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De la démocratie participative à la « participation citoyenne », depuis une quinzaine d’années maintenant, le thème de la participation a pris de nouvelles proportions dans les réformes de l’État en Occident. Il semble aujourd’hui pénétrer de toutes parts le champ sémantique scientifique, politique, social et, finalement, culturel du Québec, alors qu’il fait partie de la réalité du terrain politique et social depuis les années 1970. À l’instar des auteurs de ce livre, on peut se demander s’il existe un modèle propre au Québec. En d’autres termes, est-on en présence d’un effet de mode ou la participation est-elle plus aboutie qu’il n’y paraît ? Cet ouvrage s’inscrit dans les réflexions actuelles portant sur les enjeux de la participation de la société civile. En effet, à l’ère de la nouvelle gestion publique et du néolibéralisme, que signifie réellement la participation citoyenne, que ce soit du point de vue de l’État ou de la société civile ? Plus encore, comment s’est-elle construite et organisée au fil du temps ? Comment peut-elle évoluer dans l’avenir politique et social du pays ? Dans le contexte du « déclin des institutions[1] », quels doivent être la place et le rôle de l’État et de la société civile aujourd’hui ?

À travers des réflexions qui touchent plus particulièrement le champ de la santé et de l’éducation, les auteurs nous livrent un portrait de la situation actuelle sur la base des enjeux qui ont jalonné l’histoire du Québec depuis l’instauration de l’État providence. Les auteurs essaient de comprendre et d’expliquer la définition actuelle du pouvoir, passé d’une version centralisée à une version plurielle. L’originalité de cet ouvrage est sans doute qu’il repose, en partie, sur « […] une série d’entretiens semi-directifs (une vingtaine) auprès de professionnels [des secteurs de la santé publique et de l’éducation] mais aussi auprès de quelques autres catégories d’acteurs centraux pour le fonctionnement de ces réseaux, représentants syndicaux, gestionnaires, acteurs communautaires, en marge des établissements scolaires et des CSSS » (p. 19-20).

D’après les auteurs, la participation de la société civile québécoise émerge dans le contexte de la crise du modèle bureaucratique keynésien ; plus précisément, à l’époque de la laïcisation, de l’accès des citoyens aux politiques publiques (le principe d’universalité), de la modernisation de la société et, enfin, de l’émancipation sociale et culturelle du Québec. La « citoyenneté active » marque ainsi la construction de l’État québécois des années 1970 (p. 40).

L’histoire de la participation correspond à celle de la construction de l’État québécois. La première phase commence dans les années 1950, période d’émancipation institutionnelle. Cette première version de l’État providence, de type keynésien, est basée sur le centralisme, l’interventionnisme et la bureaucratie. Certains acteurs critiquent cette intrusion de l’État dans la vie économique, sociale et culturelle des Québécois, porteuse d’effets négatifs. On s’insurge notamment contre l’affaiblissement de l’esprit d’entreprise et du développement social du Québec. Dans ce sens, un retour à l’entraide s’impose et, par là même, au dynamisme communautaire. Ainsi, à la suite de l’émergence des mouvements sociaux des années 1960, les années 1970 marquent un premier pas vers la participation des citoyens dans la gestion publique. Le visage de l’État, mais surtout l’identité de la société dans son ensemble, est transformé ; on parle même de « sociétisation de l’État[2] ».

Les jalons du modèle québécois sont ainsi posés et ce sont sur ces bases que la redéfinition de rôle de l’État se poursuit à travers l’histoire récente du Québec. La crise économique et institutionnelle des années 1980 marque un temps de réformes importantes selon lesquelles on avance encore vers la contribution active de la société civile. Finalement, le secteur communautaire, acteur majeur, se professionnalise, l’État se décentralise et le partenariat public-privé, comme la sous-traitance, se développe. D’après les auteurs, les motivations sont tant idéologiques que financières. Toutefois, la crise des finances, qui atteint son paroxysme dans les années 1990, marque un tournant dans la participation de la société civile ; la démocratisation de la gestion publique est plus intense.

Actuellement, suivant un registre néolibéral, la « nouvelle gestion publique » du gouvernement Charest consiste en une « réingénierie » des institutions. Concrètement, on constate un ajustement des instances publiques aux différents effets des contextes contemporains. On enferme l’État providence dans de nouveaux cadres. Les auteurs rappellent que l’on oscille entre un besoin de légitimité et une volonté de renouvellement démocratique. En tout état de cause, ce virage idéologique pose question. Force est de constater les réticences actuelles de la société civile face aux réformes institutionnelles de l’État. L’avenir de la participation selon le modèle québécois se pose.

