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NPS Pour le bénéfice des lecteurs de la revue Nouvelles pratiques sociales, pourriez-vous nous rappeler brièvement votre trajectoire militante et professionnelle et nous préciser vos responsabilités à la TROC Mauricie – Centre-du-Québec ?

Je suis un employé de la TROC depuis le 10 janvier 1994. Cela fait donc environ 15 ans. Je suis coordonnateur depuis 1995. Auparavant, j’ai travaillé dans deux maisons de jeunes : une à Trois-Rivières appelée Alternatives Jeunesse et brièvement dans une maison de jeunes située à Louiseville. Et si on veut parler du mouvement communautaire dans son ensemble, qu’il soit autonome ou non, j’ai aussi travaillé dans un centre communautaire de loisirs pendant deux ans à Trois-Rivières. J’ai également travaillé pendant 11 mois en 2001 et 2002 comme attaché politique du député de Trois-Rivières et ministre du Revenu, Guy Julien. Guy Julien était alors ministre en charge de la région de la Mauricie, ce qui signifie qu’il était aussi en charge du dossier politique pour les groupes communautaires. Ça a été une belle expérience pour voir sur quelles bases fonctionne l’appareil politique.

NPS Pouvez-vous nous dire en quelques mots qu’est-ce qu’une TROC ? Où est-ce que ça se situe dans la nébuleuse des milieux communautaires au Québec ?

En général, parce qu’il y a des variantes de région en région, une table régionale d’organismes communautaires regroupe principalement ou uniquement des organismes communautaires qui oeuvrent dans le secteur de la santé et des services sociaux. Une de ses tâches, c’est de réunir les groupes communautaires sur une base intersectorielle pour qu’ils se concertent au plan régional, afin d’établir des positions communes sur des sujets d’intérêt. Chacune des tables régionales des 16 régions sociosanitaires au Québec est reconnue par son agence de santé et de services sociaux, le bras du ministère de la Santé et des Services sociaux au plan régional. L’Agence est reconnue comme l’interlocuteur privilégié pour l’ensemble des groupes communautaires par son mandat de gestion du programme de soutien des organismes communautaires, communément appelé le PSOC.

Les TROC donnent aussi des services directs à leurs membres, de l’information, des programmes de formation ; encore là, c’est variable. Les missions des diverses TROC ont en commun la promotion de l’action communautaire en santé et services sociaux. Il y a aussi l’éternel et obligatoire dossier du financement des organismes communautaires avec son dossier jumeau de l’autonomie. C’est donc d’obtenir davantage de soutien financier du MSSS tout en permettant aux groupes communautaires d’actualiser leur propre mission avec ce financement et non pas d’être de simples sous-traitants des établissements publics dans les services à la population. Les 16 TROC au Québec sont coiffés par un organisme qui s’appelle la Coalition des TROC. C’est notre regroupement provincial qui existe, de mémoire, depuis 1996-1997. La TROC Mauricie – Centre-du-Québec a d’ailleurs participé à la création de cette coalition.

NPS La TROC Mauricie – Centre-du-Québec est-elle l’une des premières à avoir été créées au Québec ?

Oui. En 1989, le ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) a soumis un avant-projet de loi dans lequel il envisageait la création d’une régie régionale dans chacune des régions du Québec. Ces régies régionales deviendraient les nouveaux interlocuteurs des groupes communautaires. Alors en 1991, on s’est assis autour d’une table dans la région et on a décidé de se mettre ensemble pour faire face à ce nouvel interlocuteur et, depuis ce temps, on poursuit. On pense que ça a été une bonne idée de se concerter, de se mobiliser et de se solidariser avant d’avoir affaire à une nouvelle instance du gouvernement.

NPS La création des TROC a donc été une innovation à plusieurs égards. Les organismes communautaires se regroupaient maintenant sur une base territoriale et régionale plutôt que sectorielle.

