Abstracts
Résumé
Ayant pour base plusieurs recherches menées auprès de familles immigrantes du Québec, ce texte s’intéresse aux dynamiques familiales et aux stratégies de complémentarité entre l’espace privé et l’espace public qui se développent dans les trajectoires de migration. En relevant plusieurs éléments de malentendu entre les intervenants (santé, social, éducation) et les membres des familles immigrantes, il propose une réflexion sur les processus d’insertion et les pratiques citoyennes mis en oeuvre par ces familles et souvent méconnus des acteurs de la société québécoise.
Article body
Familles et citoyenneté : examiner les polarisations
Depuis les années 1970 et depuis les transformations de l’institution familiale traditionnelle au Québec, famille et citoyenneté sont souvent présentées comme deux entités opposées. La citoyenneté, élément clé de la démocratie occidentale, est conçue comme une émancipation individuelle en plus d’être associée à un développement personnel ou à une forme d’autonomie quasi affective fortement valorisée dans nos institutions (Bowden, 1997). Elle s’apprend entre autres dans les cours d’éducation à la citoyenneté, qui vont faire partie de nos programmes scolaires. En contrepartie, la famille a souvent été présentée comme un espace d’oppression des individus, comme une institution de reproduction sociale et culturelle, finalement comme une entité passéiste et patriarcale. Pour les familles immigrantes, cette perception péjorative de la famille est accrue par la perspective culturaliste qui est souvent mise en oeuvre par les acteurs sociaux (Jelen, 1993). De ce fait, la famille immigrante est, plus encore que la famille québécoise, objet de critiques parce qu’elle est perçue comme traditionnelle, formaliste et restreignante pour ses membres.
Nous proposons ici une autre perspective qui permet d’allier familles immigrantes et citoyenneté à travers les trajectoires de migration, les histoires singulières et internationales, les constructions identitaires individuelles et collectives dont elles sont, pour leurs membres, à la fois actrices et productrices. Pour argumenter ce point de vue, nous nous référons à plusieurs recherches qualitatives effectuées depuis 10 ans au Québec auprès de familles immigrantes. Dans ces études, nous avons rencontré 230 familles d’origines diverses (une vingtaine de pays d’origine sur l’ensemble des recherches) dans plusieurs régions québécoises et nous avons analysé des récits de migration et d’insertion effectués par des jeunes, des femmes et des hommes, parents dans ces familles. À l’intérieur de ces récits, nous avons abordé la question des dynamiques familiales (Vatz Laaroussi et al.,1999 ; Vatz Laaroussi, 2001), des trajectoires d’exil (Vatz Laaroussi et Rachédi, 2002), des stratégies d’insertion (Vatz Laaroussi et al, 1996, 1999 ; Vatz Laaroussi, 2001), des processus de transmission (Helly et Van Schendel, 2001) et des modalités de construction de l’histoire (Vatz Laaroussi et Rachédi, à paraître). C’est donc dans une démarche cumulative que nous nous situons ici pour réfléchir à la place des familles immigrantes comme citoyennes de leur société d’accueil.
Par ailleurs, dans le cadre de ces mêmes études, nous avons rencontré plus de 100 acteurs sociaux de divers statuts et institutions. Qu’ils appartiennent au domaine de l’emploi, à celui de l’éducation ou au vaste champ des services sanitaires et sociaux, ils nous ont livré leur perception des familles immigrantes, ainsi que les questions qu’ils se posent quant à leurs pratiques et interventions avec elles. Notre réflexion sur les modalités de citoyenneté mises en oeuvre par les familles sera donc enrichie par l’analyse de la compréhension qu’en ont les acteurs et les institutions de la société québécoise. En abordant les discours des uns et des autres au moyen d’une approche croisée et après avoir défini quelques-uns des éléments clés retenus pour parler de citoyenneté, nous nous intéresserons dans un premier temps aux dynamiques familiales à l’oeuvre dans les trajectoires migratoires pour ensuite en saisir les axes possibles d’insertion, voire de citoyenneté : l’inscription dans l’histoire, la transmission familiale et les complémentarités en représentent la trame essentielle. Finalement, en présentant le moteur et la motivation de ces stratégies d’insertion, soit l’éducation et la place qu’on lui donne dans une trajectoire familiale de migration, nous relèverons plusieurs modalités de complémentarité que les familles immigrantes investissent dans leurs rapports avec les institutions sociales du Québec, en même temps que la manière dont ces stratégies familiales sont reçues par nos instances sociales. Cet exposé permettra d’argumenter de nouvelles hypothèses sur la citoyenneté des familles immigrantes.
