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Le Québec partage avec le reste de l’Occident des conditions sociales et économiques de développement qui ont entraîné au cours des récentes décennies une transformation profonde des valeurs, des normes et des structures familiales. Les caractéristiques de cette évolution et les facteurs qui en sont à l’origine sont largement documentées (Dandurand, 1988, 1992 ; CSF, 1991 ; CQF, 1996, 2001 ; Piché et Le Bourdais, 2003). Parmi les plus fréquemment évoquées, on retrouve la baisse de la nuptialité et la multiplication des types d’unions – mariage, union civile, union de fait –, la croissance des naissances hors mariage et de l’instabilité conjugale, la diversification des formes de familles – biparentale, monoparentale, recomposée, homoparentale, adoptive – et, enfin, l’accessibilité à la contraception, à l’interruption volontaire de la grossesse et la baisse de la natalité, qui instaure le modèle de la famille à un ou deux enfants. Causes et effets s’ajoutent à ces réalités démographiques : la dissociation normative et concrète qui s’installe progressivement entre vie de couple et vie familiale, entre sexualité et procréation et entre engendrement et filiation, ainsi que le recentrement de la famille autour de l’enfant et de sa fonction relationnelle. La famille n’est plus dorénavant soumise aux aléas du « destin », mais s’inscrit davantage dans une série d’actes délibérés d’où émane certes une architecture familiale complexe caractérisée par la pluralité des modèles de conjugalité, de parentalité et de filiation, mais également « une meilleure maîtrise de la vie adulte » (Dandurand, 2001 : 89).
De même, dans la foulée de la participation massive des femmes au marché du travail, et ce même lorsqu’elles sont mères et responsables de jeunes enfants, le modèle conjugal dominant du mari-pourvoyeur et de l’épouse-ménagère perd son hégémonie. Celui-ci laisse progressivement place à l’expression de nouveaux modes de parentalité (Le Gall et Bettahar, 2001) et favorise un élargissement du territoire de la paternité (Dulac, 1999, 1993 ; Marcil-Gratton, Lebourdais et Juby, 2003). Parallèlement, bien que la famille continue à occuper une place prépondérante dans la trajectoire de vie des femmes québécoises, elle ne représente plus pour autant leur unique lieu d’accomplissement personnel et social. Cela dit, il demeure que la majorité des familles hétérosexuelles, malgré des changements notables, se présentent aujourd’hui sous les traits d’une organisation sociale façonnée par un rapport asymétrique et inégal entre hommes et femmes, particulièrement en ce qui concerne le partage des responsabilités et des tâches dans la prise en charge des enfants (Corbeil et Descarries, 1997 ; Descarries et Corbeil, 2002).
Nulle part ailleurs en Occident, comme le soulignait Patrick Festy (1985), le changement des comportements familiaux et reproductifs des individus n’a été vécu de façon aussi spectaculaire. Pour bien saisir le sens et la portée de ces transformations dans les modèles de vie familiale, il faut les mettre en parallèle avec l’évolution de la société québécoise. En effet, celle-ci a longtemps été marquée par ses traditions religieuses et juridiques. À l’aube des années 1960, l’Église catholique détenait encore un réseau d’influence considérable et réussissait, à travers ses rituels, ses enseignements et sa présence quotidienne à maintenir une éthique familiale et matrimoniale conservatrice en plus d’un encadrement rigide des relations conjugales et parentales : pas de sexualité hors mariage et sans projet d’enfant, pas de rupture d’union, soumission des femmes et des enfants à l’autorité paternelle. Aussi, ce n’est que tardivement, par rapport à d’autres régions occidentales, soit vers la fin des années 1960, que les transformations des comportements familiaux et reproductifs des Québécois et des Québécoises prennent effet, au moment même où apparaît la première vague du féminisme contemporain et sa remise en question des rapports d’autorité et de la division sexuelle du travail induits par la famille patriarcale.
