Mémoires du livre
Studies in Book Culture
Volume 8, Number 1, Fall 2016 La littérature sauvage Literature Unbound Guest-edited by Denis Saint-Amand
Table of contents (11 articles)
Articles
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Bertoyas dans la jungle. Bande dessinée et édition sauvage
Benoît Crucifix and Pedro Moura
AbstractFR:
L’oeuvre de Jean-Michel Bertoyas est majoritairement constituée de fanzines de bande dessinée auto-publiés, caractérisés par un style brut et un usage particulier du détournement et du collage. Le cas de Bertoyas nous invite à prolonger la réflexion initiée par le groupe ACME sur l’indépendance en bande dessinée, en approfondissant les dynamiques qui caractérisent l’« édition sauvage ». À travers une poétique mineure, Bertoyas revendique en effet une adhérence au milieu de la micro-édition et du fanzinat comme lieu de résistance à une certaine institutionnalisation et domestication de la bande dessinée. L’analyse des supports matériels et des modes de circulation de son oeuvre, ainsi que de l’esthétique particulière qui s’en dégage, permettra de déployer, à partir d’un cas spécifique, une réflexion plus approfondie sur les rapports entre le fanzinat et d’autres formes d’indépendance éditoriale en bande dessinée.
EN:
Jean-Michel Bertoyas’s oeuvre is composed primarily of self-published comics fanzines whose main traits are an art brut approach and a peculiar use of diversion and collage techniques. His case invites us to uphold and expand upon the many reflections initiated by the ACME research group on “comics in dissent” by looking more closely at the dynamics that characterize “wild publishing” in comics. Through a minor poetics, Bertoyas cultivates a particular position within the worlds of micro-publishing and fanzines as sites of resistance to the institutionalization and domestication of comics. An analysis of the material formats and circulation channels of his works, as well as their specific aesthetic and narrative qualities, will allow us to formulate a larger reflection on the relationships between fanzines and other forms of independent publishing in comics.
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L’édition hors édition : vers un modèle dynamique. Pratiques sauvages, parallèles, sécantes et proscrites
Tanguy Habrand
AbstractFR:
En prenant appui sur les travaux de Jacques Dubois (L’Institution de la littérature, 1978) et de Bernard Mouralis (Les Contre-littératures, 1975), l’article propose une typologie de la production située en dehors de l’institution éditoriale. Ce modèle dynamique porte sur la production éditoriale dans un double sens : il s’agit autant de prendre en considération des conditions de production que des classes de produits, aspects liés par un grand nombre de déterminations réciproques : on peut admettre en effet que le journal intime est plutôt du ressort d’un cadre domestique, alors que la thèse, le livre-accordéon et le tract anticapitaliste ont d’autres environnements de prédilection. Après avoir isolé la production relative à la « littérature grise » et à certaines « sphères professionnelles », de même que les « écritures domestiques » et les « loisirs créatifs », le modèle propose de circonscrire quatre espaces spécifiques : « édition sauvage » (piratage et contrefaçon, édition clandestine, brochures et zines), « édition parallèle » (autopublication, édition à compte d’auteur, autoédition), « édition sécante » (édition artiste, édition de livre-objet, édition en contexte) et « édition proscrite ». Chacun de ces mondes, « outsider » au sens d’Howard S. Becker, présente un type de transgression spécifique en regard des conventions de l’institution éditoriale. Afin de donner une assise objective à ce classement, la « norme institutionnelle » a été formalisée au départ des critères posés par les instances officielles de l’aide à l’édition (Centre national du livre en France, Promotion des Lettres en Belgique). Ainsi apparaît-il qu’édition sauvage, parallèle, sécante et proscrite, sont respectivement liées à des ruptures juridique, économique, commerciale et éditoriale.
EN:
Building on the works of Jacques Dubois ((L’Institution de la littérature, 1978) and of Bernard Mouralis (Les Contre-littératures, 1975), this article presents a typology of production located outside the publishing institution. This dynamic model is concerned with publishing production in a dual sense: it is as much a matter of taking production conditions into consideration as it is of considering the type of product, aspects that are connected by a large number of reciprocal determining factors: one could admit, in effect, that the personal journal is somewhat more the product of a domestic framework, while the thesis, the accordion book and the anti-capitalist tract are partial to other environments. After having isolated production relative to “grey literature” and to certain “professional spheres,” as well as “domestic writing” and “creative pastimes,” the model outlines four specific spaces: “unbound publishing” (pirating and counterfeiting, clandestine publishing, pamphlets and zines), “parallel publishing” (self-publication, vanity publishing, self-publishing), cutting-edge publishing (artist publishing, book as object publishing, publishing in context), and “banned publishing.” Each of these “outsider” worlds, to borrow from Howard S. Becker, represents a specific type of transgression with regards to the conventions of the publishing institution. In order to provide an objective foundation for this categorization, the “institutional standard” has been formalized using criteria put in place by the official authorities who assist publishing (Centre national du livre en France, Promotion des Lettres en Belgique). In this way, it seems that unbound, parallel, cutting-edge and banned publishing, respectively, are closely connected to judicial, economic, commercial and publication breaches.