Les citoyennetés en question
Au Québec, la citoyenneté est au coeur de nos débats de société depuis une dizaine d’années. Nos orientations politiques et sociales s’articulent parfois implicitement autour de plusieurs conceptions de cette citoyenneté. Galichet (2002) en relève trois types : dans le premier, construit selon le modèle de la famille extensive, prédominent les valeurs de convivialité et de liens affectifs. Son fondement est souvent associé à des réalités inconscientes, antérieures et supérieures aux individus : communauté ethnique, linguistique ou culturelle, adhésion à une conception du monde commune. On pourrait ainsi penser à une citoyenneté quasi culturelle qui s’ancrerait dans la représentation d’une histoire et de valeurs communes. Le deuxième type s’inspire du modèle du travail conçu comme activité transformatrice de la nature et productrice de sens culturel et de valeurs civiques, comme le sens de l’effort, l’esprit de solidarité, la patience etc. Si le modèle familial risque de reproduire des inégalités républicaines en lien avec une forme de paternalisme, le second, qui met de l’avant des relations sociales de coopération, peut aussi mener à des affrontements et à des concurrences tout autant qu’à des exclusions sociales. Finalement, le troisième modèle est inspiré du paradigme de la discussion selon lequel la délibération ou débat public permet la recherche commune de la vérité, essentiellement discursive. Là encore les déviations vers une forme d’élitisme hiérarchisant sont possibles du fait des héritages socioculturels souvent inégaux des citoyens en débat. Ainsi, l’ensemble de ces modèles et surtout certaines de leurs composantes transversales teintent les positions et orientations du législateur lorsque, par exemple, il décide de placer le citoyen au centre de la réforme, comme c’est le cas dans les dernières lois des services sociaux et de santé.
Ainsi pour Bowden (1997) et Weeks (1995), la tendance actuelle nord-américaine est à redéfinir la citoyenneté en référence à la sphère de l’intimité en ce qui a trait à des responsabilités et à des engagements relationnels et affectifs plus que collectifs et publiques. En parallèle, en France, par exemple, d’autres auteurs (Costa Lascoux, 1996 ; Bessin et Roulleau Berger, 2002) la présentent en opposition avec l’exclusion et on y parle volontiers de pratiques et de processus de citoyenneté, la définissant ainsi par ses modalités, ses stratégies et par un découpage empirique plus que dans la perspective d’un statut. Dans la ligne de Galichet (2002), nous retenons de ces diverses conceptions quelques axes fondateurs de la citoyenneté ; processus reposant à la fois sur l’appropriation et l’utilisation de structures politiques et sociales, sur la connaissance et la transmission de données culturelles, sur l’apprentissage et le partage de compétences sociales liées à la vie du groupe, à l’engagement dans le débat collectif et à l’action commune. Il s’agit ici d’une citoyenneté qui implique une responsabilité mutuelle des acteurs entre eux, mais aussi de la société à l’égard de ses membres. En ce sens, et si nous croisons cette définition du processus de citoyenneté avec les connaissances sur l’immigration et l’insertion dans de nouvelles sociétés, nous pouvons poser l’hypothèse d’une articulation conceptuelle mais aussi pragmatique entre l’insertion et la citoyenneté, la première renvoyant au « trouver et prendre sa place dans une nouvelle société » (De Gaujelac et al., 1995) et la seconde, aux échanges et à la production sociale et collective reliés à cette place.
Cette « place sociale » est, selon de nombreux auteurs (Lahlou, 2002), associée à l’ancrage dans l’histoire, mis de l’avant par les nouveaux arrivants, ancrage qui permet de redessiner la carte des affiliations et des appartenances tout en instaurant de nouveaux rapports entre l’espace privé et l’espace public. Sur ce plan, Hammouche (2002) analyse finement le passage de femmes immigrantes dans des réseaux associatifs, situant ainsi leur accès à l’espace public en tant que processus d’appropriation de cet espace :
On voit de la sorte un engagement public (pratique citoyenne) qui, loin de se déconnecter de l’espace domestique, se construit pour le préserver, contribuant ainsi à une privatisation de l’espace public qui est ainsi devenu accessible – non pas d’emblée comme le laisse croire le principe républicain – mais selon un processus d’individuation.
Hammouche, 2002 :159
C’est à ces processus d’ancrage et d’articulation des temps et des espaces que nous nous intéressons ici comme indices de stratégies, de pratiques et de processus de « citoyennisation », tentant d’en cerner des bases familiales. Cependant, comme Roulleau Berger (2002) l’indique, il est important de rester vigilant : tout comme « les armes des faibles peuvent rester de faibles armes », les stratégies invisibles peuvent ne jamais conduire à la citoyenneté. La construction d’une citoyenneté partagée « […] passe à la fois par une reconnaissance de l’appartenance au même univers dans les interactions quotidiennes, mais également par des processus institutionnels de construction du sens commun qui garantissent que la reconnaissance réciproque de tous les résidents soit possible » (Bolzman, 2002 : 179-180). C’est là la responsabilité des sociétés nationales dites d’accueil de ces familles immigrantes.
