Inutile de souligner jusqu’à quel point les médicaments font partie de notre vie quotidienne jusqu’à devenir des auxiliaires, voire des substituts, aux interventions psychologiques et psychosociales. Plus que l’usage des médicaments lui-même, c’est la vision médicale des problèmes sociaux qui a retenu notre attention dans le dossier de ce numéro. La médicalisation du social s’inscrit non seulement dans le sillon de la croissance de l’industrie pharmacologique, mais aussi dans la résurgence actuelle des approches biopsychologiques utilisant la génétique, la neurologie ou celles se réclamant de l’écologie sociale comme les seules sources valides de connaissances de tous les comportements de la vie sociale. Les implications sociales des interprétations biologique, sanitaire ou écologique des problèmes sociaux posent des questions sérieuses quant à leurs visées politiques. Comme ces postures théoriques empruntent souvent le regard positiviste de la science – c’est-à-dire la considération exclusive des faits du monde physique et matériel pouvant être soumis à l’expérience –, la vérité d’une certaine manière d’appréhender le monde est alors convoquée de façon à clore les débats entourant la construction sociale des problèmes sociaux. Les six auteurs de ce dossier présenté par Johanne Collin et Amnon J. Suissa abordent la médicalisation du social, par le biais de diverses réalités sociales faisant l’objet de pratiques d’intervention, telles que les troubles des conduites chez les jeunes, le monde de l’itinérance, les formes de dépendance et le recours aux psychotropes en santé mentale. Dans un contexte où le social est de plus en plus réduit au biologique ou aux seuls comportements observables, il importe de rendre compte de points de vue différents et, surtout, critiques. En ce qui regarde l’entrevue, nous vous livrons le contenu d’un entretien réalisé par Annie Larouche avec Christine Bellas-Cabane, médecin auprès des enfants, cofondatrice du collectif et co-initiatrice de l’appel en réponse à l’expertise de l’INSERM sur la mise sur pied de mesures de dépistage et de programmes de prévention précoce en France. Le contenu de cette entrevue est directement en lien avec le thème du dossier de ce numéro en ce qui concerne le domaine de la prévention précoce. Consultant certains experts canadiens en matière de prévention précoce de la violence des jeunes, cet institut de la santé (l’INSERM) a produit en 2005 un rapport dont les recommandations s’inscrivaient clairement dans l’approche comportementaliste d’un certain courant canadien de la prévention précoce fondé principalement sur la neurologie, la génétique et l’éthologie. La réaction a été instantanée dès la publication du rapport d’expert de l’INSERM recommandant de dépister les troubles des conduites de tous les enfants en bas âge de la France afin de prévenir les dispositions comportementales chez l’enfant, censées annoncer un parcours vers la délinquance. Plus d’une cinquantaine d’organisations professionnelles et associatives de la France se sont mobilisées contre cette approche en 2006 et une pétition de près de 200 000 personnes circule encore sur le site du Collectif. On compte parmi les 50 organisations d’appui au mouvement de contestation, la Ligue des droits de l’homme, la Société française de santé publique et le Syndicat national des psychologues. Les signataires reprochent à ce type de prévention précoce de dévaloriser les compétences professionnelles des divers intervenants auprès de l’enfance en France, de négliger les dimensions symboliques, sociales, éducatives, culturelles, et de favoriser les dérives de contrôle normatif des comportements des parents et des enfants. On n’hésite pas à qualifier de « dressage » le type de prévention comportementale préconisée par l’expertise canadienne en la matière qui s’inspire elle-même des critères de la classification nord-américaine du DSM IV utilisée par le courant médical de la psychiatrie. En effet, dans ce rapport, on invite les professionnels à …
Appendices
Bibliographie
- Bigot, François (1998). « La marginalité comme concept », Informations sociales, no 68, 16-23.
- Collectif (2006). « Appel en réponse à l’expertise INSERM sur le trouble des conduites chez l’enfant », dans Collectif (dir.), Pas de 0 de conduite pour les enfants de 3 ans !, Paris, Érès.
- Karsz, Saül (2004). Pourquoi le travail social ? Définition, figures, clinique, Paris, Dunod.
- Kaufmann, Jean-Claude (2004). « Devoir s’inventer », Sciences humaines, no 154, 42-43.
- Le Bossé, Yann (2003). « De l’“habilitation” au “pouvoir d’agir” : vers une appréhension plus circonscrite de la notion d’empowerment », Nouvelles pratiques sociales, vol. 16, no 2, 30-51.
- Parazelli, Michel (2006). « La prévention précoce au Québec : prélude à une “biologie de la pauvreté” ? », dans Société française de santé publique (dir.), Prévention, dépistage des troubles de comportement chez l’enfant ? Actes du colloque « Pas de 0 de conduite pour les enfants de trois ans » (Paris, juin 2006), coll. « Santé et Société », no 11, septembre, 71-80.
- Pelchat, Yolande, Gagnon, Eric et Annick Thomassin (2006). « Sanitarisation du social et construction de l’exclusion sociale », Lien social et Politiques-RIAC, no 55, 55-66.