Effectivement, c’était le cas. On a constaté que c’était un défi important, ce l’est même encore aujourd’hui. Il faut réussir à convaincre les organismes communautaires à travailler sur la dimension territoriale. Ça demeure un défi d’amener les groupes communautaires à considérer qu’il y a des dossiers, des enjeux et des sujets d’intérêt qui transcendent les secteurs. Il faut donc se donner des mécanismes et des lieux de concertation pour travailler ces dossiers transversaux afin d’être en mesure de prendre des positions ensemble. Ce défi est important. Je pense qu’historiquement le soutien financier de l’État par problématique aux groupes communautaires a amené la création des regroupements d’organismes communautaires provinciaux et régionaux sur une base sectorielle. Quand on regarde les secteurs, ils sont pour un certain nombre intimement liés à des programmes du réseau public de la santé et de services sociaux ; on peut donner l’exemple de la santé mentale, de la déficience, du soutien à domicile. Ce qui fait qu’il y a une forte culture qui s’est développée dans le monde communautaire, où la dimension sectorielle est la référence, la façon de réfléchir à son développement, ses besoins et ses enjeux. Avec la création des TROC, il existe désormais une instance pour l’ensemble des groupes communautaires sur un même territoire. Il faut donc convaincre les groupes de consacrer du temps aussi à ces dimensions territoriales. Il y a des enjeux qui doivent être traités collectivement, tous secteurs confondus.

NPS Alors la question de l’existence et du développement des TROC serait liée à la transformation du MSSS et sa régionalisation au début des années 1990…

En fait, c’est intimement lié. Je pense que s’il n’y avait pas eu la régionalisation du réseau de la santé et des services sociaux et, dans un deuxième temps, la régionalisation du programme de soutien aux organismes communautaires (PSOC) en 1994-1995, nous n’aurions pas aujourd’hui de tables régionales d’organismes communautaires en santé et services sociaux parce que les gens n’auraient pas vu l’intérêt de développer ce type de regroupement.

NPS Parce que les organismes ont aussi leur ancrage local et régional, n’est-ce pas ?

Concrètement, un groupe communautaire, au-delà du secteur, a d’abord et avant tout un ancrage local. L’immense majorité des 3129 groupes soutenus par le programme de soutien aux organismes communautaires au Québec, qu’ils soient gérés régionalement ou nationalement, sont des organismes locaux. Il y a une série d’organismes communautaires qui couvrent plus d’un territoire local, voire une centaine de groupes dits nationaux, incluant les regroupements. Mais reste qu’il y a plus de 2000 organismes qui agissent sur une base locale. Donc, c’est ton territoire, c’est ta communauté d’appartenance qui teinte d’abord tes pratiques et qui donne une culture à ton organisme communautaire. Évidemment, la référence au secteur et à la problématique reste aussi importante. Une maison de jeunes, par exemple, membre d’un regroupement de maisons de jeunes, met en application le cadre de référence du Regroupement des maisons de jeunes du Québec ; ça influe énormément sur les pratiques et les activités. Mais le terrain va toujours avoir une importance cruciale. Une maison de jeunes située dans le quartier Rosemont à Montréal et une maison de jeunes située à Chibougamau, ce sont des réalités et des dynamiques totalement différentes.

NPS Beaucoup de choses se sont dites sur la régionalisation, sur ses bienfaits et ses effets pervers concernant les organismes communautaires. Quel bilan en faites-vous ?

Le bilan est positif. Je sais que ce bilan n’est pas partagé dans d’autres régions du Québec, et il n’est pas non plus partagé pour l’essentiel sur le plan provincial par les regroupements sectoriels d’organismes communautaires. Commençons par expliquer en quoi il est positif. D’abord sur la reconnaissance. Historiquement, quand le programme de soutien aux organismes communautaires était géré à Québec par le Ministère plutôt qu’en région, celui-ci avait une forte tendance à mieux soutenir et à mieux apprécier l’action de certains groupes communautaires qui étaient davantage en lien avec les services et les mandats publics (en santé mentale par exemple). Mais ce qu’on a constaté, c’est que la majorité des groupes communautaires n’avaient pas eu droit à une reconnaissance, ni à un soutien constant de 1973 jusqu’à la régionalisation en 1994. Selon nos chiffres, 30 % des groupes communautaires de la région recevait 70 % du soutien financier à l’époque. Il y avait des écarts de soutien financier qui n’étaient pas expliqués, mais qui s’observaient entre les organismes. Avec la mise en place de la régionalisation, au début des années 1990, le mandat que nous nous sommes donné à la TROC, c’était de promouvoir l’ensemble des groupes communautaires, de demander un meilleur soutien pour l’ensemble des groupes communautaires et d’exercer collectivement des représentations, des pressions, de faire du lobby, de participer à des comités de travail au nom de l’ensemble des groupes communautaires auprès de la régie régionale. Cela a eu un effet important : à partir de ce moment-là, lorsque du soutien financier était versé par l’instance régionale, l’allocation était plus générale et concernait l’ensemble des groupes communautaires. Les groupes communautaires ont également profité d’une meilleure reconnaissance compte tenu de la proximité des acteurs. Avec la régionalisation, les acteurs du réseau public étaient dorénavant dans le même territoire que les groupes communautaires. Ces derniers ont eu alors comme stratégie de les inviter à participer à certaines activités de promotion afin de voir ce qui se passe dans les groupes : « venez voir notre intervention, disaient les groupes communautaires, voici notre documentation, venez donc à une activité porte ouverte, venez donc célébrer avec nous un anniversaire de fondation… » Une connaissance s’est donc développée au sein des régies régionales, une connaissance que ne pouvait pas avoir une instance centralisée à Québec sur l’ensemble des groupes communautaires. Il faut rappeler aussi que c’était l’époque de la régionalisation, qui est maintenant terminée.