Des trajectoires familiales d’immigration à une insertion familiale : l’inscription dans le temps et dans l’espace
Avant de porter cette étiquette apposée par leur société d’accueil, les familles immigrantes sont d’abord des familles en projet. En effet, qu’elles se construisent avant le départ du pays d’origine, pendant le parcours migratoire (dans un camp de réfugiés ou dans un pays de transit) ou dans le pays d’accueil, leurs membres sont, par l’immigration, parfois longuement réfléchie, parfois contrainte par l’urgence, dans une dynamique de projet qui les tire à la fois vers l’avenir et vers l’ailleurs (Jacob et al., 1994 ; Meintel et Le Gall, 1995). Le plus souvent ce projet est familial, lié à une volonté des parents d’offrir à leurs enfants, actuels ou à venir, un meilleur cadre de vie au plan socioéconomique ou éducatif.
Helly et Van Schendel, 2001Je voulais que mes enfants soient éduqués, respectueux des autres, des intellectuels, pour qu’ils puissent comprendre les enjeux de la vie au Québec, qu’ils soient instruits. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes exilés (un père marocain).
Plus encore pour les réfugiés, c’est la survie des enfants, du conjoint, des proches qui est en jeu dans la décision brutale du départ. « Ce n’était pas un départ préparé. Avec ma femme, on a tout laissé, on a pris la décision pour sauver les enfants, on ne pouvait pas vivre en Irak » (dans Vatz Laaroussi et Rachédi, 2002).
De ce fait, c’est la perspective de l’avenir qui conduit ces familles à un parcours de migration dans lequel le point de départ s’inscrit dans la ligne d’horizon du point d’arrivée. Ainsi, et quelles que soient les péripéties et la durée de trajet migratoire, la question de l’insertion dans la société d’accueil est présente tout au long du voyage des familles. Un homme marocain explique que, à son avis, la langue est le principal facteur d’insertion : « Si on ne parle pas la langue, c’est un défaut, un handicap. Du moment qu’on parle la langue et qu’on a un acquis professionnel, on s’intégrera facilement » (dans Helly et Van Schendel, 2001). Tout en s’inscrivant comme grande finalité de leur exil, l’insertion, le « faire sa place », et la reconnaissance y allant de pair, constitue aussi la principale incertitude, avec laquelle ils doivent, bien souvent, vivre longtemps :
Quand on arrive ici les personnes nous disent qu’on doit étudier, qu’on doit apprendre la langue et qu’après on va voir pour notre statut, comme professionnels que nous sommes… Nous ne savons pas le futur que nous pouvons avoir dans notre vie personnelle et professionnelle. Nous sommes ici depuis 6 mois et jusqu’à date on ne sait pas ce qu’on va devenir au niveau professionnel […] (une femme colombienne).
Vatz Laaroussi et Rachédi, 2002
C’est ainsi que la recherche d’une place sociale pour soi et pour les enfants conditionne les sentiments souvent paradoxaux des immigrants lors de leur arrivée en société d’accueil :
Dans l’avion, on pensait qu’on venait de laisser tout, qu’on devait recommencer de nouveau, que c’était toute une vie qu’on laissait derrière nous, tout le travail, l’effort. On était heureux mais on se demandait ce qu’on allait faire au Canada.
Ainsi, l’insertion n’est pas simplement la demande de la société d’accueil et la responsabilité des immigrants, comme certains contrats sociaux et certaines politiques d’immigration le laissent entendre, il s’agit plutôt d’une finalité et d’une responsabilité, partagées tant par les populations migrantes que par les sociétés d’accueil. Et c’est lorsque cette réciprocité est assurée que la production citoyenne peut être envisagée.
Pour accéder à cette insertion, tout au long de leur parcours migratoire, les membres de familles immigrantes entrent dans des dynamiques familiales qui assurent à la fois une cohésion de l’entité familiale et des rapports avec l’espace public qu’on souhaite efficaces. Ces dynamiques familiales inscrites dans le temps et dans l’espace migratoire, transfrontalier, renvoient à trois types de trajectoires relevées tout au long de nos recherches. Les trajectoires fusionnelles sont celles de familles dont les membres suivent des chemins similaires avant, pendant et après la migration : le père et la mère étaient ensemble aux études avant leur départ ou avaient tous les deux un emploi stable dans le pays d’origine ; ils vont garder cette simultanéité et cette proximité tout au long de leur parcours. Ainsi, ils suivront ensemble les cours de français à leur arrivée au Québec ou reprendront ensemble des études visant à obtenir des équivalences de leurs anciens diplômes. Cette fusion n’est nullement pathologique, elle est, au contraire, pour ces familles un réservoir de force et un potentiel d’insertion majeur. Pour d’autres, c’est d’une trajectoire complexe qu’il s’agira : cette fois, les membres de la famille articulent différemment, dans le temps, leurs activités. Avant le départ, l’un était aux études, l’autre occupait un emploi, l’un était à la maison avec les jeunes enfants, l’autre, en situation de pourvoyeur économique. Ils vont jouer autour de cette articulation tout au long de leur parcours et, bien entendu, s’inscrire dans leur nouvelle société à travers cette dynamique qui, contrairement à ce qu’on pourrait croire, n’est pas traditionaliste. Ainsi, souvent la mère aura plus de chance de trouver rapidement un petit emploi, c’est elle qui travaillera, alors que le père s’occupera des jeunes enfants. Ou encore, ils inverseront les rôles d’une année scolaire à l’autre, comme le fait ce couple rwandais avec trois jeunes enfants nés en camp de réfugiés :
Ma femme n’a pas eu beaucoup l’occasion d’aller à l’école en camp. Moi, j’ai eu plus de chance, car je suis plus âgé qu’elle. Alors notre première année au Québec, c’est moi qui suis allé au cégep pour avoir un diplôme d’ici. Elle a suivi les cours de français et s’est occupée des petits avec une gardienne. Cette rentrée, c’est elle qui va suivre les cours de l’école secondaire, moi, je vais m’occuper des petits et trouver du travail, car on a besoin d’argent.
