 1) et font l’objet d’enseignement dans les programmes de formation en travail social. Officialisée sous le vocable d’organisation communautaire lors de la création des centres locaux de services communautaires (CLSC) durant les années 1970, cette pratique est loin d’être limitée au réseau étatique de santé et de services sociaux. Elle est même davantage répandue dans les organismes communautaires malgré le fait que les intervenants n’y portent généralement pas ce titre d’emploi ; en effet, constatent Comeau et al. (2008 : 19), « dans le réseau communautaire, il existe plutôt un éclatement dans la manière de nommer cette fonction, que l’on désigne de diverses façons ». Quelle que soit son appellation, cette pratique se définit comme « une intervention salariée avec un groupe de personnes, une association ou une collectivité… [qui] identifie les problèmes, mobilise des ressources et développe une action collective pour y répondre » (Ibid. : 12). Nous nous référons donc à une pratique professionnelle qui a comme spécificité, selon Bourque et Lachapelle (2010 : 8), de « miser sur l’action collective et la participation comme vecteur de changement social ». Ces auteurs distinguent toutefois cette pratique de son objet, à savoir l’action communautaire et ils précisent (Ibid. : 9) : « L’action communautaire existe donc en elle-même indépendamment de l’organisation communautaire, mais elle gagne à être soutenue par l’expertise et les ressources de cette pratique professionnelle. » Le contexte dans lequel s’exerce cette pratique, tant en milieu institutionnel que communautaire, s’est considérablement modifié depuis 50 ans. Les auteurs sont nombreux à s’être penchés sur ces transformations et à avoir examiné leurs incidences sur la pratique. Dans les Centres de services sociaux et de santé (CSSS), structures qui ont intégré les …
Appendices
Bibliographie
- Alinsky, S. (1976 [1971]). Manuel de l’animateur social : une action directe non violente, Paris, Seuil.
- Arendt, H. (1972a). Du mensonge à la violence : essais de politique contemporaine, Paris, Calmann-Lévy.
- Arendt, H. (1972b). Le système totalitaire, Paris, Seuil.
- Arendt, H. (1980). « Compréhension et politique », Esprit, vol. 42, 66-79.
- Arendt, H. (1983). Condition de l’homme moderne, Paris, Calmann-Lévy.
- Bourque, D. et R. Lachapelle (2010). Service public, participation et citoyenneté : l’organisation communautaire en CSSS, Québec, Presses de l’Université du Québec.
- Comeau, Y. et M. Saint-Onge (2008). « Des recherches et essais sur l’organisation communautaire contemporaine », Service social, vol. 54, no 1, 1-5.
- Comeau, Y., Duperré, M., Hurtubise, Y., Mercier, C. et D. Turcotte (2008). « Phénomènes d’influence sur la structuration de l’organisation communautaire au Québec », Service social, vol. 54, no 1, 7-22.
- Doré, G. (1985). « L’organisation communautaire : définition et paradigme », Service social, vol. 34, nos 2-3, 210-230.
- Hessel, S. (2010). Indignez-vous !, Montpellier, Indigène éditions.
- Lachapelle, R. et D. Bourque (2008). « Les pratiques d’organisation communautaire en CSSS à l’épreuve des programmes de santé publique », Service social, vol. 54, no 1, 23-39.
- Lamoureux, H. (1991). L’intervention sociale collective : une éthique de la solidarité, Sutton, Le Pommier éditeur.
- Lamoureux, H. (1999). Les dérives de la démocratie : questions à la société civile québécoise, Montréal, VLB éditeur.
- Lamoureux, H. (2010). La pratique de l’action communautaire autonome : origine, continuité, reconnaissance et ruptures, Québec, Presses de l’Université du Québec.
- Kempf, H. (2011a). L’oligarchie, ça suffit, vive la démocratie, Paris, Seuil.
- Kempf, H. (2011b). « Il est vital pour l’oligarchie de maintenir la fiction d’une démocratie », entretien avec Linda Maziz, 10 mars, Bastamag. En ligne : http://www.bastamag.net/article1450.html, consulté le 29 avril 2011.