Number 43, Spring 2024 fabuler fabulating Guest-edited by Michèle Garneau and Barbara Le Maître
Table of contents (11 articles)
Articles
-
Fabuleux diplomate : « Le pouvoir des fables » de Jean de La Fontaine
Éric Méchoulan
AbstractFR:
Dans cet article, l’auteur propose une relecture de la fable de La Fontaine intitulée « Le pouvoir des fables ». Il dialogue avec une ancienne lecture qu’il en avait faite à l’orée de sa carrière. Cette fois, il insiste sur la fabulation comme diplomatie et sur les situations embarrassées que met en scène l’art du récit.
EN:
In this article, e.m. offers a new reading of one of La Fontaine's fables entitled “Le pouvoir des fables”. The author enters into a dialogue with one of his own articles on this very fable which he wrote at the beginning of his career. This time, he emphasizes the diplomatic aspect of fabulation and the entangled situations staged by the art of narrative.
-
Les déclinaisons des fables animalières de Benjamin Rabier, symbole des prémices d’un nouveau système médiatique
Myriam Bahuaud and Jessica de Bideran
AbstractFR:
Si Benjamin Rabier (1864–1939) demeure aujourd’hui associé à La vache qui rit et, plus largement, à toute une iconographie animalière, l’ensemble de sa production est loin de se limiter à un seul support et révèle un univers complexe que nous qualifions a posteriori d’intermédiatique. Ce texte suit la construction progressive de cet univers à l’aune de la fable. Nous montrons ainsi que si ce genre a été exploité par Rabier, sous forme illustrée essentiellement, celui-ci a aussi su s’en détacher pour profiter de toutes les occasions offertes par les mutations sociales, artistiques, techniques, politiques et économiques de son époque, participant de fait aux prémices d’un nouveau système médiatique.
EN:
If Benjamin Rabier (1864–1939) remains today associated with La vache qui rit and, more broadly, with an entire animal iconography, his entire production is far from limited to a single medium and reveals a complex universe that we retrospectively qualify as intermedial. This text follows the progressive construction of this universe through the lens of fable. We thus demonstrate that while this genre was exploited by Rabier, primarily in illustrated form, he also managed to detach himself from it to take advantage of all the opportunities offered by the social, artistic, technical, political, and economic changes of his time, thereby participating in the beginnings of a new media system.
-
Les personnages fabulateurs dans l’oeuvre de Pedro Almodóvar. Une poétique du désir
Nathalie Mauffrey
AbstractFR:
Par l’analyse des personnages fabulateurs dans l’oeuvre du cinéaste Pedro Almodóvar, puisant dans l’analyse textuelle, l’esthétique, la théorie du personnage au cinéma et la philosophie, cette étude trace les modalités sémiologique, esthétique et éthique d’une poétique de la fabulation, placée sous le signe de l’authenticité et du désir. Elle fait du personnage filmique un lieu où la fiction travaille le réel pour objectiver les subjectivités plurielles et dire vrai.
EN:
This study analyses the fabulist characters in the work of filmmaker Pedro Almodóvar. Through textual analysis, aesthetics, and the theory of character in cinema and philosophy, it traces the semiological, aesthetic, and ethical modalities of a poetics of fabulation, placed under the sign of authenticity and desire. It makes the filmic character a place where fiction works on reality to objectify plural subjectivities and tell the truth.
-
Animalités augmentées : leçons filmiques contemporaines
Alice Letoulat
AbstractFR:
Cet article cherche à étudier la manière dont les récits filmiques contemporains fabulent avec des animaux « augmentés », c’est-à-dire résultant d’une fabrication humaine volontaire. Nous cherchons d’abord à décrire ces formes animales contemporaines à partir de trois exemples : Okja (Bong Joon-ho, 2017), Jurassic World (Colin Trevorrow, 2015), et « Hated in the Nation » (James Hawes, 2016), puis nous nous penchons sur les fonctions qui leur sont attribuées. Cela nous conduit enfin à interroger la place laissée à une authentique existence animale dans ces fables, en nous appuyant sur deux exemples supplémentaires : Les Gardiens de la galaxie vol. 3 (James Gunn, 2023) et Eo (Jerzy Skolimowski, 2022).