Enfin, la troisième dynamique renvoie à des trajectoires familiales parallèles dans lesquelles les membres, sans avoir des cheminements similaires, maintiennent, tout au long de leur parcours, des voies parallèles, installées au début de la fondation de leur famille dans le pays d’origine. C’est par ces voies parallèles qu’ils souhaitent trouver une place valorisée dans la société d’accueil et s’ils se soutiennent en famille, ils vont le faire surtout pour que chacun, devant les exigences de la société d’accueil, soit le plus solide, le mieux formé et le plus expérimenté possible.
En fait, ces multiples dynamiques familiales qui émergent et se catalysent dans le temps nous permettent de saisir le portrait de familles immigrantes en mouvement, qui ne portent pas de manière statique des cultures d’origine ou des rôles prédéterminés mais qui, au contraire, sont des vecteurs de changement et des potentiels de citoyenneté pour leurs membres. Ainsi, notre analyse permet de saisir que ce potentiel s’articule autour de trois dimensions portées par les familles : l’historicité, la transmission et la complémentarité.
Un potentiel de citoyenneté qui s’articule sur l’histoire familiale et sa transmission
Le rapport à l’histoire et les modalités de sa transmission aux enfants sont le plus souvent articulés au sein de dynamiques familiales migrantes qui permettent, en particulier, le repérage sociotemporel de référence nécessaire à la construction-reconstruction identitaire de tous les membres de la famille, mais aussi à leur socialisation, plus particulièrement à celle des enfants. Comme nous l’avons décrit dans plusieurs textes (Vatz Laaroussi et Rachédi, 2002 ; Vatz Laaroussi et Rachédi, à paraître), les premières générations immigrantes s’inscrivent souvent dans une historicité familiale qui leur permet de passer de l’histoire internationale, dont ils sont des acteurs pas toujours actifs ou reconnus, à une transmission familiale qui, cette fois, leur paraît légitime, car elle s’inscrit dans un but, celui d’asseoir leur projet familial d’immigration et de vouloir la promotion sociale de leurs enfants. Ces immigrants ont le plus souvent quitté leur pays d’origine pour des raisons liées à des situations de guerre (les ressortissants d’ex-Yougoslavie, les Irakiens, les Africains de la région des Grands Lacs, les Afghans, les Vietnamiens), de violences instituées (les Algériens, les Colombiens) ou de sous-développement (les Marocains, les Salvadoriens).
Pour les familles ayant vécu des situations de violence, leur condamnation de la guerre est ferme et radicale, tout comme l’est la condamnation du système économique ou politique du pays d’origine pour les immigrants économiques. Toutefois, des nuances sont apportées pour finalement extraire des éléments positifs fondamentaux appris pendant la guerre ou au cours de la période de grande précarité économique. Les stratégies de solidarité que ces situations extrêmes font émerger sont valorisées et ce sont elles qu’on expérimente dans la trajectoire familiale de migration, tout en souhaitant les transmettre aux enfants. Pour ces familles, la guerre, la corruption ou la pauvreté ont été le terrain de mise à l’épreuve de leur identité, et justement parce que celle-ci a été bafouée, les parents vont souhaiter transmettre leurs origines et leur expérience d’exil à leurs enfants pour qu’ils puissent les reconnaître et y adhérer librement. Le projet d’exil présenté comme une décision parentale devient alors un projet altruiste au nom de l’avenir des enfants. Cette histoire revisitée, cette lecture des événements, le plus souvent dissociée de la guerre, des violences, de la pauvreté, des iniquités perçues et vécues, est, pour les jeunes, conditionnelle à la réception du témoignage des parents et, peut-être après, plus largement, de celui des autres. Cette histoire transmise et « familialisée » constituera dès lors une mémoire référentielle, un « récit des racines et de l’exil » qui permettra aux enfants d’évoluer et de se repérer. C’est pour eux, selon leur famille, un potentiel identitaire. La transmission de l’histoire n’est pas une finalité en soi ; les objectifs sont de légitimer le départ des parents et de se forger, pour les enfants, une identité adaptative et solide (Helly et Van Schendel, 2001). Lahlou (2002 : 99) parle ainsi d’une « nouvelle identité qui n’est ni perte des origines, ni refus des appropriations nouvelles… C’est à la mémoire familiale que l’individu s’adresse pour ne rien laisser perdre d’un passé où se construisent ses propres compréhensions du monde… ».
