Les revues de sciences humaines sont des créatures étranges : lieux à investir pour les intellectuels, objets à manipuler avec soin pour les analystes. Toujours dans un entre-deux, la revue joue avec les frontières des productions médiatiques et se présente comme un vaste terrain de jeu, un territoire attirant et périlleux à la fois pour qui cherche à l’arpenter, à y poser savamment des jalons. Une chose est certaine toutefois : ce flou attise la curiosité. S’il est difficile de la définir comme objet, on s’est beaucoup plu à examiner ce qui s’y construit. Qui s’est intéressé aux revues au Québec a pu voir comment les intellectuels s’inscrivent dans le monde social, culturel et politique de leur époque, que ce soit par la création, le commentaire ou la diffusion avec le critère de sélection qu’elle implique. Le collectif Relire les revues québécoises, dirigé par Élyse Guay et Rachel Nadon, met en lumière le dynamisme de la recherche sur les revues au Québec. Avec treize contributions, il présente autant d’études de cas qui offrent un portrait global d’un lieu culturel qui est à la fois une pratique (avec ses codes) et une institution (avec son capital symbolique). On retiendra surtout cet ouvrage parce qu’il répond à l’absence d’ouvrages de synthèse qui se consacrent à la production récente des revues culturelles, intellectuelles et littéraires. L’incontournable ouvrage d’Andrée Fortin, Passage de la modernité, paru en 1990 puis augmenté en 2006, périodisait par les modes d’intervention un corpus qui couvrait plus de 200 ans en se terminant en 2004. En 1998, le collectif dirigé par Jacques Beaudry, Le rébus des revues, s’intéressait à une dizaine de petites revues des années 1930 à 1970 pour montrer le lieu de gestation qu’elles ont pu être pour des productions qui ont marqué ultérieurement la vie littéraire québécoise. En 2011, la revue Globe a présenté une synthèse de la production de revues au Québec en recourant à une perspective multidisciplinaire. Ce qui fait l’intérêt de Relire les revues québécoises, globalement, est que, sans le décréter explicitement, les études rassemblées ici rendent (presque) invalide la très attendue carte d’identité « ni-ni » de l’objet revue : ni discours savant ni discours journalistique; trop frivole pour l’université, trop spécialisée pour le lecteur moyen. La critique plaint souvent la revue en la caractérisant avec compassion comme le lieu d’un double exil qui attire à la fois une production textuelle et un lectorat qui sont définis dans le paradigme du not quite, ce qui ne convient pas tout à fait aux catégories usuelles. Or, au fil des chapitres de ce collectif, on constate que les revues étudiées, consacrées ou marginales existent précisément en fonction d’une idée de communauté. La revue est moins un lieu par défaut où aboutissent textes et lecteurs en peine qu’un espace d’établissement au sens où quelque chose se fixe, se construit. Faut-il encore le dire? Cela semble un truisme. Le réseau qui anime une revue, les orientations idéologiques et l’élection d’une esthétique tissent l’énonciation qui se retrouve dans ce lieu d’un numéro à l’autre et établissent la facture particulière d’une revue. Le sous-titre de l’ouvrage, Histoire, formes et pratiques (xx e-xxi e siècle), ne doit pas être lu comme l’annonce d’un bilan historiographique. L’ouvrage révèle plutôt la pluralité des rôles qu’ont pu jouer les revues culturelles et intellectuelles, même marginales. Outre l’introduction signée par les directrices et une première section plus générale, où Lucie Robert et Michel Lacroix exposent respectivement (et avec une élégance enviable, dois-je ajouter) les éléments qui ont jalonné l’histoire des revues depuis la fondation de …
Élyse Guay et Rachel Nadon (dir.). Relire les revues québécoises : histoire, formes et pratiques (xxe-xxie siècle), Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 2021, 328 p.
…more information
Anne Caumartin
Collège militaire royal de Saint-Jean
Access to this article is restricted to subscribers. Only the first 600 words of this article will be displayed.
Access options:
Institutional access. If you are a member of one of Érudit's 1,200 library subscribers or partners (university and college libraries, public libraries, research centers, etc.), you can log in through your library's digital resource portal. If your institution is not a subscriber, you can let them know that you are interested in Érudit and this journal by clicking on the "Access options" button.
Individual access. Some journals offer individual digital subscriptions. Log in if you already have a subscription or click on the “Access options” button for details about individual subscriptions.
As part of Érudit's commitment to open access, only the most recent issues of this journal are restricted. All of its archives can be freely consulted on the platform.
Access options