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Depuis plusieurs décennies, le sociologue Joseph Yvon Thériault se démarque par son oeuvre riche et foisonnante, curieuse, érudite et ouverte. Les dernières années ont vu paraître deux ouvrages qui viennent, en quelque sorte, commémorer une réflexion et un engagement intellectuel vivant, fervemment préoccupé par l’Acadie, les francophonies canadiennes, la société québécoise, la démocratie moderne et l’identité.
En 2020 paraît l’ouvrage L’autre moitié de la modernité, un recueil d’entretiens menés avec Thériault par François-Olivier Dorais, professeur d’histoire à l’Université du Québec à Chicoutimi qui s’intéresse à l’histoire des idées, et Jean-François Laniel, professeur de sociologie religieuse à l’Université Laval et collaborateur de Thériault[1]. L’année suivante, l’ouvrage collectif Sur les traces de la démocratie, dirigé par Stéphanie Chouinard, François-Olivier Dorais et Jean-François Laniel voit le jour[2]. Les deux livres se complètent passablement bien. Le premier constitue l’occasion pour Thériault de revisiter son parcours et sa carrière, de réitérer les thèmes récurrents de son oeuvre, alors que le second permet à une vingtaine de chercheurs et de chercheuses, dont une part importante sont de proches collaborateurs de Thériault, soit de commenter son oeuvre, de réfléchir à partir de cette dernière, ou, dans quelques rares cas, d’être légèrement critiques à son égard.
La publication quasi simultanée de ces deux ouvrages ressemble à s’y méprendre à une consécration. Ce type de consécration peut susciter un questionnement sur ce qui institue une telle oeuvre. Outre d’inévitables critères purement quantitatifs (nombre de livres, d’articles, etc.), l’oeuvre possède une cohérence interne ainsi qu’un fil conducteur marqué par des évolutions, parfois des ruptures, importantes ou mineures. Difficile d’aborder cette oeuvre sans parler de reconnaissance. Ce que Joseph Yvon Thériault a accompli au cours des cinq dernières décennies constitue bel et bien une oeuvre. Les deux livres dont il est question ici en constituent un témoignage fort émanant de pairs, de collègues, d’étudiants présents ou anciens.
Les deux ouvrages ne sont toutefois pas égaux sur le plan des contributions. Notons d’emblée que Sur les traces de la démocratie rend hommage de façon presque unanime à l’oeuvre de Thériault. Le recueil regroupe une communauté de chercheurs et de chercheuses qui ont gravité de près ou de loin autour de Thériault et des pôles d’attraction et d’influence qu’auront été le Centre interdisciplinaire de recherche sur la citoyenneté et les minorités (CIRCEM), sise à l’Université d’Ottawa – l’institution à laquelle Thériault a été le plus durablement associé et, probablement, (c’est du moins ce qu’on devine à la lecture de L’autre moitié de la modernité) celle qui a été, au long de son cheminement d’étudiant et de professeur, la plus marquante – et la Chaire du Canada en Mondialisation, Citoyenneté et Démocratie (Chaire MCD) basée à l’Université du Québec à Montréal.[3] Cette communauté est formée de chercheurs et de chercheuses en début de carrière, comme le groupe composé de Chouinard, de Dorais et de Laniel, de même que de figures plus établies, telles que Éric Bédard, Gilles Labelle, É.-Martin Meunier, Anne Gilbert, Michel Bock, Marie-Blanche Tahon, parmi plusieurs autres. De toute évidence, l’influence qu’a exercée Thériault auprès de ses collègues est bien réelle : « Conformément, écrivent Chouinard, Dorais et Laniel, à la tradition voulue des “mélanges offerts”, la présente démarche s’inscrit donc dans une double logique de célébration, visant à souligner le terme d’une carrière universitaire de plus de quarante ans, et d’éloge pour celui qui fut, aux yeux de beaucoup, un mentor, un collègue, un complice, un ami, un visionnaire[4] ».
Si ces ouvrages expriment la volonté de consacrer une oeuvre importante, force est de constater que cette dernière n’a pas toujours joui de ce statut. Comme le rappelle É.-Martin Meunier dans une préface résumant bien à la fois le parcours de Thériault lui-même et les raisons pour lesquelles son oeuvre exerce un tel attrait, celle-ci s’est constituée en quatre « temps » : le temps du développement, celui de l’Acadie et des francophonies minoritaires, celui des réflexions critiques sur l’américanité et, finalement, celui de la critique du cosmopolitisme[5]. Comme l’oeuvre comprend jusqu’à présent, en faisant abstraction des collectifs, six livres, on peut sans doute inclure la thèse de doctorat et le premier livre de Thériault dans la phase du développement[6], L’identité à l’épreuve de la modernité et Faire société dans la seconde phase, Critique de l’américanité et Évangéline dans la troisième et les Sept leçons dans la dernière phase.
