Pour mon énoncé préliminaire, je partirai de la question générale qui nous est adressée : Il y a plusieurs prémisses implicites à cet énoncé : Je vais tenter d’éclairer chacune de ces prémisses, dans un premier temps, de manière générale pour y revenir de manière plus spécifique à l’occasion des sous-questions posées par les organisateurs. La première prémisse nous renvoie à la question beaucoup plus générale du renouvellement démocratique dans nos sociétés, mais aussi au plan transnational. Qu’est-ce que l’on observe du côté de la gouverne démocratique de nos sociétés et du nouvel espace globalisé ? La première observation se résume en un paradoxe : c’est celui à la fois du triomphe de la démocratie et de sa crise profonde. Comment expliquer ce paradoxe ? Le discours sur la démocratie n’a jamais été aussi vivant que depuis les 25 dernières années. Ce discours coïncide avec la volonté d’une société civile brimée, voire dans certains cas privée d’existence, de regagner la maîtrise de son destin. Ce fut le cas dans la contestation des dictatures de droite en Amérique latine, ce fut également le cas dans la résistance aux régimes communistes. Même si le discours sur la démocratisation a été usurpé par l’Administration Bush aux États-Unis (Fukuyama, 2005), nul ne peut nier cet élan profond de démocratisation qui s’est répandu dans le monde et qui a même provoqué un réalignement en profondeur des objectifs des Nations Unies (Archibugi, Balduini et Donati, 2000). Mais j’ai dit paradoxe. En effet, ce discours démocratique s’est accompagné d’une profonde déception à l’égard des institutions démocratiques déjà existantes (Commission du droit du Canada, 2004). Ce qui est en jeu, c’est le modèle de démocratie représentative. Je pourrais épiloguer sur cette défiance envers les institutions représentatives, mais je me contenterai de dire que s’il y a de bonnes raisons de critiquer certaines dérives institutionnelles – comme la professionnalisation du métier de représentant politique, la diminution importante des prérogatives du législatif au profit de l’exécutif et du judiciaire, la distorsion dans la représentation, surtout du point de vue des options politiques –, personne ne souhaite la disparition des institutions représentatives. Il s’agit plutôt d’une déception généralisée devant leurs carences et du souhait d’accentuer la dimension participative du processus démocratique. En outre, on observe une tendance marquée au développement d’instances de gouvernance en marge de l’État souverain. En effet, la désaffection des institutions représentatives se double d’une érosion progressive des prérogatives souveraines des gouvernements. En raison, d’une part, de la complexité croissante de la régulation dans un contexte où il existe de plus en plus de domaines de l’activité humaine qui sont pris en charge par des instances de régulation et, d’autre part, du décentrement de cette prise en charge en marge de l’État, il se développe un ensemble de lieux de délibération, subordonnés à l’État, parallèles à l’État ou dépassant l’État dans le contexte d’une mondialisation croissante de la régulation. Dans ce contexte, il y a un appel important à la démocratisation de ces instances. Trois questions, en effet, se posent : Qui a accès à la délibération ? Qui décide ? Qui est investi du pouvoir de réguler (Arts, 2003) ? La deuxième prémisse de la question posée renvoie aux obstacles présumés à la démocratisation. Je crois qu’il est possible d’affirmer que ces trois obstacles à la démocratisation des pratiques sont bien réels, mais qu’ils comportent une part de contradiction. D’abord, en quoi sont-ils des obstacles ? Le néolibéralisme, pris dans le sens d’une marchandisation généralisée des rapports sociaux et de tout type d’activité humaine qui, de surcroît, préconise un effacement de la régulation et des politiques redistributives …
Appendices
Bibliographie
- Archibugi, Daniel, Balduini, Sveva et Marco Donati (2000). « The United Nations as an Agency of Global Democracy », dans Barry Holden, Global Democracy, Londres et New York, Routlege, 125-142.
- Arts, Bas (2003). Non-State Actors in Global Governance. Three Faces of Power, Bonn, Max Planck Institute for Research on Collective Goods.
- Burdeau, Georges (1987). L’État libéral et les techniques politiques de la démocratie gouvernée, Paris, Librairie générale de droit et de jurisprudence.
- Commission du droit du Canada (2004). Un vote qui compte : la réforme électorale au Canada.
- Constant, Benjamin (1819). De la liberté des anciens comparée à celle des modernes, Discours prononcé à l’Athénée royal de Paris.
- Duchastel, Jules (2006). « La démocratie entre la crise de l’État et la revanche des sociétés », dans Jules Duchastel et Raphaël Canet (dir.), Crise de l’État, revanche des sociétés, Montréal, Athéna éditions, 361-402.
- Duchastel, Jules (2005). « Légitimité démocratique : représentation ou participation », Éthique publique : revue internationale d’éthique sociétale et gouvernementale, vol. 7, no 1, 72-81.
- Duchastel, Jules (2004). « Du gouvernement à la gouvernance : de la communauté politique à la société civile », dans Jules Duchastel et Raphaël Canet (dir.), La régulation néolibérale. Crise ou ajustement ?, Montréal, Athéna éditions, 17-47.
- Foucault, Michel (1975). Surveiller et punir. Naissance de la prison, Paris, Gallimard.
- Fukuyama, Francis (2005). State-Building, gouvernance et ordre du monde au xxie siècle, Paris, La table ronde.
- Gauchet, Marcel (2000). « Quand les droits de l’homme deviennent une politique », Le Débat, no 110 (mai-août), 258-288 ; Lefort, Claude (1981). « Droits de l’homme et politique », dans L’invention démocratique, Paris, Fayard, 45-83 ; Habermas, Jürgen (1999). « De la légitimation par les droits de l’homme », Éthique publique, vol. 1, no 1, 43-55.
- Habermas, Jürgen (1999). « De la légitimation par les droits de l’homme », Éthique publique, vol. 1, no 1, 43-55.
- Habermas, Jürgen (1987). Théorie de l’agir communicationnel. Tome II : Pour une critique de la raison fonctionnaliste, Paris, Fayard.
- Lefort, Claude (1981). « Droits de l’homme et politique », dans Claude Lefort, L’invention démocratique, Paris, Fayard, 45-83.
- Weber, Max (1978). Economy and Society, vol. I et II, Berkeley, University of California Press.