EN:
This article looks at the way in which contemporary film narratives use “enhanced” animals, i.e. animals that have been deliberately designed by humans. First, I describe these contemporary animal forms based on three examples: Okja (Bong Joon-ho, 2017), Jurassic World (Colin Trevorrow, 2015), and « Hated in the Nation » (James Hawes, 2016). Then, I look at the functions they are assigned. Finally, I question the place given to a genuine animal existence in these fables, relying on two further examples: Guardians of the Galaxy vol. 3 (James Gunn, 2023) and Eo (Jerzy Skolimowski, 2022).
-
L’élan de fabulation à l’oeuvre chez Pierre Perrault
Johanne Charest
AbstractFR:
Cet article cherche à définir l’élan de fabulation observé dans les écrits réflexifs du cinéaste québécois Pierre Perrault alors qu’il se trouve dans une posture de réception des figures animales de son oeuvre documentaire. Relevant d’altérités relatives et radicales, ces « corps fabuleux » induisent un mouvement de la pensée du poète-cinéaste qui, dès lors, est pris en flagrant délit d’invention, lui qui pourtant souhaite être au plus près du réel.
EN:
This article seeks to define the impetus of fabulation observed in the writings of Quebecois filmmaker Pierre Perrault as he assumes a posture of receptivity of the animal figures observed in his documentary works. Pertaining to relative and radical otherness, these “fabulous bodies” induce a movement of Perrault’s thoughts. Therefore, he is caught in the act of invention, despite his desire to be as close to reality as possible.
-
Détours fabuleux de l’analyse de films
Fabienne Costa
AbstractFR:
Sans prétendre élaborer une catégorie, je voudrais repérer une pratique particulière de l’analyse de films dans laquelle la fable s’immisce et participe d’une interprétation par détours, occasionnant parfois une métamorphose des oeuvres dans l’optique de les comprendre autrement — de biais.
En décentrant les oeuvres, le commentaire frise parfois l’extrapolation, augurant une probabilité d’analyse pour autant qu’il ne verse pas dans l’approximation hasardeuse ou dans la seule posture scripturale sans autre justification qu’une vaine séduction. Cet article se penche sur deux auteurs singuliers qui, concevant le film comme matière à récit, comme source d’imaginaire, embarquent, chacun à leur façon, l’analyse du côté de la fable. Laurent Fiévet en mettant l’oeuvre d’Alfred Hitchcock sous contrainte optique pour lui faire rejouer des épisodes connus de l’histoire de l’art; Hervé Aubron en confrontant le chaos du monde aux situations fabriquées par les films. Il s’agit de situer l’incursion de la fable, de pister son déroulement tout en interrogeant les stratégies stylistiques la rendant manifeste (ou latente). L’enjeu de ce texte est de réfléchir à la valeur heuristique de la fable.
EN:
Without claiming to elaborate a category, this text focuses on a peculiar practice of film analysis that emerged in France during the 1980s and 2000s. In this kind of analysis, fabulation participates in a detoured interpretation that seeks to understand films differently, eccentrically, by provoking a metamorphosis in the studied works.
Decentering the works, the commentary sometimes verges on extrapolation, adumbrating a probability of analysis that nevertheless avoids lapsing into haphazard approximation or into a mere scriptural posturing with no justification other than vain seduction. This article focuses on two singular authors who, conceiving of film as material for storytelling, as a source for the imaginary, orient their analyses towards the fable. Laurent Fiévet reads Alfred Hitchcock's work through an optical constraint, making it replay well-known episodes from art history; Hervé Aubron confronts the chaos of the world with the situations fabricated by films. Our study will attempt to situate the incursion of the fable, to track its progression while also questioning the stylistic strategies that make it manifest (or latent). The aim is to reflect on the heuristic value of the fable.