Les deux premières étapes de la carrière de Thériault ont été associées à l’Acadie, et il faut bien admettre que les travaux qu’il a produits à l’époque en sociologie acadienne sont incontournables, voire essentiels. Ainsi, son Identité à l’épreuve de la modernité rivalise avec l’opus magnum de la sociologie en Acadie, soit L’Acadie du discours de Jean-Paul Hautecoeur[7]. On peut dire la même chose du recueil sur les francophonies canadiennes : avec ceux de quelques autres chercheurs et chercheuses établis (Linda Cardinal, Jean Lapointe, etc.), les travaux de Thériault deviennent rapidement des références incontournables[8]. En Acadie, il n’était pas possible (c’est encore vrai aujourd’hui) de faire de la sociologie sans passer par l’analyse que proposait Thériault durant les années 1990 : rapport au politique en contexte de minorité; judiciarisation des rapports de pouvoir; nuances entre le et la politique, entre le nationalisme et le nationalitaire; liens entre la modernité et la construction identitaire nationale, etc. Bref, la lecture que Thériault proposait de l’Acadie (du Nouveau-Brunswick, principalement) était incontournable et demeure à ce jour essentielle parce qu’elle se développait à partir d’un appareillage sociologique contemporain, qui n’avait pas été conçu spécifiquement pour l’Acadie, mais auquel il apportait les ajustements nécessaires afin qu’il puisse convenir aux « petites sociétés[9] ».
Il existe, chez les commentateurs et les commentatrices comme chez Thériault lui-même, une certaine ambiguïté quant à son identité de chercheur. Stéphanie Chouinard affirme, par exemple, que Thériault est un « sociologue acadien malgré lui », ce qu’elle explique de la façon suivante : « [L]a plus grande contribution de Thériault, et celle qui restera à l’esprit des jeunes chercheurs qui lui succèderont, est d’avoir démontré la légitimité et la richesse que recèlent des petites sociétés comme l’Acadie, et la francophonie canadienne de façon plus générale, en démontrant qu’elles aussi pouvaient converser avec l’universel[10] ». Thériault, dans le livre d’entretiens, évoque lui aussi la question de ses origines acadiennes et de leur influence sur son cheminement :
Effectivement, le fait de provenir d’une minorité nationale qui ne bénéficie pas d’un levier étatique ni d’une historicité forte a pu jouer en ce sens. […] L’expérience de l’Acadie, mon identification à l’Acadie et ma réflexion sur elle m’ont certainement sensibilisé à l’idée qu’il existe de multiples façons de faire l’histoire et d’exister, qu’il n’y a pas de linéarité dans l’Histoire, de chemin tout tracé d’avance. Et peut-être y a-t-il aussi ce vieux ressort de la conscience acadienne qui, meurtrie par la déportation, toujours dans l’appréhension de réveiller « l’ours » anglais, a une inclination davantage marquée vers la modération, le compromis, la bonne entente, etc.[11]
Que Thériault et Chouinard, parmi d’autres, sentent le besoin de souligner la présence et, jusqu’à un certain point, le déterminisme de l’identité acadienne signifie-t-il que l’ensemble de la carrière et de l’oeuvre sont à classer automatiquement dans le rayon des « études acadiennes et des francophonies »? De là sans doute l’importance de la réception et de la portée de Critique de l’américanité comme moment de bifurcation dans le tracé plus général de l’oeuvre. Avant la parution de ce livre, Thériault était surtout connu et perçu comme un sociologue acadien dont les travaux portaient sur des questions acadiennes et les francophonies canadiennes. Son livre L’identité à l’épreuve de la modernité, publié en 1994, qui synthétise à mon sens le mieux la pensée de Thériault et qui constitue certainement l’une des meilleures représentations d’une « sociologie des francophonies canadiennes » ou encore de l’Acadie, de même que le collectif portant sur L’état des francophonies canadiennes étaient ses ouvrages les plus connus et le cantonnaient dans un domaine d’études bien circonscrit[12]. Thériault revient, comme quelques collaborateurs aux mélanges d’ailleurs, sur l’utilisation du sobriquet « Khazar de Caraquet » donné par Jean-Jacques Simard dans une recension[13]. Si Thériault prend la situation avec humour, le fait d’être ramené à ses origines acadiennes ne lui échappe pas[14]. L’anecdote souligne également le fait qu’à l’époque, il s’agissait aussi de l’identité intellectuelle de Thériault, qui ne faisait pas partie de la sociologie québécoise. Cela allait changer en 2002 avec Critique de l’américanité[15]. C’est à la manière de l’ogre, écrira Gilles Gagné, que Thériault synthétisera dans cet ouvrage la presque totalité des études sociohistoriques plus ou moins récentes portant sur la société québécoise et qu’il se situera à contre-courant d’à peu près toutes les thèses modernisatrices, dont la plus importante était à cette époque la proposition de Gérard Bouchard sur l’américanité et les sociétés du Nouveau Monde[16]. C’est à partir de cet ouvrage de 2002 que Thériault entre officiellement dans le champ de la sociologie québécoise. D’évidence, on comprend, à la lecture de L’autre moitié de la modernité et de Sur les traces de la démocratie (en particulier de ce dernier), l’importance qu’a pu avoir Critique de l’américanité, en lien avec la réception de l’ensemble de l’oeuvre de Thériault. Cet ouvrage est considéré comme le plus important de Thériault, du moins, selon les collaborateurs et les collaboratrices du collectif. François Paré, notant qu’il existe effectivement une progression dans l’oeuvre de Thériault au fil des ouvrages – l’apparition de thèmes et d’influences au fil du temps (des « néo-tocquevilliens » notamment), la disparition de certains autres (le socialisme et l’autogestion des premiers écrits) – juge que Critique de l’américanité marque de toute évidence un tournant, et ce, sur plusieurs plans[17].
