L’ouvrage de Maria Nengeh Mensah porte sur la mise en discours médiatisé de la séropositivité féminine au Québec ainsi que sur les effets de ce discours. Élargissant le regard porté par les chercheurs sur le VIH / sida, plus souvent intéressés par les dimensions épidémiologique et psychosociale de la maladie, l’ouvrage relève les enjeux culturels et politiques du traitement médiatique de cette réalité sociale. Concept clé servant de véhicule au propos de Ni vues ni connues ? Femmes, VIH, médias, la notion de visibilité est abordée comme pôle d’analyse de la place des femmes dans notre réponse socioculturelle au sida. Montrant comment la visibilité des femmes séropositives participe à la fois à leur construction et à leur expression identitaire, l’auteure questionne les conceptions de l’infection, de la sexualité et des rapports sociaux de sexe qui colorent le traitement médiatique de ces femmes. Fondant son corpus d’analyse sur un ensemble varié de documents écrits et audiovisuels diffusés dans les médias québécois depuis 1985, l’auteure prend en compte non seulement les productions des médias de masse, mais aussi celles des milieux spécialisés, alternatifs et communautaires. Femme, confidente, personne-ressource, militante et chercheure engagée auprès de femmes vivant avec le VIH / sida, Mensah se positionne clairement « près des sensibilités de ces femmes, près de celles qui prennent la décision de se dire et de se faire voir, et de celles qui ne le font pas » (p. 15). En plus d’aborder un sujet peu traité dans la littérature francophone – révélant du coup à quel point les femmes séropositives sont confrontées à l’invisibilité –, l’auteure dialectise le problème posé par l’enjeu de la visibilité en questionnant jusqu’à quel point l’utilisation des médias peut réellement augmenter leur pouvoir sur leur vie. Prolongeant et critiquant ses propres travaux antérieurs sur l’empowerment des femmes séropositives par le recours à la visibilité médiatique, l’auteure nuance les impacts culturels et politiques du traitement réservé à ces femmes dans les médias. Sa réflexion approfondit en même temps la complexité des besoins contradictoires ressentis par les personnes séropositives, à la fois de dévoiler cet aspect de leur identité et d’en garder le secret. L’un des principaux intérêts d’une telle analyse est de s’attarder à comprendre les enjeux et les rapports de force sous-jacents à la présence médiatique sans opposer de façon dichotomique la visibilité à l’invisibilité. Aussi, le caractère constructif d’une telle réflexion réside dans le fait qu’elle permet de dégager des stratégies de construction identitaire raffinées pour les personnes séropositives en ouvrant la voie à la diversité des modes de visibilité et d’invisibilité plutôt qu’en les confinant à une seule des deux options. Dans les deux premiers chapitres, l’auteure expose l’enjeu de la visibilité du VIH / sida et définit les concepts clés pour en faire l’analyse (chapitre 1), présente le dispositif par lequel se rend visible le VIH / sida puis décrit la place que prennent les femmes dans le discours médiatique (chapitre 2). Les trois chapitres suivants analysent chacun plus spécifiquement une forme de visibilité : la visibilité diagnostique, dominée par la perspective épidémiologique, surtout présente dans les médias spécialisés (chapitre 3) ; la visibilité classificatoire, véhicule des stéréotypes sociaux, occupant surtout les médias de masse (chapitre 4) ; enfin, la visibilité militante mise en oeuvre à travers des voies alternatives dans les milieux activistes et associatifs (chapitre 5). Dans un premier temps, l’auteure montre comment la menace du sida fut d’entrée de jeu associée à l’homosexualité, le recours à ce stéréotype constituant un mécanisme de défense de « l’ordre hétérosexuel » en permettant de projeter les propriétés de la maladie sur l’Autre, hors de …
Marie Nengeh Mensah, Ni vues ni connues ? Femmes, VIH, médias, Les éditions du Remue-ménage, Montréal, 2003, 221 pages.[Record]
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Annie Fontaine
École de travail social
Université du Québec à Montréal