NPS On arrive donc au début des années 2000 avec la réforme Couillard. À ce moment-là, on passe de la régionalisation à la localisation (du moins, théoriquement) avec la création des CSSS et des agences de santé et de services sociaux (ces dernières remplaçant les régies régionales). Avec tous ces changements, est-ce que le financement des organismes communautaires a été maintenu sur une base régionale ?

Théoriquement, oui ; concrètement, non. Faut voir qu’il y a eu des changements au sein des conseils d’administration des agences et des établissements. À l’intérieur de la réforme Couillard, ce qu’il y a de particulier, c’est une nouvelle gestion publique. Maintenant, tout doit être démontré. Si on soutient telle problématique ou tel service, il faut avoir une idée très précise des retombées, des objectifs et des résultats de ces services. De plus, le financement descend maintenant du MSSS à travers neuf programmes-services. En théorie, pour qu’un groupe communautaire reçoive du financement, il doit s’inscrire dans le bon programme-service et conclure une entente soit avec l’agence, soit avec un établissement public de son territoire pour donner une prestation de services publics. Donc, l’argent nouveau qui arrive de Québec depuis la réforme Couillard ne permet pas de soutenir la mission globale des groupes communautaires. Il ne permet pas l’augmentation du financement à la mission. Il permet, dans certains cas relativement rares, de soutenir les groupes communautaires à travers la signature de contrats de service avec l’agence ou les établissements publics. Ça nous a obligés, depuis quelques années, à exercer des pressions plus fortes sur l’agence de la Maurice – Centre-du-Québec afin d’obtenir davantage de financement pour la mission. Mais l’agence a les mains liées en quelque sorte. Ce qu’elle nous dit, c’est : « Écoutez, c’est vrai qu’il y a des marges de manoeuvre, mais elles sont ponctuelles et circonstancielles. Nous n’avons pas tous les ans des marges de manoeuvre et vos besoins dépassent de beaucoup ces marges de manoeuvre. À une certaine époque, nous avions plus de marges de manoeuvre qui nous permettaient de soutenir les missions des organismes communautaires en considérant que ces missions étaient contributives. Mais maintenant, nous devons soutenir en priorité des organisations qui poursuivent des objectifs déterminés par les services publics. Alors, allez régler vos problèmes avec le MSSS. »

NPS Est-ce que beaucoup d’ententes de services ont été conclues dans votre région avec les organismes communautaires en santé et services sociaux ?

Le financement alloué par le Ministère par ententes de services pour les fameux projets cliniques dans les établissements était finalement un financement très ciblé. Il visait essentiellement trois priorités : les effectifs médicaux, un peu d’argent en développement et un peu d’argent pour des programmes comme santé mentale et maintien à domicile, alors que pour les autres programmes, il n’y avait pratiquement rien. Concrètement, les effectifs médicaux, ça ne pouvait pas se transformer en entente de services entre un établissement et un groupe communautaire : il n’y a pas encore de groupe communautaire dont les membres sont des médecins ! Par ailleurs, en santé mentale, les groupes se sont montrés plutôt ouverts aux ententes de services, mais je dirais que même si les contextes changent, certaines choses demeurent. Ainsi, il existe une énorme compétition entre les établissements publics sur les questions budgétaires et, au bout du compte, pour répondre aux besoins de la population. Or, cette situation n’a pas changé en dépit des nouvelles modalités introduites par la réforme Couillard. C’est pourquoi les budgets – d’ailleurs relativement faibles – alloués par le MSSS aux agences de SSS et aux établissements publics pour des programmes en santé mentale et en maintien à domicile sont demeurés en majeure partie des budgets à l’interne des établissements. Très peu se sont transformés en ententes de services. On s’est donc aperçu que les établissements, pour toutes sortes de raisons qui leur appartiennent, ne sont pas si ouverts que ça à contracter à l’extérieur, notamment avec des groupes communautaires.