Sur les traces de la démocratie et L’autre moitié de la modernité consacrent une oeuvre portant sur les francophonies dont les multiples habitats sont canadiens, québécois et acadien. Critique de l’américanité constitue le moment où l’oeuvre de Thériault devient à proprement parler « québécoise », c’est-à-dire qu’elle a été lue, reçue, comprise et interprétée ainsi par ses pairs. Quelle oeuvre consacre-t-on ici? S’agit-il d’une oeuvre de sociologie québécoise, d’abord et avant tout? Doit-elle être intégrée dans le champ des études sur les francophonies canadiennes? S’agit-il d’une oeuvre acadienne? Où donc la situer, quelle communauté peut en toute légitimité la revendiquer?
Simon Langlois s’était posé, il y a environ vingt ans, une question similaire : quelles sont les oeuvres sociologiques les plus marquantes ou influentes au Canada? Langlois et son collègue Harry Hiller dresseront finalement deux listes, soulignant à la fois la distance et l’autonomie des champs canadiens anglophone et francophone[18]. Rioux d’un côté, Porter de l’autre. Les champs des études acadiennes et des francophonies canadiennes ne sont pas aussi étanches, mais la distance entre la recherche au Québec et celle qui est menée en Acadie et dans les francophonies canadiennes est toutefois plus significative[19].
L’oeuvre de Thériault occupe certainement une place unique au sein de la sociologie produite en Acadie, tant du point de vue qualitatif que quantitatif. La recherche en sociologie en Acadie est plutôt clairsemée, pour des raisons que Thériault comprend bien, lui qui évoque la réalité de l’Université de Moncton (qui doit répondre aux exigences élevées d’une communauté qui n’a pas le luxe d’avoir une multitude d’institutions de la sorte), ou encore le sort d’une communauté minoritaire disposant de peu de leviers de pouvoir, et donc de peu de ressources, dont évidemment les ressources intellectuelles. La sociologie en Acadie compte bien quelques moments intéressants et pertinents (au sens dumontien) : un certain nombre de thèses innovatrices, une crise importante – la fermeture d’un département universitaire –, ainsi qu’un chef-d’oeuvre, L’Acadie du discours de Hautecoeur. Mais presque tout Hautecoeur, du moins concernant l’Acadie, se trouve entre les deux couvertures de ce livre. L’oeuvre de Thériault constitue incontestablement une contribution unique de par son importance et sa portée dans le champ de la sociologie de l’Acadie, et probablement sans beaucoup d’équivalents parmi les études acadiennes tout court[20].
La place qu’occupe l’oeuvre de Thériault dans le corpus des études sur la francophonie est relativement similaire à la place qu’elle occupe dans le champ des études acadiennes. Son oeuvre demeure également incontournable, à l’instar de quelques autres chercheurs – Linda Cardinal, Gaëtan Gervais, François Paré, entre autres – et peut se substituer à d’autres oeuvres fortes, comme celle de Monica Heller, par exemple, qui émanent de ce que Thériault et Meunier ont qualifié d’« école de Toronto[21] ». Une oeuvre majeure donc, mais dont le poids relatif est sans doute un peu moindre qu’en Acadie. L’historien Martin Pâquet a récemment affirmé que deux auteurs ont constitué, au cours de la dernière décennie, des références incontournables pour les nombreux auteurs ayant contribué aux colloques et aux publications de la Chaire d’études des francophonies d’Amérique du Nord (CEFAN) : il s’agit de Gérard Bouchard et de Joseph Yvon Thériault[22].
Pour ce qui est de la place qu’occupe l’oeuvre de Thériault dans l’histoire de la sociologie québécoise, un peu de recul est encore nécessaire. La présente consécration n’est pas chose fréquente dans le monde universitaire : la reconnaissance, le respect, l’appréciation et l’admiration dont jouit Thériault constituent souvent les signes d’une oeuvre achevée. Une telle réception présente, à tout le moins, la possibilité que Thériault ait fait sa marque en sociologie québécoise, probablement en compagnie de quelques chercheurs qui lui sont contemporains (Bouchard semble être une valeur sûre), dans la foulée de penseurs marquants de la sociologie québécoise, dont Dumont, Rocher, Freitag.
Si l’on admet que les champs sociologiques de l’Acadie, des francophonies canadiennes et du Québec sont distincts, bien que leurs frontières puissent être poreuses et que l’on reconnaisse l’importance de Thériault dans les trois cas en tant qu’auteur d’une oeuvre définitrice et influente à la fois pour le Québec, l’Acadie et les francophonies canadiennes, à notre connaissance, aucun autre intellectuel que Thériault ne s’est autant illustré dans chacun de ces champs et de manière aussi remarquable. Ce qui confirme le caractère singulier de l’oeuvre, de même que sa portée.