Ce type de dynamique, prenant la famille pour véhicule et vecteur de la reconstruction de l’histoire, produit des identités et des appartenances pour ses membres, tout en misant sur les collaborations et complémentarités potentielles au sein de la famille comme entre la famille et le social dans lequel elle s’inscrit. En effet, qu’il s’agisse des modalités de l’insertion ou des processus de « citoyennisation », c’est en termes de complémentarités que les familles immigrantes considèrent la société dans laquelle elles s’installent. Comment ses membres peuvent-ils se compléter pour mieux trouver leur place dans la localité, le champ social, la culture où ils s’installent ? Comment ces familles peuvent-elles s’intégrer en faisant profiter leur nouveau milieu de leur richesse migratoire, de leurs compétences acquises, avant et pendant l’exil, de leurs capacités de transformation expérimentées dans la migration ? Poser la question selon l’angle des complémentarités permet de redéfinir le concept d’insertion et, par le fait même, celui de citoyenneté, en dehors des processus d’assimilation ou d’acculturation, trop souvent associés à des contraintes extérieures au changement et à une forme de passivité des acteurs, qui les subiraient sans autres réactions que le repli identitaire ou culturel (Vatz Laaroussi, 2001). Ainsi, lorsqu’on articule dynamiques familiales de migration, insertion et complémentarités, on se trouve dans une perspective dialectique associant le groupe familial (comme entité valorisée par les migrants eux-mêmes) et le nouveau milieu d’implantation (comme espace de citoyenneté ouvert à la différence et porteur d’un avenir commun).
Mais qu’en est-il de ces complémentarités ? Comment se jouent-elles, pour les familles immigrantes elles-mêmes et pour les institutions de la société d’accueil ? C’est ce que nous allons tenter de décrypter, autour de deux types d’institutions en particulier, dans la partie suivante : l’école, fortement investie par les familles immigrantes du fait de leur projet promotionnel pour les enfants, et les services de santé et services sociaux, en contacts directs avec ces familles, souvent en raison de la présence de jeunes enfants.
L’éducation comme projet de citoyenneté
En plus de vivre les conditions inhérentes à leur parcours migratoire et à leur projet d’insertion, ces familles sont soumises à une attente sociale forte portée par le monde scolaire et le monde social : l’intégration (Patriciu, 2001). Leur participation aux instances scolaires tout comme leur utilisation adéquate des services sociaux et de santé sont perçues et analysées comme des indices de leur intégration à la société dominante, elle-même vue comme une adhésion aux valeurs de cette société. Plus encore, c’est souvent le style parental de ces familles, qualifié de dysfonctionnel, autoritaire, traditionnel ou patriarcal, qui est mis en cause dans l’échec des enfants au sein de l’institution sociale ou de l’école parce qu’il ne correspondrait pas aux valeurs de la société québécoise moderne.
Pourtant, en ce qui concerne l’école, toutes les études portant sur les familles immigrantes montrent que, dans leurs projets et leurs trajectoires migratoires, les immigrants comptent beaucoup sur le système scolaire du pays d’accueil pour la promotion sociale de leurs enfants (Meintel et Le Gall, 1995 ; Hohl, 1996 ; Labelle, 2001 ; Helly et Van Schendel, 2001). Les parents sont même prêts à sacrifier leur propre carrière ou promotion pour cela. Ils expriment tous le souhait de voir leurs enfants devenir des citoyens actifs et reconnus par leur nouveau pays. Parallèlement, plusieurs cas de malentendu entre les familles et l’institution scolaire sont mis en relief (Hohl, 1996 ; Vatz Laaroussi et al., 1999 ; Vatz Laaroussi, 2001 ; Patriciu, 2001). Certains sont liés à la représentation de l’enfant différente que se font le milieu scolaire et le milieu familial : la question des droits de l’enfant ou celle de l’égalité entre les hommes et les femmes constituent des sujets constants d’incompréhension. D’autres difficultés reposent sur la méconnaissance, par le milieu scolaire, du parcours de migration et des transformations qui l’accompagnent ; le rapport différencié à l’histoire des uns et des autres peut ainsi devenir un objet implicite de discorde. Enfin, un autre type de malentendu vient aussi de la tendance du milieu scolaire à « culturaliser » tout problème scolaire vécu par un enfant simplement parce qu’il provient d’une famille immigrante. On retrouve le même processus dans le contact avec les organismes sanitaires et sociaux comme les CLSC ou certains organismes communautaires familiaux : la question de la place des femmes est souvent le principal filtre à travers lequel on analyse les situations des familles immigrantes, et ce, sans prendre en compte les trajectoires et les processus familiaux développés lors de la migration. Le renvoi à une culture d’origine passéiste et patriarcale est aussi, souvent, la réaction d’intervenants de ces services face à des familles dont ils connaissent peu les origines, l’histoire et, surtout, les projets d’insertion.