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Print it yourself : l’auto-impression est-elle une auto-édition?
Hélène Martinelli
AbstractFR:
À partir d’un aperçu historique de la pratique de l’auto-impression, cette étude se penche sur les cas d’auto-édition conditionnés par la maîtrise des techniques d’impression manuelle, en appréhendant le livre comme objet culturel et dispositif iconotextuel, conformément à son « tournant matériel » sur le plan épistémologique. De fait, la technique informe les objets et en conditionne le continuum matériel : les procédés de gravure privilégiés pour « s’imprimer soi-même » évoluent en fonction de leur originalité, de la compatibilité de traitement du texte et de l’image, de leur proximité avec le trait manuel et de leur degré de technicité. Mais il s’agit ici d’évaluer le relatif échec éditorial des oeuvres « faites maison » par l’auteur, qui restent souvent confidentielles – faute de participation à l’industrie (et donc au monde) du livre et faute d’institutionnalisation, en dépit de leur statut d’imprimé publié –, afin de distinguer l’auto-impression des stratégies d’auto-édition, qui impliquent de plus larges diffusion et distribution.
EN:
Starting from a historical overview of the practice of self-printing, this paper deals with self-publishing cases that are determined by the mastery of manual printing techniques and, in so doing, understands the book as a cultural object and iconotextual apparatus, in accordance with its “material turn” in epistemological terms. Indeed, the method does inform objects and determines their material continuum: the engraving techniques that are favored when “printing oneself” evolve according to their originality, the compatibility of the text and image processing, their proximity to the hand drawn line and the degree of technical expertise they require. The point is, however, to assess the relative editorial failure of auctorial “homemade” books, which often remain private,―for lack of participation in the book industry (and thus in the book world) and lack of institutionalization despite their “published” printed form―in order to distinguish self-printing from self-publishing strategies which involve broader circulation and distribution.
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Quand un blog devient une oeuvre : L’Autofictif d’Éric Chevillard
David Vrydaghs
AbstractFR:
L’Autofictif est à la fois un blog ouvert par l’écrivain français Éric Chevillard en septembre 2007 et un journal intime publié annuellement depuis 2008 aux Éditions de L’Arbre Vengeur (chaque volume reprend tous les textes de l’année écoulée, qui sont alors effacés du site). Cette double identité, sur les plans matériel et générique, a notamment pour effet de créer deux contextes de réception différents, comme la critique l’a très tôt noté. La double matérialité de l’objet implique aussi, plus radicalement, de le considérer comme deux produits culturels distincts. Il y a ainsi un « effet-blog », détaillé notamment par Marie-Ève Thérenty, qui travaille l’écriture. Mais joue aussi ce que l’on pourrait appeler, par contraste, un « effet-livre ». Si celui-ci a déjà été abordé par certains travaux, il a moins retenu l’attention que le précédent. C’est à l’étude de cet effet-livre que cet article est consacré.
EN:
L’Autofictif is both a blog which French writer Éric Chevillard began in September 2007 and a personal diary published annually since 2008 in the Editions de l’Arbre Vengeur (every volume contains all the notes of the past year, which are then erased from the site). This double identity on material and generic levels has, in particular, the effect of creating two different contexts of reception, as critics were quick to notice. The double materiality of the object also implies, more radically, to consider it as two different cultural products. Thus, there is a “blog-effect” on the writing, detailed in particular by Marie-Eve Thérenty. In addition, there is what in contrast could be referred to as a “book-effect”. If the latter has already been considered to some extent in certain works, it has received less attention than the former. This article is devoted to studying this book-effect.