L’autre moitié de la modernité et Sur les traces de la démocratie se démarquent certainement, outre évidemment par la qualité et le grand intérêt de leur contenu, parce qu’ils soulignent à grands traits la portée de l’oeuvre de Thériault. L’une des principales qualités de ces deux ouvrages est la mise en lumière des « dessous » de la construction d’une oeuvre. À de multiples endroits dans les pages de L’autre moitié de la modernité et de Sur les traces de la démocratie, d’actuels ou d’anciens collaborateurs de Thériault (Laniel et Dorais, Meunier, Bédard, Chouinard, entre autres) racontent des anecdotes personnelles concernant le principal intéressé, comme il est souvent de mise dans ce genre d’exercice. Toutefois, particulièrement dans les entretiens menés par Laniel et Dorais, l’anecdote prend soudainement une ampleur insoupçonnée. Thériault, par des détours sur l’enseignement, son rapport à l’université, le travail intellectuel, des éléments de méthodologie (un aspect fort intéressant presque totalement absent de ses écrits), présente sa conception du métier de sociologue. Ce sont là des détails ou des aspects que l’on juge accessoires, mais à l’instar de ce fut le « making of » à l’époque du DVD, cette intrusion dans les coulisses de la production et de la diffusion non pas uniquement du savoir (pour reprendre le jargon des organismes subventionnaires), mais d’une oeuvre sociologique, relève de la pédagogie du travail universitaire. En cela, il faut souligner la grande utilité du livre de Laniel, de Dorais et de Chouinard, même si la lecture que nous en faisons ici s’éloigne probablement de leur intention initiale.
Mentionnons, en premier lieu, la conception du « tourisme intellectuel » présentée par Thériault dans L’autre moitié de la modernité :
C’est quelque chose que j’ai beaucoup fait et je ne suis pas gêné de le dire ! Pendant longtemps, je suis allé en France chaque année pour faire du tourisme intellectuel, pour retourner assister à des séminaires de Lefort, de Gauchet ou de Rosanvallon, ou encore des conférences de Touraine, de Louis Dumont et d’autres.
Cette attitude, Thériault l’attribue d’emblée à sa conception du travail intellectuel et à la façon dont il s’est toujours défini comme universitaire :
Je ne me suis jamais défini comme un scholar, c’est-à-dire l’universitaire qui reçoit une formation classique pendant sept ans dans un laboratoire sous la supervision de quelqu’un et qui se spécialise sur une thématique particulière. […] Je me suis toujours senti comme un universitaire intellectuel. Il faut dire que je suis d’une génération où cette posture était encore légitime dans le monde universitaire; ce fut celle de sociologues comme Marcel Rioux ou Fernand Dumont, qui n’avaient rien de la figure du chercheur scholar[23].
Ce tourisme est à mille lieux du contexte universitaire actuel où l’activité intellectuelle est, d’abord et avant tout, placée sous le prisme de l’utilitarisme de la recherche : tout est quantifiable et mesurable en unité ou demi-unités de recherche et en facteurs d’impact, qui servent surtout, en définitive, à justifier des promotions et à obtenir des subventions. Le tourisme de Thériault ne sert, dans cette optique, à rien : il traduit cette idée de curiosité et de quête intellectuelles comme fin en soi. Et lorsqu’il n’est pas touriste, Thériault est plombier : « Je dirais que je fonctionne un peu à la manière d’un plombier. Quand je sens une interpellation, l’appel du milieu, la demande sociale de sens (la fuite d’eau, pour filer la métaphore), je me lance. L’essentiel de mon travail consiste à savoir écouter le social, me laisser interpeller par lui[24] ». Si certains des ouvrages de Thériault possèdent une cohérence et une ligne directrice du début à la fin – Évangéline, Critique de l’américanité –, d’autres, notamment ceux qui concernent davantage l’Acadie ou les francophonies canadiennes, – Faire société et L’identité à l’épreuve de la modernité viennent à l’esprit – reflètent ce caractère plus circonstanciel de l’analyse sociologique.
La conception du métier de sociologue chez Thériault, et plus spécifiquement ici du métier d’universitaire tout court, passe par l’engagement envers son institution universitaire. On sait l’importance que Thériault accorde à l’institution dans ses écrits et ses analyses sociologiques. Il n’est, à cet égard, guère surprenant de constater que l’institution au centre du travail du sociologue, l’université, est à la fois source d’influence et de mobilisation et objet d’investissement professionnel. Assumer les responsabilités de doyen et de vice-doyen durant une bonne partie des années 1990 a permis à Thériault de concrétiser son engagement. En ce sens, le cheminement professionnel de Thériault s’accorde avec cette idée (sans fausses illusions sur les tendances actuelles du monde universitaire toutefois) que l’institution universitaire est un lieu de pouvoir, de médiation, de changement social, de transformations institutionnelles modestes, qui permet pourtant de contribuer à « faire société ». Si « l’institution dans laquelle on travaille laisse des traces », Thériault a tenté de laisser la sienne à l’Université d’Ottawa : « L’Université d’Ottawa a été un lieu d’accueil, j’y ai trouvé des collègues, des ressources institutionnelles et une vie universitaire à laquelle j’ai pu participer. J’ai tenté, au meilleur de mes compétences, de construire quelque chose là-bas et d’y laisser une trace. » Le jugement posé sur l’Université d’Ottawa est cependant nuancé : « C’est peut-être là ma plus grande déception au sujet de l’Université d’Ottawa; je ne suis pas certain que la trace que j’ai voulu y laisser corresponde à la trajectoire que l’institution a prise depuis[25] ». Insatisfait de l’effritement du lien unissant l’institution universitaire ottavienne aux communautés francophones, Thériault réitère, malgré sa déception, la nécessité de l’engagement envers elle. Pour ce qui est de sa conception de l’enseignement, Thériault est malheureusement un peu plus laconique, évoquant l’importance d’adapter les notions et les auteurs aux réalités des sociétés ou aux phénomènes étudiés (plutôt que l’inverse) et soulignant la passion qu’il a éprouvée pour l’enseignement et l’accompagnement intellectuel.