En ce qui a trait à cette représentation monolithique des familles immigrantes, nos études montrent que, par rapport à l’école tout comme à d’autres institutions sociales (emploi, santé), les dynamiques familiales des immigrants peuvent être différentes selon le parcours migratoire et le pays d’origine. C’est alors souvent la représentation de l’éducation et des complémentarités famille-institutions qui est en jeu. Selon l’ensemble des familles rencontrées, l’éducation, c’est d’abord la responsabilité des parents, mais aussi celle du groupe familial dans son ensemble. Cette responsabilité recouvre des fonctions de transmission formelle et axiologique, de socialisation dans les relations de proximité, mais aussi dans les interactions sociales et dans la construction morale des enfants. C’est dans la famille qu’on apprend qui on est, comment se comporter avec les autres, comment s’affilier et se différencier, comment s’adapter et changer, comment se développer et s’entraider. C’est par la protection des parents et le respect développé par les enfants que ces apprentissages et ces rapports à la culture vont s’effectuer.
En fait, il semble que l’éducation, responsabilité morale, affective et sociale de la famille, passe par diverses modalités que les familles conjuguent différemment selon leurs origines, trajectoires et statuts sociaux. Pour les uns, on privilégiera une approche commune et un projet commun :
L’éducation, on la base sur un dialogue entre les parents, sur un dialogue avec les enfants, sur un dialogue avec les enfants et les parents. C’est les deux parents qui doivent en être responsables. On a la chance d’être deux, alors il faut utiliser les points forts des deux personnes. Dans certains domaines, c’est plus la maman, dans d’autres, c’est plus le papa (une mère d’ex-Yougoslavie).
Pour d’autres, on insistera sur l’encadrement, la discipline, les limites à ne pas dépasser. Plus particulièrement, ces parents effectuent un contrôle sur l’établissement des réseaux sociaux des jeunes (qui en fait partie, à quel rythme, à quel moment et dans quels lieux ils se rencontrent, etc.). C’est pour eux un élément d’autant plus important qu’ils connaissent moins bien, surtout dans les premières années, le fonctionnement des réseaux québécois et locaux. Les permissions, les limites et l’encadrement sont ainsi souvent régulés selon la connaissance que les parents acquièrent du nouveau fonctionnement social et ne dépendent pas uniquement de traditions formalisées. Ainsi, tous les parents nous ont dit ne pas laisser leurs enfants aller dormir chez des amis inconnus de la famille mais, dans la pratique, ces permissions se négocient aussi selon l’âge des enfants, la proximité de la famille en question, la confiance qu’on peut lui faire. À défaut d’une nuit complète, on peut aussi donner une permission de soirée et, très majoritairement, les familles rencontrées reçoivent pour le coucher, à l’occasion et sans aucune difficulté, ces mêmes enfants. Il y a là des processus de négociation intergénérationnelle, mais aussi d’adaptation et de changement pour tous les membres de la famille.
Bien sûr, concernant la place primordiale accordée aux responsabilités éducatives de la famille, les enfants sont situés non seulement au centre de l’intérêt familial, mais ils en sont le moteur et la projection dans l’avenir, d’où l’importance des liens intergénérationnels :
Sans le respect, les relations deviennent difficiles. On le voit bien ici. Bon, ce n’est pas dans toutes les familles québécoises, mais chez nous, c’est important que les enfants respectent les adultes et en revanche, ces derniers s’occupent du bien-être des enfants. Ils sont responsables, s’adaptent à leur monde et leur transmettent leur héritage et leur expérience. Pour moi, c’est le meilleur cadre pour ce type de relations (un père algérien).
Ainsi, si l’on tente de cibler les grandes variables qui influencent les représentations de l’éducation au sein de ces familles, on s’aperçoit que, certes la culture d’origine influence les attitudes et les stratégies, mais elle agit toujours en croisement avec une dynamique familiale et une trajectoire d’immigration particulières. Plus encore, les rôles sexués ne sont pas fixés culturellement ni de manière permanente : ils sont contextualisés, fluctuent dans la famille et sont surtout attribués par compétences. Les décisions éducatives se prennent en famille. Enfin, les comportements à l’égard de l’école et des institutions de la société d’accueil font souvent l’objet de négociations. Plus encore, il ressort clairement que le contexte de non-emploi et d’arrivée dans un nouveau système favorise la prise en charge conjointe et familiale de l’éducation et du développement de chacun. Cependant, trois processus de relations entre les familles et les services sociaux et éducatifs ont pu être distingués en lien avec les parcours familiaux de migration. Ces processus mis en oeuvre par les familles sont, selon leur parcours et leur dynamique, les plus pertinents pour leur projet d’insertion familiale : ils illustrent clairement la façon dont ces familles conçoivent leurs complémentarités avec les institutions sociales québécoises. En ce sens, ils représentent aussi des modalités de citoyenneté qui relient de manière originale l’espace familial privé et l’espace social public.