Évidemment, ces bouleversements s’inscrivent dans la foulée des processus de laïcisation, de sécularisation et de modernisation qui marquent profondément l’évolution globale de la société québécoise au cours de cette décennie. L’Église perd son autorité morale et politique aux mains de l’État qui, soutenu par une économie en expansion et la montée d’un mouvement de contestation sociopolitique, s’empresse de libéraliser les lois et de rajeunir les institutions. À contrario des anciennes dispositions du Code civil, qui niaient toute autonomie aux femmes mariées et sanctionnaient leur entière dépendance à l’égard du mari, un nouveau code de la famille est adopté en 1964, lequel fait disparaître les notions d’incapacité juridique de la femme mariée et de toute-puissance de l’homme. Au cours des années 1970, l’expression État-providence s’impose dans la foulée des interventions croissantes de l’État dans les domaines social (éducation, santé, services sociaux), économique (programmes d’assistance et d’assurance sociale pour les mères nécessiteuses, les personnes âgées, les malades), politique et familial. Par la suite, d’importantes dispositions du code civil et du droit familial seront modifiées. De la refonte du droit de la famille en 1977, qui remplace la notion d’autorité paternelle par celle d’autorité parentale à la promulgation, en juin 2002, de la Loi instituant l’union civile et établissant de nouvelles règles de filiation, qui reconnaît une existence juridique à l’union de personnes de même sexe et à la filiation homoparentale, il est possible de mesurer l’importance des conséquences. L’évocation de l’évolution des taux de nuptialité, de rupture d’union et de fécondité est une autre façon de rendre compte du sens et de l’ampleur des transformations qui sont au coeur des modifications du paysage familial québécois.
J’me marie, j’me marie pas
En 1965, le taux de nuptialité pour les hommes et les femmes, soit la proportion de célibataires susceptibles de se marier avant l’âge de 50 ans, se situait autour de 85,9 % et de 93,5 %, ce qui témoigne de la forte institutionnalisation qui régissait alors les rapports de couple. Vingt-cinq ans plus tard, en 1990, l’indice de nuptialité a chuté de moitié, il n’est plus que de l’ordre de 42,0 % et de 47,7 % pour les hommes et les femmes respectivement, continuant à décliner durant toute la dernière décennie pour atteindre respectivement 30 % et 33 % en 2001 (Duchesne, 2002 : 98). De façon concomitante, entre les recensements de 1991 et de 1996, la proportion de couples vivant en union libre au Québec est passée de 11,1 % à 13,9 % pour atteindre en 2001, 17 % (Statistique Canada, 2003). Cette forme d’union a toujours bénéficié d’une plus grande popularité parmi la jeune génération. À preuve, c’est dans la catégorie des hommes de 30 à 34 ans et dans celle des femmes de 25 à 28 ans que la proportion d’unions de fait est la plus élevée, atteignant respectivement 34 % et 38 %. Par comparaison, en 1986, « les proportions les plus élevées se situaient à 17 % chez les hommes et à 19 % chez les femmes » (Duchesne, 2002 : 106). Cette fulgurante baisse de la nuptialité entraîne une hausse importante des naissances hors mariage. En 1996, plus d’enfants naissent au sein de couples vivant en union libre que de couples mariés. Ainsi, de 4 % en 1961, le pourcentage des naissances hors mariage est passé à 38 % en 1990 pour atteindre 58 % en 2002 (Bureau de la statistique du Québec ; 1992 : 29 ; Duchesne, 2002 : 15), phénomène qui dorénavant n’est plus interprété à travers une lorgnette moralisatrice. En 1980, une réforme du droit de la famille (la Loi 89) abolissait toute distinction entre les enfants nés de couples mariés ou non mariés et faisait disparaître le concept d’illégitimité qui a causé tant de préjudices aux enfants qualifiés de bâtards parce que nés de pères inconnus.