Dès lors, toucher aux structures de gouvernance préexistantes au virage néolibéral, au-delà des enjeux de redéfinitions des rôles et des ressources des acteurs politiques, économiques, syndicaux et communautaires, c’est remettre en question une partie de l’identité collective québécoise (p. 15).

Le thème central de la « gouvernance » publique inquiète et questionne les différents acteurs. Les auteurs font un bref détour par les enjeux définitionnels pour nous expliquer le flou sémantique et théorique qui entoure ce terme. Cela étant, il n’en reste pas moins que cet effet de mode perdure et jalonne la reconfiguration des régimes politiques occidentaux. Cette ouverture politique sur la participation reflète la tension idéologique entre démocratie représentative et démocratie participative. La première est en crise et la seconde, en effervescence, porterait la solution. Dans la littérature, il existe véritablement un consensus selon lequel il est nécessaire de changer de modèle étatique. C’est en fait une crise du modèle keynésien de gouvernance et c’est en toute logique que la participation s’impose alors comme la solution à tous les maux idéologiques, politiques, sociaux et économiques. L’exemple actuel de la réforme Couillard et des enjeux en termes de responsabilisation de la société civile est rapidement abordé dans cet ouvrage. La logique de décentralisation et de déconcentration du gouvernement n’est que très peu analysée, faute de recul expliquent les auteurs (comme les CSSS par exemple).

Cependant, l’histoire de la définition de la participation est bien présentée. Son évolution touche sans conteste l’avenir de la démocratie, de la répartition du pouvoir entre l’État et la société civile. Pour Hamel et Jouve (p. 94), « […] la participation est appréhendée et vécue comme l’un des principaux vecteurs de transformation de l’État québécois dans la relation avec la société civile ». Le contexte actuel reflète ainsi les différents enjeux pour l’État et la société civile. Certains d’entre eux sont abordés par les auteurs à travers la genèse de la participation dans les secteurs de la santé et de l’éducation.

La crédibilité de la participation citoyenne est un enjeu important. Pour les auteurs, il semble en fait que l’on questionne parfois le sérieux des compétences et des connaissances des acteurs non professionnels. On peut effectivement se demander quelle est la place et, ainsi, le véritable pouvoir des acteurs de la société civile dans la gestion des services publics. Ces questions trouvent des réponses différentes à travers l’histoire de l’émergence de la participation ; elles varient suivant les secteurs en question. Mais, de manière générale, les auteurs soulignent les effets positifs de la participation sur la société civile, allant dans le sens de l’intégration sociale d’individus en marge, comme, par exemple, les populations immigrées, dans le domaine de l’éducation. Plus encore, force est de constater l’efficacité du système politique grâce à la participation des citoyens à son fonctionnement. Il en découle une structuration efficace et plus juste du pouvoir ainsi que des innovations très pertinentes. Mais cette exercice de la citoyenneté dépend du parcours personnel des individus engagés, de leur considération éthique de la démocratie, de leur conception du bien commun et de la justice sociale.

Dans un autre ordre d’idées, la participation de la société civile est marquée par un enjeu majeur en ce qui concerne les différentes formes de son expression. Ainsi, il existe un clivage entre la participation directe, dans les processus de gestion des institutions mêmes, et la participation des acteurs exprimée dans une controverse avec l’État. Ces derniers peuvent refuser de se compromettre dans la mesure où, dans leur logique, cela correspond à rendre les armes. Partant, il arrive qu’un conflit se pose en ce qui concerne la définition de la participation sur le terrain, d’autant plus que l’État a contribué à la professionnalisation d’une partie de l’engagement communautaire dans les années 1980. On s’interroge ainsi pour savoir s’il s’agit d’un principe d’entraide ou de revendication, comme si pour certains groupes, ces deux éléments étaient antinomiques. Mais de quelle société civile parle-t-on ?