Thériault situe son oeuvre dans le domaine de la sociologie compréhensive, dans l’optique de Max Weber, l’un de ses auteurs fétiches avec Tocqueville : « La sociologie compréhensive veut comprendre le sens de l’activité sociale, elle croit que le sens de l’activité est important dans la structuration d’une société, elle vise à comprendre ce sens avec des outils sociologiques et partir d’un angle particulier[26] ». La sociologie compréhensive exige de la part du sociologue qu’il exerce une certaine sensibilité, un travail d’écoute approfondie afin de bien comprendre l’expérience vécue par le sujet social qui l’intéresse. Si Thériault ne l’avait pas énoncée aussi explicitement dans l’ouvrage d’entretiens de Laniel et de Dorais, il n’est pas certain qu’il aurait été possible de déduire sa position uniquement à partir de ses livres. La surprise de cet aveu méthodologique et épistémologique vient possiblement du fait qu’il existe chez Thériault, et je dirais plus précisément à partir des années 2000, certaines postures normatives. Ces postures, ou « certitudes », normatives ne se perçoivent pas à tous les niveaux et pour tous les sujets. Lorsque Thériault livre ses impressions sur le mouvement indépendantiste québécois ainsi que sur les deux référendums de 1980 et de 1995, on voit bel et bien apparaître ladite posture compréhensive dont se réclame Thériault. Il y fait part de ses choix politiques – il a voté oui, deux fois –, mais il ne tombe pas dans le désespoir facile, comme tant d’autres de ses contemporains. En fait, sa posture traduit un détachement, une attitude plutôt zen, même sur la question de l’indépendance du Québec. Comme il le dit ailleurs, l’histoire est faite de plusieurs chemins. Toutefois, lorsqu’il est question d’autres enjeux sociaux contemporains, la posture compréhensive de Thériault soudainement disparaît. L’un des exemples les plus éloquents est certainement celui du mouvement étudiant et de l’interprétation qu’il fait du printemps érable en général. D’ordinaire, la posture de la sociologie compréhensive exige que l’on accorde une attention particulière aux propos tenus, à la vision du monde et aux interprétations plus générales offertes par les sujets sociaux visés par la recherche. Or, sur plusieurs questions à forte teneur normative, Thériault évacue totalement ces exigences de sociologie compréhensive. À cet égard, il n’est guère surprenant que Thériault n’ait jamais pris la peine d’expliciter clairement, dans son oeuvre, son affiliation à une quelconque sociologie compréhensive, puisque sa pratique de ce type particulier de sociologie est pour le moins élastique ou à intensité variable. Ici, la place et le rôle que joue l’institution dans la société moderne, du moins dans la lecture qu’en fait Thériault, font ombrage aux postulats élémentaires de la sociologie compréhensive et d’une méthodologie axée sur une herméneutique du sujet social. Si Thériault reconnaît effectivement l’importance du « sens de l’activité sociale », le sens que donnent les acteurs à ces activités, la charge de sens investie dans les gestes sociaux ne sont guère pris en compte.
Dans la section de L’autre moitié de la modernité où il est question du mouvement étudiant, Thériault condamne sans équivoque ni hésitation le mouvement de 2012, sans jamais tenter de « comprendre » la conception de l’historicité du mouvement, pour parler comme Touraine, sans jamais, pour le dire autrement, s’intéresser véritablement au sens que les acteurs attribuent à leurs actions, démarche au centre pourtant d’une sociologie véritablement compréhensive[27]. Thériault semble préférer avancer son point de vue normatif sur l’importance des institutions que comprendre, d’une part, les motivations des acteurs et le sens à attribuer aux actions et reconnaître, d’autre part, comme il le fait pourtant à de multiples reprises ailleurs durant les entretiens avec Laniel et Dorais, que l’histoire suit des chemins variés qui ne sont pas toujours ceux empruntés par les institutions, mais qui représentent aussi des lieux de pouvoir[28]. La sociologie de Thériault est fortement théorique et conceptuelle; ses certitudes normatives prennent souvent le pas sur l’expérience vécue, comme le préconise la sociologie compréhensive. Le mouvement de mai 68 et ses incarnations canadiennes sont, par ailleurs, épargnés par la critique normative de Thériault, contrairement au mouvement étudiant contemporain.
La question environnementale est à cet égard emblématique. Thériault, un moment après avoir réduit le militantisme de Greta Thunberg à une simple question d’« icône », revient sur la question avec un constat lucide :
Si la crise écologique que l’on nous annonce est exacte – réchauffement climatique, épuisement des ressources, pollution, et je pense qu’elle est exacte –, il est difficile d’envisager un compromis, et encore plus compliqué d’entrevoir l’acceptation démocratique d’un abaissement généralisé du niveau de vie. Évidemment, un tel abaissement du niveau de vie devrait commencer dans les sociétés démocratiques qui sont les plus prédatrices de ressources sur la planète. La démocratie fait probablement face, ici, à son plus grand défi historique[29].