NPS Est-ce qu’on pourrait dire alors que lorsque des sommes sont versées en développement pour les organismes communautaires, c’est à la suite de décisions qui sont prises à Québec et que celles-ci ne tiennent pas nécessairement compte des besoins régionaux ?

Ça, c’est très clair, on le voit depuis le budget 2004-2005. Il s’agit de décisions centralisées à Québec, effectivement par secteur d’intervention, et de décisions intimement politiques de surcroît. Pour l’essentiel, ces décisions ne proviennent pas de l’appareil administratif du Ministère, mais plutôt du cabinet du ministre. Les agences ne peuvent pas aller à l’encontre des décisions ministérielles : elles sont là pour les appliquer. Certains acteurs à l’intérieur des agences se sont d’ailleurs adressés au Ministère, notamment par des lettres pour signaler qu’il y avait un problème. Le gouvernement s’est engagé en 2001, par une politique de reconnaissance (politique du SACA) à soutenir les groupes communautaires principalement sur la base de leurs missions générales, mais les règles budgétaires actuelles empêchent les agences et les établissements de soutenir ces missions. Ces acteurs, à l’intérieur même du réseau, exigent donc de la part du MSSS un message clair et un mécanisme qui permet de rendre compte des orientations gouvernementales. On en est toujours là en 2009. Depuis l’année dernière, on a un comité de travail au MSSS pour le financement des groupes communautaires. La TROC Mauricie – Centre-du-Québec y siège depuis peu. Ce comité a pour tâche de faire des recommandations pour justement établir un mécanisme clair à l’intérieur du réseau pour le soutien du financement nécessaire à la mission des organismes communautaires. Mais les discussions ne sont pas encore terminées, les recommandations ne sont pas encore établies et il y a beaucoup de tensions au sein du comité.

NPS Vous disiez un peu plus tôt que les directives mêmes du MSSS ne permettent pas aux agences d’octroyer de l’argent en développement concernant la mission globale des organismes communautaires. Comment le MSSS peut-il justifier une telle situation alors que la politique du Secrétariat à l’action communautaire autonome (SACA), qui est sous la responsabilité du ministère de l’Emploi et de la Solidarité sociale, énonce formellement que les différents ministères doivent favoriser le financement à la mission globale ?

Du point de vue du MSSS, ces nouveaux arrangements tiennent compte de la politique du SACA qui est une politique transversale qui concerne plusieurs ministères. Mais le MSSS est bien positionné : l’argent destiné aux groupes communautaires, chiffres à l’appui, tourne autour de 85 % pour la mission et 15 % pour d’autres formes de soutien qu’on peut associer aux ententes de services. Alors, le MSSS se présente comme étant « l’avant-garde éclairée » de l’actualisation de la politique. Par ailleurs, les travaux de Deena White (chercheure à l’Université de Montréal) ont montré que beaucoup de ministères font peu d’efforts pour appliquer la politique du SACA. Certains ministères peinent encore à mettre en place un soutien à la mission, alors qu’en santé et services sociaux, ça existe depuis les années 1970. Donc, le MSSS n’a pas de problèmes à se présenter au sein du comité interministériel sur la politique de reconnaissance comme étant encore le ministère qui en fait le plus pour les organismes communautaires. Mais de toute façon, politiquement parlant, cette politique du SACA n’est pas la chose la plus « sexy » au gouvernement du Québec à l’heure actuelle.

NPS Dans le contexte difficile des années 2000, la TROC Mauricie – Centre-du-Québec et les organismes qui en font partie ont décidé de réfléchir à de nouvelles stratégies. Alors, j’aimerais que vous me parliez un peu de la réflexion que vous avez entreprise au cours des dernières années et des actions que vous avez mises en place.

L’expérience de la régionalisation nous a appris un certain nombre de choses. La théorie voulant que le gouvernement du Québec, à travers ses instances gouvernementales, cherche férocement et uniquement à transformer les groupes communautaires en zombies prestataires de services publics est fausse. En revanche, il est vrai que la culture, les mécanismes, le système politique et administratif du MSSS et des établissements exercent une pression sur les groupes communautaires pour en partie les amener à devenir de plus en plus en conformité avec sa programmation, voire à devenir carrément des sous-traitants des services publics. Mais ce n’est pas généralisé, et ce n’est surtout pas une intention déclarée et une volonté ferme de l’État québécois. On trouve des gens à l’intérieur du réseau public qui comprennent mieux le mouvement communautaire et qui sont même, par moments, des alliés du mouvement communautaire, parce qu’ils sont convaincus que c’est important ce que nous faisons. Alors, on s’est dit que la théorie du complot, c’était mieux de la mettre de côté.

