Mémoires du livre
Studies in Book Culture
Volume 15, Number 1, Spring 2024 1, 2, 3… regarde ! La photo, le livre, l’enfant 1,2,3… Look! Photography, the Book, and the child Guest-edited by Laurence Le Guen, Virginie Meyer and Hélène Valotteau
Table of contents (12 articles)
Articles
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Albums de famille : quand la photolittérature pour enfants écrit le roman familial
Laurence Le Guen
pp. 1–24
AbstractFR:
Nombreux sont les ouvrages de littérature jeunesse permettant d’appréhender les notions de famille, de transmission des savoir-faire et des traditions. Ce faisant, un certain nombre s’appuient sur les écrits du for privé et sur les objets vecteurs de mémoire que sont les albums et les photographies de famille. L’article s’attache à deux ouvrages particuliers, Incroyable mais vrai d’Éva Janikovszky et László Réber paru en 1966 aux éditions Móra Könyvkiadó, réédité par La Joie de lire en 2011, et L’album de famille de Frédéric Kessler et Princesse Camcam, paru aux éditions Autrement en 2012. Il examine l’usage particulier que ces livres font des collections de photographies familiales, et analyse comment le dispositif photolittéraire est mis au service de l’écriture du récit familial et du tissage des liens intergénérationnels.
EN:
At the crossroads of photoliterary studies and sociological studies of family album practices, this paper will examine how the works Incroyable mais vrai by Eva Janikovszky and Laszlo Reber, published in 1966 by Mora Konyvkiad, and L’album de famille, by Frederic Kessler and Princesse Camcam, published by Autrement in 2012, use the family album to create a book version for children.
We will be looking at how these books create a dialogue between texts and photographs to construct a family story, how they are inspired by the family album model, how they reflect the history of photography and its practices, and how they build bridges between yesterday and today and tell the story of the passing of time.
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Les albums de Tana Hoban : à la croisée des recherches graphiques du XXe siècle
Dominique Versavel
pp. 1–21
AbstractFR:
Loin de constituer un univers à part, le livre pour enfants peut être innervé de tendances artistiques et graphiques, contemporaines ou non de sa création. C’est le cas des albums photographiques conçus à partir des années 1970 par la graphiste et photographe Tana Hoban. L’article inscrit les travaux de cette artiste dans un contexte plus large : celui des arts graphiques du xxe siècle. Il s’agit de percevoir en quoi les propositions formelles des albums d’Hoban — considérés comme originaux avec leurs forts contrastes de noir et blanc ou leurs pages saturées de couleurs vives, leurs jeux d’ombres ou leurs effets de fragmentation — catalysent, à des fins de stimulation et d’alphabétisation visuelles des enfants, voire des nourrissons, de multiples héritages et tendances issus du monde des arts graphiques depuis le Bauhaus ou de celui de la communication et de la publicité où Tana Hoban a évolué à ses débuts.
EN:
Far from constituting a separate universe, children’s books can be imbued with creative artistic and graphic trends, contemporary or otherwise. The photographic albums designed in the 1970s and beyond by graphic designer and photographer Tana Hoban are a case in point. This article places the work of the artist in a broader context: that of twentieth century graphic arts. It is a question of perceiving to what degree the definitive forms of Hoban’s albums – considered original with their strong contrasts of black and white, or their pages saturated with bright colors, their shadow play or their effects of fragmentation – mobilize, for the purposes of visual stimulation and the education of children and even infants, multiple concepts and trends inherited from the world of graphic arts since the Bauhaus era, or from the world of communication and advertising in which Tana Hoban got her start.
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Le patrimoine photographique dans le livre pour enfants : l’exemple de la collection « Révélateur »
Ivanne Rialland
pp. 1–26
AbstractFR:
Après un rapide tour d’horizon des publications jeunesse sur l’art consacrées à la photographie, l’article s’attache à quelques histoires de l’art pour la jeunesse pour analyser la manière dont la photographie y est intégrée. Sont ensuite étudiées deux collections spécifiquement dédiées à la photographie et plus particulièrement l’une d’entre elles : la collection « Révélateur » publiée par l’Atelier des enfants du Centre Pompidou de 1991 à 1995. Est ainsi montré comment le médium livre, et plus spécifiquement l’espace photolittéraire créé par la double page, peut permettre de tisser un rapport esthétique à l’image photographique patrimoniale.
EN:
After an overview of art books for children devoted to photography, a number of art histories for young people are analysed to show the way in which photography is incorporated into them. The paper is then focused on two collections dedicated to photography, and one in particular: “Révélateur”, published by the Centre Pompidou’s Atelier des enfants from 1991 to 1995. This series highlights how the book medium, and more specifically the photoliterary space created by the double-page spread, can be used to weave an aesthetic relationship with heritage photographic images.