Le règne du mariage légal et indissoluble tire à sa fin
Malgré les apparences de stabilité et d’harmonie, les trajectoires des familles québécoises d’autrefois n’étaient pas aussi linéaires et sereines que l’idée qui en est entretenue. Grossesses hors mariage, abandons d’enfants à l’adoption, conflits conjugaux étouffés pour préserver l’image de la bonne entente, périodes de monoparentalité après le dècès du père ou de la mère, remariages, etc., ont ponctué l’histoire des familles d’autrefois. La promulgation de la loi canadienne sur le divorce en 1969, tout comme la libéralisation des moeurs qui s’opère à cette époque, marque à cet égard une étape importante puisqu’elle permet aux couples de se libérer des contraintes d’une union insatisfaisante, tout en échappant à l’opprobre social de la rupture et en préservant le maintien des liens parentaux. Concrètement, le taux de divorce en 1970 était inférieur à 10 % (8,8 %). Reflétant les changements de comportement autorisés par la loi, à peine cinq ans plus tard, soit en 1975, il atteint 36,1 % pour se situer, bon an mal an, depuis 1987 autour de 51 % (Duchesne, 2002 : 101). Ainsi, il est estimé que plus du tiers des couples qui se sont mariés en 1975 sont maintenant divorcés (IQS, 1999 : 40), alors que cette situation risque d’être vécue par un couple sur deux si les tendances observées se maintiennent.
La monoparentalité vécue au féminin
L’analyse de l’évolution de l’indice synthétique de divortialité laisse donc entrevoir une modification importante des structures familiales traditionnelles. Car si depuis plus de 20 ans, « le nombre de ruptures d’union par veuvage et par divorce dépasse le nombre de mariages », et que le veuvage constitue au Québec, encore à ce jour, la première cause des ruptures d’union (Duchesne, 2002 : 100), il demeure que l’on doit imputer à la rupture d’union par divorce la croissance significative du nombre de familles monoparentales ayant des enfants à charge à la maison : ces dernières représentaient, au recensement de 2001, 26 % des familles québécoises avec enfants à la maison (Statistique Canada, 2003), proportions qui étaient de 21,7 % en 1986 et de 17,6 % en 1981 (IQS, 1999 : 80). Or, lorsque survient le divorce ou la séparation se pose inexorablement la question de la garde des enfants. À ce jour, celle-ci est encore assumée principalement, et parfois exclusivement, par les mères. Mais, si la proportion de familles monoparentales dirigées par une femme est demeurée relativement stable au cours des 20 dernières années, la légère décroissance observée dans la courbe statistique laisse néanmoins entrevoir un changement de comportement au sein des plus jeunes générations de parents puisque les familles ayant à leur tête une mère seule représentent, en 2001, 79,7 % des familles monoparentales (Statistique Canada, 2003), comparativement à 83,2 % en 1981 (IQS, 1999 : 80).
Bien entendu, mettre un terme à une union ne signifie pas pour autant abandonner tout espoir de renouer un jour avec la vie de couple ou de reconstituer une famille. En 2001, « 43 % des hommes divorcés et 32 % des femmes divorcées, tandis que 15 % et 5 % des veuves » (Duchesne, 2002 : 106) vivent en union libre et l’on retrouve, la même année parmi les personnes qui se sont mariées, 25 % d’hommes divorcés ou veufs, par comparaison à 23 % de femmes divorcées ou veuves (Duchesne, 2002 : 97). Cette situation favorise donc l’apparition d’un autre type de famille dorénavant désignée sous le vocable de famille recomposée. En résumé, il est actuellement estimé qu’au Québec une famille biparentale sur dix est une famille recomposée, alors que sept familles sur dix avec enfants mineurs demeurent des familles biparentales intactes et deux sur dix sont des familles monoparentales (IQS, 2000 : 93).