L’articulation familiale des espaces privé et public
L’être ensemble
Ce processus, observé dans de nombreuses familles de diverses origines, consiste à décider, agir et être ensemble, couple et famille confondus, afin d’être plus forts face à l’inconnu.
Je ne crois pas qu’il y a un responsable, c’est un tout, il y a Oran au centre peut-être mais il y a papa et maman tout autour, puis même sa petite soeur peut venir le supporter ou conseiller, je veux dire moi j’aime bien les réunions familiales de façon à ce que lorsqu’on a à vivre un drame on le vit ensemble, mais si on a des joies on les vit ensemble aussi, à chacun sa façon et son niveau, mais c’est le groupe avant tout (une mère d’ex-Yougoslavie).
On ne se partage pas équitablement les tâches, on les fait ensemble. Quand on a un contact avec l’école, on l’a ensemble et on a décidé ensemble de quelle façon on allait aborder le problème. On lui a parfois même trouvé une solution familiale avant d’aller rencontrer le milieu.
Je n’irais pas seule. J’irais avec mon mari. Mais s’il est absent, je vais aller seule. Mais d’habitude, je pense que lorsqu’il y a un problème avec les enfants, c’est un problème commun de toute la famille. C’est toujours un problème avec la famille les problèmes avec les enfants (une femme colombienne).
Dans le processus de l’« être ensemble », les modalités de contact avec l’espace public sont souvent « collaboratives » : on ne parle pas de s’impliquer dans le milieu, mais de collaborer avec celui-ci, la famille représentant un groupe d’appartenance fort qui se pose en partenaire avec les institutions. Cette dimension nous renvoie au rapport de ces familles avec l’école, qui sollicite souvent leur implication plutôt qu’une collaboration égalitaire ou encore elle peut être associée à leur non-implication dans les organismes communautaires ou les associations puisqu’elles s’attendent à collaborer et non à s’y intégrer. Selon le parcours migratoire des familles et le statut social qui leur est assigné par la société d’accueil, l’orientation privilégiée dans les rapports au public peut parfois aussi être l’extériorité, en particulier lorsque ce statut social est très défavorisé ou encore lorsque l’orientation « collaborative » semble rejetée par le milieu. Ce processus est souvent associé à des pertes nombreuses par rapport à la période prémigratoire.
La substitution
Les familles qui fonctionnent avec un processus de substitution sont moins nombreuses, mais elles permettent de saisir une dynamique familiale très particulière et inconnue des institutions et intervenants des sociétés d’immigration. On insiste sur le fait que les membres de la famille peuvent aisément se substituer les uns aux autres de manière conjoncturelle. Il y a là l’idée que les opinions exprimées, l’écoute et les décisions prises sont éminemment familiales sans avoir pour autant besoin d’être discutées avant ou après. C’est l’idée d’un « nous » familial implicite fort, ancré dans la trajectoire migratoire commune, construit dans les expériences étranges et étrangères partagées, également porté par les divers membres de la famille quel que soit leur sexe ou leur génération. Là encore, on insiste sur l’aspect conjoncturel de la substitution et sur le fait que les décisions n’ont pas besoin d’être négociées explicitement pour être partagées. Cette substitution peut être reliée soit à une approche familiale de l’éducation pensée et prévue (familles d’ex-Yougoslavie, de Colombie ou d’Algérie) ou implicite et fonction de la culture et de l’expérience commune de vie (familles vietnamiennes, salvadoriennes, africaines et irakiennes par exemple). « Romeo et moi on a des valeurs en commun. Il faut avoir des valeurs en commun pour qu’en tant que parents on puisse dire : c’est ces valeurs que je veux transmettre à mes enfants. Il faut avoir une affinité de valeurs ! » (une mère salvadorienne). Ou encore :
On est toujours d’accord, l’un ou l’autre qui prend la décision, car depuis le début on s’est mis d’accord sur la façon de réagir dans certaines situations. Lorsque des fois l’enfant demande quelque chose au père et il lui dit oui alors que la mère avait dit non, c’est pas bien ça. On est d’accord sur ce point et c’est l’un ou l’autre qui va le dire à l’école (un père d’ex-Yougoslavie)
Ici, on parle de collaboration, de coopération avec le milieu, mais aussi d’implication dans ce milieu. Par exemple, les familles qui utilisent ce processus de contact avec le social s’inscrivent souvent en tant que membres de comités de parents et d’associations de parents d’élèves dans les écoles de leurs enfants ou encore dans les conseils d’administration des organismes de loisirs ou de sports de leurs enfants. Il est alors intéressant de constater que l’implication nominative de l’un entraîne pour eux l’implication effective de l’ensemble de la famille et que les activités individuelles proposées débouchent le plus souvent sur une appropriation familiale. Ainsi, si Mila, impliquée dans le conseil d’administration du club de soccer, se trouve à travailler le soir de la réunion, c’est Boris, son conjoint qui la remplacera. Là encore, le milieu peut mal réagir à cette stratégie, l’interprétant comme un engagement précaire et non individualisé ne correspondant nullement aux normes des démocraties individualistes et nominatives dans lesquelles l’implication citoyenne familiale n’est pas prévue.