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Les imagiers photographiques : miroir du monde ou monde à part ?
Éléonore Hamaide
pp. 1–26
AbstractFR:
Cet article esquisse une typologie de l’imagier photographique en le réinscrivant dans une tradition du livre et de l’album documentaire. L’imagier s’est imposé comme un incontournable éditorial dont la diversité des propositions enrichit ses enjeux et ses publics. L’imagier photographique joue du réalisme du médium pour se faire miroir du monde, mais il est aussi une initiation en acte à l’art photographique et une école du regard, par la mise en oeuvre de dispositifs qui orientent la lecture de l’image. La confrontation à des photographes reconnus n’empêche pas une conception ludique de la photographie de se faire jour. L’imagier photographique témoigne enfin d’une évolution du regard sur la littérature de jeunesse également tournée vers des publics adultes par sa capacité à s’ouvrir au monde contemporain et à ses préoccupations sociales et idéologiques autant qu’à ses nouveaux modes de communication.
EN:
This article aims to typology the photographic’s early concept books by reintegrating it into a tradition of the book and the documentary picture book. The early concept book has established itself as an essential publication, with a wide range of offerings that diversify both its issues and its audiences. The photographic’s picture book plays on the realism of the medium to mirror the world, but it is also an introduction to the art of photography and an eye’s school, through the use of devices that guide the reading of the picture. Confrontation with established photographers does not prevent a playful conception of photography from emerging. Lastly, the photographic’s early concept books bears witness to an evolution in the way children’s literature is viewed by adult audiences, through its ability to open up to the contemporary world and its social and ideological concerns, as well as its new ways of communication.
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Les dessous « bienveillants » de la photographie animalière de Harry Whittier Frees
Vincent Lavoie
pp. 1–19
AbstractFR:
L’Américain Harry Whittier Frees (1879-1953) est connu pour ses clichés mettant en scène de jeunes animaux costumés. Chatons, chiots, lapereaux, porcelets sont photographiés grimés dans des saynètes drolatiques de la quotidienneté humaine (tâches ménagères, activités d’étude, de divertissement et de socialisation, etc.). Frees a publié ses images sous la forme de cartes postales, mais également dans des ouvrages pédagogiques destinés aux enfants (Kittens and Cats, 1911; The Little Folks of Animal Land, 1915; Animal Land on the Air, 1929; Four Little Kittens, 1934). Ces représentations s’inscrivent certes dans une longue tradition illustrative misant sur l’anthropomorphisation du monde animal à des fins didactiques et morales. Elles soulèvent toutefois des enjeux éthiques et éthologiques spécifiques à la photographie d’animaux vivants. De cela, Frees avait pleinement conscience. C’est pourquoi il publiait dans les pages liminaires de ses livres des avis assurant parents et enseignants de sa bienveillance envers les animaux. C’est à l’étude de ces « avertissements » à l’attention des adultes que cet article est consacré.
EN:
American photographer Harry Whittier Frees (1879-1953) is renowned for his pictures of young animals in costume. Kittens, puppies, rabbits and piglets are photographed dressed up in droll sketches of everyday human life (household chores, study activities, entertainment and socialization, etc.). Frees published his images as postcards, but also in educational books for children (Kittens and Cats, 1911; The Little Folks of Animal Land, 1915; Animal Land on the Air, 1929; Four Little Kittens, 1934). These representations are part of a long tradition of illustrating the anthropomorphization of the animal world for didactic and moral purposes. However, they also raise ethical and ethological issues specific to live-animal photography. Frees was well aware of this. That’s why he published notices in the introductory pages of his books, assuring parents and teachers of his benevolence towards animals. It is to the study of these “warnings” for adults that this article is dedicated.
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Les contes d’Andersen au prisme de la photolittérature : un discours empathique sur l’enfance
Christiane Connan-Pintado
pp. 1–25
AbstractFR:
Laurence Le Guen place l’ouvrage Cent cinquante ans de photolittérature pour les enfants (2022) sous le signe d’Andersen, avec qui elle ouvre et ferme la période couverte par le volume. Cette mise en exergue souligne le lien du poète conteur à l’enfance par le biais du médium photographique. L’article s’intéresse à un corpus d’albums qui reformulent les contes d’Andersen sous l’objectif de la photographie au tournant du xxie siècle : Le sapin de Marcel Imsand et Rita Marshall (1983), L’Effraie de Sarah Moon (2004), La petite fille aux allumettes d’Yveline Loiseur (2013). Il s’agit d’interroger les modalités et les enjeux de l’illustration photographique au service du conte intégralement rapporté, sensiblement réécrit ou seulement abrégé. Dans tous les cas, au gré de projets artistiques et/ou éditoriaux singuliers, le regard du ou de la photographe contribue à focaliser l’attention sur le monde de l’enfance et à susciter l’empathie du lecteur-regardeur.