-
Shutter Island : ombre et lumière de la fable cinématographique
Jean-Albert Bron
AbstractFR:
Le film Shutter Island (Martin Scorsese, 2010) se prête ici à une réflexion sur la fable, en tant que récit d’invention proposant découverte et adhésion à une interprétation de soi et du monde : elle est objet de croyance car porteuse de valeurs et de normes sociales. Le film déplace les données du roman de Dennis Lehane (2003) et vient « contrarier » — comme le proposait Jacques Rancière (2001) — la signification morale du récit littéraire.
Pour donner plus de portée à cette étude de cas, on s’appuiera d’abord sur la notion de programme de vérité (Paul Veyne, 1983) afin de mieux prendre en compte l’affrontement dans le film des deux versions qui opposent l’enquête du marshal Teddy Daniels et la névrose du malade interné Andrew Laeddis. On interrogera ensuite les modalités particulières qui articulent l’expérience intime et l’expérience socialisée : cette dualité fonde l’expérience filmique pour le spectateur, qui en retrouve l’image dans le Miroir du film. On s’appuie ici sur les réflexions d’Étienne Balibar sur la psychologie des foules (2016), et de Pierre Legendre sur l’anthropologie dogmatique (2001).
On se penchera enfin sur les processus d’interaction entre les médias, qui contribuent à un inquiétant obscurcissement de la fable cinématographique : la relation au roman se complique lorsque s’efface l’autorité narrative du docteur Sheehan, ou lorsque Scorsese joue sur trois régimes d’image dont l’entrelacs fonde en vérité le présent de l’enquête; lorsqu’enfin le film dialogue dans la mémoire du spectateur avec d’autres films, d’autres images, d’autres récits.
EN:
The film Shutter Island (Martin Scorsese, 2010) lends itself here to a reflection on the fable as an inventive narrative offering discovery and adherence to an interpretation of oneself and the world: the fable is an object of belief because it carries social values and norms. The film displaces the data of Dennis Lehane’s novel (2003) and “contradicts”—as Jacques Rancière (2001) put it—the moral significance of the literary narrative.
To give more scope to this case study, we will first use the concept of a truth program (Paul Veyne (1983) to better reflect the confrontation in the film between the two versions of the investigation of Marshal Teddy Daniels and the neurosis of hospitalized patient Andrew Laeddis. We will then examine the particular modalities that articulate the intimate experience and the socialized experience. This duality forms the basis of the cinematic experience for the spectator, who rediscovers their image in the film’s Mirror. Here we draw on Etienne Balibar’s reflections on crowd psychology (2016) and Pierre Legendre’s on dogmatic anthropology (2001).
Finally, we will look at the processes of interaction between the different media, which contribute to a disturbing obscuration of the cinematic fable. The relationship with the novel becomes more complicated when Dr. Shehan’s narrative authority is erased, when Scorsese plays on three modes of image whose interlacing truly underpins the present of the investigation, or when, finally, the film enters into dialogue in the spectator’s memory with other films, other images, other narratives.
-
Herzog, Nietzsche et Deleuze vont en vaisseau (The Wild Blue Yonder, 2005)
Guillaume Bourgois
AbstractFR:
Embarquez dans une « science fiction fantasy » signée Werner Herzog ! Avec son personnage central d’extraterrestre baratineur, son montage et ses interviews de scientifiques se jouant des frontières entre le vrai et le faux, The Wild Blue Yonder (2005) déchaîne ces puissances du faux conceptualisées par Deleuze à partir de Nietzsche au chapitre 6 de L’Image-temps (1985). Au terme d’un voyage qui verra dans l’acte de fabulation un acte profondément politique, il s’agira de comprendre le film comme un chant de lutte produit par l’univers lui-même.
EN:
Come aboard a Werner Herzog “science fiction fantasy” ! With its central character being a smooth-talking alien, with its editing and its interviews of scientists that constantly blur the boundaries between true and false, The Wild Blue Yonder (2005) unleashes Deleuze’s Nietzsche-influenced “powers of the false” theorized in L’image-temps (1985). At the end of a journey that will lead us to consider the act of fabulating as a political one, we will understand Herzog’s movie as a resistance chant created by the universe itself.