Des familles de un ou deux enfants
La surfécondité des Québécoises au xixe siècle avait assuré à la province, pendant de nombreuses générations, une croissance naturelle stable. Avec un taux de fécondité de 6,3 enfants pour les femmes nées en 1845, et de 4,8 enfants pour les femmes de la génération suivante, les Québécoises se retrouvaient parmi les femmes les plus fécondes en Occident (Collectif Clio, 1992 : 184). À l’aube du xxie siècle, la situation est inversée : le taux de fécondité des Québécoises est dorénavant un des plus faibles au monde, se situant, en 2001, à 1,47 (Duchesne, 2002 : 15). Corollaire de cette tendance, la taille des familles québécoises ne cesse de décroître depuis 40 ans, passant de 4,2 personnes par famille en 1951 à 2,9 en 1996. En 1986, le nombre moyen d’enfants par famille était de 1,83 ; il est de 1,75 en 1996 (IQS, 1999 : 76, 95). Dans ce contexte, les familles de trois enfants ou plus ne représentent que 16,3 % de l’ensemble des familles avec enfants de moins de 25 ans au Québec en 1996, alors que cette proportion était de 26,1 % en 1981 et de 45,8 % en 1951 (IQS, 1999). En contrepartie, depuis 1996, les familles avec un seul enfant sont majoritaires. Elles représentent 42,1 % de l’ensemble des familles par comparaison à 41,4 %, pour les familles à deux enfants. En 1981, ces proportions étaient respectivement de l’ordre de 34,9 % et 39 %, et en 1951 de 29,6 % et de 24,6 % (IQS, 1999). Au Québec, il va sans dire, l’inquiétude qu’engendre, à divers niveaux, ce « choc démographique » prend une signification sociopolitique particulière puisqu’il pose la question de sa survie comme seule enclave francophone d’Amérique du Nord. Les conséquences anticipées pour la société québécoise vont du vieillissement à l’extinction, en passant par l’assimilation culturelle et linguistique au reste de l’Amérique. Mais si les diagnostics peuvent être contradictoires, ils favorisent plus souvent qu’autrement la formulation d’un discours alarmiste, voire fataliste qui va même jusqu’à préconiser la « conscription » du ventre des femmes pour résoudre un problème de dénatalité dont les répercussions sur l’avenir de la société québécoise sont appréhendées.
Les contributions au présent dossier
Ici, comme ailleurs en Occident, la mort de la famille (Cooper, 1972) a été proclamée à maintes reprises au cours des dernières décennies. Or, non seulement de nouvelles formes de familles se sont ajoutées au modèle biparental dominant, entraînant une gestion différente et inédite des liens conjugal et parental, mais encore, la famille continue, bon an mal an, d’arriver en tête du palmarès des valeurs privilégiées par les Québécois et les Québécoises. En dépit des transformations qui multiplient ses configurations, et des problèmes qui en marquent souvent le devenir (ruptures, violence, pauvreté, négligence, etc.), elle demeure, en effet, fortement valorisée en tant que lieu d’expression de l’affectivité, espace identitaire, univers de socialisation et rempart contre la solitude, la froideur et la violence du monde extérieur. Nul ne se surprendra dès lors qu’au lieu d’alimenter la nostalgie des traditionalistes qui n’y voient que « crise » de la famille, les auteurs réunis dans le présent dossier posent la question du sens et de la portée des nouvelles représentations et pratiques familiales en fonction de la spécificité de l’environnement dans lequel elles s’actualisent aujourd’hui. Venus de divers horizons disciplinaires (anthropologie, économie, sociologie, psychologie, santé publique, travail social), ils et elles mettent en évidence certains des présupposés qui informent notre lecture de la famille et constituent souvent un frein à l’ouverture et à l’innovation, voire à l’acceptation de nouveaux modèles familiaux. Loin de refléter l’ensemble de la mosaïque des contextes familiaux actuels, leur contribution atteste tout de même de la multiplication des modèles de parentalité, des enjeux, anciens et nouveaux qui s’y greffent et de leur impact sur les personnes évoluant au sein de ces unités familiales.
Le texte de Gérard Neyrand, qui ouvre le présent dossier, propose une lecture sociohistorique des « discours savants » produits par les sciences humaines et analyse leur impact sur l’évolution des modèles et des représentations de la famille en France depuis la révolution de 1789. L’auteur y met en perspective les différentes prises de position, tantôt idéologiques, tantôt scientifiques, qui ont alimenté la réflexion et les débats sur les reconfigurations successives de la parentalité et du rapport social d’affiliation. En démontrant que la parentalité, tout comme la famille, participe de l’historicité de l’ordre social et de la transformation des rapports de sexe, il invite à penser dorénavant le rapport parental en termes de pluriparentalié.