EN:
Laurence Le Guen places the book One hundred and fifty years of photoliterature for children (2022) under the sign of Andersen, with whom she opens and closes the period covered by the volume. This emphasis underlines the link of the poet-storyteller to childhood through the photographic medium. The article focuses on a corpus of albums that reformulate Andersen’s tales under the lens of photography at the turn of the twenty-first century: The Fir Tree, by Marcel Imsand and Rita Marshall (1983), The Scarecrow by Sarah Moon (2004) and The Little Match Girl by Yveline Loiseur (2013). It questions the modalities and the stakes of the photographic illustration in the service of the tale, whether it is completely reported, significantly rewritten or only abridged. In all cases, according to singular artistic and/or editorial projects, the photographer’s gaze contributes to focus the attention on the world of childhood and to arouse the empathy of the reader-viewer.
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Enfants d’images : photographie, enfance et universalisme dans les années 1950 en France
Guillaume Blanc-Marianne
pp. 1–28
AbstractFR:
Le champ photographique français considère, à partir des années 1950, être entré dans la « civilisation de l’image ». La photographie permettrait de faire tomber les barrières des langues naturelles pour faire enfin advenir un monde entièrement pacifié, basé sur une entente cordiale entre les peuples et les nations. En son sein, la figure de l’enfant constitue une cible privilégiée : comme l’indique Photo-Monde (1956), ce sont bien eux qui seront les « hommes de demain ». Question d’éducation donc, car les enfants d’aujourd’hui parleront la langue photographique de demain et la justifieront ; mais aussi question d’idéologie, car, toujours selon les mêmes acteurs, l’enfant, dans sa supposée innocence primitive, serait l’incarnation de l’universalisme qui accompagne nécessairement la « civilisation de l’image ».
EN:
From the 1950s onwards, those in the field of French photography believed that it had entered the “civilisation of the image.” Photography would break down the barriers of natural languages in order to create a completely peaceful world based on a cordial understanding among peoples and nations. The figure of the child is a privileged target: as Photo-Monde (1956) points out, children are destined to be the “men of tomorrow.” It is a question of education, because today’s children will speak and justify tomorrow’s photographic language, but it is also a question of ideology, because, according to the same specialists, children, in their supposedly primitive innocence, are the embodiment of the universalism that necessarily accompanies the “civilisation of the image.”
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Snow Baby : éléments d’un récit colonialiste
Paul Edwards
pp. 1–27
AbstractFR:
Cet article est consacré au livre pour enfants comme récit colonialiste. Robert Peary est célébré aux États-Unis pour avoir été le premier à atteindre le pôle Nord (en 1909). Ici, on s’intéressera plutôt aux productions de sa femme Josephine Peary (1863-1955), autrice de deux livres pour enfants illustrés par la photographie, The Snow Baby. A True Story with True Pictures (1901) et Children of the Arctic (1903), deux récits autobiographiques de ses voyages au Groenland, en compagnie de son mari et de sa fille (qui y naquit en 1893), qui ont connu un très large succès et de nombreuses rééditions, ce qui témoigne de leur attrait idéologique. Les photographies et les textes permettent à Josephine Peary de se construire une identité publique de femme exploratrice et de « bonne mère », mais ils stigmatisent la population racisée qu’elle prend pour objet, en l’occurrence les Inuits du nord du Groenland.
EN:
This article examines the children’s book as a colonialist image-text through two contextualised case studies. Robert Peary is well known in the US for having been the first to reach the North Pole (1909). In this chapter the focus will be on his wife Josephine Peary (1863-1955) and her two photographically illustrated children’s books The Snow Baby. A True Story with True Pictures (1901) and Children of the Arctic (1903). These autobiographical accounts of Greenland expeditions undertaken with her husband and baby daughter (born in Greenland in 1893) met with commercial success and were often reprinted, thus testifying to their ideological appeal. Image and text together allowed Josephine Peary to construct a public image of herself as an explorer and a “good mother”, yet this is achieved within rhetorical strategies of colonialist perspectives which stigmatise the racialised Inuit population living in North Greenland.