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Du blog amateur à Gallimard. La bande dessinée de Pénélope Bagieu reformatée
Marie Saint-Amand
AbstractFR:
En 2007, l’illustratrice Pénélope Bagieu lançait sur la toile un blog BD, qu’elle dédiait à la réalité prosaïque de son quotidien. Trois ans plus tard, cette diplômée de l’École nationale supérieure des Arts décoratifs de Paris et du Central St Martins College of Art and Design publiait aux éditions Gallimard son premier roman graphique, Cadavres exquis. Comment ce passage d’une production « sauvage » à l’une des plus prestigieuses maisons d’édition s’est-il effectué? C’est à cette question que l’article tente de répondre. Pour ce faire, il s’articule en quatre parties. En préambule, une brève présentation des notions de blog et blogosphère et de leur aspect intrinsèquement fuyant et sauvage permettra d’appréhender le cas particulier de Pénélope Bagieu – et de son blog Ma vie est tout à fait fascinante. Ce dernier est ensuite observé en tant que lieu d’affirmation de soi de son auteure, notamment avec un choix d’implication confondue dans un genre particulier, à savoir la chick lit. Connaissant un succès particulier, le blog va être reformaté en objet-livre et plusieurs publications vont suivre la première (en passant par la maison d’édition Gawsewitch pour arriver jusqu’au catalogue Gallimard). Cette reconfiguration provoque inévitablement un changement sur la plateforme en ligne mais également dans la posture de l’auteure, qui tente tant bien que mal de se détacher du côté girly qu’on lui accorde. Néanmoins, Pénélope Bagieu connaît plusieurs ratés en format papier lorsque ses publications ne sont pas assimilées à une production en ligne. Son actualité témoigne d’ailleurs de la nécessité de lier les deux médias : elle publie actuellement, chaque lundi, une planche sur un blog hébergé par Le Monde qui fera l’objet d’une publication chez Gallimard à l’avenir. Est-il donc, aujourd’hui, réellement possible pour une artiste assimilée à la toile de s’émanciper et devenir une auteure BD reconnue?
EN:
In 2007, illustrator Penelope Bagieu created a comic weblog dedicated to the prosaic reality of her daily routine. Three years later, Bagieu, a graduate of the National School of Decorative Arts (Paris) and of the Central Saint Martins College of Art and Design (London), published her first graphic novel, Cadavre exquis, with Gallimard publishers. This article takes a four-pronged approach in its attempt to answer the question of how the transfer of a “wild” production to one of the most prestigious publishing houses took place. In the preamble, a brief presentation of the concepts associated with blogs and blogospheres and of their intrinsically elusive and wild nature culminates with an appreciation of the particular case of Pénélope Bagieu―and of her blog Ma vie est tout à fait fascinante. The blog is then examined as a place of self-affirmation for the author, including a confounding move to mix with a particular genre, namely chick lit. In light of its notable success, the blog was then reformatted into a book-object with several subsequent publications (from the Gawsewitch publishing house right up to the Gallimard catalogue). The reconfiguration inevitably provoked a change in the online platform but also in the attitude of the author who has tried her best to renounce the “girly” side attributed to her. Nonetheless, Bagieu suffered several missteps in the paper format when those versions were incompatible with online production. Her experience is, moreover, evidence of the need to link the two media: the pages she currently publishes every Monday on a blog hosted by Le Monde are destined to become the subject of a publication by Gallimard. Is it now, therefore, truly possible for artists accustomed to the Internet to liberate themselves and become renowned writers of comic books?
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Comment le Collège de sociologie est devenu un livre. Retour sur le devenir éditorial d’une aventure équivoque
Éléonore Devevey
AbstractFR:
Cet article s’attache au Collège de sociologie (porté par Bataille, Caillois et Leiris, de 1937 à 1939), et plus particulièrement à son statut de collectif de recherche « sauvage ». Il montre que l’ambition de créer une « communauté morale » qui l’anime prend le relais d’expériences plus formelles (propres à la revue Documents, par exemple) et que ce dispositif complexifie sa réception. Il considère également le travail éditorial mené par Denis Hollier, en mettant en lumière les impasses qu’il déjoue : quand le devenir-livre signifie le plus souvent consécration, l'existence livresque du Collège de sociologie n’a pas stabilisé sa réception, parce que son édition parvient à le faire apparaître à la fois puissamment subversif et historiquement situé. L’enjeu est donc d’interroger les modalités du partage de l’autorité (celle qui est propre à tout collectif, mais aussi celle qui procède du travail de l'éditeur) et la dimension axiologique de l’histoire littéraire, que le choix des supports contribue à façonner.