En écho aux nombreuses interrogations qui traversent présentement le discours social, et notamment le milieu de l’intervention, la « question du père » qui se voit posée en filigrane de plusieurs articles, constitue le thème central de la contribution d’Annie Devault, Carl Lacharité, Francine Ouellet et Gilles Forget. Ces auteurs soulignent le bien-fondé d’introduire un modèle d’analyse « de l’engagement paternel en contexte d’exclusion économique et sociales » afin d’ouvrir une brèche sur un espace de pratiques paternelles très peu exploré et de faire tomber quelques préjugés à l’égard des jeunes pères marginalisés et pauvres dont les pratiques paternelles sont souvent passées sous silence ou interprétées à l’aune des conceptions dominantes de la paternité. S’intéressant également à l’engagement paternel, Anne Quéniart poursuit la réflexion sur les représentations et les pratiques des pères d’aujourd’hui. À partir d’une analyse de certaines dimensions du vécu de jeunes pères, elle se demande s’il existe de nouveaux modèles de paternité au sein de la jeune génération et si le partage des tâches et des responsabilités parentales s’effectue plus équitablement au sein des couples. Les résultats de ses recherches la conduisent à formuler un constat plutôt positif à cet égard ; « les représentations de ce qu’est un père ou une mère semblent effectivement en train de changer », alors que les pratiques paternelles ne seraient plus exclusivement calquées sur celles des générations précédentes.
Un dossier sur la famille ne saurait, à l’heure actuelle, faire l’économie d’une réflexion sur l’articulation emploi-famille. Dans son article, Diane-Gabrielle Tremblay s’intéresse à cette problématique sous l’angle de l’usage que font les hommes et les femmes des mesures de conciliation, et plus particulièrement des mesures touchant l’aménagement du temps de travail, offertes par certaines organisations québécoises. Après avoir fait état du nombre limité de mesures disponibles, Tremblay démontre que les motifs d’utilisation de ces mesures sont fortement différenciés selon le sexe, alors même qu’il appert que peu d’hommes utilisent les mesures d’aménagement du temps de travail pour des raisons familiales.
Portant leur regard sur la problématique de la recomposition familiale, Line Chamberland, Émilie Jouvin et Danielle Julien nous invitent sur un terrain peu exploré à ce jour dans la littérature québécoise. Après avoir brièvement situé l’émergence des familles homoparentales dans le contexte des récentes transformations ayant affecté la famille, les auteures portent un regard comparatif sur l’expérience des familles recomposées homoparentales et hétéroparentales. La recension des recherches empiriques dont elles nous communiquent les résultats les amène à constater qu’au-delà des différences qui caractérisent les dyades parentales il existe plusieurs similarités entre ces deux types de familles recomposées, l’un et l’autre de ces modes de recomposition familiale soulevant de « nombreux enjeux sur le plan de l’encadrement juridique et social des fonctions parentales ». Par ailleurs, en guise de conclusion, les auteures ajoutent que l’observation des familles homoparentales dans toute leur diversité contribue à remettre en question la conception patriarcale et hétérocentriste de la famille en faisant éclater les présupposés naturalistes qui en assuraient la légitimité.
Pour leur part, Marie-Christine Saint-Jacques, Sylvie Drapeau, Richard Cloutier et Rachel Lépine se penchent sur une autre facette de la recomposition familiale en interrogeant les conséquences de cette expérience sur l’adaptation des jeunes adolescents. Plusieurs études ont déjà tenté de répondre à ces questions, comme en témoigne la revue de littérature présentée dans cet article, mais très peu d’entre elles, comme c’est le cas de l’étude présentée ici, s’appuient sur une perspective écologique pour le faire. Après avoir rappelé que la plupart des jeunes adolescents vivant au sein d’une famille recomposée « vont bien », les auteurs soulignent, sur la base des résultats d’une étude longitudinale qu’ils ont menée auprès de 121 familles recomposées comprenant un jeune âgé entre 10 et 17 ans, que les adolescents de ces familles étaient tout de même plus susceptibles que leurs congénères de familles biparentales intactes d’éprouver des difficultés de comportement au cours de cette étape de leur vie et rappellent à cet égard le rôle déterminant du parent gardien quant à la présence ou l’absence de problèmes de comportement.