S’il est vrai que la crise écologique est le plus grand défi auquel fait face la démocratie, il est tout de même curieux, voire étonnant, de constater le silence de Thériault à ce sujet, alors que la démocratie constitue de toute évidence l’une des grandes préoccupations qui traversent son oeuvre. Doit-on lire, dans cet apparent désintérêt, une manifestation que seuls comptent les discours, les représentations et les actions institutionnelles « officielles » des différents lieux de pouvoir de la société?
Pour faire suite à cette discussion sur les positions normatives de Thériault dans certains de ses écrits, mentionnons qu’une préoccupation récurrente, mais un peu secondaire, est présente dans les deux ouvrages dont il question ici : le soi-disant conservatisme de Joseph Yvon Thériault. Certains l’affirment, tout en nuançant leurs propos : Chouinard parle d’un « conservatisme sociologique », Meunier, d’un nationalisme « si peu conservateur »[30]. Thériault lui-même semble assez peu préoccupé par l’adresse idéologique où logent ses idées : il choisit plutôt une formule à la Yvon Deschamps, celle d’un « conservateur libéral[31] ». II existe sans doute une certaine nostalgie dans l’oeuvre plus récente de Thériault. Sa carrière et son oeuvre ont été consacrées à la démocratie, à la modernité, à l’américanité, mais on sent bien que sa principale préoccupation semble se situer dans la préservation et le maintien des traditions, d’une certaine conscience historique. Enfin, il propose de défendre les institutions actuelles face aux différents mouvements qui en remettent en cause la légitimité. Comme le note Pénélope Cormier à propos de l’Évangéline de Thériault, « le choix même de son sujet est le premier indice permettant d’identifier la position intellectuelle de Joseph Yvon Thériault[32] ». Il semble être plus à l’aise de mener une analyse fondée sur de grands principes philosophiques ou des auteurs familiers que de tenter de comprendre, de manière « compréhensive » ou autrement, les défis du présent. Geneviève Nootens note également un soupçon de nostalgie chez Thériault, dans sa conception du politique d’une part, mais également dans sa lecture (ou sa non-acceptation), de la démocratie participative[33]. Cette nostalgie, qui teinte sa lecture de la modernité, n’est pas sans rappeler, du moins c’est une lecture possible, le sociologue allemand contemporain de Weber, Ferdinand Tönnies, principalement connu pour son livre Communauté et société.[34] Outre la présentation de deux formes de socialité, notions qui deviendront fondamentales en sociologie, l’ouvrage laisse entrevoir le désarroi de Tönnies face à l’avènement de nouvelles instances de la « société » (l’État, la métropole, la grande entreprise, etc.), au détriment des formes d’organisation communautaire (la famille, le village, la nation) et du traitement normatif réservé à l’analyse de ces deux catégories. En somme, Tönnies voyait apparaître dans la société des formes d’organisation dont l’émergence s’appuyait sur la désagrégation du monde « communautaire » ancien, ce qu’il déplorait[35].
La consécration est aussi un bilan, un moment où l’on mesure le travail accompli. Thériault, qui, pendant plusieurs décennies, a réfléchi, depuis l’Acadie, Ottawa et le Québec, aux exigences et aux limites de la modernité, au sort de la démocratie et aux transformations de l’identité, a encore quelque chose à dire sur le monde contemporain. Les communautés étudiées par Thériault ont toutes bénéficié de son regard et de sa prise de parole. Mon souhait ici, malgré les quelques réserves évoquées ici et là, est que la consécration ne soit qu’une autre étape dans son oeuvre, et non pas sa conclusion.
Appendices
Notes
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[1]
François-Olivier Dorais, Jean-François Laniel et Joseph Yvon Thériault, L’autre moitié de la modernité, Québec, Presses de l’Université Laval, 2020.
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[2]
Stéphanie Chouinard, François-Olivier Dorais et Jean-François Laniel (dir.), Sur les traces de la démocratie : réflexions autour de l’oeuvre de Joseph Yvon Thériault, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2021.
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[3]
Il est particulièrement intéressant de noter que le seul chercheur présent que l’on puisse associer à l’Université de Moncton est Éric Forgues, directeur de l’Institut canadien de recherche sur les minorités linguistiques (ICRML).
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[4]
« Introduction », dans Chouinard, Dorais et Laniel (dir.), Sur les traces de la démocratie : réflexions autour de l’oeuvre de Joseph Yvon Thériault, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2021, p. 6.
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[5]
É.-Martin Meunier, « Préface », dans Dorais, Laniel et Thériault, L’autre moitié de la modernité.
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[6]
Joseph Yvon Thériault, Acadie coopérative et développement acadien : contribution à une sociologie d’un développement périphérique et à ses formes de résistances, thèse de doctorat (sociologie), Paris, École des hautes études en sciences sociales, 1981; Joseph Yvon Thériault, La société civile ou la chimère insaisissable, Montréal, Québec Amérique, 1985.
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[7]
Jean-Paul Hautecoeur, L’Acadie du discours, Québec, Presses de l’Université Laval, 1975.
-
[8]
Voir, notamment, Linda Cardinal, Jean Lapointe et Joseph Yvon Thériault (dir.), État de la recherche sur les communautés francophones hors Québec, 1980-1990, Ottawa, Centre de recherche en civilisation canadienne-française, 1994.