Par ailleurs, on a aussi changé à la fois comme mouvement et comme organisation. Quand j’étais dans le mouvement, vers la fin des années 1980, je me souviens qu’on cherchait juste à exister, on expérimentait. Vingt-cinq ans plus tard, ce n’est plus du tout ça. Pour l’essentiel, les groupes communautaires ne sont plus dans la subsistance ; ils ne s’inquiètent plus de savoir si l’an prochain ils seront encore là. Les groupes communautaires sont plutôt dans la consolidation de leurs activités ; donc, on consolide des équipes de travail alors qu’il y a une vingtaine d’années, on travaillait fort uniquement pour constituer une petite équipe de travail. On se posait des questions sur ce qu’on allait expérimenter alors que, maintenant, on commence à faire de l’évaluation pour savoir si nos pratiques sont toujours les bonnes, si notre façon de pratiquer l’éducation populaire tout en donnant des services directs à la population devrait être modifiée, si l’on doit se doter d’un régime de retraite pour les employés, etc. C’est assez révélateur de ce qu’est devenu le mouvement communautaire qui s’est beaucoup développé, qui est plus fort et qui est plus conscient aussi de ce qu’il peut faire. On s’est dit finalement qu’on allait utiliser nos compétences et nos ressources pour continuer à informer, à sensibiliser et à éduquer.

Par ailleurs, il y a des moyens de pression qui doivent être exercés parce que le soutien des groupes communautaires, qu’on le veuille ou non, s’inscrit dans un combat pour les ressources disponibles. Le MSSS représente le ministère qui fait l’envie de tous les autres ministères au gouvernement du Québec, car ce ministère ramasse toutes les disponibilités financières de l’État québécois depuis plus de deux décennies. Et même à l’intérieur du MSSS, il y a une compétition féroce pour l’obtention des ressources. Par conséquent, un meilleur soutien de l’action communautaire par ce ministère s’inscrit dans un rapport de forces interne au réseau. On agit donc aussi en faisant du lobby politique et en dérangeant le monde politique et administratif. On organise des manifestations, on fait de la recherche pour expliquer en quoi le mouvement communautaire est distinctif, pourquoi ses activités sont importantes et doivent être maintenues, voire développées. Mais on fait aussi des démarches au plan politique et on va chercher des alliés et des appuis dans la société civile plutôt que de se replier sur soi. C’est l’une de nos particularités. Nous misons sur le fait que nous sommes importants pour la population et que nous représentons en partie la population québécoise. Nous sommes allés chercher des alliés, tantôt dans le réseau public, tantôt dans le monde municipal pour nous appuyer et pour revendiquer auprès du MSSS et du ministre lui-même. Il y a deux ans, nous avons fait paraître une lettre ouverte dans les journaux de la région avec les signatures de tous les maires et mairesses des villes les plus importantes de la Mauricie–Centre-du-Québec. Ces maires et mairesses provenaient des 11 MRC de la région. Dans cette lettre, nous disions au ministre Couillard (à l’époque) que s’il souhaitait réellement soutenir les communautés, il ferait mieux de soutenir les groupes communautaires. Nous sommes donc dans un travail d’éducation populaire, ce qui est la façon de faire historique des groupes communautaires. Nous utilisons aussi les contacts et les lobbies à l’intérieur du réseau public, particulièrement celui de la santé et des services sociaux, pour faire avancer nos revendications. Ce que nous avons mis de côté, c’est la théorie du complot, mais aussi une attitude de « replions-nous sur nos acquis » qui a pour effet de nous mettre dans une position défensive. Le mouvement communautaire va se développer, non pas en voulant maintenir les acquis, mais en mettant de l’avant ce qu’il fait, pourquoi il le fait ainsi que les impacts de son action dans les communautés. Nous sommes aussi dans une démarche rééducative qui passe par la recherche scientifique et par un dialogue sur la place publique. Même quand nous faisons des manifestations, nous sommes finalement dans un dialogue.

NPS Votre nouvelle stratégie d’éducation populaire passe donc par la recherche de nouveaux alliés. Est-ce que ça donne des résultats concrets sur le terrain ?