EN:
This article focuses on the Collège de sociologie (led by Bataille, Caillois and Leiris, from 1937 to 1939), more specifically on its status as an “unbound” collective research project. It shows that its ambition to make up a “moral community” takes over from more formal experiments (by comparison, for instance, with the review Documents) and that this approach makes its reception rather complex. It also pays particular attention to the editing process conducted by Denis Hollier, to shed light on the deadlocks that it resolves: while making a book out of an off-track experiment usually implies its consecration, the life of the Collège de sociologie as a material object did not bring about a stable reception, because his editor managed to make it appear both powerfully subversive and historically situated. The hope is to achieve a better understanding of co-authorship (which belongs to any collective movement, but which can also involve the editor) and of the axiological dimension of literary history, which is partly shaped by its media.
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Du mur à la page. Poétique du graffiti dans Les Renards pâles de Yannick Haenel
Corentin Lahouste
AbstractFR:
Que se passe-t-il lorsque la « littérature sauvage » trouve des passeurs dans le champ institué? Tel est le cas des graffitis dans l’oeuvre de Yannick Haenel, au sein de laquelle des phrases rapportées occupent toujours un rôle central, constituant la force motrice de l’écriture. Plusieurs de ses romans (Cercle, Les renards pâles, Je cherche l’Italie) intègrent à leurs intrigues des tags qui proviennent des murs des villes que parcourent les narrateurs haeneliens. Les Renards pâles, publié en 2013, exploite tout particulièrement ce processus. Les différents graffitis retranscrits et insérés dans la textualité du roman, loin de perdre leur statut « sauvage » en rentrant dans le rang de la forme livresque institutionnalisée, viennent, en tant que « phrases-talismans » investies d’une puissance sacrée, nourrir et renforcer l’aspect « vif » de l’écriture de l’écrivain français. Cette pratique scripturale singulière se voit également insuffler une portée politique – elle permet de rejouer deux notions déterminantes du politique : l’identité et la communauté –, mais surtout révolutionnaire et anarchique, en ouvrant à une autre voie, celle du symbolique.
EN:
What happens when “unbound literature” finds smugglers within the institutional ranks? Such is the case with the graffiti in Yannick Haenel’s work, where reported sentences always take on a central role and in this way constitute the driving force behind his writing. A number of his novels (Cercle, Les renards pâles, Je cherche l’Italie) integrate into their plots tags coming from cities that Haenelian narrators visit. This process is especially evident in Les Renards pâles, published in 2013. The various tags transcribed and incorporated into the textuality of the novel, far from losing their “wild” features by entering the established literary form, appear as “talisman-sentences” filled with sacred power that nourishes and strengthens the “vivid” aspect of the French writer’s work. This particular writing technique is also invested with political significance; it allows for the repetition of two key concepts in politics: identity and community; and, above all, with revolutionary and anarchic power that invites another approach, that of the symbolic.
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L’encyclopédie sauvage de Frédéric Bruly Bouabré – ou comment franchir la ligne rouge
Ninon Chavoz
AbstractFR:
L’Ivoirien Frédéric Bruly Bouabré compte parmi les artistes les mieux intégrés à la sphère de l’art africain contemporain. Son oeuvre plastique est fondée sur la production de « cartes » de petit format, caractérisées par un double usage du texte et du dessin. La vocation encyclopédique conférée à cette oeuvre, rétrospectivement placée sous le signe de la « connaissance du monde », se voit cependant contredite par sa dispersion et l’hostilité de son support à toute forme de mise en volume. Nous proposons à ce titre de lire l’encyclopédie « sauvage » brulyenne non comme un assemblage naïf, rattachable au primitivisme, mais comme le foyer d’une encyclopédie mondialisée, manuelle et postmoderne, fondée sur la simultanéité et la circulation.
EN:
Ivorian artist Frédéric Bruly Bouabré is one of Africa’s most celebrated contemporary visual artists. His work, displayed in many modern art galleries, consists of hundreds of small “cards” which combine drawing and writing. Most of these “cards” are part of larger cycle whose retrospectively conferred title “Knowledge of the World” underlines the encyclopaedic nature of his project. This acknowledgement seems, however, to be at odds with the scattered exhibition of the artist’s work. With that idea in mind, we suggest reading Bruly’s “unbound” encyclopaedia not as a naive collection tied to primitivism, but as the centre of a tactile globalised and postmodern encyclopaedia grounded in simultaneity and circulation.