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[9]
Faire société (Sudbury, Prise de parole, 2007) constitue en un sens la suite logique de L’identité à l’épreuve de la modernité, en mettant toutefois davantage l’accent sur les francophonies canadiennes. La notion de « faire société » sera adoptée par plusieurs chercheurs des francophonies canadiennes et du Québec. Voir, à cet effet, Éric Forgues, « “Faire société” en contexte francophone minoritaire : retour sur un concept », dans Stéphanie Chouinard, François-Olivier Dorais et Jean-François Laniel (dir.), Sur les traces de la démocratie : réflexions autour de l’oeuvre de Joseph Yvon Thériault, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2021, p. 43-56. Sur les petites sociétés, voir également Jacques Boucher et Joseph Yvon Thériault (dir.), Petites sociétés et minorités nationales, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2005.
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[10]
Stéphanie Chouinard, « Joseph Yvon Thériault, sociologue acadien malgré lui? », dans Stéphanie Chouinard, François-Olivier Dorais et Jean-François Laniel (dir.), Sur les traces de la démocratie : réflexions autour de l’oeuvre de Joseph Yvon Thériault, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2021, p. 317.
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[11]
Dorais, Laniel et Thériault, L’autre moitié de la modernité, p. 207.
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[12]
Joseph Yvon Thériault, L’identité à l’épreuve de la modernité, Moncton, Éditions d’Acadie, 1995; Joseph Yvon Thériault (dir.), Les francophonies minoritaires : état des lieux, Moncton, Éditions d’Acadie, 1999.
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[13]
Jean-Jacques Simard, « Joseph Yvon Thériault, Critique de l’américanité. Mémoire et démocratie au Québec, Montréal, Québec Amérique, 2002, 374 p. », Recherches sociographiques, vol. 45, no 1 (2004), p. 147-151.
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[14]
Il semble que même aujourd’hui, en tant que professeur retraité, Thériault n’a toujours pas fini d’en découdre avec son acadianité (voir Joseph Yvon Thériault, « Ai-je franchi le point de Godwin? Réflexion autour d’un texte d’Alain Denault », Argument (2022), [En ligne], [http://www.revueargument.ca/article/2022-11-04/806-ai-je-franchi-le-point-de-godwin-reflexion-autour-dun-texte-dalain-denault.html#]). La version d’Alain Denault dans ce débat intellectuel se trouve dans son ouvrage Moeurs : de la gauche cannibale à la droite vandale, Montréal, Lux Éditeur, 2022, p. 90-93.
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[15]
Qu'on me permette une banale anecdote, à laquelle il ne faut certes pas accorder trop de valeur, mais qui peut quand même illustrer le présent propos. J’ai fait mes études de baccalauréat en sociologie à l’Université Laval entre 1999 et 2002. On m’a initié aux oeuvres majeures de la sociologie québécoise : beaucoup de Dumont (c’était la fierté locale après tout!), de Rocher, de Rioux, de Freitag; les produits « maison » : Simard, Fortin, Delâge, Langlois, Gagné; la relève également : Meunier, Kelly, Warren. Thériault n’apparaissait nulle part dans ce programme de premier cycle du début des années 2000. C’est sa Critique de l’américanité qui lui a donné de la visibilité en sociologie québécoise, champ auquel il n’appartenait pas par ailleurs, étant plutôt considéré à l’époque comme un sociologue acadien enseignant à Ottawa.
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[16]
Gilles Gagné, « Discussion dans un café du Vieux-Québec : autour des livres de J. Beauchemin, J.-Y. Thériault et J. Létourneau », Argument, vol. 8, no 1 (2006), p. 38-63; voir également le texte d’Éric Bédard, « Entre contrat et substrat : la nation selon Joseph Yvon Thériault », dans Stéphanie Chouinard, François-Olivier Dorais et Jean-François Laniel (dir.), Sur les traces de la démocratie : réflexions autour de l’oeuvre de Joseph Yvon Thériault, Québec, Presses de l’Université du Québec, 2021, p. 241-258.
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[17]
François Paré, « La trace de ce qui n’est peut-être plus : en marge de quelques textes de Joseph Yvon Thériault », dans Chouinard, Dorais et Laniel (dir.), Sur les traces de la démocratie, p. 71-84.
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[18]
Harry H. Hiller et Simon Langlois, « The Most Important Books/Articles in Canadian Sociology in the Twentieth Century: A Report », Canadian Journal of Sociology, vol. 26, no 3 (été 2001), p. 513-516.
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[19]
On peut tenter de bien des façons d’interpréter la nostalgie qui existe chez certains auteurs québécois pour le Canada français. La nostalgie d’une réalité sociale révolue jusqu’à sa réification sous forme de projet traduit certainement une distance (je suis poli : on pourrait facilement parler d’ignorance, de désintérêt, de mépris) par rapport à un champ lié à des réalités complexes et multiformes, une nostalgie qui a plus à voir avec les fantasmes entretenus par certains penseurs québécois.
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[20]
Outre Hautecoeur, la seule comparaison qui vient à l’esprit est sans doute l’oeuvre de Michel Roy et, dans une moindre mesure, celle de Léon Thériault. Les travaux d’Annette Boudreau en sociolinguistique pourraient également s’imposer éventuellement comme corpus essentiel d’une oeuvre influente.
