La réforme Couillard-Charest est née d’un malentendu et s’effondrera sous son propre poids de bureaucratie, en particulier dans les CSSS de grande taille. Pour des raisons d’éthique, nous devons cependant, sur le terrain, faire en sorte que cette réforme pénalise le moins possible les usagers et les usagères. Nous devons à la fois résister et construire. C’est ce que je me propose d’expliciter dans ce court texte. La réforme Couillard-Charest est née d’un malentendu et d’une certaine manipulation de l’opinion publique. Le discours dominant du ministère était de prétendre que les établissements ne collaboraient pas entre eux, qu’ils fonctionnaient en « silos » et qu’ils avaient chacun leur chasse gardée. En fusionnant tous les établissements, il n’y aurait plus de problème. Dans les faits, sur le terrain, au cours des dernières années, les établissements collaboraient beaucoup. C’est, entre autres, pour donner un exemple concret, le sous-financement des services à domicile qui pouvait donner l’illusion d’un manque de collaboration. Quand l’hôpital voulait référer au CLSC une personne âgée en perte d’autonomie, pour désengorger son urgence, et que le CLSC répondait qu’il n’avait pas les ressources nécessaires, ce n’était pas un manque de collaboration ou de dialogue. Les infirmières de liaison des CLSC et des hôpitaux sont depuis très longtemps en contact constant. Mais la population a été mystifiée d’entendre le discours suivant : désormais, vous aurez tous les services dans la continuité. De fait, la réforme Couillard-Charest consacre la mainmise des hôpitaux sur les CLSC, ce dont rêve l’Association des hôpitaux du Québec (AHQ) depuis trente ans. Les CLSC ayant une réputation entachée d’insuffisances et de carences, il a été facile de tuer le chien en prétendant qu’il avait la rage. Le 9 novembre 2004, lors d’une rencontre organisée par la Table des regroupements provinciaux des organismes communautaires et bénévoles (TRPOCB), Gilles Bibeau, professeur au Département d’anthropologie de l’Université de Montréal, affirmait qu’il faut voir les valeurs de fond en présence. Comment le « projet clinique » – les nouveaux mots pour désigner la réorganisation des services – veut-il nous séduire ? « Avoir des soins accessibles, continus et de qualité. » C’est le rêve ! On est emballés par cette proposition. Qu’est-ce qui se cache derrière cette stratégie de séduction ? Quelle est son intentionnalité la plus profonde ? M. Bibeau répond : changer le statut des services publics (Fournier, 2005 : 24). Comment en sommes-nous venus là ? Il faut d’abord traiter de la question de la taille excessive de plusieurs établissements. Si le Parti québécois (PQ) avait été au pouvoir plutôt que le Parti libéral, les fusions auraient été moins importantes. Au Forum de l’Association des CLSC et des CHSLD du 9 novembre 2003, l’ex-ministre Jean Rochon déclarait que fusionner un CLSC avec un gros hôpital, « c’est s’acheter du trouble » (Fournier, 2004a : 9). Le PQ n’aurait vraisemblablement pas fusionné les hôpitaux de plus de 50 lits – comme ordre de grandeur – avec des CLSC, ni fusionné les territoires de plusieurs MRC (municipalités régionales de comté), comme c’est souvent le cas avec la réforme Couillard-Charest, au nom du concept technocratique de « bassin de desserte de l’hôpital », concept qui ne correspond à rien au plan sociologique. À l’heure actuelle, sur 95 Centres de santé et de services sociaux (CSSS), environ le tiers sont hypertrophiés, c’est-à-dire qu’ils sont opérés par un gros hôpital ou par un territoire d’appartenance trop étendu et dysfonctionnel. Ce sont des CSSS sous-régionaux plutôt que locaux. Que penser du territoire du CSSS Richelieu-Yamaska qui s’étend de Saint-Bruno à Acton Vale ? On pourrait multiplier les exemples. Dans les régions de Lanaudière, …
Appendices
Médiagraphie
- Agence de développement des réseaux locaux de SSS de la Montérégie (2004). « Pour un projet local d’intervention (PLI) avec un impact sur la santé de la population. Document de discussion », dans Site de l’Agence de la Montérégie. En ligne, <http://www.rrsss16.gouv.qc.ca>. Consulté en juin 2005.
- Association des CLSC et des CHSLD du Québec (ACCQ)-Association des hôpitaux du Québec (AHQ) (2004). « Projet d’organisation clinique des services », dans Site Web de l’ACCQ. En ligne, <http://www.clsc-chsld.qc.ca>. Consulté en juin 2005.
- Boileau, Luc (2005). « Pour une perspective régionale », dans Site de l’Agence de la Montérégie. En ligne, <www.rrsss16.gouv.qc.ca/rencontres/lucboileauppt.pdf>. Consulté en juin 2005.
- Fournier, Jacques (2005). « Les projets cliniques des CSSS : qu’en attendre ? », Interaction communautaire, no 68, hiver-printemps.
- Fournier, Jacques (2004a). « Les CLSC veulent innover plutôt que chambarder leurs structures », Interaction communautaire, no 65, hiver-printemps.
- Fournier, Jacques (2004b). « M. Couillard : ce n’est pas une réforme de structures », Le Devoir, 7 mai.
- Fournier, Jacques (2004c). « Des outils de résistance active au lieu de la grève », Le Devoir, 12 août.
- Fournier, Jacques (2001). « Les fusions : pensons-y avant ! », Interaction communautaire, no 59, hiver-printemps.
- Lagacé, Gaston (2004). « Cas vécu : les effets néfastes des fusions : les fusions, c’est aussi ça la vie… », Interaction communautaire, no 66, été.
- Lamarche, Paul, Beaulieu, Marie-Dominique, Pineault, Reynald, Contandriopoulos, André-Pierre, Denis, Jean-Louis et Jeannie Haggerty (2003). Sur la voie du changement : pistes à suivre pour restructurer les services de santé de première ligne au Canada, Canada, Fondation canadienne de recherche sur les services de santé.
- Ministère de la Santé et des Services sociaux (MSSS) (2004). « Projet clinique : cadre de référence pour les réseaux locaux de santé et de services sociaux. Document principal », sur le Site du MSSS. En ligne, <www.msss.gouv.qc.ca>. Consulté en juin 2005.
- Richard, Marie-Claude, sous la coordination de Maltais, Danielle, Bourque, Denis, Savard, Sébastien, Tremblay, Marielle, Bussières, Denis, Dumont-Lemasson, Mireille et Jacques Fournier (2005). « Enjeux de la configuration des Centres de santé et de services sociaux. Recension des écrits », Cahier du Centre d’étude et de recherche en intervention sociale (CÉRIS), série recherche, no 37, (coédition GRIR, CÉRIS, LAREPPS), 66 pages.