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Beck’s Song Reader: An Unbound Music Book
Kate Maxwell
AbstractEN:
The pop/alternative musician Beck created a stir in the music world when he released his 2012 “album” Song Reader as a book compilation of individual pieces of sheet music. This included a guide to reading music notation, together with an introduction describing the work’s intentions and inviting readers to perform their own versions of the songs. Two years later, a recording of the songs interpreted by various well-known artists was issued. The video to one of these, Jack White’s interpretation of “I’m Down,” focuses entirely on the presentation of the track in the book-album Song Reader: the musical notation, lyrics, and artwork. Using multimodal discourse analysis together with Derrida’s notion of grammatology, this article will analyse both the book-album and the “I’m Down” video. If the Derridean violence of writing brings speech under its over-arching wings, then notation can be seen as dominating musical discourse: the habit of not notating popular music is in fact a (usually subconscious) semiotic decision to differentiate from the (classical/art) music tradition. Song Reader’s release as a book, only to be later reappropriated as a “normal” album, means that it can be understood as an example of “unbound” popular music reincorporated into the mainstream—yet the “I’m Down” video can be read (literally) as a rebellion against this. Or can it? Without their “alternative mainstream” status, neither Beck nor White would have been able to exploit the popular music business in this way. To what extent can the institutional discourse of popular music be infiltrated from the inside? What is the status of “unbound” music-as-literature?
FR:
Beck, musicien pop/alternatif, a créé un certain remous dans le monde musical en 2012 en faisant paraître son « album » Song Reader sous la forme d’un livre, soit une compilation de partitions individuelles. On y trouvait des instructions pour la lecture de la notation musicale, ainsi qu’une « Introduction » décrivant l’oeuvre et ses intentions, et invitant le lecteur à réaliser ses propres versions des chansons. Deux ans plus tard, un enregistrement des chansons par divers musiciens connus a paru. La vidéo de l’une de ces chansons, « I’m Down », interprétée par Jack White, porte sur la présentation de cette pièce dans le livre-album Song Reader : la notation musicale, les paroles, les illustrations. S’appuyant sur les principes de l’analyse multimodale du discours et sur la grammatologie de Derrida, le présent article propose une étude du livre-album, ainsi que de la vidéo « I’m Down ». Si la violence de la lettre derridienne fait de la parole une partie intégrante de l’archi-écriture, la notation musicale peut être considérée comme un discours musical dominant : l’habitude de ne pas écrire la musique populaire constitue en fait une décision sémiotique, généralement subconsciente, de se distancier de la tradition musicale (classique). L’oeuvre Song Reader, parue d’abord en tant que livre, mais envisagée ultérieurement comme un album « ordinaire », offre un exemple de production musicale sauvage récupérée par le courant musical dominant, récupération contre laquelle la vidéo de « I’m Down » semble littéralement se rebeller. Mais est-ce vraiment le cas? Sans leur double statut d’artistes alternatifs et populaires, ni Beck ni White n’auraient pu tirer parti du marché de cette façon. Dans quelle mesure est-il possible d’infiltrer de l’intérieur le discours institutionnel associé à la musique populaire? Quel est le statut de la musique en tant que littérature « sauvage »?
Varia
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Le livre numérique au Québec : le cas des emprunts aux bibliothèques publiques autonomes
Stéphane Labbé
AbstractFR:
L’essor récent de l’offre et de la demande de livres numériques a précipité le développement des collections des bibliothèques publiques en mode immatériel. Les prêts de livres numériques effectués par les bibliothèques sont le reflet des comportements d’emprunt des usagers. La nature et l’amplitude des prêts de livres numériques au Québec demeurent méconnues. Cette relative méconnaissance origine de la nature nouvelle du phénomène numérique et de l’absence d’études en la matière. Cet article dresse un portrait des prêts de livres numériques effectués par les bibliothèques publiques autonomes du Québec à l’aide des données de 2013 et 2014. Il en ressort que l’emprunt de livres numériques est une pratique essentiellement urbaine, qui concerne davantage les livres pour adultes, de fiction qui plus est.
EN:
The recent surge in the supply of and demand for digital books has precipitated the development of digital collections in public libraries. The digital book loans of Quebec public libraries reflect the borrowing behaviors of their users. The nature and scope of digital book loans in Quebec remain unknown. This relative ignorance stems from the new nature of the digital phenomenon and the lack of studies on the subject. This article profiles the digital book loans of Quebec public libraries using data from the years 2013 and 2014. It reveals that the borrowing of digital books is essentially an urban practice, favors adult books and, what is more, books of fiction.