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[21]
Dorais, Laniel et Thériault, L’autre moitié de la modernité, p. 220-223; Joseph Yvon Thériault et É.-Martin Meunier, « Que reste-t-il de l’intention vitale du Canada français? », dans Joseph Yvon Thériault, Anne Gilbert et Linda Cardinal (dir.), L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada : nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations, Montréal, Éditions Fides, 2008, p.205-240.
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[22]
Martin Pâquet, « La Chaire pour le développement de la recherche sur la culture d’expression française en Amérique du Nord (CEFAN) : lieu de dialogue et de mobilisation », communication présentée lors du colloque Parcours et pertinence de l’approche sociographique au Québec et dans les francophonies canadiennes, Québec, ACFAS, mai 2022. On soulignera également la parution parallèle d’ouvrages consacrés à l’oeuvre de Thériault et du livre rendant hommage à Bouchard : Geneviève Nootens et Hélène Vézina (dir.), Explorer le social : mélanges en l’honneur de Gérard Bouchard, Québec, Presses de l’Université Laval, 2019.
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[23]
Dorais, Laniel et Thériault, L’autre moitié de la modernité, p. 122.
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[24]
Ibid., p. 284. S’agit-il ici d’une posture contextuelle et générationnelle? Thériault revient à quelques reprises sur l’influence de son père, monteur de fils électriques, mais capable d’un jugement intellectuel sûr. Outre le respect pour une certaine noblesse de la classe ouvrière, certains sociologues émanant de la génération de Thériault ont, à l’instar de ce dernier, adopté cette posture. J’ai évoqué mes anciens professeurs de sociologie de l’Université Laval un peu plus haut. Bon nombre d’entre eux semblaient travailler aussi de la sorte, « sur appel ».
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[25]
Ibid., p. 151.
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[26]
Ibid., p. 150.
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[27]
Voir, en plus de L’autre moitié de la modernité, Joseph Yvon Thériault, « Le peuple de gauche, les carrés rouges et la crise des institutions », dans É.-Martin Meunier (dir.), Le Québec et ses mutations culturelles : six enjeux pour la diversité d’une société, Ottawa, Les Presses de l’Université d’Ottawa, 2016, p. 21-34.
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[28]
Comme le souligne notamment Maxime Ouellet en prenant acte des positions du « jeune Thériault », « il faut reconnaître qu’aucune société ne peut se passer d’institutions politiques et économiques, cela ne signifie pas pour autant que les institutions doivent nécessairement prendre leur forme actuelle » (Maxime Ouellet, « De l’autogestion à l’égogestion », dans Chouinard, Dorais et Laniel (dir.), L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada : nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations, p. 131). Dans un autre texte critique des écrits de Thériault, Clint Bruce soulève « l’interprétation rapide » de Thériault concernant les francophones louisianais (Clint Bruce, « Le divers et la diversité : quelle différence pour 1’Acadie et pour la francophonie nord-américaine? Réflexions autour d’un essai de Joseph Yvon Thériault », Francophonies d’Amérique, no 49 (printemps 2020), p. 121-152. Dans la querelle entre Thériault et Denault, la question de la compréhension des mouvements de gauche est d’ailleurs soulevée par ce dernier : « Les mépriser constitue seulement une façon de dissimuler son incapacité à les comprendre » (Alain Denault, Moeurs : de la gauche cannibale à la droite vandale, Montréal, Lux Éditeur, 2022, p. 93).
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[29]
Dorais, Laniel et Thériault, L’autre moitié de la modernité, p. 299.
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[30]
Le malaise ressenti par certains disciples de Thériault vient sans doute en partie de la publication de son texte, « Identité : le manifeste de Burke », paru dans Le Devoir, le 10 avril 2010, ainsi que du premier chapitre de l’ouvrage de Jean-Marc Piotte et de Jean-Pierre Couture, Les nouveaux visages du nationalisme conservateur au Québec, Montréal, Québec Amérique, 2012, où Thériault est directement associé à une mouvance de nationalisme conservateur au Québec.
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[31]
Dorais, Laniel et Thériault, L’autre moitié de la modernité, p. 28.
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[32]
Pénélope Cormier, « Récits nationaux, récits d’Évangéline », Acadiensis, vol. XLV, no 2 (été-automne 2016), p. 144.
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[33]
Geneviève Nootens, « Penser la nature politique de la démocratie moderne », dans Chouinard, Dorais et Laniel (dir.), L’espace francophone en milieu minoritaire au Canada : nouveaux enjeux, nouvelles mobilisations, p. 163-174.
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[34]
Ferdinand Tönnies, Communauté et société, Paris, Presses universitaires de France, 2010 [1887].
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[35]
Durkheim constatait ce parti pris chez Tönnies, qualifiant son appréciation de la forme « société » d’« artificielle », « sans enthousiasme » , alors que pour l’auteur du Suicide, la Gesellshaft est une forme d’organisation collective de même importance et de même valeur que la Gemeinshaft. Voir Émile Durkheim, « Communauté et société selon Tönnies », Revue philosophique, vol. 27 (1889), (texte disponible sur le site Les classiques des sciences sociales à l’adresse suivante : http://classiques.uqac.ca/classiques/Durkheim_emile/textes_1/textes_1_13/tonnies.html ).