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Les métaphores perceptuelles dans la culture du remix
Gyöngyi Pal
pp. 1–24
AbstractFR:
L’article remet en cause la fonction des photographies dans les imagiers que Bettina Kümmerling‑Meibauer désigne par le terme anglais « early-concept books » et qui combinent des dessins et des clichés. Dans les imagiers de Kata Pap, les objets photographiés sont détournés par le dessin. Cette utilisation métaphorique va à l’encontre de l’usage objectif, réaliste et factuel, fonction primaire et objectif pédagogique assignés à la photographie. L’article interroge les études récentes en psychologie pour mettre au clair le rôle de la perception visuelle dans la formulation de concepts précoces, ainsi que le(s) rôle(s) de la photographie dans ce processus. L’utilisation détournée de la photographie semble une pratique contemporaine étendue dans le domaine de l’illustration de la littérature jeunesse. L’étude parcourt ce phénomène entre autres à travers l’oeuvre de Tineke Meirink et de Tomi Ungerer pour cerner le rôle des métaphores perceptuelles dans la culture du remix.
EN:
This paper questions the function of photographs in picture books that combine drawings and photographs, referred to as “early-concept books” by Bettina Kümmerling‑Meibauer (Kümmerling‑Meibauer and Meibauer). In Kata Pap’s picture books, the photographed object’s first meaning is altered by the drawings. This metaphorical practice goes against the objective, realistic and factual use of photographs, the primary function and pedagogical objective assigned to photography. The article examines recent studies in psychology in order to clarify the role of visual perception in the formulation of early-concepts, and the role(s) of photography within this process. The allegorical use of photography appears to be a widespread contemporary practice in the field of children’s literature illustration. The study explores this phenomenon through the work of Tineke Meirink and Tomi Ungerer, among others, to identify the role of perceptual metaphors in remix culture.
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Pseudophotographs in Children’s Literature: A New Object for Photoliterature Studies
Alya Farzana Shamshul Ariffin and Clémentine Beauvais
pp. 1–25
AbstractEN:
This article proposes to theorize the study of pseudophotographs as a subtype of photoliterature studies. Pseudophotographs are any illustrations understood within the context of a picturebook or graphic novel to be representations of photographs. This article attempts to define this undertheorized graphic object, to discuss its various functions, and to analyse what pseudophotographs can tell us about how real photographs and photography are considered in children’s literature. Because pseudophotographs appropriate some of the conventions of photography and yet are unlike real photographs in many ways, they are, we argue, a significant place for implicit discourse about the art and practice of photography and about affective encounters with photographs.
FR:
Cet article propose de théoriser l’étude des pseudophotographies en tant que sous‑genre des études photo-littéraires. Une pseudophotographie est une illustration qui, dans le contexte d’un album ou d’une bande dessinée romanesque, se veut la représentation d’une photographie. Nous cherchons ici à définir cet objet graphique sous-théorisé et à en exposer les diverses fonctions. Notre analyse porte également sur ce que les pseudophotographies révèlent quant à la représentation de la photographie en littérature jeunesse. En effet, parce que les pseudophotographies imitent certaines conventions de la photographie tout en en transgressant d’autres de multiples manières, elles portent un discours implicite sur l’art et la pratique photographiques, ainsi que sur les affects liés aux photographies.
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Portraiturer le monde à hauteur d’enfant : la transmission des connaissances dans la collection « Connais-tu mon pays » (Hatier)
David Martens
pp. 1–33
AbstractFR:
Parallèlement à celles destinées aux adultes, durant les Trente Glorieuses, de nombreuses collections de portraits phototextuels de pays voient le jour. Ainsi en va-t-il d’une série telle que « Connais-tu mon pays » (Hatier), qui se signale en ce que les textes de chacun des 14 volumes parus dans la collection sont signés par une seule et même autrice, Colette Nast. Ce projet éditorial revêt une dimension pédagogique marquée, le portrait apparaissant comme un moyen d’acquisition de connaissances qui recoupe à certains égards celles du cadre scolaire. Pour ce faire, et comme pour se placer « à hauteur d’enfant », la série met systématiquement en oeuvre un dispositif mettant en scène un jeune enfant local guidant les lecteurs, par une narration, à travers les réalités géographiques, historiques et sociales qu’il s’agit de présenter. Mais, ce faisant, il livre un savoir demeurant, en définitive, dispensé par des figures adultes.
EN:
During the “Trente Glorieuses,” alongside those intended for adults, several collections of phototextual portraits of countries were created for children. Such is the case of the series “Connais‑tu mon pays” (Hatier), noteworthy because the text in each of the fourteen volumes in the collection are signed by one and the same author, Colette Nast. This publishing project takes on a distinct educational dimension, the picture appearing as a means of acquiring knowledge which intersects in certain respects with that of a school setting. To do so, and as if to place itself “at the height of a child,” the series systematically uses the device of a young local child’s narration guiding readers through the geographic, historical and social realities that it seeks to present, but which delivers knowledge that is, ultimately, dispensed by adult figures.