En effet, cet enjeu semble davantage être une question identitaire du secteur communautaire et peut-être moins des acteurs individuels. Bref, des enjeux définitionnels importants se posent et, plus loin, des enjeux identitaires fondamentaux. De toute évidence, la participation est l’expression de la diversité de la société civile qui ne représente pas une entité à part entière, homogène ou distincte. De plus, il semble que la définition de la participation soit tout autant le reflet de la conception de l’État. D’autres enjeux se révèlent alors.

Les enjeux de la participation du point de vue de l’État sont d’un ordre particulier. Tout d’abord, il convient de préciser que l’on parle ici d’un outil de gouvernance employé pour renouveler la légitimité politique de l’État et pour approfondir et renouveler la démocratie. On revient au contexte de désamour de la population pour la sphère publique et politique. Il s’agissait ainsi, dans l’histoire de la construction de l’État, de réajuster le « programme institutionnel [3] ». Bref, le modèle québécois de gouvernance répond à des ajustements des programmes institutionnels par rapport aux coûts qu’ils occasionnent. Les auteurs se demandent s’il s’agit au départ d’une réforme qualitative ou structurelle, voire d’une nouvelle forme de contrôle ou d’une nouvelle forme d’expression de la démocratie. En d’autres termes, n’est-ce pas, en réalité, une « gestion de la pénurie budgétaire » ? De toute évidence, dans le contexte financier des années 1980-1990 notamment, la société est un partenaire incontournable de l’État. La participation est également un outil de communication et de gestion, employé dans le sens de la performance et, surtout, de l’efficience des services publics (plus que dans une logique comptable aujourd’hui). Finalement, la participation revêt un enjeu définitionnel pour l’État qui doit ainsi se doter d’un projet de société, de frontières consensuelles, entre bien commun et intérêt individuel notamment. De toute évidence, il existe pour les auteurs un modèle québécois selon lequel l’État est doté d’une véritable « capacité de résilience » (p. 118).

Les auteurs de cet ouvrage semblent défendre ce modèle québécois. Ils s’attardent en tout cas à en expliquer la teneur, la particularité et l’originalité, liées d’après eux à l’histoire de la construction de l’État. Dans ce sens, ils s’appliquent également à critiquer l’engouement pour les notions de participation citoyenne et de gouvernance, vidées de leur essence. Il leur semble ainsi essentiel de revenir à la réalité de la construction et surtout à l’expression de ce modèle. Ce portrait de la participation citoyenne au Québec jette clairement les bases d’une réflexion pour l’avenir de la nouvelle gestion publique. Ainsi, il est essentiel de revoir l’équilibre des forces principales de la société québécoise. Il faut se pencher sur la définition de la participation, sur son utilité et enfin sa portée réelle. C’est un nouveau compromis social et politique qu’il importe de construire d’après Hamel et Jouve (2006). Aussi, la participation du point de vue de la société civile et notamment des groupes communautaires est-elle encore à définir. La question des marges de manoeuvre se pose particulièrement. Il s’agit en fait des contours que l’on souhaite donner à la démocratie participative dans le contexte de société actuel. Cette définition a un impact sur le contenu et les forces de l’action collective et des mouvements sociaux ; de nouvelles exigences stratégiques se font jour. Cette question rejoint les théorisations de Beck sur les stratégies de la société civile[4]. Ce sont des mouvements de défense axés sur l’opinion publique. Leur force de frappe impose parfois une redéfinition de la domination politique. Ils informent, alarment et participent au pouvoir. Cela étant, leur manque d’organisation peut leur jouer des tours. De plus, ces mouvements sont à l’origine de la création de normes et de valeurs globales. Bref, ils possèdent un pouvoir de légitimation qui n’est ni celui de l’État, ni celui de leur position sur le marché. Il est ainsi pertinent de se demander si la société civile doit se construire stratégiquement, dans le sens d’un contre-pouvoir, ou s’engager aux côtés de l’État, dans le sens d’un compromis, voire d’une compromission avec l’État. Toutefois, ces questions resteront sans doute toujours en suspens, sans réponse consensuelle. Cet ouvrage permet de poser les jalons d’une réflexion intéressante sur le modèle québécois en nous plongeant au coeur de sa construction et de sa tendance actuelle. S’il est utile de relever les enjeux de la participation, on peut se demander s’il est pertinent de chercher une réponse uniforme aux questions qui émergent de ce principe de gouvernance. Il semble que le propre de ce champ soit justement sa dynamique conflictuelle, sa construction tensionnelle permanente entre les différents acteurs en présence.