L'essai d'Henri Lamoureux soulève des questions d'une indéniable actualité pour les groupes communautaires québécois. Constatant l'émergence d'un nouveau corporatisme social, la prépondérance du gestionnaire sur le militant, l'intoxication de pouvoir et l'élitisme dans la représentation sociale, il pose le diagnostic suivant : une couche de technocrates s'est appropriée le mouvement communautaire à la faveur de la décentralisation de l'État québécois. L'auteur estime « importante quoique généralement inconsciente, [la] pénétration du néolibéralisme comme idéologie de référence chez plusieurs leaders des mouvements sociaux » (p. 21). En contrepoint, il se propose d'« examiner si les formes d'engagement que nous privilégions favorisent toujours le développement d'une société fondée sur le respect des personnes, la solidarité humaine, la justice sociale et l'élargissement de l'espace démocratique » (p. 18). Développant la thèse de dérives de la démocratie, l'essai laisse transparaître une inquiétude certaine quant à l'avenir d'un mouvement auquel l'auteur affirme de bien des façons son attachement et pour lequel il professe son engagement : « Je n'ai donc pas d'autres prétentions que d'exprimer certaines de mes inquiétudes, en sachant très bien qu'elles peuvent être moins fondées que je ne le crois. Tant mieux si c'est le cas », affirme-t-il en conclusion (p. 154). D'entrée de jeu, Henri Lamoureux affirme sa conviction qu'en donnant « toujours plus de sens à l'idée d'humanité » (p. 12), la société civile joue aujourd'hui le rôle de « rempart contre les effets d'une société politique qui se structure de plus en plus autour d'un pouvoir exécutif fort, pour ne pas dire despotique » (p. 11). C'est sur le fond de ce postulat éthique que sont identifiées des dérives. La professionnalisation de la représentation que l'auteur assimile à l'émergence d'une « nouvelle bureaucratie communautaire parallèle à la fonction publique » (p. 15) constitue la première de ces dérives. « Prisonniers d'une logique de concertation qui, à l'usage, ne sert pas nécessairement les objectifs démocratiques que se sont fixés les organismes dans lesquels ils oeuvrent » (p. 16), les salariés des groupes assument la plupart des représentations « sous le fallacieux prétexte que les membres de leur organisation ne [peuvent] les assumer » (p. 88). Non seulement « on entend toujours les mêmes personnes se faire les interprètes de l'oppression et des besoins des autres », mais, en plus, cela « ne leur laisse en définitive plus de temps pour travailler à l'essentiel : l'animation de leur organisme et la formation de ses membres » (p. 122). D'où le cri d'alarme suivant : « que sont devenus les membres, ces citoyens motivés par le souci de leur responsabilité et le désir de l'engagement civique gratuit ? » (p. 120). La seconde dérive représente la récupération de l'action communautaire par le biais des découpages sectoriels des clientèles et des programmes, en contradiction avec la perspective globale propre au communautaire. Le développement d'approches identitaires fragmentées en fonction des particularismes a ouvert la porte à cet éclatement que l'État utilise pour « apaiser la revendication populaire en intégrant les groupes spécialisés dans le processus de gestion des problèmes sociaux » (p. 31). C'est la « corporatisation du social » (p. 24). Une perspective communautaire devrait plutôt favoriser « le regroupement des individus afin de leur donner une prise sur le développement de la société » (p. 37). L'intégration des groupes communautaires à la vie démocratique de la société québécoise à travers les instances de concertation fait en sorte que « plusieurs de ces organismes s'interposent maintenant entre le peuple et les détenteurs du pouvoir » (p. 100). Pourtant, « le projet des mouvements sociaux structurés en associations, en syndicats et en une constellation d'organismes …
Les dérives de la démocratie : questions à la société civile québécoise. Henri Lamoureux. Montréal, VLB Éditeur, 1999, 158 p.[Record]
…more information
René Lachapelle
Organisateur communautaire
CLSC du Havre