Partant du postulat que la famille d’aujourd’hui est un construit social fondé sur « l’électivité des liens, l’affectivité et l’ouverture aux autres », Françoise-Romaine Ouellette et Caroline Méthot ont recueilli les témoignages de parents adoptifs pour appréhender les conditions dans lesquelles un enfant adopté à l’étranger est intégré dans sa nouvelle famille et la place accordée par les parents adoptifs à ses origines familiales et culturelles. De la rupture complète d’avec les origines préconisée par quelques parents à une volonté de préserver une continuité identitaire qui est l’attitude prédominante, la dimension paradoxale de l’identité adoptive est posée par les auteures en termes de tensions entre « un idéal culture, toujours prégnant, de consanguinité et une insistance croissante sur la dimension psychoaffective des liens familiaux ».
Traitant d’une autre réalité très contemporaine, soit celle du nombre grandissant de familles immigrantes au Québec, Michèle Vatz Laaroussi s’appuie sur les nombreux récits de vie qu’elle a recueillis au cours des 10 dernières années auprès de 230 familles d’origines diverses pour réfléchir sur la « place des familles immigrantes comme citoyennes de leur société d’accueil » et sur les leçons à tirer des pratiques de citoyenneté élaborées, tant dans l’espace privé que dans l’espace public, par ces mêmes familles. Témoignant de la richesse et de la diversité des stratégies observées et de l’ampleur des efforts que ces familles investissent dans l’acquisition de leur nouvelle citoyenneté, l’auteure déplore le peu de sensibilité, voire les préjugés, des acteurs institutionnels et organisationnels qui amènent ceux-ci à se représenter les familles immigrantes de façon monolithique. Elle relève, au contraire, en fonction du parcours migratoire et du pays d’origine des familles, plusieurs dynamiques familiales, notamment à l’égard de l’éducation et de la complémentarité famille-institution.
Qui dit famille dit recherche de bien-être pour les enfants. Le texte de Ruth Rose et Lorraine Desjardins nous initie à la complexité des réformes qui ont entraîné, au cours des années 1990, la réduction du soutien monétaire assuré aux familles québécoises ; réduction, le texte en fait la démonstration, dont ont été les premières et principales victimes les familles les plus pauvres en raison des coupures répétés au programme d’aide sociale, tandis que les familles plus à l’aise bénéficiaient de réductions d’impôt. Rappelant une proposition formulée de longue date par la Fédération des associations de familles monoparentales et recomposées du Québec et soutenue par le mouvement des femmes québécois dans son ensemble, les auteures réclament le rétablissement d’un régime universel d’allocations familiales, assorti d’une prestation supplémentaire pour les familles les plus pauvres et en documentent les modalités d’application.
Enfin, c’est sur un plaidoyer pour le développement de solutions collectives et concrètes pour obtenir la reconnaissance du travail de soins assumé par les femmes que se termine le présent dossier. Constatant que la conjoncture semble mûre pour aborder un tel débat, Nancy Guberman trace en début d’article un portrait du contexte et des conditions dans lesquelles les femmes assument la majeure partie du travail quotidien de soins à leurs proches dépendants. Par la suite, elle aborde différents enjeux que soulève la question de la rémunération des soins familiaux et présente quelques principes de base qui lui apparaissent pertinents pour éclairer la discussion et favoriser l’élaboration d’une politique de rémunération des soins familiaux. La réflexion de l’auteure sur la nécessaire reconnaissance économique du travail de soins assumé par les femmes auprès de proches dépendants ouvrira sans aucun doute la voie à de nombreuses discussions.
Appendices
Bibliographie
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