Moi, je dirais que oui. Financièrement, nous sommes allés chercher les marges de manoeuvre dont disposait l’agence. Maintenant il n’y a plus de marge de manoeuvre à l’agence, mais nous avons obtenu, deux années consécutives, un budget de développement récurrent d’un million de dollars en financement à la mission, ce qui, je pense, est assez particulier à la région. Par ailleurs, je dirais qu’un véritable partenariat existe avec l’agence de santé et de services sociaux, à tous les niveaux. Qu’il s’agisse du P.-D.G. ou des conseillers, tous reconnaissent l’impact que nous avons et sont d’accord pour promouvoir l’action communautaire et même la soutenir (quand ils le peuvent).

Si l’on s’attarde aux liens qui existent entre l’Agence de la santé et des services sociaux de la Mauricie – Centre-du-Québec et nous, c’est assez différent des autres régions. On a un contact direct avec le P.-D.G. Le fait qu’on mène ensemble une recherche sur les retombées de l’action communautaire a resserré les liens avec l’agence. En même temps, on fait des manifestations à l’agence avec 300-375 personnes qui interpellent son conseil d’administration. Nous avons également réalisé des capsules humoristiques et des vidéofilms qui sont disponibles sur notre site Web (<http://www.trocqm.org>) pour dénoncer la façon de fonctionner du MSSS. Nous avons aussi entrepris des démarches auprès des deux nouveaux élus, le ministre Bolduc et la ministre Thériault, afin de les intéresser à notre recherche et de leur signaler que nous ne sommes pas d’accord avec leurs façons de faire. Nous nous inscrivons donc dans un partenariat conflictuel. Par sa nature, le mouvement communautaire sera toujours quelque chose de difficile à comprendre et différent d’une gestion publique. C’est important que ce soit comme ça. Néanmoins, c’est en travaillant avec nos alliés (même ceux issus du secteur public) que nous allons être en mesure de développer le mouvement communautaire et surtout d’améliorer la réponse aux besoins des communautés. Les groupes communautaires sont les « bibittes à patates » les plus en lien avec leur communauté. Cela signifie être en lien avec les établissements publics, avec l’école du coin, avec la mairie du coin, avec le service de police du coin, tout en revendiquant que les policiers soient plus communautaires que répressifs, que le monde municipal soutienne mieux les besoins de la population, etc.

NPS Comment voyez-vous l’avenir des milieux communautaires dans les prochaines années, autant dans la région Mauricie – Centre-du-Québec que de manière générale au Québec ?

Évidemment, c’est une réflexion personnelle et pas une réflexion de la TROC. Je pense que l’avenir est intéressant pour le mouvement communautaire malgré ce que je viens de dire. C’est un avenir qui se conjugue avec un plus grand partenariat avec les instances locales des territoires. Pourquoi ? Parce que c’est la base de l’intervention et que c’est la logique première des gens qui sont dans les groupes communautaires. Au-delà des problématiques particulières sur lesquelles ils interviennent, la plupart des membres des groupes communautaires sont conscients que leur action s’inscrit dans une communauté d’appartenance, ce qui les amène à faire une réflexion plus large sur les besoins de cette communauté. Par contre, c’est clair que nous n’avons pas actuellement, ni au Québec, ni au Canada, des gouvernements au plan politique très sympathiques aux programmes de la gauche qui impliquent un soutien étatique important en termes de services à la population. Les gouvernements que nous avons actuellement considèrent davantage les groupes communautaires comme des contributeurs à une partie des services que l’État ne veut plus donner, ou encore comme des contributeurs à des besoins pour lesquels l’État n’a pas encore donné de réponse. En d’autres termes, c’est clair que les groupes communautaires vont être appelés au cours des prochaines années à combler les besoins d’une partie de la population. C’est donc un enjeu important.

Mais est-ce que c’est une mauvaise nouvelle ? Selon moi, pas nécessairement. Tout va dépendre de la capacité des groupes communautaires à maintenir bien vivantes leurs valeurs de changement social et d’amélioration de la société. Si l’État québécois jette davantage son dévolu sur ces organisations, la question est de savoir si elles seront en mesure de conserver leurs valeurs de justice sociale. Si oui, elles seront capables de tirer leur épingle du jeu pour utiliser le soutien étatique afin d’en dégager une capacité de changements. Les groupes communautaires doivent continuer à faire ce qu’ils font de mieux, c’est-à-dire de la défense de droits et de l’entraide, d’être des milieux de vie et non pas seulement des prestataires de services sur un mode industriel.