La représentation
Finalement, le processus de la représentation est davantage retrouvé dans les familles africaines, maghrébines et vietnamiennes. On pourrait croire qu’il s’agit là d’un principe traditionnel lié, dans les pays d’origine, à la division des sexes. Les familles rencontrées nous conduisent à une tout autre compréhension. En effet, l’ancrage culturel semble ici très peu présent, on n’agit pas ainsi parce que ce doit être comme cela traditionnellement, mais on le fait tout simplement parce que cette représentation semble être la plus efficace dans les rapports familiaux avec le social (public). Ce processus concerne surtout la personne qui va se présenter, représentant la famille, à l’école ou au CLSC, mais il s’agit aussi de privilégier le membre de la famille qui va prendre les décisions. Ce choix peut s’effectuer selon trois critères : la disponibilité, le caractère ou les compétences qui, ici, peuvent être parentales ou professionnelles (parent ancien professeur ou infirmière par exemple). « Ma mère était professeur au Congo, alors c’est elle qui va à l’école pour rencontrer les profs, mon père, lui, ce n’est pas son domaine » (un enfant congolais). « Mon mari était infirmier dans les camps au Congo alors c’est lui qui accompagne les enfants au CLSC ou à l’hôpital quand il y a un problème » (une mère rwandaise).
Les hommes ou les femmes, anciennement instituteurs ou professeurs vont être délégués à l’école, alors que ceux qui exerçaient des professions en lien avec la santé ou le social vont prendre en charge les rapports avec les services sanitaires et sociaux. Il est important de noter que, pour les familles rencontrées, c’est souvent le seul moyen de redonner une valeur et un sens à ces compétences issues du pays d’origine, qui ne sont plus, en milieu d’accueil, reconnues au plan professionnel. C’est donc une marque de continuité, mais aussi de changement, puisque si auparavant elles faisaient partie du potentiel professionnel et social, elles se transforment maintenant en potentiel familial et personnel. C’est d’ailleurs un des éléments souvent mal interprétés par les intervenants de la société d’accueil, qui peuvent y voir un contrôle de l’homme sur la femme ou des parents sur les enfants, interprétant, dès lors, la parole du père ou des parents comme une décision individuelle, alors que dite devant tous, elle est l’expression de la décision et de la compétence familiale. Les familles rencontrées ont beaucoup insisté sur la pertinence de ce processus et sur son caractère consensuel au sein de la famille lié à une expérience commune et souvent difficile de la nouveauté. Les familles ayant traversé plusieurs pays ou camps de transit indiquent, de ce fait, combien la « famille entité » est à la fois une continuité, une protection et une force dans l’inconnu. Les modalités de participation sont alors plutôt la collaboration et parfois la compétition avec le milieu, du fait même de ces compétences non reconnues. Les intervenants réagissent souvent négativement à ces parents compétents, se sentant en rivalité avec eux, rejetant ainsi leurs apports possibles et leurs stratégies efficaces.
Vers la reconnaissance de nouveaux modèles familiaux citoyens
Ces trois processus représentent des moteurs importants du changement, de l’insertion et des pratiques citoyennes des membres des familles immigrantes au Québec. La méconnaissance des intervenants des milieux scolaire et sociosanitaire en ce qui les concerne, ainsi que leurs interprétations souvent ethnocentriques représentent une source majeure des malentendus, incompréhensions et zones d’incertitude entre les familles et les institutions de la société d’accueil. La collaboration, la compétition, l’implication, la coopération et l’extériorité représentent les grandes orientations que les familles priorisent, selon leur parcours migratoire, les rapports internationaux entre le pays d’origine et le pays d’accueil, mais aussi en fonction de la place sociale qui leur est réservée. En même temps, il est clair que nos organismes et institutions privilégient généralement deux types de rapport aux immigrants : l’un repose sur l’implication individuelle, l’autre, sur la représentation ethnique ou culturelle (Helly, 1997). Dans les deux cas, les dynamiques familiales sont peu prises en compte et la diversité des stratégies d’insertion et de citoyenneté mises en oeuvre par ces familles reste méconnue.
En ce sens, nos recherches permettent de cerner de nouveaux modèles familiaux en émergence, tout en mettant en relief des zones originales de rapport entre l’espace privé et l’espace public. Ces zones sont habitées certes par des individus acteurs, mais aussi par des cellules familiales porteuses de projets, de stratégies et d’identités dont se nourrissent les jeunes qui en sont issus. Dès lors, la sensibilisation des acteurs institutionnels et organisationnels à cette présence familiale originale est indispensable pour que ces familles puissent trouver leur place au Québec, d’une part, mais aussi afin que l’ensemble de notre société bénéficie à son tour des éléments pertinents de ces nouveaux modes de participation sociale, voire d’une citoyenneté redéfinie.
Appendices
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